Septième entretien. Ornements de l'histoire

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      <titleStmt>
        <title>"Septième entretien. Ornements de l'histoire" de Essai sur le récit, ou Entretiens sur la manière de
          raconter. Édition électronique.</title>
        <author>François-Joseph Bérardier de Bataut (1720-1794)</author>
        <editor>Christof Schöch</editor>
      </titleStmt>
      <editionStmt>
        <edition>Version 0.7, 09/2014</edition>
      </editionStmt>
      <publicationStmt>
        <p>Texte libre de droits. Édition électronique publiée en ligne à l'adresse
          http://tapas.neu.edu/berardier/essai/ sous licence Creative Commons Attribution 3.0
          (CC-BY). Republication de l'édition électronique publiée en ligne à l'adresse
          http://berardier.org en 2010.</p>
      </publicationStmt>
      <sourceDesc>
        <bibl>
          <author>Bérardier de Bataut, François-Joseph (1720-1794)</author>
          <title>Essai sur le récit, ou entretiens sur la manière de raconter</title>
          <pubPlace>Paris</pubPlace>
          <publisher>Charles-Pierrre Berton</publisher>
          <date>1776</date>
          <extent>Format in-12, X-725 pages.</extent>
        </bibl>
      </sourceDesc>
    </fileDesc>
    <encodingDesc>
      <projectDesc>
        <p>Cette édition fournit une édition accessible en ligne et commentée de l'Essai sur le
          récit, ou Entretiens sur la manière de raconter, par François-Joseph Bérardier de Bataut.
        </p>
      </projectDesc>
      <editorialDecl>
        <p>L'édition réunit une transcription diplomatique (graphies d'époque, coquilles,
          abréviations) et une version de lecture (graphies modernisées, coquilles corrigées,
          abréviations explicitées).</p>
      </editorialDecl>
    </encodingDesc>
    <revisionDesc>
      <change when="2010-01-29" who="Christof Schöch">Transfer zu TEI-Lite.</change>
      <change when="2010-04-24" who="Christof Schöch">Plus quote, note, choice Tags.</change>
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      <change when="2014-09-06" who="Christof Schöch">Minor adjustments for TAPAS
        publication.</change>
    </revisionDesc>
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  <text>
    <body>
      <div type="chapter" xml:id="essai07">
        <head>SEPTIEME ENTRETIEN.<lb/><hi rend="italic"><choice>
              <orig>Ornemens</orig>
              <reg>Ornements</reg>
            </choice> de l'<choice>
              <orig>Histoire</orig>
              <reg>histoire</reg>
            </choice>.</hi></head>
        <p>Le lendemain, dès le matin, Euphorbe, en entrant dans son cabinet, y trouva son ami
          occupé à parcourir ses livres. Vous ne savez pas, dit celui-ci, à quel objet je <choice>
            <orig>pensois</orig>
            <reg>pensais</reg>
          </choice> en vous attendant. J'<choice>
            <orig>admirois</orig>
            <reg>admirais</reg>
          </choice> la justesse de cette inscription que vous avez fait graver au-dessus de la
          porte&#160;; <hi rend="italic"><choice>
              <orig>tantùm</orig>
              <reg>tantum</reg>
            </choice> series juncturaque pollet&#160;!</hi><note resp="editor">La citation provient
            de l'<hi rend="italic">Ars poetica</hi> d'Horace, v. 242. Ce vers et le suivant se
            trouvent cités sur la page de titre du premier volume de l'<hi rend="italic"
              >Encyclopédie des Arts et des métiers</hi>, en 1751.</note> Outre le choix des livres,
          que vous avez rassemblez ici, il est difficile d'y mettre un plus bel ordre.</p>
        <p>Une bibliothèque sans arrangement, reprir Euphorbe, devient presque inutile, par la
          difficulté que l'on éprouve à trouver les <choice>
            <orig>différens</orig>
            <reg>différents</reg>
          </choice> volumes que l'on cherche. D'ailleurs cette confusion choque la vue des gens de
          goût.</p>
        <p><pb xml:id="p346"/>En effet, poursuivit Timagene, dans tout ce qui est fait pour plaire,
          la principale beauté vient d'un certain accord, d'une disposition heureuse, qui de
          plusieurs parties forme un tout gracieux, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> dont les justes proportions ravissent <choice>
            <sic>nôtre</sic>
            <corr>notre</corr>
          </choice> admiration. C'<choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> là, sans doute, ce que vous entendiez hier, lorsque vous mîtes l'ordre à la tête
          des <choice>
            <orig>ornemens</orig>
            <reg>ornements</reg>
          </choice> propres au récit historique.</p>
        <p>Je ne suis pas étonné, repartit Euphorbe, que ce mot vous ait frappé. Un militaire est,
          pour ainsi dire, naturalisé avec l'ordre&#160;: il en sent tout le prix. Si cet ordre est
          indispensable dans la conduite d'une armée, il est aussi le premier <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> le plus utile ornement de l'histoire. Elle lui doit cette variété, dont nous
          avons déjà reconnu la nécessité dans toute espèce de récit. Le dernier <choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <reg>auteur</reg>
          </choice> de là vie de Louis XIII, suffit pour nous en donner la preuve. Pour épargner à
          son lecteur l'ennui que doit produire naturellement le détail trop uniforme des guerres
          qu'il est obligé de rapporter, il quitte de temps en temps les armées&#160;; il revient à
          sa cour, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> fixe nos <choice>
            <orig>ieux</orig>
            <reg>yeux</reg>
          </choice> sur les cabales des grands, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> sur ses intrigues du cabinet. Au milieu des combats <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> des <choice>
            <orig>sièges</orig>
            <reg>siéges</reg>
          </choice>, qu'il est forcé de décrire, <pb xml:id="p347"/> il ne perd jamais de vue un
          ministre habile, qui lutte sans cesse contre la <choice>
            <orig>foiblesse</orig>
            <reg>faiblesse</reg>
          </choice> de son prince <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> la jalousie des grands, autant que contre les ennemis de l'état. Ce n'est point
          une énumération <choice>
            <orig>séche</orig>
            <reg>sàche</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> fatigante de batailles, de <choice>
            <orig>campemens</orig>
            <reg>campements</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> d'opérations <choice>
            <orig>guerrieres</orig>
            <reg>guerrières</reg>
          </choice>. Nous voyons le jeu de la machine&#160;; mais nous <choice>
            <orig>appercevons</orig>
            <reg>apercevons</reg>
          </choice> en même<choice>
            <orig>-</orig>
            <reg> </reg>
          </choice>temps le ressort qui la fait mouvoir. <choice>
            <sic>Delà</sic>
            <corr>De là</corr>
          </choice> naît l'intérêt, autre avantage plus précieux encore de cette disposition habile,
          dont nous parlons.</p>
        <p>N'est-ce point cette adresse, ajouta Timagène, cet admirable enchaînement de projets,
          d'intrigues, d'<choice>
            <orig>événemens</orig>
            <reg>événements</reg>
          </choice>, qui rend si intéressante l'<choice>
            <orig>histoire de la conjuration contre Venise</orig>
            <reg><hi rend="italic">Histoire de la conjuration contre Venise</hi></reg>
          </choice>, écrite par l'abbé de Saint-Réal&#160;? Point de tableau dont l'ordonnance soit
          aussi heureuse. L'<choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <reg>auteur</reg>
          </choice> fait d'abord <choice>
            <orig>connoître</orig>
            <reg>connaître</reg>
          </choice> ses principaux personnages. Leurs <choice>
            <orig>caracteres</orig>
            <reg>caractères</reg>
          </choice> sont bien peints. Les détails de la conjuration sont présentés avec netteté, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> dans leur place naturelle&#160;: le <choice>
            <orig>manége</orig>
            <reg>manège</reg>
          </choice> des conjurés, la politique de la cour d'Espagne, tout se développe sans
          embarras. Les reflexions naissent du sujet. Mais <choice>
            <orig>sur-tout</orig>
            <reg>surtout</reg>
          </choice> il ne laisse point entrevoir le succès. C'est au moment où l'entreprise va
          s'exécuter, <pb xml:id="p348"/> que toute la trame se découvre. L'esprit a toujours été en
          suspens, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> l'émotion que lui cause cet événement inattendu, fait sur lui le même effet que
          la catastrophe d'une tragédie.</p>
        <p>Ce sont là de ces ouvrages qu'on lit toujours avec un nouveau plaisir, reprit Euphorbe.
          L'abbé de Vertot excelle aussi dans cette espèce d'enchantement&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> s'il n'eût pas quelquefois sacrifié la vérité à l'intérêt, il <choice>
            <orig>auroit</orig>
            <reg>aurait</reg>
          </choice> peut-être atteint la perfection dans son genre. Il nous conduit comme par la
          main d'<choice>
            <orig>événemens</orig>
            <reg>événements</reg>
          </choice> en <choice>
            <orig>événemens</orig>
            <reg>événements</reg>
          </choice>&#160;: à chaque instant, la curiosité augmente, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> le temps qu'on emploie à le suivre <choice>
            <orig>paroît</orig>
            <reg>paraît</reg>
          </choice> toujours trop court. Thucidide charge souvent son récit, jusqu'à fatiguer son
          lecteur&#160;; Tacite voit <choice>
            <orig>par-tout</orig>
            <reg>partout</reg>
          </choice> de la politique, de l'intrigue <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de la dissimulation. Ce n'est point là la marche de la nature. Elle est aisée à
          saisir&#160;: sans chercher<choice>
            <sic>-du</sic>
            <reg> du</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>mystere</orig>
            <reg>mystère</reg>
          </choice> où il n'y en a point, elle expose les motifs, qui sont ordinairement <choice>
            <orig>différens</orig>
            <reg>différents</reg>
          </choice> selon les <choice>
            <orig>différens</orig>
            <reg>différents</reg>
          </choice> génies &#160;; enfin elle n'attribue point à des vues <choice>
            <orig>secrettes</orig>
            <reg>secrètes</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> à des méditations profondes, ce qui n'est souvent l'effet que de l'accident le
          plus commun.</p>
        <p>Puisque l'ordre est le <choice>
            <orig>pere</orig>
            <reg>père</reg>
          </choice> de la variété <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de l'intérêt, répliqua Timagène, <pb xml:id="p349"/> je ne <choice>
            <orig>voudrois</orig>
            <reg>voudrais</reg>
          </choice> point d'autre ornement dans l'histoire. Cette <choice>
            <orig>espece</orig>
            <reg>espèce</reg>
          </choice> de composition est toute autre que la <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice>. Si je m'en souviens bien, Lucien a dit quelque part<note resp="author">Quomodò
            scrib. Hist.</note>, que charger un récit historique de louanges outrées <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> d'<choice>
            <orig>ornemens</orig>
            <reg>ornements</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>poëtiques</orig>
            <reg>poétiques</reg>
          </choice>, ou oratoires, c'est habiller un <choice>
            <orig>Athlete</orig>
            <reg>athlète</reg>
          </choice> en comédienne, c'est représenter Hercule filant aux pieds d'Omphale. En effet,
          la <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice> semble annoncer par ses charmes, que son but principal est de plaire&#160;;
          l'histoire, au contraire, par son sérieux, nous prévient d'abord qu'elle veut nous
          instruire.</p>
        <p>Je <choice>
            <orig>connois</orig>
            <reg>connais</reg>
          </choice> toute la sévérité de Lucien sur cet article, répondit Euphorbe. Néanmoins cet
          ingénieux critique, dans l'ouvrage même que vous citez,<note><hi rend="italic"
            >Ibid.</hi></note> veut que l'expression de l'historien approche quelquefois du sublime
          de la <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice>, <choice>
            <orig>sur-tout</orig>
            <reg>surtout</reg>
          </choice> dans les descriptions des batailles. L'histoire <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> la <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice> ont un même but principal&#160;; c'est de nous être utiles&#160;: mais elles y
          vont par des routes différentes. Celle-ci étale à nos <choice>
            <orig>ieux</orig>
            <reg>yeux</reg>
          </choice> tout l'éclat, toute la pompe d'une brillante <pb xml:id="p350"/>
          imagination&#160;: celle-là porte un air plus austère, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> sans <choice>
            <orig>rejetter</orig>
            <reg>rejeter</reg>
          </choice> les <choice>
            <orig>ornemens</orig>
            <reg>ornements</reg>
          </choice> qui lui sont propres, elle se contente de les voiler assez pour que le lecteur
          ait peine à les découvrir. L'ordre même y <choice>
            <orig>produiroit</orig>
            <reg>produirait</reg>
          </choice> difficilement les deux grands effets qui vous charment, la variété <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> l'intérêt, s'il n'<choice>
            <orig>empruntoit</orig>
            <reg>empruntait</reg>
          </choice> des ressorts étrangers, tels que les descriptions, les portraits, le pathétique,
          les réflexions, les anecdotes frappantes , les pensées même <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> la beauté de l'expression. Tout cela doit marcher d'un pas égal sous les
          enseignes de la vérité.</p>
        <p>Si vous le trouvez bon, reprit Timagène en riant, passons en revue votre petite armée.
          Nous sommes ici à portée de trouver des exemples, dans toutes les parties que vous venez
          de nommer. Nous nous sommes déjà entretenus des descriptions <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> des <choice>
            <orig>caractères</orig>
            <reg>caracteres</reg>
          </choice>. <choice>
            <orig>A</orig>
            <reg>À</reg>
          </choice> ce que nous en avons dit je <choice>
            <orig>voudrois</orig>
            <reg>voudrais</reg>
          </choice> seulement ajouter, que dans l'histoire ces deux espèces d'<choice>
            <orig>ornemens</orig>
            <reg>ornements</reg>
          </choice> doivent avoir de la dignité, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> conséquemment qu'il faut y admettre du choix. C'est abuser de la complaisance du
          lecteur, que de lui décrire des minuties, ou de lui peindre, avec un grand détail, des
          personnages <pb xml:id="p351"/> peu <choice>
            <orig>importans</orig>
            <reg>importants</reg>
          </choice>, dans le sujet qui l'occupe. Je suis toujours étonné que Sallufse nous ait
          donné, avec beaucoup d'appareil, un portrait de Sempronia, qui ne joue pas un assez grand
          rôle dans la conjuration de Catilina, pour mériter cette distinction.</p>
        <p>Je suis encore moins indulgent que vous, poursuivit Euphorbe. Vous rejettez de l'histoire
          toute description minutieuse&#160;: <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> moi, j'en bannis toutes celles qui ne sont pas absolument nécessaires. Ce n'est
          pas, en effet, la grandeur de l'objet qui décide du mérite de la description, mais le
          rapport qu'il a avec le but principal, que l'écrivain se propose. Un <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice> s'amuse à peindre une affreuse tempête, un riant bocage, un magnifique palais,
          sans autre nécessité que d'orner son ouvrage <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig/>
            <reg>de</reg>
          </choice>charmer son lecteur. Cette liberté n'est point accordée à l'historien. S'il
          décrit une campagne, c'est qu'il ne peut se dispenser de peindre la situation des lieux,
          pour faire entendre les <choice>
            <orig>différens</orig>
            <reg>différents</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>mouvemens</orig>
            <reg>mouvements</reg>
          </choice> de deux armées ennemies pendant une bataille, ou dans une marche. Si Tacite fait
          la description de l'<choice>
            <orig>isle</orig>
            <reg>île</reg>
          </choice> de Caprée, c'est pour dévoiler les motifs qui <choice>
            <orig>engagerent</orig>
            <reg>engagèrent</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>Tibere</orig>
            <reg>Tibère</reg>
          </choice> à s'y <pb xml:id="p352"/> retirer.<note resp="author"><q rend="block"
              >Solitudinem ejus placuisse maximè crediderim, quoniam importuosum circa mare, <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> vix modicis navigiis pauca subsidia ; neque adpulerit quisquam, nisi gnaro
              custode. Cœli temperies hieme mitis, objectu montis, quo sæva ventorum arcentur :
              æstas in favonium obversa, <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> aperto circum pelago peramœna ; prospectabatque pulcherrimum finum, antequam
              Vesuvius mons ardescens faciem loci verteret.</q>
            <hi rend="italic">Annal. lib. 4, c. 67</hi>.</note><q rend="inline">Je <choice>
              <orig>croirois</orig>
              <reg>croirais</reg>
            </choice> volontiers, dit-il, que la solitude, qui <choice>
              <orig>regne</orig>
              <reg>règne</reg>
            </choice> dans cette <choice>
              <orig>isle</orig>
              <reg>île</reg>
            </choice>, la rendit plus agréable à ce prince que toute autre. Toutes ces mers sont
            dépourvues de ports &#160;: les plus petits <choice>
              <orig>bâtimens</orig>
              <reg>bâtiments</reg>
            </choice> ont peine à y trouver quelques secours&#160;; <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> il est impossible d'y aborder, sans être <choice>
              <orig>apperçu</orig>
              <reg>aperçu</reg>
            </choice> par les sentinelles. Une chaîne de montagnes met <choice>
              <orig>isle</orig>
              <reg>île</reg>
            </choice> à l'abri des vents froids, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> y entretient une douce température pendant la saison la plus rigoureuse.
            Ouverte du côté du levant, un air frais y <choice>
              <orig>modere</orig>
              <reg>modère</reg>
            </choice> les ardeurs de l'été, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> la mer, que l'on découvre de tous côtés, rend alors ce séjour <choice>
              <orig>très-agréable</orig>
              <reg>très agréable</reg>
            </choice>. Elle <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> en perspective un golfe charmant, avant que les éruptions brûlantes du Vésuve
            eussent désolé ces rivages.</q> L'empereur <choice>
            <orig>cherchoit</orig>
            <reg>cherchait</reg>
          </choice> une retraite solitaire <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> gracieuse. C'est sous ces deux rapports seulement qu'on nus peint celle qu'il
          choisit.</p>
        <p>Je crois <choice>
            <orig>appercevoir</orig>
            <reg>apercevoir</reg>
          </choice>, dans ce que vous venez de lire, reprit Timagène, toutes les qualités qu'un
          homme de beaucoup de goût du <choice>
            <orig>siécle</orig>
            <reg>siècle</reg>
          </choice> dernier, exige dans cette partie de l'histoire<note resp="author">Le P. Rapin,
            réfl. sur l'hist. art. 18.</note><q rend="inline">Il faut, dit-il, que les descriptions
            soient nécessaires, exactes, élégantes, jamais recherchées&#160;; qu'elles n'aient rien
            de choquant, ni qu'on n'y voie pas trop d'envie de faire plus <choice>
              <orig>paroître</orig>
              <reg>paraître</reg>
            </choice> son esprit, que son sujet.</q> Voilà précisément dans ces derniers mots la
          différence que vous mettiez <choice>
            <orig>tout-à-l'heure</orig>
            <reg>tout à l'heure</reg>
          </choice> entre la description <choice>
            <orig>poëtique</orig>
            <reg>poétique</reg>
          </choice>, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> l'historique. Tite-Live peut être regardé comme un modèle d'exactitude,
          lorsqu'il décrit une bataille&#160;: je <choice>
            <orig>mettrois</orig>
            <reg>mettrais</reg>
          </choice> au même rang le <choice>
            <orig>P.</orig>
            <reg>Père</reg>
          </choice> Daniel, dans le combat des trente, sous le Roi Jean&#160;; dans la bataille de
          Bouvines, sous Philippe Auguste. Rien de plus exact que le détail des trois journées de
          Fribourg, sous le <choice>
            <orig>rwgne</orig>
            <reg>règne</reg>
          </choice> de Louis XIV, dans M. Reboulet. On voit, on suit, pour ainsi dire, des <choice>
            <orig>ieux</orig>
            <reg>yeux</reg>
          </choice> toutes les évolutions <pb xml:id="p354"/>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> tous les <choice>
            <orig>mouvemens</orig>
            <reg>mouvements</reg>
          </choice> des <choice>
            <orig>combattans</orig>
            <reg>combattants</reg>
          </choice>. Mais pour l'élégance, sans recherche <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> sans affectation, je me déclare <choice>
            <orig>sur-tout</orig>
            <reg>surtout</reg>
          </choice> pour deux morceaux que j'ai envie de relire encore ici avec vous. Le premier est
          tiré des <choice>
            <orig>révolutions d'Angleterre</orig>
            <reg><hi rend="italic">Révolutions d'Angleterre</hi></reg>
          </choice>. C'est la description du combat où Henri VI <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> la reine Marguerite furent défaits par Edouard IV, près de la ville
            d'Yorck.<note resp="author">Rév. d'Ang. l. 6.</note><q rend="inline">Les deux armées,
            s'étant rencontrées le dimanche des Rameaux, assez proche des bourgades de Saxton <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de Touton, une vaste prairie fut le champ d'une des plus mémorables batailles,
            dont on eut <choice>
              <orig>oui</orig>
              <reg>ouï</reg>
            </choice> parler de <choice>
              <orig>long-temps</orig>
              <reg>longtemps</reg>
            </choice>. On combattit durant deux jours, avec ce que l'on <choice>
              <orig>pourroit</orig>
              <reg>pourrait</reg>
            </choice> mieux appeller fureur que courage. Edouard <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> défendu qu'on fît des prisonniers, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> ordonné qu'on passât tout au fil de l'épée. Il <choice>
              <orig>pouvoit</orig>
              <reg>pouvait</reg>
            </choice> épargner à sa gloire cet ordre plus digne d'un désespéré, que d'un grand
            capitaine <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> d'un prince chrétien. L'acharnement des deux partis à s'entredétruire l'un
            l'autre, parut dans cette action plus que jamais. On <pb xml:id="p355"/> commença ce
            rude choc par combattre dix heures, sans que l'on perdit rien du <choice>
              <orig>terrein</orig>
              <reg>terrain</reg>
            </choice> que l'on <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> d'abord occupé. On <choice>
              <orig>tomboit</orig>
              <reg>tombait</reg>
            </choice>, mais on ne <choice>
              <orig>reculoit</orig>
              <reg>reculait</reg>
            </choice> pas, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> les files de <choice>
              <orig>derriere</orig>
              <reg>derrière</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>remplaçoient</orig>
              <reg>remplaçaient</reg>
            </choice>, avec un ordre que la chaleur du combat ne <choice>
              <orig>dérégloit</orig>
              <reg>déréglait</reg>
            </choice> point, ceux que l'on <choice>
              <orig>tuoit</orig>
              <reg>tuait</reg>
            </choice> dans les <choice>
              <orig>premieres</orig>
              <reg>premières</reg>
            </choice>&#160;; de sorte que si les deux grands chefs de la faction d'Yorck n'<choice>
              <orig>avoient</orig>
              <reg>avaient</reg>
            </choice> fait des choses au-dessus même des hommes extraordinaires, on <choice>
              <orig>pourroit</orig>
              <reg>pourrait</reg>
            </choice> dire que cette bataille se <choice>
              <orig>seroit</orig>
              <reg>serait</reg>
            </choice> moins décidée par la valeur <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> par la science de la guerre, que par la force <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> le travail des bras, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> et que si les Lancastres <choice>
              <orig>céderent</orig>
              <reg>cédèrent</reg>
            </choice>, ce fut que leurs gens furent <choice>
              <sic>plutôt</sic>
              <corr>plus tôt</corr>
            </choice> las que les autres. Encore ne <choice>
              <orig>céderent</orig>
              <reg>cédèrent</reg>
            </choice>-ils point en fuyant, pour quitter le combat&#160;; mais en se retirant, pour
            reprendre haleine <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> recommencer à combattre. Ainsi, tout rompus qu'ils <choice>
              <orig>étoient</orig>
              <reg>étaient</reg>
            </choice>, on les <choice>
              <orig>voyoit</orig>
              <reg>voyait</reg>
            </choice> de tous côtés se rallier en petites troupes, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> retourner à la charge en désespérés. Un jour ne suffit pas pour rendre cette
            victoire <choice>
              <orig>complete</orig>
              <reg>complète</reg>
            </choice>&#160;: il fallut y employer le lendemain. Aussi le nombre des morts monta-t-il
            jusqu'à trente-six mille hommes, en comptant ceux des <pb xml:id="p356"/> deux partis.
            On dit que la <choice>
              <orig>riviere</orig>
              <reg>rivière</reg>
            </choice> de Warf, dans laquelle se décharge un ruisseau jusqu'aux bords duquel on
            poussa les vaincus, parut tout en sang, tant il en fut versé.</q> Quelques phrases un
          peu moins longues, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> quelques détails un peu plus circonstanciés, ne <choice>
            <orig>dépareroient</orig>
            <reg>dépareraient</reg>
          </choice> pas, je crois, l'élégance de ce tableau. L'autre est la fameuse action entre D.
          Sébastien, Roi de Portugal, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> Muleï Moluc, Roi de Maroc.<note resp="author">Révol. de Port.</note><q
            rend="inline">Le Roi de Portugal, dit M. l'abbé de Vertot, qui <choice>
              <orig>croyoit</orig>
              <reg>croyait</reg>
            </choice> qu'il lui <choice>
              <orig>seroit</orig>
              <reg>serait</reg>
            </choice> plus difficile de joindre les ennemis que de les vaincre, s'attacha à leur
            poursuite&#160;: mais Moluc ne le vit pas <choice>
              <sic>plutôt</sic>
              <corr>plus tôt</corr>
            </choice> éloigné de la mer <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de sa flotte, qu'il fit ferme dans la plaine&#160;; <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> il étendit ensuite un grand corps de cavalerie en forme de croissant, pour
            enfermer toute l'armée chrétienne. Il <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> mis le prince Hamet, son <choice>
              <orig>frwre</orig>
              <reg>frère</reg>
            </choice>, à la tête de ce corps&#160;: mais, comme il n'<choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> pas prévenu en faveur de son courage, il lui dit, que c'<choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> uniquement à sa naissance qu'il <choice>
              <orig>devoit</orig>
              <reg>devait</reg>
            </choice> ce commandement ; mais que, s'il <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> assez lâche <pb xml:id="p357"/> pour fuir, il l'<choice>
              <orig>étrangleroit</orig>
              <reg>étranglerait</reg>
            </choice> de ses propres mains, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> qu'il <choice>
              <orig>falloit</orig>
              <reg>fallait</reg>
            </choice> vaincre ou mourir. Il se <choice>
              <orig>voyoit</orig>
              <reg>voyait</reg>
            </choice> mourir lui-même, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> sa <choice>
              <orig>foiblesse</orig>
              <reg>faiblesse</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> si grande, qu'il ne douta point qu'il ne fût arrivé à son dernier jour, Il
            n'oublia rien dans cette extrémité pour le rendre le plus beau de sa vie. Il rangea
            lui-même son armée en bataille, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> donna tous les ordres avec autant de netteté d'esprit <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> d'application, que s'il eût été en parfaite santé. Il étendit même sa
            prévoyance jusqu'aux <choice>
              <orig>événemens</orig>
              <reg>événements</reg>
            </choice> qui pouvaient arriver par sa mort, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> il ordonna aux officiers dont il <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> environné, que s'il <choice>
              <orig>expiroit</orig>
              <reg>expirait</reg>
            </choice> pendant la chaleur du combat, on en cachât avec soin la nouvelle<choice>
              <orig>.....</orig>
              <reg>(...).</reg>
            </choice> La bataille commença de part <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> d'autre par des décharges d'artillerie. Les deux armées s'<choice>
              <orig>ébranlerent</orig>
              <reg>ébranlèrent</reg>
            </choice> ensuite, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> se <choice>
              <orig>chargerent</orig>
              <reg>chargèrent</reg>
            </choice> avec beaucoup de fureur&#160;: tout se mêla bientôt. L'infanterie chrétienne,
            soutenue des <choice>
              <orig>ieux</orig>
              <reg>yeux</reg>
            </choice> de son Roi, fit plier sans peine celle des Maures, la plupart composée
              d'Alarbes<note resp="editor">C'est-à-dire, arabes. Le terme, sans être attesé dans les
              dictionnaires de référence de la présente édition, ne peut cependant être traité comme
              une coquille.</note>
            <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de vagabonds. Le duc d'Aveïro poussa même un corps de cavalerie qui lui <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> opposé jusqu'au centre <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> à l'endroit qu'<choice>
              <orig>occupoit</orig>
              <reg>occupait</reg>
            </choice> le Roi du Maroc. Ce prince, voyant arriver <pb xml:id="p358"/> ses soldats en
            désordre, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> fuyant honteusement devant un ennemi victorieux, se <choice>
              <orig>jetta</orig>
              <reg>jeta</reg>
            </choice> à bas de sa litière, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> plein de <choice>
              <orig>colere</orig>
              <reg>colère</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de fureur, il <choice>
              <orig>vouloit</orig>
              <reg>voulait</reg>
            </choice>, quoique mourant, les ramener lui-même à la charge. Ses officiers s'<choice>
              <orig>opposoient</orig>
              <reg>opposaient</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>envain</orig>
              <reg>en vain</reg>
            </choice> à son passage; il se fit faire jour à coups d'epée&#160;: mais ses efforts
            achevant de consommer ses forces, il tomba évanoui dans les bras de ses écuyers&#160;:
            on le remit dans sa <choice>
              <orig>litiere</orig>
              <reg>litière</reg>
            </choice>&#160;; <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> il n'y fut pas plutôt, qu'ayant mis son doigt sur sa bouche, comme pour leur
            recommander le secret, il expira dans le moment, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> avant même qu'on eût pu le conduire jusqu'à sa tente. Sa mort demeura inconnue
            aux deux partis. Les chrétiens <choice>
              <orig>paroissoient</orig>
              <reg>paraissaient</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>jusques-là</orig>
              <reg>jusque-là</reg>
            </choice> avoir de l'avantage&#160;: mais la cavalerie des Maures, qui <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> formé un grand cercle, se resserrant à mesure que ses extrémités se <choice>
              <orig>rapprochoient</orig>
              <reg>rapprochaient</reg>
            </choice>, acheva d'envelopper la petite armée de D. Sébastien. Les Maures <choice>
              <orig>chargerent</orig>
              <reg>chargèrent</reg>
            </choice> ensuite de tous côtés la cavalerie Portugaise. Ces troupes accablées par le
            nombre, <choice>
              <orig>tomberent</orig>
              <reg>tombèrent</reg>
            </choice> en se retirant sur leur infanterie, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> elles y <choice>
              <orig>porterent</orig>
              <reg>portèrent</reg>
            </choice>, avec la crainte, le désordre <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> la consufion. Les infidèles se <choice>
              <orig>jetterent</orig>
              <reg>jetèrent</reg>
            </choice>
            <pb xml:id="p359"/> aussitôt, le <choice>
              <orig>cimetere</orig>
              <reg>cimeterre</reg>
            </choice><note resp="editor">Selon le Dictionnaire de L'Académie française (4e éd.,
              1762), une cimeterre est un «&#160;grand coutelas recourbé qui ne tranche que d'un
              côté.&#160;»</note> à la main, dans ces baraillons ouverts <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> renversés, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> ils vainquirent des gens étonnés <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> déjà vaincus par une frayeur générale. Ce fut moins, dans la suite, un combat
            qu'un carnage. Les uns, se <choice>
              <orig>mettoient</orig>
              <reg>mettaient</reg>
            </choice> à genoux pour demander la vie, d'autrès, <choice>
              <orig>cherchoient</orig>
              <reg>cherchaient</reg>
            </choice> leur salut dans la fuite&#160;: mais comme ils <choice>
              <orig>étoient</orig>
              <reg>étaient</reg>
            </choice> enveloppés de tous côtés, ils <choice>
              <orig>rencontroient</orig>
              <reg>rencontraient</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>par-tout</orig>
              <reg>partout</reg>
            </choice> l'ennemi <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> la mort. L'mprudent D. Sébastien périt dans cettte occasion, soit qu'il n'eût
            pas été reconnu dans le désordre d'une fuite, ou qu'il eût voulu se faire tuer lui-même,
            pour ne pas survivre à la perte de tant de gens de qualité, que les Maures <choice>
              <orig>avoient</orig>
              <reg>avaient</reg>
            </choice> massacrés, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> que lui-même <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice>, pour ainsi dire, entraînés à la boucherie.</q> Quel feu, quelle élégance, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> quelle netteté dans ces détails&#160;! que de naturel, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> en <choice>
            <orig>même-temps</orig>
            <reg>même temps</reg>
          </choice> de beauté, dans cette pensée au sujet de Moluc, qui se voyant au dernier de ses
          jours, <hi rend="italic">voulut le rendre le plus beau de sa vie&#160;!</hi></p>
        <p>Ce <choice>
            <orig>stile</orig>
            <reg>style</reg>
          </choice> sage <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> pourtant animé, répartit Euphorbe, n'est-il pas préférable à ces grands lieux
          communs, à cette pompe étudiée, dont on nous régale souvent en pareilles occasions?
          L'embarras <pb xml:id="p360"/>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> le désordre sont insupportables dans la description d'une bataille&#160;: ils le
          sont encore plus dans le détail de ces <choice>
            <orig>événemens</orig>
            <reg>événements</reg>
          </choice> plus tranquilles, où le lecteur de sang froid examine à loisir toutes les
          parties du spectacle qu'on lui présente. La clarté, l'élégance <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> l'exactitude, y sont d'autant plus nécessaires, que les objets sont plus
          compliqués, ou plus <choice>
            <orig>importans</orig>
            <reg>importants</reg>
          </choice> pour la suite de l'histoire. On sait quelle confusion <choice>
            <orig>regne</orig>
            <reg>règne</reg>
          </choice> dans une ville soulevée contre son Roi. L'auteur des <choice>
            <orig>révolutions d'Angleterre</orig>
            <reg><hi rend="italic">Révolutions d'Angleterre</hi></reg>
          </choice>, nous a donné une description bien faite de l'état affreux où <choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> la ville de Londres, pendant la tenue du Parlement de 1641. Elle peut servir de
          modèle pour les faits de la <choice>
            <orig>premiere</orig>
            <reg>première</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>espece</orig>
            <reg>espèce</reg>
          </choice>.<note resp="author">Rév. d'Angl. 1. 9.</note>
          <q rend="inline">Le tumulte, dit-il, <choice>
              <orig>alloit</orig>
              <reg>allait</reg>
            </choice> toujours en augmentant. Le Roi ne <choice>
              <orig>pouvoit</orig>
              <reg>pouvait</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>paroître</orig>
              <reg>paraître</reg>
            </choice> dans Londres, qu'on ne lui criât de toutes parts&#160;: <hi rend="italic">les <choice>
                <orig>priviléges</orig>
                <reg>privilèges</reg>
              </choice> du Parlement, les <choice>
                <orig>priviléges</orig>
                <reg>privilèges</reg>
              </choice> du Parlement</hi>. Le peuple <choice>
              <orig>vouloit</orig>
              <reg>voulait</reg>
            </choice> dire <choice>
              <orig>par-là</orig>
              <reg>par là</reg>
            </choice> ce que les Puritains <choice>
              <orig>expliquoient</orig>
              <reg>expliquaient</reg>
            </choice> plus nettement dans les compagnies, que le Roi <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> violé les <choice>
              <orig>priviléges</orig>
              <reg>privilèges</reg>
            </choice> de cette assemblée. On <pb xml:id="p361"/> poussa l'insolence si loin, qu'un
            ministre nommé Walker <choice>
              <orig>jetta</orig>
              <reg>jeta</reg>
            </choice> dans le carosse du Roi un libelle fait contre lui. On <choice>
              <orig>venoit</orig>
              <reg>venait</reg>
            </choice> jusque dans son palais, tumultuairement <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> en troupes, lui dire des injures en face, pendant que le Parlement, feignant
            de n'être pas en sureté à Westminster, se retira dans la ville pour en augmenter le
            tumulte, demanda des gardes, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> refusant ceux que le Roi lui <choice>
              <orig>vouloit</orig>
              <reg>voulait</reg>
            </choice> donner, en prit de dévoues à la faction. Durant ce temps-là, on <choice>
              <orig>semoit</orig>
              <reg>semait</reg>
            </choice> mille bruits des desseins du Roi sur la ville, la plupart incroyables <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>extravagans</orig>
              <reg>extravagants</reg>
            </choice>, mais crus néanmoins, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> ayant le même effet pour émouvoir la multitude, que s'ils eussent été les plus
            vraisemblables. Le Roi se <choice>
              <orig>préparoit</orig>
              <reg>préparait</reg>
            </choice>, <choice>
              <orig>disoit</orig>
              <reg>disait</reg>
            </choice>-on, à venir avec les papistes exterminer les <choice>
              <orig>protestans</orig>
              <reg>protestants</reg>
            </choice>. On <choice>
              <orig>voyoit</orig>
              <reg>voyait</reg>
            </choice> déjà des troupes <choice>
              <orig>paroître</orig>
              <reg>paraître</reg>
            </choice>. Digby <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> Lansfort <choice>
              <orig>étoient</orig>
              <reg>étaient</reg>
            </choice> à Kinston avec un corps de cavalerie, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> n'<choice>
              <orig>attendoient</orig>
              <reg>attendaient</reg>
            </choice> que d'être mandés. Ces fausses nouvelles qui se <choice>
              <orig>disoient</orig>
              <reg>disaient</reg>
            </choice> le jour dans toutes les maisons de la ville, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> qui se <choice>
              <orig>crioient</orig>
              <reg>criaient</reg>
            </choice> la nuit par les rues, <choice>
              <orig>remplissoient</orig>
              <reg>remplissaient</reg>
            </choice> Londres d'une terreur <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> d'<choice>
              <sic>un</sic>
              <corr>une</corr>
            </choice> confusion si étranges, qu'on ne <choice>
              <orig>voyoit</orig>
              <reg>voyait</reg>
            </choice> dans toutes les places que des <pb xml:id="p362"/> troupes de gens en armes,
            des corps-de-gardes, des <choice>
              <orig>retranchemens</orig>
              <reg>retranchements</reg>
            </choice>, des barricades, des chaînes tendues <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> d'autres semblables préparatifs pour repousser les efforts du Roi. Les
            serviteurs de ce monarque craignant pour lui, de leur côté lui vinrent offrir leurs
            services.</q> Le même historien peut apprendre avec quel soin, avec quelle noble
          simplicité, il faut détailler un fait dont les circonstances peuvent avoir des
          conséquences sérieuses pour l'avenir. Prenons celui de la déposition de Richard II, Roi
          d'Angleterre. Tous les <choice>
            <orig>événemens</orig>
            <reg>événements</reg>
          </choice> ici, même ceux qui semblent les plus légers, peuvent être utiles ou funestes à
          l'usurpateur&#160;; peuvent servir à excuser sa révolte, ou réserver une ressource au Roi
          détrôné. Voici comme ils sont décrits.<note resp="author">Rév. d'Angl. to. 2, l. 5.</note>
          <q rend="inline">On convint avec le Roi du jour de cette triste <choice>
              <sic>cérémomonie</sic>
              <corr>cérémonie</corr>
            </choice>;<note resp="editor">La coquille évidente, dans l'original, est sans doute liée
              au passage à la ligne qui se trouve au même endroit.</note> car on voulut, pour rendre
            la chose plus authentique, qu'elle fût solemnelle. Au jour marqué, on s'assembla dans
            une salle de la tour, où tout le monde s'étant placé, le Roi parut, la couronne en tête,
            revêtu du <pb xml:id="p363"/> manteau royal, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> tenant le sceptre en main&#160;: <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> après avoir dit quelques mots rapportés différemment par les historiens, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> assez peu dignes de l'être, il mit son sceptre <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> sa couronne entre les mains du duc de Lancastre, disant qu'il y <choice>
              <orig>renonçoit</orig>
              <reg>renonçait</reg>
            </choice> en sa faveur. Le duc les ayant pris, les donna comme en dépôt au primat du
            royaume. Ensuite l'acte d'abdication, qui <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> été dressé par des notaires, ayant été signé par les témoins, chacun se retira
            chez soi, en attendant l'ouverture du Parlement, où l'affaire se <choice>
              <orig>devoit</orig>
              <reg>devait</reg>
            </choice> consommer. Ce fut le jour de <choice>
              <orig>S.</orig>
              <reg>Saint</reg>
            </choice> Michel que <choice>
              <orig>commencerent</orig>
              <reg>commencèrent</reg>
            </choice> les séances de cette <choice>
              <orig>célébre</orig>
              <reg>célèbre</reg>
            </choice> assemblée. La <choice>
              <orig>premiere</orig>
              <reg>première</reg>
            </choice> chose qu'on y fit, fut de présenter l'acte d'abdication qui fut juridiquemenr
            accepté&#160;; <choice>
              <orig>ensuite</orig>
              <reg>en suite</reg>
            </choice> de quoi, sous prétexte de donner un nouveau droit au duc de Lancastre de
            prendre possession du royaume, le Parlement se confirma dans l'usurpation du droit qu'il
            s'attribue sur la personne des Rois&#160;; car non content de ratifier la démission
            volontaire de Richard, il y ajouta la déposition. Son procès lui fut fait dans les
            formes, partie <choice>
              <sic>sur.</sic>
              <corr>sur </corr>
            </choice>sa démission même, par laquelle ils <choice>
              <orig>disoient</orig>
              <reg>disaient</reg>
            </choice> qu'il se <choice>
              <orig>confessoit</orig>
              <reg>confessait</reg>
            </choice>
            <pb xml:id="p364"/> incapable de gouverner&#160;; partie sur les crimes dont on l'<choice>
              <orig>accusoit</orig>
              <reg>accusait</reg>
            </choice> compris en trente-trois articles, qui se peuvent réduire à la mort du duc de
            Glocestre <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de ses partisans, à l'exil du duc de Lancastre <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de l'archevêque de <choice>
              <orig>Cantorbéri</orig>
              <reg>Cantorbery</reg>
            </choice>, à l'affectation de la puissance arbitraire, à la dissipation des finances, à
            des parjures, à des <choice>
              <orig>manquemens</orig>
              <reg>manquements</reg>
            </choice> de paroles <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de bonne foi. Sur quoi on lui prononça son arrêt, par lequel il fut déclaré
            incapable de gouverner le royaume, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> déposé de la royauté. On crut lui faire <choice>
              <orig>grace</orig>
              <reg>grâce</reg>
            </choice> de lui laisser la vie&#160;; mais on le priva de la liberté par les ordres qui
            furent donnés de le tenir en prison perpétuelle, d'éloigner de lui tous les amis, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de ne lui laisser de commerce qu'avec ceux qu'on choisit pour le garder.</q>
          Ces sortes de descriptions ont moins de feu <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> d'agrément, que les vôtres, mais elles sont <choice>
            <sic>comunément</sic>
            <corr>communément</corr>
          </choice> plus utiles&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> vous savez que dans l'histoire l'utile doit marcher avant l'agréable.</p>
        <p>Vous me soupçonnez quelquefois, continua Timagene, d'aimer les <choice>
            <orig>ornemens</orig>
            <reg>ornements</reg>
          </choice> du <choice>
            <orig>stile</orig>
            <reg>style</reg>
          </choice> un peu plus qu'il ne faut&#160;: voyez combien je suis raisonnable. Je souscris
          à ce que vous venez de dire&#160;; <pb xml:id="p365"/>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> je crois même que ce précepte s'étend sur les portraits autant que sur les
          descriptions. Je suis persuadé que, dans un <choice>
            <orig>caractere</orig>
            <reg>caractère</reg>
          </choice>, l'<choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <reg>auteur</reg>
          </choice> doit s'occuper beaucoup plus de bien faire <choice>
            <orig>connoître</orig>
            <reg>connaître</reg>
          </choice> son héros, que de prouver son esprit <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> l'adresse de son pinceau. <q rend="inline">L'historien</q>, remarque
            Lucien,<note resp="author">[Grec.] <hi rend="italic">Quomodo scrib. Hist.</hi></note><q
            rend="inline">doit considérer qu'il écrit pour la postérité, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> non pas seulement pour ceux de son <choice>
              <orig>siécle</orig>
              <reg>siècle</reg>
            </choice>.</q> II doit donc peindre ses personnages si <choice>
            <orig>ressemblans</orig>
            <reg>ressemblants</reg>
          </choice>, qu'on ne puisse s'y méprendre <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> les confondre avec aucun autre, même sans les avoir jamais pratiqués. Qu'après
          cela, il s'étudie à y répandre un coloris gracieux, c'est un mérite de plus. Je vois peu
          d'écrivains qui nous ait mieux fait <choice>
            <orig>connoître</orig>
            <reg>connaître</reg>
          </choice> Walstein, que Sarrasin dans l'histoire qu'il nous a laissée de la conspiration
          tramée par ce fameux capitaine, contre l'empereur à qui il <choice>
            <orig>devoit</orig>
            <reg>devait</reg>
          </choice> sa fortune. Voici le portrait qu'il en fait. <q rend="inline">Walstein eut
            l'esprit grand <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> hardi, mais inquiet <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> ennemi du repos&#160;: le corps vigoureux <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> haut&#160;: le visage plus majestueux, qu'agréable. Il fut naturellement fort
              <pb xml:id="p366"/> sobre&#160;; ne dormant presque point&#160;; travaillant
            toujours&#160;; supportant aisément le froid <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> la faim&#160;; fuyant les délices, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> surmontant les incommodités de la goutte <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de l'âge par la tempérance <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> par l'exercice&#160;; parlant peu, pensant beaucoup, écrivant lui-même toutes
            ses affaires&#160;: vaillant <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> judicieux à la guerre, admirable à lever <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> à faire subsister les armées, <choice>
              <orig>sévere</orig>
              <reg>sévère</reg>
            </choice> à punir les soldats, prodigue à les récompenser, pourtant avec choix <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> dessein&#160;: toujours ferme contre le malheur, civil dans le besoin,
            ailleurs orgueilleux <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> fier&#160;: ambitieux sans mesure, envieux de la gloire d'autrui, jaloux de la
            sienne&#160;; implacable dans la haine, cruel dans la <choice>
              <sic>vangeance</sic>
              <corr>vengeance</corr>
            </choice>, prompt à la <choice>
              <orig>colère</orig>
              <reg>colere</reg>
            </choice>&#160;; ami de la magnificence, de l'ostentation <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de la nouveauté&#160;: extravagant en apparence, mais ne faisant rien sans
            dessein, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> ne manquant jamais du prétexte du bien public, quoiqu'il rapportât tout à
            l'accroissement de sa fortune&#160;: méprisant la religion qu'il <choice>
              <orig>faisoit</orig>
              <reg>faisait</reg>
            </choice> servir à sa politique&#160;: artificieux au possible, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> principalement à <choice>
              <orig>paroître</orig>
              <reg>paraître</reg>
            </choice> désintéresse&#160;: au reste, <choice>
              <orig>très-curieux</orig>
              <reg>très curieux</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>très-clairvoyant</orig>
              <reg>très clairvoyant</reg>
            </choice> dans les desseins des autres&#160;; <choice>
              <orig>très-avisé</orig>
              <reg>très avisé</reg>
            </choice> à conduire les siens&#160;; <choice>
              <orig>sur-tout</orig>
              <reg>surtout</reg>
            </choice> adroit à les cacher, <pb xml:id="p367"/>
            <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> d'autant plus impénétrable, qu'il <choice>
              <orig>affectoit</orig>
              <reg>affectait</reg>
            </choice> en public la candeur <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> la liberté, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>blâmoit</orig>
              <reg>blâmait</reg>
            </choice> en autrui la dissimulation dont il se <choice>
              <orig>servoit</orig>
              <reg>servait</reg>
            </choice> en toutes choses.</q> N'est-il pas vrai que ce portrait <choice>
            <orig>seroit</orig>
            <reg>serait</reg>
          </choice> achevé, si l'on en <choice>
            <orig>supprimoit</orig>
            <reg>supprimait</reg>
          </choice> quelques traits qui semblent répétés&#160;?</p>
        <p>Je <choice>
            <orig>voudrois</orig>
            <reg>voudrais</reg>
          </choice> en retrancher aussi, reprit Euphorbe, quelques négligences de <choice>
            <orig>stile</orig>
            <reg>style</reg>
          </choice>. Mais le temps où il <choice>
            <orig>ecrivoit</orig>
            <reg>ecrivait</reg>
          </choice>, n'<choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> encore pour ainsi dire, que l'aurore de la belle littérature. Voyons-en quelques
          autres dessinés dans les plus beaux jours du <choice>
            <orig>siécle</orig>
            <reg>siècle</reg>
          </choice> dernier&#160;; ce <choice>
            <orig>siécle</orig>
            <reg>siècle</reg>
          </choice> rival, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> peut-être vainqueur du <choice>
            <orig>siécle</orig>
            <reg>siècle</reg>
          </choice> d'Auguste. L'abbé de <choice>
            <orig>S.</orig>
            <reg>Saint</reg>
          </choice> Réal nous trace ainsi le portrait du marquis de Bedemar.<note resp="author"
            >Conj. contre Ven.</note>
          <q rend="inline">Don Alphonse de la Cueva, marquis de Bedemar, ambassadeur ordinaire à
            Venise, <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> l'un des plus <choice>
              <orig>puissans</orig>
              <reg>puissants</reg>
            </choice> génies <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> des plus dangereux esprits que l'Espagne ait jamais produits. On voit par les
            écrits qu'il a laisses, qu'il <choice>
              <orig>possédoit</orig>
              <reg>possédait</reg>
            </choice> tout ce qu'il y a dans les historiens anciens <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> modernes, qui peut former un homme extraordinaire. ll <choice>
              <orig>comparoit</orig>
              <reg>comparait</reg>
            </choice> les choses qu'ils racontent, avec celles qui se <choice>
              <orig>passoient</orig>
              <reg>passaient</reg>
            </choice> de <pb xml:id="p368"/> son temps. Il <choice>
              <orig>observoit</orig>
              <reg>observait</reg>
            </choice> exactement les différences <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> les ressemblances des affaires, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> combien ce qu'elles ont de différent, change ce qu'elles ont de semblable. Il <choice>
              <orig>portoit</orig>
              <reg>portait</reg>
            </choice> d'ordinaire son jugement sur l'issue d'une entreprise, <choice>
              <orig>aussi-tôt</orig>
              <reg>aussitôt</reg>
            </choice> qu'il en <choice>
              <orig>savoit</orig>
              <reg>savait</reg>
            </choice> le plan <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> les <choice>
              <orig>fondemens</orig>
              <reg>fondements</reg>
            </choice>. S'il <choice>
              <orig>trouvoit</orig>
              <reg>trouvait</reg>
            </choice> par la suite qu'il n'eût pas deviné, il <choice>
              <orig>remontoit</orig>
              <reg>remontait</reg>
            </choice> à la source de son erreur, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>tâchoit</orig>
              <reg>tâchait</reg>
            </choice> de découvrir ce qui l'<choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> trompé. Par cette étude, il <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> compris quelles sont les voies sûres, les véritables moyens <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> les circonstances capitales qui présagent un bon succès aux grands desseins, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> qui les font presque toujours réussir. Cette pratique continuelle de lecture,
            de méditation <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> d'observation des choses du monde, l'<choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> élevé à un tel point de sagacité, que ses conjectures sur l'avenir <choice>
              <orig>passoient</orig>
              <reg>passaient</reg>
            </choice> presque dans le conseil d'Espagne, pour des prophéties. <choice>
              <orig>A</orig>
              <reg>À</reg>
            </choice> cette <choice>
              <orig>connoissance</orig>
              <reg>connaissance</reg>
            </choice> profonde de la nature des grandes affaires, <choice>
              <orig>étoient</orig>
              <reg>étaient</reg>
            </choice> joints des <choice>
              <orig>talens</orig>
              <reg>talents</reg>
            </choice> singuliers pour les manier, une facilité de parler <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> d'écrire avec un agrément inexprimable&#160;; un instinct merveilleux pour se <choice>
              <orig>connoître</orig>
              <reg>connaître</reg>
            </choice> en hommes&#160;; un air toujours gai <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> ouvert, <pb xml:id="p369"/> où il <choice>
              <orig>paroissait</orig>
              <reg>paraissait</reg>
            </choice> plus de feu que de gravité, éloigné de la dissimulation, jusqu'à approcher de
            la naïveté&#160;; une humeur libre <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> complaisante, d'autant plus impénétrable, que tout le mondé <choice>
              <orig>croyoit</orig>
              <reg>croyait</reg>
            </choice> la pénétrer&#160;; des <choice>
              <orig>manieres</orig>
              <reg>manières</reg>
            </choice> tendres, insinuantes <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> flatteuses, qui <choice>
              <orig>attiroient</orig>
              <reg>attiraient</reg>
            </choice> le secret des cœurs les plus difficiles à s'ouvrir&#160;; toutes les
            apparences d'une <choice>
              <orig>entiere</orig>
              <reg>entière</reg>
            </choice> liberté d'esprit dans les plus cruelles agitations.</q> Ne trouvez-vous pas là
          cette fidélité, cette expression que vous demandiez il n'y a qu'un moment&#160;? Le
          premier coup de pinceau nous peint déjà en racourci quel est l'homme dont il s'agit&#160;:
          c'est un puissant génie <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> un esprit <choice>
            <orig>très-dangereux</orig>
            <reg>très dangereux</reg>
          </choice>. Ces deux traits joints à une étude profonde, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> à tous les <choice>
            <orig>talens</orig>
            <reg>talents</reg>
          </choice> propres à séduire, forment un sujet capable de tout entreprendre <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de tout exécuter, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> à qui rien ne <choice>
            <orig>manquoit</orig>
            <reg>manquait</reg>
          </choice> pour être le premier mobile de cette fameuse conjuration qui pensa renverser
          l'état de Venise. <choice>
            <orig>A</orig>
            <reg>À</reg>
          </choice> la suite de ce <choice>
            <orig>caractere</orig>
            <reg>caractère</reg>
          </choice>, mettons celui de Henri III, Roi d'Angleterre. Il est écrit avec autant de
          fidélité <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> avec plus d'élégance encore.<note resp="author">Révol. d'Angl. l. 3.</note>
          <q rend="inline">Henri, dit l'<choice>
              <orig>Auteur</orig>
              <reg>auteur</reg>
            </choice>, <pb xml:id="p370"/> se trouva en prenant les rênes de la monarchie, dans un
            état bien éloigné de celui qui lui <choice>
              <orig>convenoit</orig>
              <reg>convenait</reg>
            </choice>. Chargé d'affaires à négocier, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de querelles à soutenir&#160;; engagé au-dehors à réparer des pertes qu'il n'<choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> pas faites, mais qu'on lui <choice>
              <orig>reprochoit</orig>
              <reg>reprochait</reg>
            </choice>, tandis qu'il ne les <choice>
              <orig>réparoit</orig>
              <reg>réparait</reg>
            </choice> pas&#160;; troublé au-dedans par une ligue opiniâtre à lui demander des <choice>
              <orig>priviléges</orig>
              <reg>privilèges</reg>
            </choice> qui le <choice>
              <orig>dégradoient</orig>
              <reg>dégradaient</reg>
            </choice>, il se vit, avec de grands besoins <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> une plus grande inclinaision à la dépense, dans un royaume épuisé d'argent,
            dépendant pour en avoir, de <choice>
              <sic>ceux-même</sic>
              <corr>ceux mêmes</corr>
            </choice><note resp="editor"><hi rend="italic">Même</hi> est ici un adjectif, et non un
              adverbe.</note> dont il le <choice>
              <orig>devoit</orig>
              <reg>devait</reg>
            </choice> tirer. Il <choice>
              <orig>auroit</orig>
              <reg>aurait</reg>
            </choice> fallu, pour soutenir le poids de sa couronne en ces conjonctures, un grand
            génie, un bon politique, un esprit vif <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> pénétrant, des vues étendues <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> assurées, du courage <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de la fermeté, de l'habileté <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> un grand <choice>
              <orig>savoir faire</orig>
              <reg>savoir-faire</reg>
            </choice> pour manier tant d'esprits fâcheux, pour en occuper d'inquiets, pour en
            contenter de difficiles&#160;: <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> c'est ce que Henri n'<choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> pas. C'<choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> un esprit mou, facile à rebuter&#160;; faisant des amis par bonté, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> les abandonnant par <choice>
              <orig>foiblesse</orig>
              <reg>faiblesse</reg>
            </choice>&#160;; voulant <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> commençant avec ardeur, mais ne suivant <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> ne finissant rien&#160;; <pb xml:id="p371"/> hautain, mais soutenant mal ses
            hauteurs&#160;; hardi à demander, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> propre à recevoir un refus&#160;; ayant d'assez bonnes vues, mais prenant mal
            ses mesures, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> n'usant presque jamais qu'à contre-temps, ou de la vigueur, ou de la
            souplesse, qui eussent fait en lui de fort bons effets, s'il eût mieux su les mettre en
            œuvre.</q> Vous remarquez, sans doute, avec quelle adresse l'historien nous expose la
          difficulté des circonstances <choice>
            <sic>ou</sic>
            <corr>où</corr>
          </choice> se trouva ce prince. Le contraste des qualités qui lui eussent été nécessaires
          avec celles qu'il <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice>, fait sortir davantage les traits de son <choice>
            <orig>caractere</orig>
            <reg>caractère</reg>
          </choice>, qui sont alors sur nous le présage des malheurs qu'il éprouva pendant son <choice>
            <orig>régne</orig>
            <reg>règne</reg>
          </choice>.</p>
        <p>Je <choice>
            <orig>lisois</orig>
            <reg>lisais</reg>
          </choice> il y a quelques jours, répliqua Timagène, dans un <choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <reg>auteur</reg>
          </choice> estimable d'ailleurs, un <choice>
            <orig>caractere</orig>
            <reg>caractère</reg>
          </choice> qui ne me <choice>
            <orig>paroît</orig>
            <reg>paraît</reg>
          </choice> pas à beaucoup près <choice>
            <orig>aussi-bien</orig>
            <reg>aussi bien</reg>
          </choice> fait que ceux-là. C'est celui de Philippe duc d'Anjou, <choice>
            <orig>frere</orig>
            <reg>frère</reg>
          </choice> de Louis XIV. Il n'est pas long&#160;; il ne vous <choice>
            <orig>ennuyera</orig>
            <reg>ennuiera</reg>
          </choice> pas&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> c'est peut-être là son plus grand mérite. Le voici.<note resp="author">Hist. du
            regne de Louis XIV, t. 3.</note>
          <q rend="inline">Ce prince <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> bien <pb xml:id="p372"/> différent du Roi, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> quoiqu'il eut beaucoup d'esprit, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> qu il fut déjà parvenu à sa dix-huitieme année, il n'<choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> ni solidité ni expérience, ce qui le <choice>
              <orig>rendoit</orig>
              <reg>rendait</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>non-seulement</orig>
              <reg>non seulement</reg>
            </choice> incapable de gouverner, mais même de <choice>
              <orig>connoître</orig>
              <reg>connaître</reg>
            </choice> ses véritables intérêts&#160;; en sorte qu'il y <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> à craindre que ses <choice>
              <orig>confidens</orig>
              <reg>confidents</reg>
            </choice>, auxquels <choice>
              <sic>ils se livroient</sic>
              <corr>il se livrait</corr>
            </choice>, ne lui fissent faire bien des fautes, en lui donnant de mauvais conseils.</q>
          Je ne sais pas comment on peut accuser un jeune prince de dix-huit ans de manquer
          d'expérience. A-t-on droit d'en attendre à cet âge&#160;? La solidité n'est pas non plus
          le défaut ordinaire de la première jeunesse. Mais je conçois encore moins comment, avec
          beaucoup d'esprit, on peut être incapable de connoître ses véritables intérêts. Tout ce
          portrait se réduit à deux défauts qui appartiennent plus à l'âge qu'à la personne&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> on ne nous apprend rien, ou presque rien, des vices particuliers du prince, de
          ses vertus, de ses passions&#160;: car enfin il <choice>
            <orig>devoit</orig>
            <reg>devait</reg>
          </choice> en avoir qui lui fussent propres, comme le reste des hommes. Il semble néanmoins
          que l'<choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <reg>auteur</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> un moyen bien facile de faire <choice>
            <orig>connoître</orig>
            <reg>connaître</reg>
          </choice> le duc d'Anjou, en le comparant avec le Roi son <choice>
            <orig>frere</orig>
            <reg>frère</reg>
          </choice>. Ses <pb xml:id="p373"/> premiers mots <choice>
            <orig>paroissent</orig>
            <reg>paraissent</reg>
          </choice> même annoncer ce dessein, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> il ne <choice>
            <orig>tenoit</orig>
            <reg>tenait</reg>
          </choice> qu'à lui de poursuivre le <choice>
            <orig>parallèle</orig>
            <reg>parallele</reg>
          </choice>. Cette <choice>
            <orig>manière</orig>
            <reg>maniere</reg>
          </choice> de peindre a toujours l'avantage de représenter dans un seul tableau deux hommes
          illustres, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de les mettre l'un <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> l'autre dans un plus grand jour par l'opposition de leurs qualités réciproques.
          Salluste a mieux saisi l'occasion. Quelle énergie, quelle vérité dans le beau <choice>
            <orig>parallele</orig>
            <reg>parallèle</reg>
          </choice> qu'il fait de Caton <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de César&#160;?<note resp="author">His genus, stras-, eloquentia propexqua* lia
            fuêre : magnitudo animi par, item gloria; fed alia alii. Cxfar beneficiis ac
            munificentiâ magnus habebatur ; inregrirate vitæ , Cato. Ille mansuctudine <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> miserteordiâ clarus fac-tu» : huic severius dignitatcm addiderat. C*«far
            dando, sublcvando , ignofeendo ; Cato , nihil largiundo, glomrn adcptus est. In al-tero
            miseris perfugium , in altero malis pernicies. Illius facilitas , hu)us conftan-tia
            laudabatut. Poftrcmo Casser in anitnum induxerat laborare ; vigilare ; negotiis
            amico-rom intentus sua negligcre; nihil denegare, quod dono dignum essec ; sibi magnum
            impe-rium , exercitum, bellum novum exoptabat, ubi virtus enitcfcere posset. At Catoni
            üudiuinmodeftiæ , decoris , sed maxime severitatil erar. Non divitiis cum divite , nequc
            factionc Cum factiofo , sed cum ftrenuo virtute , cura modefto pudore , cum innocente
            abftincnti.i certabat ; esse , quàm videri bonus malebat : ita quö minus gloriam
            petcbat, eö magis ad-fequebatur. De bel. Cai.</note><q rend="inline">Pour la naissance,
            l'âge <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> l'éloquence, ces deux hommes <choice>
              <orig>célébres</orig>
              <reg>célèbres</reg>
            </choice> n'<choice>
              <orig>avoient</orig>
              <reg>avaient</reg>
            </choice> presque aucun avantage l'un sur l'autre&#160;: même grandeur d'âme dans tous
            les deux, même célébrité&#160;; mais ils l'<choice>
              <orig>avoient</orig>
              <reg>avaient</reg>
            </choice> méritée par des moyens bien <choice>
              <orig>différens</orig>
              <reg>différents</reg>
            </choice>. César s'<choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> fait un grand nom par ses bienfaits <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> sa magnificence&#160;; Caton, par son innocence&#160;: celui-Ià <choice>
              <orig>devoit</orig>
              <reg>devait</reg>
            </choice> son éclat à sa douceur, à sa sensibilité&#160;; celui-ci s'<choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> rendu respectable par sa sévérité. César acheta <pb xml:id="p374"/> la gloire
            aux prix des largesses, des <choice>
              <orig>grâces</orig>
              <reg>graces</reg>
            </choice>, des secours de toute <choice>
              <orig>espèce</orig>
              <reg>espece</reg>
            </choice>&#160;: Caton l'obtint par une économie inflexible. L'un <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> l'asile des malheureux&#160;; l'autre, le fléau des <choice>
              <orig>méchans</orig>
              <reg>méchants</reg>
            </choice>. On <choice>
              <orig>aimoit</orig>
              <reg>aimait</reg>
            </choice> dans le premier, un <choice>
              <orig>caractere</orig>
              <reg>caractère</reg>
            </choice> doux <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> traitable&#160;; on <choice>
              <orig>estimoit</orig>
              <reg>estimait</reg>
            </choice> dans le second, une fermeté à toute épreuve. En un mot, César s'<choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> proposé de n'épargner ni veilles ni travaux pour réussir&#160;; de se livrer
            tout entier aux affaires de ses amis, même aux dépens des siennes&#160;; de ne rien
            refuser de tout ce qu'il <choice>
              <orig>pouvoit</orig>
              <reg>pouvait</reg>
            </choice> accorder avec bienséance&#160;: il <choice>
              <orig>desiroit</orig>
              <reg>desirait</reg>
            </choice> quelque grand emploi, le commandement d'une armée, une nouvelle guerre, <choice>
              <sic>ou</sic>
              <corr>où</corr>
            </choice> son mérite put <choice>
              <orig>paroître</orig>
              <reg>paraître</reg>
            </choice> avec éclat. Mais toutes les inclinations de Caton <choice>
              <orig>étoient</orig>
              <reg>étaient</reg>
            </choice> pour la simplicité, <pb xml:id="p375"/> la décence, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>sur tout</orig>
              <reg>surtout</reg>
            </choice> pour la sévérité. Il ne <choice>
              <orig>disputoit</orig>
              <reg>disputait</reg>
            </choice> point en opulence avec les riches, en intrigues avec les factieux&#160;; mais
            en courage avec les plus braves, en retenue avec les plus réservés, en régularité avec
            les plus vertueux. Plus jaloux d'être homme de bien, que de le <choice>
              <orig>paroître</orig>
              <reg>paraître</reg>
            </choice>, il <choice>
              <orig>arrivoit</orig>
              <reg>arrivait</reg>
            </choice> d'autant plus surement à la gloire, qu'il la <choice>
              <orig>recherchoit</orig>
              <reg>recherchait</reg>
            </choice> avec moins d'empressement.</q> Voilà ce qui s'appelle peindre les hommes. J'<choice>
            <orig>apperçois</orig>
            <reg>aperçois</reg>
          </choice> déjà dans le premier un génie trop ambitieux <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> trop adroit pour ne pas arriver à la souveraine puissance&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> dans l'autre un caractère trop vertueux <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> trop inflexible, pour demeurer paisiblement son sujet.</p>
        <p>Je ne vois rien, poursuivit Euphorbe, qui soit plus capable d'attacher un lecteur
          intelligent aux <choice>
            <orig>événemens</orig>
            <reg>événements</reg>
          </choice> qu'on lui raconte que ces sortes de <choice>
            <orig>caracteres</orig>
            <reg>caractères</reg>
          </choice>. <pb xml:id="p376"/> En lui faisant bien <choice>
            <orig>connoître</orig>
            <reg>connaître</reg>
          </choice> les principaux personnages, on lui procure le plaisir de juger lui-même leurs
          projets <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> leurs actions. Il prend parti dans leurs querelles; il s'affecte, il se
          passionne en faveur de celui ci, contre celui-là. Après le pathétique, c'est cette <choice>
            <orig>espece</orig>
            <reg>espèce</reg>
          </choice> d'ornement qui jette dans le récit historique le plus vif intérêt.</p>
        <p>J'ai bien entendu parler du pathétique dans les <choice>
            <orig>pieces</orig>
            <reg>pièces</reg>
          </choice> d'éloquence, interrompit Timagène&#160;; mais je ne <choice>
            <orig>soupçonnois</orig>
            <reg>soupçonnais</reg>
          </choice> pas qu'il trouvât sa place dans l'histoire. Je lui en <choice>
            <orig>accorderois</orig>
            <reg>accorderais</reg>
          </choice> une tout au plus dans la tragédie <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> dans l'épopée.</p>
        <p>Dans l'histoire, reprit Euphorbe, il est moins étudié, moins artificiel&#160;; mais son
          effet n'en est que plus puissant, parce qu'il est soutenu de la vérité. Il consiste à
          recueuillir, avec soin, jusqu'aux moindres circonstances d'un fait propre à exciter la
          compassion, à les développer avec assez d'adresse pour faire croître successivement cette
          émotion, qui nous plaît même en nous arrachant des larmes. Dans la <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice>, dans l'<choice>
            <orig>éloquence</orig>
            <reg>éloquence,</reg>
          </choice> le pathétique n'est presque qu'un enfant de l'art&#160;: ici l'écrivain n'a rien
          autre chose à faire, que de profiter habilement des <choice>
            <orig>événemens</orig>
            <reg>événements</reg>
          </choice>, où il se présente de lui-même. <pb xml:id="p377"/> Avez-vous jamais pu lire,
          sans être ému, l'histoire de Coriolan dans Tite-Live, celle de Virginie, la peinture de la
          consternation de Rome, après la bataille de Cannes&#160;?</p>
        <p>Je vous avoue mon ingratitude, répondit Timagene. En faisant ces lectures, trop occupé,
          fans doute, de l'objet en lui-même, je n'ai jamais su aucun gré à l'<choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <sic>auteur</sic>
          </choice> des pleurs qu'il me <choice>
            <orig>faisoit</orig>
            <reg>faisait</reg>
          </choice> verser. Je ne <choice>
            <orig>songeois</orig>
            <reg>songeais</reg>
          </choice> pas même qu'il pût y avoir quelque part. Je lui rends maintenant toute la <choice>
            <orig>reconnoissance</orig>
            <reg>reconnaissance</reg>
          </choice> que je lui dois. Je vois qu'il a eu soin de réunir les circonstances les plus
          capables de faire impression sur moi. Mais à propos de cela, je ne vois pas pourquoi vous
          avez dit <choice>
            <orig>tout-à-l'heure</orig>
            <reg>tout à l'heure</reg>
          </choice> que, parmi les circonstances, il <choice>
            <orig>falloit</orig>
            <reg>fallait</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>recueuillir</orig>
            <reg>recueillir</reg>
          </choice> jusqu'aux plus <choice>
            <orig>légéres</orig>
            <reg>légères</reg>
          </choice>. Ce choix me <choice>
            <orig>paroît</orig>
            <reg>paraît</reg>
          </choice> peu propre à produire un grand effet.</p>
        <p>Celui du pathétique, répartit Euphorbe, dépend <choice>
            <orig>très-souvent</orig>
            <reg>très souvent</reg>
          </choice> de cette attention. Un geste, un coup-d'œuil, un mot, qui par eux-mêmes ne sont
          rien, dans bien des occasions sont le trait perçant qui <choice>
            <orig>pénétre</orig>
            <reg>pénètre</reg>
          </choice> jusqu'au cœur.<note resp="author">Cyrop. l. 7.</note> Panthée, épouse
          d'Abradate, <pb xml:id="p378"/>
          <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> fait faire à son mari une superbe armure pour combattre dans l'armée de Cyrus
          contre Crésus. Elle ne l'<choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> point prévenu de ces préparatifs. Le jour même de la bataille où ce malheureux
          prince perdit la vie, Panthée lui apporte ce présent, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> veut l'en revêtir de ses propres mains. Mais, en lui rendant ce tendre service,
          elle laisse, malgré elle, échapper des larmes&#160;: lorsqu'elle ne peut plus embrasser ce
          cher époux, elle baise encore le char sur lequel il est monté. Assurément ce sont des
          objets bien peu considérables que les pleurs d'une femme, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> ces démonstrations de tendresse qu'elle étend jusqu'au char, qui porte son
          mari&#160;: ce sont néanmoins ces objets qui touchent, qui ébranlent dans ce récit.</p>
        <p>Ce que vous venez de dire, répliqua Timagène, me rappelle ce fait singulier arrivé sous
          l'empereur Conrad III. Ce prince <choice>
            <orig>assiégeoit</orig>
            <reg>assiégeait</reg>
          </choice> la ville de Lansperg. Les femmes lui <choice>
            <orig>envoyerent</orig>
            <reg>envoyèrent</reg>
          </choice> demander un saufconduit pour sortir de la ville. L'empereur l'accorda&#160;: il
          fit plus&#160;; il leur permit d'emporter avec elles ce qu'elles <choice>
            <orig>pourroient</orig>
            <reg>pourraient</reg>
          </choice> porter de plus précieux. Qui ne <choice>
            <orig>croiroit</orig>
            <reg>croirait</reg>
          </choice> qu'elles se <choice>
            <orig>chargèrent</orig>
            <reg>chargerent</reg>
          </choice> de leurs pierreries <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de leurs <pb xml:id="p379"/> bijoux&#160;? Point du tout. On les vit sortit
          toutes portant leurs maris sur leurs épaules. Cette anecdote est bien dans le genre dont
          vous parlez. Par elle-même, elle semble peu digne de la majesté de l'histoire&#160;: mais
          elle laisse dans l'<choice>
            <orig>âme</orig>
            <reg>ame</reg>
          </choice> un sentiment d'admiration <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de tendresse qui la <choice>
            <orig>releve</orig>
            <reg>relève</reg>
          </choice> au-dessus des <choice>
            <orig>événemens</orig>
            <reg>événements</reg>
          </choice> les plus sérieux.</p>
        <p>Ajoutons à cela, poursuivit Euphorbe, que quand il s'agit d'un homme distingué, <choice>
            <orig>sur-tout</orig>
            <reg>surtout</reg>
          </choice> dans une occasion critique, tout nous intéresse&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>dès-lors</orig>
            <reg>dès lors</reg>
          </choice> rien n'est petit, rien n'est à négliger.<note><choice>
              <orig>Révol. de Port.</orig>
              <reg><hi rend="italic">Révolution de Portugal</hi>.</reg>
            </choice></note> Vasconcellos, caché dans un armoire sous un monceau de papiers, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> découvert par un signe que fit aux meurtriers une vieille servante, est un objet
          plus frappant pour nous, que si on se contentoit de nous dire, qu'il fut trouvé dans son
          appartement par les conjurés, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> percé de mille coups.<note resp="editor">Il est question ici de Miguel de
            Vasconcelos (ou Vasconcellos, 1590-1640), un homme d'État portugais.</note> Depuis le
          moment où le duc de <choice>
            <orig>Montmorenci</orig>
            <reg>Montmorency</reg>
          </choice> est condamné à mort, jusqu'à celui où il périt sur l'<choice>
            <orig>échaffaud</orig>
            <reg>échafaud</reg>
          </choice>, toutes ses démarches, toutes ses actions, ses paroles <choice>
            <orig>sur-tout</orig>
            <reg>surtout</reg>
          </choice>, ses discours, tels qu'ils sont dans l'exacte <pb xml:id="p380"/> vérité, sont
          autant de ressorts du pathétique, qui mettent en mouvement la sensibilité.<note
            resp="editor">Il s'agit de Henri II de Montmorency (1595-1632), exécuté à Toulouse le 30
            octobre 1632.</note> Voyons, dans l'exemple présent, de quelle <choice>
            <orig>maniere</orig>
            <reg>manière</reg>
          </choice> un habile historien a su profiter de ces secours, en racontant ce triste événement.<note><choice>
              <orig>Hist. de Louis XIII</orig>
              <reg><hi rend="italic">Histoire du règne de Louis XIII</hi></reg>
            </choice> par le <choice>
              <orig>P.</orig>
              <reg>Père</reg>
            </choice> Griffer, vol. 2.</note><note resp="editor">Il s'agit de l'<hi rend="italic"
              >Histoire du règne de Louis XIII, roi de France et de Navarre</hi>(3 vol. in-4°,
            Paris: Les libraires associés, 1758), par Henri Griffet (1698-1771).</note>
          <q rend="inline">Toute la ville de Toulouse <choice>
              <orig>retentissoit</orig>
              <reg>retentissait</reg>
            </choice> de <choice>
              <orig>gémissemens</orig>
              <reg>gémissements</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de pleurs. Chacun <choice>
              <orig>frémissait</orig>
              <reg>frémissoit</reg>
            </choice> à la vue de l'appareil tragique de l'exécution qui le <choice>
              <orig>préparait</orig>
              <reg>préparoit</reg>
            </choice>&#160;: les courtisans eux-mêmes <choice>
              <orig>osoient</orig>
              <reg>osaient</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>paroître</orig>
              <reg>paraître</reg>
            </choice> affligés&#160;: le peuple <choice>
              <orig>accouroit</orig>
              <reg>accourait</reg>
            </choice> en foule dans les églises pour prier Dieu de fléchir le cœur du Roi. Plusieurs <choice>
              <orig>crioient</orig>
              <reg>criaient</reg>
            </choice> dans les rues, <hi rend="italic"><choice>
                <orig>grace</orig>
                <reg>grâce</reg>
              </choice>, <choice>
                <orig>grace</orig>
                <reg>grâce</reg>
              </choice>, miséricorde, miséricorde</hi>&#160;; <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> leurs cris se <choice>
              <orig>faisoient</orig>
              <reg>faisaient</reg>
            </choice> entendre <choice>
              <orig>jusques</orig>
              <reg>jusque</reg>
            </choice> dans l'archevêché où le Roi <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> logé. Le maréchal de Châtillon en prit occasion de lui dire, que les <choice>
              <orig>sentimens</orig>
              <reg>sentiments</reg>
            </choice> de compassion <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de douleur qu'il <choice>
              <orig>voyoit</orig>
              <reg>voyait</reg>
            </choice> peints dans les <choice>
              <orig>ieux</orig>
              <reg>yeux</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> sur le visage de tous ceux qui l'<choice>
              <orig>environnoient</orig>
              <reg>environnaient</reg>
            </choice>, l'<choice>
              <orig>avertissoient</orig>
              <reg>avertissaient</reg>
            </choice> qu'il <choice>
              <orig>feroit</orig>
              <reg>ferait</reg>
            </choice> plaisir à beaucoup de personnes, s'il pardonnoit au duc de <choice>
              <orig>Montmorenci</orig>
              <reg>Montmorency</reg>
            </choice>. <hi rend="italic">Je ne <choice>
                <orig>serois</orig>
                <reg>serais</reg>
              </choice> pas roi</hi>, reprit le monarque inflexible, <hi rend="italic">si <pb
                xml:id="p381"/> j'<choice>
                <orig>avois</orig>
                <reg>avais</reg>
              </choice> les <choice>
                <orig>sentimens</orig>
                <reg>sentiments</reg>
              </choice> des particuliers</hi>. Le comte de Charlus <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> été chargé d'aller demander au duc, de la part du Roi, le cordon de l'ordre du
            Saint-Esprit <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> le bâton de maréchal de France. Lorsqu'il se fut acquitté de cette commission,
              <hi rend="italic">Monsieur <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> cher cousin</hi>, lui dit le duc, <hi rend="italic">je rends volontiers <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> le bâton <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> l'ordre à mon Roi, puisqu'il juge que je suis indigne de sa <choice>
                <orig>grace</orig>
                <reg>grâce</reg>
              </choice></hi>. Le comte partit <choice>
              <orig>aussi-tôt</orig>
              <reg>aussitôt</reg>
            </choice> pour aller chez le Roi, qu'il trouva occupé à jouer aux échecs avec M. de
            Liancourt. Louis <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> le déplaisir de voir que celui qui <choice>
              <orig>jouoit</orig>
              <reg>jouait</reg>
            </choice> avec lui <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> tous les courtisans qui <choice>
              <orig>entroient</orig>
              <reg>entraient</reg>
            </choice> dans le cabinet, ne <choice>
              <orig>pouvoient</orig>
              <reg>pouvaient</reg>
            </choice> retenir leurs larmes. <hi rend="italic">Sire</hi>, lui dit le comte de
            Charlus, <hi rend="italic">je viens de la part de M. de <choice>
                <orig>Montmorenci</orig>
                <reg>Montmorency</reg>
              </choice> vous apporter son collier de l'ordre <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> son bâton de maréchal de France, dont vous l'aviez ci-devant honoré, <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> vous dire en <choice>
                <orig>même-temps</orig>
                <reg>même temps</reg>
              </choice> qu'il meurt avec un sensible déplaisir de vous avoir offensé&#160;; <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> que bien loin de se plaindre de la mort à laquelle il est condamné, il la
              trouve trop douce par rapport au crime qu'il a commis</hi>. En prononçant ces paroles,
            le comte se mit à genoux&#160;; <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> embrassant les pieds du Roi, qu'il <pb xml:id="p382"/>
            <choice>
              <orig>arrosoit</orig>
              <reg>arrosait</reg>
            </choice> de ses larmes&#160;; <hi rend="italic">ah Sire</hi>&#160;! lui dit-il, <hi
              rend="italic">que votre majesté fasse <choice>
                <orig>grace</orig>
                <reg>grâce</reg>
              </choice> à M. de <choice>
                <orig>Montmorenci</orig>
                <reg>Montmorency</reg>
              </choice>. Ses ancêtres ont si bien servi les Rois, vos prédécesseurs&#160;:
              faites-lui <choice>
                <orig>grace</orig>
                <reg>grâce</reg>
              </choice>, Sire</hi><choice>
              <sic/>
              <corr>.</corr>
            </choice> Tous ceux qui <choice>
              <orig>étoient</orig>
              <reg>étaient</reg>
            </choice> dans le cabinet se mirent aussi à genoux , <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>demanderent</orig>
              <reg>demandèrent</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>grace</orig>
              <reg>grâce</reg>
            </choice> en pleurant. <hi rend="italic">Non</hi>, dit le Roi d'un air chagrin, <hi
              rend="italic">il n'y a point de <choice>
                <orig>grace</orig>
                <reg>grâce</reg>
              </choice>&#160;; il faut qu'il meure. On ne doit pas être fâché de voir mourir un
              homme qui l'a si bien mérité. On doit seulement le plaindre de ce qu'il est tombé par
              sa faute dans un si grand malheur. Allez lui dire</hi>, ajoutat-il, <hi rend="italic"
              >que toute la <choice>
                <orig>grace</orig>
                <reg>grâce</reg>
              </choice> que je puis lui faire, c'est que le bourreau ne le touchera point, qu'il ne
              lui mettra point la corde sur les épaules, <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> qu'il ne fera que lui couper le cou</hi>. Launay, étant <choice>
              <sic>aller</sic>
              <corr>allé</corr>
            </choice> trouver le Roi une seconde fois, ceux qui <choice>
              <orig>étoient</orig>
              <reg>étaient</reg>
            </choice> avec le duc de <choice>
              <orig>Montmorenci</orig>
              <reg>Montmorency</reg>
            </choice> eurent encore un moment d'espérance, qui s'évanouit à son retour....</q> Il me
          semble que vous êtes à-peu-près dans le même état que les courtisans de Louis XIII, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> que vous avez peine à retenir vos larmes. Poursuivons. <q rend="inline">Launay
            étant revenu de chez le Roi, livra le duc de Montmorenci au grand-prévôt&#160;; <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> le duc <pb xml:id="p383"/> comprit alors qu'il n'y <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> plus d'espérance. Il pria le <choice>
              <orig>P.</orig>
              <reg>Père</reg>
            </choice> Arnoux <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> trois autres Jésuites qui l'<choice>
              <orig>accompagnoient</orig>
              <reg>accompagnaient</reg>
            </choice>, de ne pas l'abandonner, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de lui aider à<note resp="editor">Le <hi rend="italic">Grevisse</hi> permet la
              construction.</note> mourir chrétiennement. Son chirurgien s'étant approché pour lui
            couper les cheveux, le duc s'<choice>
              <orig>apperçut</orig>
              <reg>aperçut</reg>
            </choice> qu'il <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> tout en pleurs, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> qu'il n'<choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> pas la force de lui rendre ce dernier devoir. Un historien dit même qu'il
            s'évanouit. Le duc lui dit&#160;: <hi rend="italic">Comment vous, qui m'exhortiez si
              souvent à recevoir tous les maux, comme <choice>
                <orig>venans</orig>
                <reg>venants</reg>
              </choice> de la main de Dieu, vous êtes aujourd'hui plus affligé que moi&#160;!
              Consolez-vous, Lucante, je veux vous embrasser, <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> vous dire le dernier adieu, pendant que j'ai les mains libres</hi>. Il
            l'embrassa en effet en le priant de se souvenir de lui. Il tendit ensuite ses bras à
            l'exécuteur, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> voulut être lié, quoiqu'on lui eût dit que le Roi l'<choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> dispensé de cette ignominie. Il souffrit patiemment que l'exécuteur lui coupât
            les cheveux, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> lui découvrit le col <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> une partie des épaules. Il s'avança ensuite, tenant un crucifix entre ses
            mains, pour aller à l'<choice>
              <orig>échaffaud</orig>
              <reg>échafaud</reg>
            </choice>. Les portes de l'hôtel-de-ville <choice>
              <orig>étoient</orig>
              <reg>étaient</reg>
            </choice> fermées&#160;; <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> il n'y avoit dans la cour que le grand-prévôt avec ses archers, le <pb
              xml:id="p384"/> greffier du Parlement, les Capitouls <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> les officiers du corps de ville, qui <choice>
              <orig>avoient</orig>
              <reg>avaient</reg>
            </choice> eu ordre d'assister à l'exécution en habit de cérémonie. Le duc en entrant
            dans cette cour, remarqua la statue de Henri IV, qui est posée au-dessus de la porte
            inférieure de l'<choice>
              <orig>hôtel-de-ville</orig>
              <reg>hôtel de ville</reg>
            </choice> de Toulouse&#160;: il s'arrêta un moment pour la considérer&#160;; <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> le <choice>
              <orig>P.</orig>
              <reg>Père</reg>
            </choice> Arnoux lui ayant demandé s'il <choice>
              <orig>desiroit</orig>
              <reg>desirait</reg>
            </choice> quelque chose&#160;: <hi rend="italic">non, mon <choice>
                <orig>pere</orig>
                <reg>père</reg>
              </choice></hi>, lui dit-il&#160;: <hi rend="italic">je <choice>
                <orig>regardois</orig>
                <reg>regardais</reg>
              </choice> l'effigie de ce grand monarque, qui <choice>
                <orig>étoit</orig>
                <reg>était</reg>
              </choice> un <choice>
                <orig>très-bon</orig>
                <reg>très bon</reg>
              </choice>
              <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice>
              <choice>
                <orig>très-généreux</orig>
                <reg>très généreux</reg>
              </choice> prince, de qui j'<choice>
                <orig>avois</orig>
                <reg>avais</reg>
              </choice> l'honneur d'être filleul. Allons, mon <choice>
                <orig>pere</orig>
                <reg>père</reg>
              </choice>, voici le seul <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> le plus assuré chemin du paradis</hi>. Etant arrivé au pied de l'<choice>
              <orig>échaffaud</orig>
              <reg>échafaud</reg>
            </choice>, il pria un des <choice>
              <orig>Jésuites</orig>
              <reg>jésuites</reg>
            </choice> qui <choice>
              <orig>accompagnoient</orig>
              <reg>accompagnaient</reg>
            </choice> le <choice>
              <orig>P.</orig>
              <reg>Père</reg>
            </choice> Arnoux, de faire en sorte que sa tête ne tombât point à terre, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de la <choice>
              <orig>recueuillir</orig>
              <reg>recueillir</reg>
            </choice>, s'il <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> possible. Il salua tous ceux qui <choice>
              <orig>étoient</orig>
              <reg>étaient</reg>
            </choice> dans la cour, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> les pria de dire au Roi qu'il <choice>
              <orig>mouroit</orig>
              <reg>mourait</reg>
            </choice> son <choice>
              <orig>très-humble</orig>
              <reg>très humble</reg>
            </choice> sujet, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> avec un regret extrême de l'avoir offensé. II monta ensuite sur
            l'échaffaud&#160;; se mit à genoux&#160;; baisa le crucifix, que le <choice>
              <orig>P.</orig>
              <reg>Père</reg>
            </choice> Arnoux retira de ses mains&#160;; reçut une <choice>
              <orig>dernière</orig>
              <reg>derniere</reg>
            </choice> absolution, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> se recommanda <pb xml:id="p385"/> aux <choice>
              <orig>prières</orig>
              <reg>prieres</reg>
            </choice> des <choice>
              <orig>Jésuites</orig>
              <reg>jésuites</reg>
            </choice> qui l'<choice>
              <orig>assistoient</orig>
              <reg>assistaient</reg>
            </choice>. Le billot sur lequel il <choice>
              <orig>devoit</orig>
              <reg>devait</reg>
            </choice> recevoir le coup de la mort s'étant trouvé trop bas, il eut de la peine à s'y
            appuyer, à cause de la blessure qu'il <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> à la gorge. Il dit à I'exécuteur d'attendre pour le frapper, qu'il se fût mis
            dans une situation moins douloureuse&#160;; <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> lorsqu'il l'eut trouvée, <hi rend="italic">frappez hardiment</hi>, lui
            dit-il&#160;; <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> s'écria aussitôt, <hi rend="italic">Seigneur Jésus, recevez mon <choice>
                <orig>ame</orig>
                <reg>âme</reg>
              </choice></hi>. A peine eut-il prononcé ces paroles, que le bourreau lui trancha la
            tête d'un seul coup, pendant que tous les <choice>
              <orig>assistans</orig>
              <reg>assistants</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>fondoient</orig>
              <reg>fondaient</reg>
            </choice> en larmes.</q> Outre les détails <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> le choix des circonstances, ses discours mêlés dans ce récit produisent le plus
          grand effet sur des cœurs sensibles. Ils nous dévoilent dans cet illustre criminel une <choice>
            <orig>ame</orig>
            <reg>âme</reg>
          </choice> tranquille <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> grande sous le glaive d'un bourreau, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice>, ce qui peut être est plus difficile encore, dans l'abbatement du repentir.</p>
        <p>Il y a <choice>
            <orig>long-temps</orig>
            <reg>longtemps</reg>
          </choice>, ajouta Timagène, que j'ai éprouvé pour la <choice>
            <orig>première</orig>
            <reg>premiere</reg>
          </choice> fois, ce que peut un discours touchant pour émouvoir l'<choice>
            <orig>ame</orig>
            <reg>âme</reg>
          </choice>. Celui que Germanicus mourant adresse à ses amis m'a coûté autrefois bien des
          larmes. Je me le rappelle <pb xml:id="p386"/> encore avec attendrissement.<note
            resp="author">Si fato concederem, justus mihi dolor etiam adversus Deos estet, quod me
            parentibus, liberis, patriæ, intra juventam præmaturo exitu raperent : nunc scelere
            Pisonis <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> Plancinæ interceptus, ultimas preces pectoribus vestris relinquo : referatis
            patri ac fratri, quibus acerbitatibus dilaceratus, quibus insidiis circumventus,
            miserrimam vitam pessimâ morte finierim. Si quos spes meæ, si quos propinquus sanguis,
            etiam quos invidia erga viventem movebat, inlacrymabunt, quondam florentem, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> tot bellorum superstitem, mulie-[p387]bri fraude cecidisse. Erit vobis locus
            querendi apud senatum, invocandi leges. Non hoc praecipuum amicorum munus est, prosequi
            defunctum ignavo questu ; sed quæ voluerit, meminisse, quae mandaverit exequi. Flebunt
            Germanicum etiam ignoti : vindicabitis vos, si me potius quàm fortunam meam fovebatis.
            Ostendite populo Romano divi Augusti neptem, eandemque conjugem meam : numerate sex
            libe-[p388]ros. Misericordia cum accusantibus erit, fingentibusque scelesta mandata aut
            non credent homines, aut non ignoscent. <choice>
              <orig>Tac. Annal.</orig>
              <reg>Tacite, <hi rend="italic">Annales</hi>,</reg>
            </choice> lib. 2. c. 70.</note>
          <q rend="inline">Si je <choice>
              <orig>périssois</orig>
              <reg>périssais</reg>
            </choice> par un accident naturel, dit ce héros, il semble que j'<choice>
              <orig>aurois</orig>
              <reg>aurais</reg>
            </choice> un juste sujet de me plaindre des Dieux mêmes, qui par une mort prématurée m'<choice>
              <orig>enleveroient</orig>
              <reg>enleveraient</reg>
            </choice> dans la fleur de la jeunesse à ma famille, à mes <choice>
              <orig>enfans</orig>
              <reg>enfants</reg>
            </choice>, à ma patrie&#160;; mais je succombe aujourd'hui sous la scélératesse de Pison <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de Plancine. C'est dans vos cœurs que je dépose mes <choice>
              <orig>dernières</orig>
              <reg>dernieres</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>prières</orig>
              <reg>prieres</reg>
            </choice>. Allez rapporter à mon <choice>
              <orig>pere</orig>
              <reg>père</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> à mon <choice>
              <orig>frwre</orig>
              <reg>frère</reg>
            </choice>, quels maux j'ai soufferts, quels <choice>
              <orig>piéges</orig>
              <reg>pièges</reg>
            </choice> on m'a tendus, quelle mort cruelle a terminé la plus triste des vies. Ceux que
            mes espérances où les liens du sang m'<choice>
              <orig>attachoient</orig>
              <reg>attachaient</reg>
            </choice>, ceux même qui <pb xml:id="p387"/> ne <choice>
              <orig>voyoient</orig>
              <reg>voyaient</reg>
            </choice> mes succès qu'avec un <choice>
              <orig>œuil</orig>
              <reg>œil</reg>
            </choice> jaloux, donneront des larmes à mes malheurs&#160;: ils s'indigneront qu'un
            jeune prince au sein de la gloire, échappé à tant de hasards <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de combats, soit péri par les artifices d'une femme. Que de raisons
            n'aurez-vous pas de porter vos plaintes au sénat, d'invoquer ses <choice>
              <orig>loix</orig>
              <reg>lois</reg>
            </choice>&#160;! Arroser de pleurs stériles les cendres d'un ami, n'est pas le plus
            important des devoirs de l'amitié&#160;: c'est de se rappeller, c'est d'exécuter ses <choice>
              <orig>dernieres</orig>
              <reg>dernières</reg>
            </choice> volontés. Laissez les étrangers même pleurer Germanicus&#160;; vengez-moi,
            vous, si vous étiez plus attachés à moi, qu'à ma fortune. Montrez aux Romains la
            princesse mon épouse, la petite-fille d'Auguste&#160;; présentez-Ieur six princes,
            fruits de cette heureuse union&#160;: la pitié due à mes malheurs appuyera vos
            accusations. Si mes <pb xml:id="p388"/> ennemis s'excusent sur des ordres aussi faux que
            barbares, on refusera de les croire, où<note resp="editor">S'agit-il d'une
              coquille?</note> leur crime n'en sera pas moins condamné.</q>
          <choice>
            <sic>Quel</sic>
            <corr>Quels</corr>
          </choice>
          <choice>
            <orig>sentimens</orig>
            <reg>sentiments</reg>
          </choice> n'<choice>
            <orig>étoient</orig>
            <reg>étaient</reg>
          </choice> pas capables de produire ces <choice>
            <orig>dernieres</orig>
            <reg>dernières</reg>
          </choice> paroles, s'il est vrai qu'elles aient été prononcées par Germanicus
          expirant&#160;? Il faut pourtant avouer que ces sortes de discours, s'ils sont dénués de
          circonstances pathétiques, agitent moins vivement, que le détail de ces mêmes
          circonstances, quand on les <choice>
            <orig>supposeroit</orig>
            <reg>supposerait</reg>
          </choice> arivées de tout autre secours. Il me semble encore trouver une autre différence
          entre les exemples que nous avons cités. Dans le détail de la mort de Germanicus, de
          Virginie, du duc de <choice>
            <orig>Montmorenci</orig>
            <reg>Montmorency</reg>
          </choice>, je ne me sens pas affecté de la même <choice>
            <orig>maniere</orig>
            <reg>manière</reg>
          </choice> que quand on me rapporte le trait de Panthée, ou celui des femmes de Lansperg.
          Le premier sentiment a quelque chose de douloureux&#160;: il plaît&#160;; mais la pitié
          qui l'accompagne, porte avec elle une <choice>
            <orig>espece</orig>
            <reg>espèce</reg>
          </choice> d'amertume. L'autre renferme je ne sais quoi de délicieux, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> l'admiration s'y mêle avec le plus vif intérêt.</p>
        <p><pb xml:id="p389"/>Rien n'est plus juste, que votre remarque, repartit Euphorbe. Ce
            second<note resp="editor">Le texte original est bien <hi rend="italic">second</hi>, et
            non pas <hi rend="italic">fécond</hi>.</note> genre de pathétique, que les Grecs nous
          ont désigné sous le nom d'[grec], prouve l'empire que l'honnête <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> le beau ont naturellement sur nos cœurs, pour les toucher <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> les émouvoir. Tout ce qui est vertueux vient se peindre dans notre <choice>
            <orig>ame</orig>
            <reg>âme</reg>
          </choice>, comme dans un miroir <choice>
            <orig>fidele</orig>
            <reg>fidèle</reg>
          </choice>, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> nous force d'admirer <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> d'aimer ses traits. Peut-on être insensible, par exemple, à la beauté de ce fait
          raconté par Pline le naturaliste&#160;?<note resp="author">L. 35, ch. 10.</note>Démétrius
          fils d'Antigone, ce fameux Polyorcetes <hi rend="italic">preneur de villes</hi>, <choice>
            <orig>formoit</orig>
            <reg>formait</reg>
          </choice> le <choice>
            <orig>siége</orig>
            <reg>siège</reg>
          </choice> de Rhodes. Protogène, peintre célèbre <choice>
            <orig>demeuroit</orig>
            <reg>demeurait</reg>
          </choice> dans un des <choice>
            <orig>fauxbourgs</orig>
            <reg>faubourgs</reg>
          </choice>, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> se <choice>
            <orig>trouvoit</orig>
            <reg>trouvait</reg>
          </choice> ainsi au milieu des troupes ennemies. La crainte du danger, les désordres si
          communs dans un camp, le bruit inévitable dans les travaux d'un <choice>
            <orig>siége</orig>
            <reg>siège</reg>
          </choice>, rien ne fut capable de lui faire abandonner son <choice>
            <orig>attelier</orig>
            <reg>atelier</reg>
          </choice>&#160;;<note resp="editor">La graphie de l'original est attestée chez
            Féraud.</note>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> il s'occupa de son art comme auparavant. Le prince en fut instruit. Il fut
          curieux de le voir, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> lui demanda la cause d'une tranquillité si rare&#160;: c'est que je sais,
          répondit l'artiste, que vous faites la <pb xml:id="p390"/> guerre aux Rhodiens, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> non pas aux arts. Cette réponse eut tout l'effet qu'on en <choice>
            <orig>pouvoit</orig>
            <reg>pouvait</reg>
          </choice> attendre. Démétrius fit placer une garde autour de l'<choice>
            <orig>attelier</orig>
            <reg>atelier</reg>
          </choice> du peintre, pour le mettre en sureté&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> lui-même, il <choice>
            <orig>alloit</orig>
            <reg>allait</reg>
          </choice> souvent, pendant le <choice>
            <orig>siége</orig>
            <reg>siège</reg>
          </choice>, admirer les chef-d'œuvres de son pinceau.</p>
        <p>Je vous avoue, répliqua Timagene, que ce dernier pathétique me plaît davantage que
          l'autre. Le premier me <choice>
            <orig>paroît</orig>
            <reg>paraît</reg>
          </choice> un peu <choice>
            <orig>Anglois</orig>
            <reg>anglais</reg>
          </choice>&#160;: celui-ci au contraire me flatte agréablement en me faisant retrouver dans
          moi-même les plus beaux principes de la vertu. Cet avantage se rencontre souvent aussi
          dans les réflexions que fait l'historien, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> dans les anecdotes frappantes qu'il rapporte à propos.</p>
        <p>Les unes <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> les autres, reprit Euphorbe, sont d'un grand secours dans le récit historique,
          pourvu que les anecdotes soient utiles, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> que les réflexions soient vraies. Convient-il à la dignité de l'histoire de
          rapporter des <choice>
            <orig>événemens</orig>
            <reg>événements</reg>
          </choice> détachés de l'objet principal, s'ils n'apprennent rien, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> par la seule raison qu'ils ont quelque chose d'amusant ou de singulier&#160;?
          Ces sortes de faits doivent être de quelque utilité à l'<choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <reg>auteur</reg>
          </choice>, ou du moins au lecteur.<pb xml:id="p391"/><choice>
            <orig>A</orig>
            <reg>À</reg>
          </choice> celui-là, en lui fournissant les moyens de mettre dans un plus beau jour le
          génie de quelques particuliers, ou d'un peuple entier&#160;; à celui-ci, en lui faisant
          naître des idées conformes à la vertu <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> aux bonnes mœurs, ou en lui dévoilant les vices <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> ses défauts des hommes, pour lui apprendre à s'en garantir. Comme c'est là le
          plus grand fruit de l'histoire <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> son principal but, tout ce qui peut produire cet effet a un droit assuré d'y
          être admis. L'abbé de Saint-Réal, dans ses discours sur ce genre de littérature, nous
          montre quel fond inépuisable de réflexions fournissent ces anecdotes, pour nous aider à <choice>
            <orig>connoître</orig>
            <reg>connaître</reg>
          </choice> le cœur de l'homme, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> à sonder ses derniers replis. Sans m'arréter ici aux exemples qu'il cite en
          assez grand nombre, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> que vous pouvez consulter, je me contente de vous en rapporter deux ou trois,
          que j'ai lus depuis peu dans quelques ouvrages modernes. Jagellon Roi de Pologne <choice>
            <orig>faisoit</orig>
            <reg>faisait</reg>
          </choice> la guerre à l'ordre Teutonique.<note resp="editor">Il s'agit de Sigismond Ier le
            Vieux (1467-1548),roi de Pologne, membre de la dynastie Jagellon, qui mena la guerre
            entre la Pologne et les Chevaliers teutoniques (l’ordre de la Maison de sainte Marie des
            Teutoniques) entre 1519 et 1521.</note> Comme il <choice>
            <orig>entendoit</orig>
            <reg>entendait</reg>
          </choice> la messe, on vint l'avertir coup-sur-coup que l'armée des chevaliers <choice>
            <orig>avançoit</orig>
            <reg>avançait</reg>
          </choice>, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> que déjà elle n'<choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> pas bien loin. Le Roi, sans s'émouvoir, continua ses <choice>
            <orig>prieres</orig>
            <reg>prières</reg>
          </choice> jusqu'à la fin du sacrifice. Les ennemis voyant <pb xml:id="p392"/> que les <choice>
            <orig>Polonois</orig>
            <reg>Polonais</reg>
          </choice> ne s'<choice>
            <orig>ébranloient</orig>
            <reg>ébranlaient</reg>
          </choice> point, crurent qu'ils <choice>
            <orig>avoient</orig>
            <reg>avaient</reg>
          </choice> peur, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> leur grand maître députa au Roi de Pologne deux chevaliers, qui lui <choice>
            <orig>présenterent</orig>
            <reg>présentèrent</reg>
          </choice> deux épées nues <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> ensanglantées, en lui <choice>
            <orig>disant.</orig>
            <reg>disant&#160;:</reg>
          </choice><note resp="author">Fastes de la Pol. par M. Contant Dorville.</note>
          <q rend="inline">Notre chef ne craint point de vous fournir des armes, pour vous inspirer
            plus de courage, sur le point d'ouvrir le combat. Si le <choice>
              <orig>terrein</orig>
              <reg>terrain</reg>
            </choice> où vous campez vous <choice>
              <orig>paroît</orig>
              <reg>paraît</reg>
            </choice> trop étroit <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> trop serré pour faire vos manœuvres, nous consentons à reculer quelques pas.
            Jagellon, reprend l'<choice>
              <orig>Auteur</orig>
              <reg>auteur</reg>
            </choice>, ne daigna pas s'offenser de cette bravade. Je suis surpris, répondit-il aux
            députés, que votre grand maître se presse si fort de me rendre les armes. Je reçois
            celles que vous me présentez, avec plaisir, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> j'en tire un favorable augure pour le succès de cette journée. En effet,
            jamais audace ne fut punie plus cruellement. De cent quarante mille soldats, dont <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> composée l'armée <choice>
              <orig>Teutonique</orig>
              <reg>teutonique</reg>
            </choice>, cinquante mille <choice>
              <orig>resterent</orig>
              <reg>restèrent</reg>
            </choice> sur le champ de bataille, entre lesquels on compta le grand-maître <pb
              xml:id="p393"/>
            <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> trois <choice>
              <orig>cens</orig>
              <reg>cents</reg>
            </choice> chevaliers ou commandeurs, outre quatorze mille prisonniers.</q><note>Desit:
            limites de la citation.</note> Si l'historien s'<choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> borné, comme il <choice>
            <orig>pouvoit</orig>
            <reg>pouvait</reg>
          </choice> le faire, à rapporter les dispositions <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> le succès du combat, nous aurions moins bien connu le <choice>
            <orig>caractere</orig>
            <reg>caractère</reg>
          </choice> du Roi de Pologne, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> nous aurions perdu les leçons <choice>
            <orig>secretes</orig>
            <reg>secrètes</reg>
          </choice> que nous donnent le pieux <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> l'héroïque sang-froid de ce prince, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> la juste punition d'une fanfaronade <choice>
            <orig>tout-à-fait</orig>
            <reg>tout à fait</reg>
          </choice> déplacée.</p>
        <p>Il y a véritablement une epece de satisfaction, interrompit Timagène, à voir humilier ces
          hommes avantageux, dont le mérite assez communément ne consiste que dans l'admirable
          opinion qu'ils ont d'eux-mêmes. J'ai eu du plaisir ces jours-ci à lire, dans un journal
          bien écrit, un trait sur M. de Turenne, moins sérieux que le vôtre, mais qui est bien dans
          le même genre.<note resp="author">An. litt. 1770, feuille 21.</note>
          <q rend="inline">Un petit maître étoit assis sur le théâtre à côté du grand Turenne, à lui
            seul inconnu. Il s'avisa par gentillesse de lui arracher son chapeau, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de le jetter par terre. Quelqu'un l'avertit dans ce moment, qu'il ignoroit
            sans doute à quel <pb xml:id="p394"/> homme il se jouoit ainsi&#160;: que c'étoit le
            vicomte de Turenne. Celui-ci cependant ramassa tranquillement son chapeau, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> se contenta de dire à ce jeune sot, qui s'épuisoit en excuses sur ce qu'il
            l'avoit pris pour un autre&#160;; eh&#160;! Monsieur, quand ç'eût été tout autre, votre
            procédé n'en seroit pas plus louable.</q> Cette scene, à mon avis, étoit plus capable
          d'instruire, que la piece à laquelle on étoit venu assister. Elle faisoit toucher au doigt
          à quels dangers s'exposent l'orgueuil <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> la fatuité, qu'accompagnent d'ordinaire l'imprudence <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> l'étourderie. Elle nous montre d'ailleurs toute la noblesse d'une grande ame,
          trop élevée au-dessus de pareilles <choice>
            <sic>sotises</sic>
            <corr>sottises</corr>
          </choice><note resp="editor">La graphie n'est pas attestée dans les dictionnaires de
            référence.</note> pour s'en irriter <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> vouloir s'en <choice>
            <sic>vanger</sic>
            <corr>venger</corr>
          </choice><note resp="editor">La graphie n'est pas attestée dans les dictionnaires de
            référence.</note>. Les meilleures instructions sont celles qu'on puise dans la conduite
          des hommes. Certains traits de générosité du chevalier Bayard, la réponse qu'il fit en
          mourant au connétable de Bourbon, sont des leçons qui laissent des traces plus profondes
          encore dans le coeur, que dans l'esprit. Je n'oublierai jamais celle que Canut, Roi
          d'Angleterre, donna un jour à ses courtisans. Ce prince étoit sur le bord de la mer. Un
          flatteur s'avisa de <pb xml:id="p395"/> l'appeller le Roi des Rois, le souverain de la
          terre <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> des mers. Le héros, sans rien répondre, s'assit sur la grève. Un moment après,
          voyant la marée monter, il apostropha ainsi la mer&#160;: «&#160;La terre où je suis est à
          moi&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> toi-même tu es soumise à ma domination. Je te commande de n'avancer pas plus
          loin, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de respecter les pieds de ton Roi.&#160;»<note>Desit. Limites de la
            citation.</note> Cependant le flux peu respectueux n'obéissoit point <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> mouilloit déjà les pieds du monarque. «&#160;Vous voyez, dit alors Canut en se
          tournant vers les seigneurs de sa suite, comment je suis maître de la mer. Apprenez par-là
          ce que c'est que la puissance des Rois de la terre, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> qu'à proprement parler, il ne faut appeller Roi que ce grand Dieu, par qui le
          ciel, la terre <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> la mer sont gouvernés.&#160;»<note>Rév. d'Angl. t. 1.</note>Après ces mots, il
          alla dans l'église de S. Pierre mettre sur la tête du crucifix un diadème, dont il se
          servoit, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> ne voulut plus le reprendre. Cependant ce Canut n'étoit ni un visionnaire, ni un <choice>
            <orig>imbécille</orig>
            <reg>imbécile</reg>
          </choice><note>La graphie est attestée dans le <hi rend="italic">Dictionnaire de
              l'Académie</hi> (1762).</note>.</p>
        <p>Si j'<choice>
            <orig>entreprenois</orig>
            <reg>entreprenais</reg>
          </choice> d'écrire l'expédition de M. de Montcalm, poursuivit Euphorbe, je <pb
            xml:id="p396"/> n'<choice>
            <orig>oublierois</orig>
            <reg>oublierais</reg>
          </choice> pas l'instruction que reçut d'un Cacique<note resp="editor"><hi rend="italic"
              >Cacique</hi> est le «&#160;nom qu'on donnoit aux Princes dans le Mexique et dans
            quelques régions de l'Amérique&#160;», selon le <hi rend="italic">Dictionnaire de
              l'Académie</hi> (1762).</note> cet excellent officier dans un moment de <choice>
            <orig>colere</orig>
            <reg>colère</reg>
          </choice>, à laquelle il s'<choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> livré contre sa coutume. «&#160;Tu es maître, dit l'indien, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> tu te fâches&#160;!&#160;» Quels traits de <choice>
            <orig>lumiere</orig>
            <reg>lumière</reg>
          </choice> partent de ce peu de mots&#160;! Il n'est presque point d'anecdote, qui puisse
          entrer en <choice>
            <sic>parallelle</sic>
            <corr>parallèle</corr>
          </choice> avec celle-là, si ce n'est peut-être la réponse de M. Fabert, depuis maréchal de
          France, à M. de Cinqmars.<note resp="editor">Il s'agit de Abraham (de) Fabert d'Esternay
            (1599-1662), lieutenant général puis maréchal de France, et de Henri Coiffier de Ruzé
            (1620-1642), marquis de Cinq-Mars, qui mena une conspiration contre
          Richelieu.</note></p>
        <p>Vous parlez sans doute, reprit Timagene, de celle que ce brave <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> vertueux guerrier fit au grand écuyer, lorsque ce dernier lui fit part de la
          conspiration qu'il <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> formée contre le cardinal de Richelieu, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> qu'il voulut l'engager dans ce complot. Vous m'obligeriez de me la
          rappeller&#160;; car je vous avoue qu'il ne m'en reste plus qu'un souvenir confus.</p>
        <p>Elle mérite assurément, repartit Euphorbe, de n'être point oubliée&#160;;car elle met
          dans tout son jour la franchise de ce grand homme. La voici&#160;:<note resp="author"><choice>
              <orig>Hist. de Louis XIII</orig>
              <reg><hi rend="italic">Histoire de Louis XIII</hi></reg>
            </choice>, <choice>
              <orig>tom.</orig>
              <reg>tome</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>troisieme</orig>
              <reg>troisième</reg>
            </choice>.</note>
          <q rend="inline">J'ai pour maxime d'entrer dans les intérêts de mes amis, jamais dans
            leurs passions. <pb xml:id="p397"/> Quiconque me méprise assez , pour exiger de moi ce
            que je crois contraire à mon honneur <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> à mon devoir, me dispense par cette insulte des égards <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de la considération que je lui dois.</q><note resp="editor">Dans l'original,
            les guillemets initiaux manquent.</note></p>
        <p>Si j'<choice>
            <orig>étois</orig>
            <reg>étais</reg>
          </choice> disciple de Pythagore, continua Timagène, je me <choice>
            <orig>persuaderois</orig>
            <reg>persuaderais</reg>
          </choice> que l'<choice>
            <orig>ame</orig>
            <reg>âme</reg>
          </choice> du chevalier Dayard <choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> venue animer le corps de M. Fabert, tant je trouve de ressemblance entre les
          vertus de ces deux grands hommes. Même droiture, même fidélité, même franchise&#160;: <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> tout cela se montre dans la réponse que vous venez de rapporter. Quand on a de
          pareilles anecdotes à raconter, il est sage, je crois, de supprimer toutes réflexions. Le
          simple récit en fait naître assez&#160;: ce qu'on <choice>
            <orig>pourroit</orig>
            <reg>pourrait</reg>
          </choice> ajouter ne <choice>
            <orig>feroit</orig>
            <reg>ferait</reg>
          </choice> que distraire, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice>
          <choice>
            <sic>rallentir</sic>
            <corr>ralentir</corr>
          </choice> l'impression naturelle des objets.</p>
        <p>N'avez-vous pas remarqué, ajouta Euphorbe, ce qui arrive souvent dans la
          conversation&#160;? Si un particulier dit un bon mot, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> qu'il s'avise d'en rire le premier, la compagnie garde le sérieux. La
          plaisanterie ne réussit que quand celui qui en est l'auteur, <choice>
            <orig>paroît</orig>
            <reg>paraît</reg>
          </choice> n'y prendre presque aucune part. Il en est de même dans ces saillies de génie ou
          de vertu, dont nous parlons. On s'indispose <pb xml:id="p398"/> contre un historien, qui
          veut nous endoctriner mal-à-propos. Mais il est des <choice>
            <orig>événemens</orig>
            <reg>événements</reg>
          </choice>, des détails même d'une nature toute différente. Ils demandent d'être
          éclaircis&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> d'ailleurs tous les lecteurs ne sont pas toujours capables de tirer les
          conséquences des faits qu'on leur met sous les <choice>
            <orig>ieux</orig>
            <reg>yeux</reg>
          </choice>. Dans ces circonstances, l'historien remplit son objet lorsqu'il entremêle dans
          son récit quelques réflexions propres à lui donner du jour. Mais pour cela, il faut <choice>
            <sic>quelles</sic>
            <corr>qu'elles</corr>
          </choice> soient vraies&#160;: car, comme dit un <choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <reg>auteur</reg>
          </choice>,<note resp="author"><choice>
              <orig>Man. de bien penser</orig>
              <reg>Père Bouhours, <hi rend="italic">Manière de bien penser dans les ouvrages
                  d'esprit</hi>.</reg>
            </choice>.</note>
          <q rend="inline">rien n'est plus irrégulier que de penser faux sur des <choice>
              <orig>événemens</orig>
              <reg>événements</reg>
            </choice> véritables.</q> Rien de plus vrai, par exemple, que celle-ci&#160;: <hi
            rend="italic">communi naturæ vitio fit, ut latitantibus <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> incognitis rebus mugis confidamus <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> vehementius exterreamur</hi><note resp="author">Caesar de bello civ. lib.
            2.</note>. Il suffit en effet de consulter l'expérience, pour convenir que c'est une <choice>
            <orig>foiblesse</orig>
            <reg>faiblesse</reg>
          </choice> naturelle à presque tous les hommes, de s'<choice>
            <orig>allarmer</orig>
            <reg>alarmer</reg>
          </choice> plus vivement ou de se rassurer davantage dans les <choice>
            <orig>événemens</orig>
            <reg>événements</reg>
          </choice> dont ils ignorent les causes, que dans tout autre.</p>
        <p><pb xml:id="p399"/>La <choice>
            <sic>reflexion</sic>
            <corr>réflexion</corr>
          </choice> de votre <choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <reg>auteur</reg>
          </choice>, répliqua Timagène, m'afflige&#160;: elle est humiliante pour l'humanité. J'aime
          mieux celle de <choice>
            <orig>Valere</orig>
            <reg>Valère</reg>
          </choice> Maxime,<note resp="editor">Valère Maxime (Valerius Maximus, premier siècle après
            J.-C.), historien et moraliste romain.</note> à l'occasion de Tigranes Roi d'Arménie,
          dans l'entrevue qu'il eut avec Pompée, après sa défaite.<note resp="author">Val. max. l.
            5. c. 1.</note>Ce prince s'étant <choice>
            <orig>jetté</orig>
            <reg>jeté</reg>
          </choice> aux pieds de son vainqueur, celui-ci le releva, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> lui rendit sa couronne, jugeant, dit l'historien, qu'il <choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> aussi beau de faire des Rois, que de les vaincre&#160;: <q rend="italic">aeque
            pulchrum esse judicans <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> vincere reges <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> facere.</q></p>
        <p>Je sais, poursuivit Euphorbe, qu'on peut, sans vous déplaire, n'être pas toujours de
          votre avis. Ainsi, je ne crains point de remarquer que la réflexion de <choice>
            <orig>Valere</orig>
            <reg>Valère</reg>
          </choice> Maxime porte avec elle un air d'appareil <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> des prétentions à l'esprit, que n'a point celle de César. L'une semble se
          proposer d'instruire son lecteur, l'autre de célébrer son <choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <reg>auteur</reg>
          </choice>. Et vous conviendrez que l'utilité est le plus grand mérite d'une réflexion.
          Nous en avons une dans Tacite où cet avantage est frappant. Après avoir remarqué avec
          quelle adresse Agricola <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> su se ménager sous <pb xml:id="p400"/> l'empire de Domitien, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> adoucir le <choice>
            <orig>caractere</orig>
            <reg>caractère</reg>
          </choice> farouche <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> sanguinaire de ce tyran, l'historien ajoute&#160;:<note resp="author">Sciant
            quibus moris illicita mirari, posse etiam sub malis principibus magnos viros esse,
            obsequiumque ac modestiam, si industria ac vigor adsint, eò laudis excedere, quò
            plerique per abrupta, sed in nullum reipublicae usum, ambitiosâ morte inclaruerunt. <hi
              rend="italic">In vitae Agric. cap</hi>. 42.</note>
          <q rend="inline">Que ceux qui bornent leur admiration aux entreprises audacieuses <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> téméraires, apprennent, par son exemple, qu'il peut y avoir de grands hommes
            sous de mauvais princes, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> que la soumission <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> la modération, si elles sont soutenues d'une vigueur <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> d'une activité propres aux grandes affaires, peuvent arriver au même point de
            gloire où sont arrivés la plupart des autres, par des, procédés hardis <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>violens</orig>
              <reg>violents</reg>
            </choice>, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> par une mort éclatante, mais inutile à la république.</q> L'<choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <reg>auteur</reg>
          </choice> nous présente ici le plus beau fruit du sujet qu'il traite. C'est avec le même
          succès que l'abbé de Vertot, après avoir peint l'obstination de D. Sebastien à faire la
          guerre en Afrique, contre l'avis de son conseil, <choice>
            <orig>insere</orig>
            <reg>insère</reg>
          </choice> ce peu de mots dans son récit&#160;:<note resp="author"><choice>
              <orig>Révol. de Port.</orig>
              <reg><hi rend="italic">Révolution de Portugal</hi>.</reg>
            </choice></note>
          <q rend="inline">Comme si la souveraine <pb xml:id="p401"/> puissance <choice>
              <orig>donnoit</orig>
              <reg>donnait</reg>
            </choice> une souveraineté de raison.</q> Ce sont là des leçons utiles <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> bien placées.</p>
        <p>Vous mériteriez-bien en effet, reprit Timagène, que je prisse un peu d'humeur contre
          vous. Vous faites <choice>
            <orig>main-basse</orig>
            <reg>main basse</reg>
          </choice> impitoyablement sur tout ce qui a quelque apparence d'esprit. Vous voulez donc
          le bannir <choice>
            <orig>entièrement</orig>
            <reg>entierement</reg>
          </choice> de l'histoire ?</p>
        <p>Je ne dis pas cela, répondit Euphorbe. Je ne prétends point exclure le morceau que vous
          avez cité de <choice>
            <orig>Valere</orig>
            <reg>Valère</reg>
          </choice> Maxime, ni même le condamner. J'établis seulement une comparaison entre les deux
          phrases dont il s'agit&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> je crois que celle de César mérite mieux le nom de réflexion, que celle de <choice>
            <orig>Valere</orig>
            <reg>Valère</reg>
          </choice> Maxime. Changeons les livrées de cette <choice>
            <orig>derniere</orig>
            <reg>dernière</reg>
          </choice>&#160;; elle trouvera sa place parmi les pensées, qui sont un des principaux <choice>
            <orig>ornemens</orig>
            <reg>ornements</reg>
          </choice> du récit historique&#160;: <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> celle que vous venez de <choice>
            <sic>rappeller</sic>
            <corr>rappeler</corr>
          </choice>, a droit assurément d'être distinguée parmi les plus belles. Cela n'est-il pas
          suffisant pour faire ma paix avec vous ?</p>
        <p>Vous la faites un peu en vainqueur, repartit Timagène. Mais je <choice>
            <orig>renoncerois</orig>
            <reg>renoncerais</reg>
          </choice> plutôt à tous les écrivains du monde, que d'être en guerre avec vous. Quelque
            <pb xml:id="p402"/> nom que vous donniez à ce qu'a dit <choice>
            <orig>Valere</orig>
            <reg>Valère</reg>
          </choice> Maxime, dès que vous l'admettez dans l'histoire, je suis content. Ce sera donc
          une pensée, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> même une belle pensée.</p>
        <p><choice>
            <orig>A</orig>
            <reg>À</reg>
          </choice> Dieu ne plaise, poursuivit Euphorbe, que je bannisse de l'histoire cette <choice>
            <orig>espèce</orig>
            <reg>espece</reg>
          </choice> d'ornement. Elle y produit le même effet que les fleurs dans un vaste parterre.
          On varie, on releve un récit trop sérieux ou trop uniforme, par quelques pensées nobles,
          délicates, pathétiques, ou même sublimes&#160;: car, comme nous l'avons déjà remarqué
          après le <choice>
            <orig>P.</orig>
            <reg>Père</reg>
          </choice> Rapin, <q rend="inline">le grand dans l'objet joint à la simplicité dans
            l'expression, forme souvent le sublime&#160;;</q>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> ces deux choses conviennent parfaitement au récit historique. D'où vous
          conclurez aisément que ces sortes de pensées dont nous nous sommes déjà entretenus,
          peuvent trouver place dans l'histoire, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> qu'on peut leur appliquer tout ce que nous en avons deja dit en général.</p>
        <p>Je viens de lire, reprit Timagène, dans une description du triomphe de Constantin, après
          sa victoire sur Maxence, une pensée bien noble <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> bien frappante, à l'occasion de la tête du tyran que l'on <choice>
            <orig>portoit</orig>
            <reg>portait</reg>
          </choice> dans ce triomphe.</p>
        <p>
          <pb xml:id="p403"/>
          <note resp="author"><q rend="italic">Suberat adhuc saevitia, <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> horrendae frontis minas mors ipsa non vicerat.</q> Nazaire, panég. de Const.
            le Grand.</note>
          <q rend="inline">Dans ses <choice>
              <orig>ieux</orig>
              <reg>yeux</reg>
            </choice> éteints, dit l'orateur, on <choice>
              <orig>démêloit</orig>
              <reg>démêlait</reg>
            </choice> encore la barbarie <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> la cruauté&#160;; <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> la mort même n'<choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> pu adoucir l'air farouche <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> menaçant de son front.</q>
        </p>
        <p>Cette pensée, repartit Euphorbe, <choice>
            <orig>figureroit</orig>
            <reg>figurerait</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>aussi-bien</orig>
            <reg>aussi bien</reg>
          </choice> dans une histoire que dans un panégyrique. Elle est pleine de grandeur <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de majesté, sans avoir d'enflure. Elle n'a point l'affectation de celle de
          Florus, dans sa description de la bataille de Tarente. Non content d'avoir dit des soldats
          tués dans ce combat,<note resp="author"><q rend="italic">Relictae in vultibus minae, <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> in ipsâ morte ira vivebat.</q></note>
          <q rend="inline">leur front <choice>
              <orig>portoit</orig>
              <reg>portait</reg>
            </choice> encore un air menaçant, il ajoute, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> leur fureur <choice>
              <orig>vivoit</orig>
              <reg>vivait</reg>
            </choice> après leur mort.</q> Celle-ci m'en rappelle une autre de Paterculus, qui est à <choice>
            <orig>peu-près</orig>
            <reg>peu près</reg>
          </choice> dans le même goût. <choice>
            <orig>A</orig>
            <reg>À</reg>
          </choice> l'occasion du corps de Pompée inhumé sur le rivage, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> couvert d'un peu de sable, il s'exprime ainsi&#160;;<note resp="author"><q
              rend="italic">In tantum in illo riro discordante for-[p404]tunâ, ut cui modò ad
              victoriam terra defuerat, deesset ad sepulturam</q>. Vel. Paterc. lib. 2.</note>
          <q rend="inline">dans ce grand'homme la fortune fut bien peu d'accord avec elle-même.
            Cette même terre, qui peu de temps auparavant, <pb xml:id="p404"/> n'<choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> pas suffi à ses victoires <choice>
              <orig>manquoit</orig>
              <reg>manquait</reg>
            </choice> alors à sa sépulture.</q> Voilà bien de la recherche&#160;; mais, est-ce là du
          beau&#160;? Au reste, pour vous avouer mon goût particulier, les pensées dont je fais le
          plus de cas, sont celles qu'on nomme délicates.</p>
        <p>Si j'ai bonne mémoire, interrompit Timagène, nous avons dit que la pensée délicate <choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> celle qui <choice>
            <orig>procuroit</orig>
            <reg>procurait</reg>
          </choice> à l'esprit un charme secret, en lui faisant concevoir beaucoup plus qu'elle ne <choice>
            <orig>sembloit</orig>
            <reg>semblait</reg>
          </choice> exprimer.<note resp="editor">Voir le cinquième entretien, pages <ref
              target="essai/cinquieme#p267">267-268</ref>. Il sera question à nouveau de la <hi
              rend="italic">pensée délicate</hi> au onzième entretien, pages <ref
              target="/essai/onzieme#p565">565-566</ref>.</note> Vous-en rappelleriez-vous
          quelques-unes de ce genre&#160;?</p>
        <p>Elles ne sont pas fort communes, répondit Euphorbe. Tacite nous en fournira un exemple.
          En parlant de Galba, il dit&#160;;<note resp="author"><q rend="italic">Major privato visus
              dum privatus fuit&#160;; [p405] <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> omnium consensu capax imperii, nisi imperasset.</q></note>
          <q rend="inline">Tant que ce prince fut simple particulier, il parut au-dessus de son
            état&#160;; <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> tout l'univers l'eut jugé digne du trône, s'il n'y fut jamais monté.</q> C'est
          ce qu'a répété un de nos <choice>
            <orig>poëtes</orig>
            <reg>poètes</reg>
          </choice> à l'occasion de Henri III.</p>
        <p>
          <q rend="verse">
            <l>Telle brille au second rang, qui s'<choice>
                <orig>éclypse</orig>
                <reg>éclipse</reg>
              </choice> au premier.</l>
          </q>
        </p>
        <p><pb xml:id="p405"/>Je me rappelle encore d'avoir vu quelque part cette pensée, au sujet
          de Louis XIV. <q rend="inline">Il ne fait la guerre, que pour rendre les peuples heureux,
            en se les asujettissant, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> il a trouvé dans la victoire quelque chose de plus glorieux que la victoire
            même.</q> Il ne faut qu une attention médiocre, pour appercevoir la richesse <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> la fécondité de ces pensées. Celle de Tacite, par exemple, me fait concevoir que
          des <choice>
            <orig>talens</orig>
            <reg>talents</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> des vertus propres à établir la réputation d'un particulier, ne suffisent pas à
          un souverain&#160;: elle m'apprend encore que le desir de s'avancer porte souvent les
          hommes à une <choice>
            <orig>espece</orig>
            <reg>espèce</reg>
          </choice> d'héroïsme, dont ils ne sont plus capables, lorsqu'ils ont obtenu l'objet de
          leurs vœux.</p>
        <p>Ajoutons donc aussi, répliqua Timagène, que ces sortes de pensées ornent la diction, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> qu'elles sont une des principales sources de la <choice>
            <sic>beauté stile</sic>
            <corr>beauté du style</corr>
          </choice>&#160;<note resp="editor">L'ommission de <hi rend="italic">du</hi>, dans
            l'original, est corrigée dans les <hi rend="italic">errata</hi> de l'édition originale,
            en fin du volume.</note>; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> combien d'ouvrages historiques doivent au <choice>
            <orig>stile</orig>
            <reg>style</reg>
          </choice> leur principal succès&#160;!</p>
        <p>Ce succès n'a rien d'étonnant, dit Euphorbe, si le <choice>
            <orig>stile</orig>
            <reg>style</reg>
          </choice> a les qualités que <pb xml:id="p406"/> demande Cicéron&#160;:<note resp="author"
            >Nihil est in historiâ purâ <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> illustri brevitate dulcius. <hi rend="italic">Lib. de clar. orat. c</hi>.
            120.</note> s'il est clair, s'il est noble, s'il est concis, il porte avec lui un charme
          invincible. <choice>
            <orig>A</orig>
            <reg>À</reg>
          </choice> ce que dit ici l'orateur Romain joignons une autre qualité&#160;; celle d'être
          proportionné au sujet que l'on traite, c'est-à-dire, vif <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> animé dans les effets des passions violentes&#160;; léger dans les sujets
          riants&#160;; rapide <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> coupé dans ceux où l'action est prompte <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> intéresse par sa célérité&#160;; mais jamais affecté ni ampoulé.</p>
        <p>Je crois avoir lu <choice>
            <orig>dernierement</orig>
            <reg>dernièrement</reg>
          </choice>, reprit Timagène, un morceau d'histoire bien propre à servir d'exemple dans
          cette <choice>
            <orig>espece</orig>
            <reg>espèce</reg>
          </choice> de <choice>
            <orig>stile</orig>
            <reg>style</reg>
          </choice> rapide, dont vous venez de parler. Je vais le chercher dans l'<choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <reg>auteur</reg>
          </choice>&#160;: vous en jugerez vous-même. Il s'agit de la conquête de la Normandie toute <choice>
            <orig>entiere</orig>
            <reg>entière</reg>
          </choice>, faite par Charles VII, Roi de France, sur Henri VI, Roi d'Angleterre. Le Roi
          n'eut besoin que de treize mois pour terminer cette expédition, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> l'historien n'emploie que trois pages pour la raconter.<note resp="author"><choice>
              <orig>Révol. d'Angl.</orig>
              <reg><hi rend="italic">Révolutions d'Angleterre</hi>,</reg>
            </choice> t. 2.</note>
          <q rend="inline">Brezé, dit-il, prit d'abord le Pont-de-l'Arche&#160;; Robert <pb
              xml:id="p407"/> de Beuil, surnommé Floquet, bailli d'Evreux, prit Conches <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> Verneuil. Un <choice>
              <sic>meûnier</sic>
              <corr>meunier</corr>
            </choice> qu'un <choice>
              <orig>Anglois</orig>
              <reg>anglais</reg>
            </choice> bâtit,<note>Desit.</note> livra cette <choice>
              <orig>derniere</orig>
              <reg>dernière</reg>
            </choice> place, l'une des plus fortes de la province. Sur quoi Charles ayant partagé
            ses troupes en divers petits corps, les fit entrer en même temps dans le pays par divers
            endroits, sous la conduite du Connétable, des ducs de Bretagne <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> d'Alençon, des comtes de Dunois, de Clermont, d'Eu, de Nevers, de Saint Pol,
            qui, en peu de mois, réduisirent sous l'obéissance du Roi tout ce qui ne <choice>
              <orig>demandoit</orig>
              <reg>demandait</reg>
            </choice> pas sa présence. Pendant ce temps-là, ce monarque <choice>
              <orig>formoit</orig>
              <reg>formait</reg>
            </choice> une armée à Louviers, où le Roi de Sicile <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> le duc du Maine l'<choice>
              <orig>étoient</orig>
              <reg>étaient</reg>
            </choice> venu joindre avec leurs troupes auxquelles le comte de Dunois, qu'il fit son
            lieutenant-général, ayant aussi joint les siennes, on marcha vers Rouen, que le Roi <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> résolu d'assiéger. Rouen <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> bien pourvu d'Anglois&#160;: le régent y <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> en personne, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> Talbot, qui <choice>
              <orig>valoit</orig>
              <reg>valait</reg>
            </choice> une armée, s'y <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> renfermé avec lui&#160;: mais à la vue du Roi légitime, les <choice>
              <orig>habitans</orig>
              <reg>habitants</reg>
            </choice> étant entrés en différend avec les <choice>
              <orig>Anglois</orig>
              <reg>anglais</reg>
            </choice>, se <choice>
              <orig>cantonnerent</orig>
              <reg>cantonnèrent</reg>
            </choice>, <choice>
              <orig>traiterent</orig>
              <reg>traitèrent</reg>
            </choice> avec Charles, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> se mutinant enfin <pb xml:id="p408"/> tout-à-fait, <choice>
              <orig>pousserent</orig>
              <reg>poussèrent</reg>
            </choice> la garnison, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> l'<choice>
              <orig>obligerent</orig>
              <reg>obligèrent</reg>
            </choice> à se renfermer dans le vieux palais, où le comte de Dunois l'ayant attaquée,
            elle se rendit par composition après quelques jours de résistance. Le duc de Sommerset
            se retira avec les siens en basse-Normandie, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> Talbot demeura en otage de cinquante mille écus d'or que le Régent <choice>
              <orig>devoit</orig>
              <reg>devait</reg>
            </choice> payer au Roi par un des articles de la capitulation. Charles ayant fait son
            entrée dans Rouen, poussa ses conquêtes au pays de Caux, où Harfleur l'arrêta&#160;;
            mais il le prit, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> le reste plia devant lui. L'hiver qui se <choice>
              <orig>faisoit</orig>
              <reg>faisait</reg>
            </choice> sentir, n'empêcha pas l'armée victorieuse, animée par l'exemple de son Roi, de
            passer la seine <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> d'assiéger Honfleur, où un gouverneur opiniâtre soutint le <choice>
              <orig>siége</orig>
              <reg>siège</reg>
            </choice> assez <choice>
              <orig>long-temps</orig>
              <reg>longtemps</reg>
            </choice>. On prit la place par composition le dix-<choice>
              <orig>huitieme</orig>
              <reg>huitième</reg>
            </choice> de février. La bataille de Formigny, hâta la prise de ce qui <choice>
              <orig>restoit</orig>
              <reg>restait</reg>
            </choice> de villes à réduire en basse-Normandie, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> abrégea fort la conquête. Le Connétable <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> le comte de Clermont s'<choice>
              <orig>étoient</orig>
              <reg>étaient</reg>
            </choice> réunis à propos près de cette bourgade, située entre Carentan <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> Bayeux, pour s'opposer à Thomas Tyrel, nouvellement arrivé d'<choice>
              <sic>Angletterre</sic>
              <corr>Angleterre</corr>
            </choice>
            <pb xml:id="p409"/> avec environ trois mille hommes, auxquels s'étant joint d'autres
            troupes tirées des garnisons d'alentour, il s'en <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> formé une armée, qui <choice>
              <orig>tenoit</orig>
              <reg>tenait</reg>
            </choice> la campagne <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>reprenoit</orig>
              <reg>reprenait</reg>
            </choice> des villes. Lisieux <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> Valognes <choice>
              <orig>avoient</orig>
              <reg>avaient</reg>
            </choice> reçu Tyrel, qui <choice>
              <orig>menaçoit</orig>
              <reg>menaçait</reg>
            </choice> de plus grands progrès, lorsque le comte <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> le Connétable l'ayant heureusement rencontré au lieu que je viens de nommer,
            quoique beaucoup inférieurs en nombre, lui <choice>
              <orig>livrerent</orig>
              <reg>livrèrent</reg>
            </choice> bataille, le défirent, lui tuèrent près de cinq mille hommes, en prirent
            quatorze cent prisonniers, du nombre desquels il fut lui-même, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> ne perdirent que six soldats, circonstance qui fit passer cet événement pour
            miraculeux. Cette journée fut le coup fatal qui acheva de ruiner les forces des <choice>
              <orig>Anglois</orig>
              <reg>anglais</reg>
            </choice> en Normandie. De Formigny l'armée victorieuse se rendit à Caen, où le Roi se
            trouva, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> rassembla toutes ses troupes, la prise de cette ville étant une affaire
            décisive, qu'il ne <choice>
              <orig>falloit</orig>
              <reg>fallait</reg>
            </choice> pas laisser languir. Le duc de Sommerset défendit Caen en personne, comme il <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> défendu Rouen, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> le rendit de même par composition. Après quoi peu de places <choice>
              <orig>résisterent</orig>
              <reg>résistèrent</reg>
            </choice>, hormis Cherbourg, qu'on <pb xml:id="p410"/> attaqua la <choice>
              <orig>derniere</orig>
              <reg>dernière</reg>
            </choice>&#160;; mais qui capitula enfin comme les autres, après un mois de <choice>
              <orig>siége</orig>
              <reg>siège</reg>
            </choice>, par lequel finit la conquête, environ le milieu du mois d'<choice>
              <orig>Août</orig>
              <reg>août</reg>
            </choice> de l'année 1450.</q> Assurément cet historien a été plus heureux que <choice>
            <orig>Pélisson </orig>
            <reg>Pellisson-</reg>
          </choice>Fontanier&#160;; car il a trouvé un <choice>
            <orig>Pegase</orig>
            <reg>Pégase</reg>
          </choice> assez prompt pour suivre son héros.<note resp="editor">Il s'agit de Paul
            Pellisson-Fontanier (1624-1693), homme de lettres français, et auteur d'une <hi
              rend="italic">Histoire de l’Académie française depuis son établissement jusqu’en
              1652</hi> (2 vols., 1653).</note></p>
        <p>Sa course <choice>
            <orig>seroit</orig>
            <reg>serait</reg>
          </choice> encore plus rapide, repartit Euphorbe, si ses phrases <choice>
            <orig>étoient</orig>
            <reg>étaient</reg>
          </choice> un peu moins longues&#160;: <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> peut-être <choice>
            <orig>par-là</orig>
            <reg>par là</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>remarqueroit</orig>
            <reg>remarquerait</reg>
          </choice>-on moins aussi quelques négligences dans l'expression, qui font peine dans ce
          morceau. Au surplus, cette rapidité de <choice>
            <orig>stile</orig>
            <reg>style</reg>
          </choice> n'est avantageuse que dans certains cas particuliers. Les autres qualités dont
          nous avons parlé, sont d'un usage plus ordinaire. Il n'est point de récit qui ne doive
          avoir un <choice>
            <orig>caractere</orig>
            <reg>caractère</reg>
          </choice> particulier, analogue au sujet qu'il détaille, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> c'est <choice>
            <orig>sur-tout</orig>
            <reg>surtout</reg>
          </choice> par ce rapport qu'il plaît à l'imagination. Les muses d'Hérodote <choice>
            <orig>auroient</orig>
            <reg>auraient</reg>
          </choice> plus de <choice>
            <orig>grace</orig>
            <reg>grâce</reg>
          </choice>, si elles <choice>
            <orig>étoient</orig>
            <reg>étaient</reg>
          </choice> moins ornées <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> moins verbeuses&#160;: Thucidide au contraire, n'a rien de superflu&#160;: mais
          je vois peu de <choice>
            <orig>modeles</orig>
            <reg>modèles</reg>
          </choice> plus parfaits en ce genre que César<note resp="author">De bello Gal. lib.
            2.</note>, <choice>
            <orig>sur-tout</orig>
            <reg>surtout</reg>
          </choice> dans le récit qu'il <pb xml:id="p411"/> nous fait de son expédition contre les
          Belges, et<note resp="author">De bello civ. lib. 3.</note> dans la description de cette
          fameuse journée, qui lui soumit Pompée et l'univers. Quelle noble vivacité, quelle chaleur
          de <choice>
            <orig>stile</orig>
            <reg>style</reg>
          </choice>, et en <choice>
            <orig>même-temps</orig>
            <reg>même temps</reg>
          </choice> quelle exactitude&#160;! Quelle clarté et quelle sagesse&#160;! C'est un mérite
          bien rare, que de savoir exécuter et raconter parfaitement d'aussi grandes choses. Mais,
          si je ne me trompe, j'entends un équipage qui entre dans la cour. Voilà encore
          quelqu'importun qui vient nous interrompre.</p>
        <p>Allez, reprit Timagène, recevoir votre compagnie. Je vais m'amuser ici à relire les deux
          endroits de César que vous venez de citer, et je vous rejoindrai après les premiers <choice>
            <orig>complimens</orig>
            <reg>compliments</reg>
          </choice>.</p>
      </div>
    </body>
  </text>
</TEI>
"Septième entretien. Ornements de l'histoire" de Essai sur le récit, ou Entretiens sur la manière de raconter. Édition électronique. François-Joseph Bérardier de Bataut (1720-1794) Christof Schöch Version 0.7, 09/2014

Texte libre de droits. Édition électronique publiée en ligne à l'adresse http://tapas.neu.edu/berardier/essai/ sous licence Creative Commons Attribution 3.0 (CC-BY). Republication de l'édition électronique publiée en ligne à l'adresse http://berardier.org en 2010.

Bérardier de Bataut, François-Joseph (1720-1794) Essai sur le récit, ou entretiens sur la manière de raconter Paris Charles-Pierrre Berton 1776 Format in-12, X-725 pages.

Cette édition fournit une édition accessible en ligne et commentée de l'Essai sur le récit, ou Entretiens sur la manière de raconter, par François-Joseph Bérardier de Bataut.

L'édition réunit une transcription diplomatique (graphies d'époque, coquilles, abréviations) et une version de lecture (graphies modernisées, coquilles corrigées, abréviations explicitées).

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SEPTIEME ENTRETIEN. Ornemens Ornements de l' Histoire histoire .

Le lendemain, dès le matin, Euphorbe, en entrant dans son cabinet, y trouva son ami occupé à parcourir ses livres. Vous ne savez pas, dit celui-ci, à quel objet je pensois pensais en vous attendant. J' admirois admirais la justesse de cette inscription que vous avez fait graver au-dessus de la porte ; tantùm tantum series juncturaque pollet !01 La citation provient de l'Ars poetica d'Horace, v. 242. Ce vers et le suivant se trouvent cités sur la page de titre du premier volume de l'Encyclopédie des Arts et des métiers, en 1751. Outre le choix des livres, que vous avez rassemblez ici, il est difficile d'y mettre un plus bel ordre.

Une bibliothèque sans arrangement, reprir Euphorbe, devient presque inutile, par la difficulté que l'on éprouve à trouver les différens différents volumes que l'on cherche. D'ailleurs cette confusion choque la vue des gens de goût.

En effet, poursuivit Timagene, dans tout ce qui est fait pour plaire, la principale beauté vient d'un certain accord, d'une disposition heureuse, qui de plusieurs parties forme un tout gracieux, & et dont les justes proportions ravissent nôtre notre admiration. C' étoit était là, sans doute, ce que vous entendiez hier, lorsque vous mîtes l'ordre à la tête des ornemens ornements propres au récit historique.

Je ne suis pas étonné, repartit Euphorbe, que ce mot vous ait frappé. Un militaire est, pour ainsi dire, naturalisé avec l'ordre : il en sent tout le prix. Si cet ordre est indispensable dans la conduite d'une armée, il est aussi le premier & et le plus utile ornement de l'histoire. Elle lui doit cette variété, dont nous avons déjà reconnu la nécessité dans toute espèce de récit. Le dernier Auteur auteur de là vie de Louis XIII, suffit pour nous en donner la preuve. Pour épargner à son lecteur l'ennui que doit produire naturellement le détail trop uniforme des guerres qu'il est obligé de rapporter, il quitte de temps en temps les armées ; il revient à sa cour, & et fixe nos ieux yeux sur les cabales des grands, & et sur ses intrigues du cabinet. Au milieu des combats & et des sièges siéges , qu'il est forcé de décrire, il ne perd jamais de vue un ministre habile, qui lutte sans cesse contre la foiblesse faiblesse de son prince & et la jalousie des grands, autant que contre les ennemis de l'état. Ce n'est point une énumération séche sàche & et fatigante de batailles, de campemens campements & et d'opérations guerrieres guerrières . Nous voyons le jeu de la machine ; mais nous appercevons apercevons en même - temps le ressort qui la fait mouvoir. Delà De là naît l'intérêt, autre avantage plus précieux encore de cette disposition habile, dont nous parlons.

N'est-ce point cette adresse, ajouta Timagène, cet admirable enchaînement de projets, d'intrigues, d' événemens événements , qui rend si intéressante l' histoire de la conjuration contre Venise Histoire de la conjuration contre Venise , écrite par l'abbé de Saint-Réal ? Point de tableau dont l'ordonnance soit aussi heureuse. L' Auteur auteur fait d'abord connoître connaître ses principaux personnages. Leurs caracteres caractères sont bien peints. Les détails de la conjuration sont présentés avec netteté, & et dans leur place naturelle : le manége manège des conjurés, la politique de la cour d'Espagne, tout se développe sans embarras. Les reflexions naissent du sujet. Mais sur-tout surtout il ne laisse point entrevoir le succès. C'est au moment où l'entreprise va s'exécuter, que toute la trame se découvre. L'esprit a toujours été en suspens, & et l'émotion que lui cause cet événement inattendu, fait sur lui le même effet que la catastrophe d'une tragédie.

Ce sont là de ces ouvrages qu'on lit toujours avec un nouveau plaisir, reprit Euphorbe. L'abbé de Vertot excelle aussi dans cette espèce d'enchantement ; & et s'il n'eût pas quelquefois sacrifié la vérité à l'intérêt, il auroit aurait peut-être atteint la perfection dans son genre. Il nous conduit comme par la main d' événemens événements en événemens événements  : à chaque instant, la curiosité augmente, & et le temps qu'on emploie à le suivre paroît paraît toujours trop court. Thucidide charge souvent son récit, jusqu'à fatiguer son lecteur ; Tacite voit par-tout partout de la politique, de l'intrigue & et de la dissimulation. Ce n'est point là la marche de la nature. Elle est aisée à saisir : sans chercher -du du mystere mystère où il n'y en a point, elle expose les motifs, qui sont ordinairement différens différents selon les différens différents génies  ; enfin elle n'attribue point à des vues secrettes secrètes & et à des méditations profondes, ce qui n'est souvent l'effet que de l'accident le plus commun.

Puisque l'ordre est le pere père de la variété & et de l'intérêt, répliqua Timagène, je ne voudrois voudrais point d'autre ornement dans l'histoire. Cette espece espèce de composition est toute autre que la poësie poésie . Si je m'en souviens bien, Lucien a dit quelque part02 Quomodò scrib. Hist., que charger un récit historique de louanges outrées & et d' ornemens ornements poëtiques poétiques , ou oratoires, c'est habiller un Athlete athlète en comédienne, c'est représenter Hercule filant aux pieds d'Omphale. En effet, la poësie poésie semble annoncer par ses charmes, que son but principal est de plaire ; l'histoire, au contraire, par son sérieux, nous prévient d'abord qu'elle veut nous instruire.

Je connois connais toute la sévérité de Lucien sur cet article, répondit Euphorbe. Néanmoins cet ingénieux critique, dans l'ouvrage même que vous citez,03 Ibid. veut que l'expression de l'historien approche quelquefois du sublime de la poësie poésie , sur-tout surtout dans les descriptions des batailles. L'histoire & et la poësie poésie ont un même but principal ; c'est de nous être utiles : mais elles y vont par des routes différentes. Celle-ci étale à nos ieux yeux tout l'éclat, toute la pompe d'une brillante imagination : celle-là porte un air plus austère, & et sans rejetter rejeter les ornemens ornements qui lui sont propres, elle se contente de les voiler assez pour que le lecteur ait peine à les découvrir. L'ordre même y produiroit produirait difficilement les deux grands effets qui vous charment, la variété & et l'intérêt, s'il n' empruntoit empruntait des ressorts étrangers, tels que les descriptions, les portraits, le pathétique, les réflexions, les anecdotes frappantes , les pensées même & et la beauté de l'expression. Tout cela doit marcher d'un pas égal sous les enseignes de la vérité.

Si vous le trouvez bon, reprit Timagène en riant, passons en revue votre petite armée. Nous sommes ici à portée de trouver des exemples, dans toutes les parties que vous venez de nommer. Nous nous sommes déjà entretenus des descriptions & et des caractères caracteres . A À ce que nous en avons dit je voudrois voudrais seulement ajouter, que dans l'histoire ces deux espèces d' ornemens ornements doivent avoir de la dignité, & et conséquemment qu'il faut y admettre du choix. C'est abuser de la complaisance du lecteur, que de lui décrire des minuties, ou de lui peindre, avec un grand détail, des personnages peu importans importants , dans le sujet qui l'occupe. Je suis toujours étonné que Sallufse nous ait donné, avec beaucoup d'appareil, un portrait de Sempronia, qui ne joue pas un assez grand rôle dans la conjuration de Catilina, pour mériter cette distinction.

Je suis encore moins indulgent que vous, poursuivit Euphorbe. Vous rejettez de l'histoire toute description minutieuse : & et moi, j'en bannis toutes celles qui ne sont pas absolument nécessaires. Ce n'est pas, en effet, la grandeur de l'objet qui décide du mérite de la description, mais le rapport qu'il a avec le but principal, que l'écrivain se propose. Un poëte poète s'amuse à peindre une affreuse tempête, un riant bocage, un magnifique palais, sans autre nécessité que d'orner son ouvrage & et de charmer son lecteur. Cette liberté n'est point accordée à l'historien. S'il décrit une campagne, c'est qu'il ne peut se dispenser de peindre la situation des lieux, pour faire entendre les différens différents mouvemens mouvements de deux armées ennemies pendant une bataille, ou dans une marche. Si Tacite fait la description de l' isle île de Caprée, c'est pour dévoiler les motifs qui engagerent engagèrent Tibere Tibère à s'y retirer.04 Solitudinem ejus placuisse maximè crediderim, quoniam importuosum circa mare, & et vix modicis navigiis pauca subsidia ; neque adpulerit quisquam, nisi gnaro custode. Cœli temperies hieme mitis, objectu montis, quo sæva ventorum arcentur : æstas in favonium obversa, & et aperto circum pelago peramœna ; prospectabatque pulcherrimum finum, antequam Vesuvius mons ardescens faciem loci verteret. Annal. lib. 4, c. 67.Je croirois croirais volontiers, dit-il, que la solitude, qui regne règne dans cette isle île , la rendit plus agréable à ce prince que toute autre. Toutes ces mers sont dépourvues de ports  : les plus petits bâtimens bâtiments ont peine à y trouver quelques secours ; & et il est impossible d'y aborder, sans être apperçu aperçu par les sentinelles. Une chaîne de montagnes met isle île à l'abri des vents froids, & et y entretient une douce température pendant la saison la plus rigoureuse. Ouverte du côté du levant, un air frais y modere modère les ardeurs de l'été, & et la mer, que l'on découvre de tous côtés, rend alors ce séjour très-agréable très agréable . Elle avoit avait en perspective un golfe charmant, avant que les éruptions brûlantes du Vésuve eussent désolé ces rivages. L'empereur cherchoit cherchait une retraite solitaire & et gracieuse. C'est sous ces deux rapports seulement qu'on nus peint celle qu'il choisit.

Je crois appercevoir apercevoir , dans ce que vous venez de lire, reprit Timagène, toutes les qualités qu'un homme de beaucoup de goût du siécle siècle dernier, exige dans cette partie de l'histoire05 Le P. Rapin, réfl. sur l'hist. art. 18.Il faut, dit-il, que les descriptions soient nécessaires, exactes, élégantes, jamais recherchées ; qu'elles n'aient rien de choquant, ni qu'on n'y voie pas trop d'envie de faire plus paroître paraître son esprit, que son sujet. Voilà précisément dans ces derniers mots la différence que vous mettiez tout-à-l'heure tout à l'heure entre la description poëtique poétique , & et l'historique. Tite-Live peut être regardé comme un modèle d'exactitude, lorsqu'il décrit une bataille : je mettrois mettrais au même rang le P. Père Daniel, dans le combat des trente, sous le Roi Jean ; dans la bataille de Bouvines, sous Philippe Auguste. Rien de plus exact que le détail des trois journées de Fribourg, sous le rwgne règne de Louis XIV, dans M. Reboulet. On voit, on suit, pour ainsi dire, des ieux yeux toutes les évolutions & et tous les mouvemens mouvements des combattans combattants . Mais pour l'élégance, sans recherche & et sans affectation, je me déclare sur-tout surtout pour deux morceaux que j'ai envie de relire encore ici avec vous. Le premier est tiré des révolutions d'Angleterre Révolutions d'Angleterre . C'est la description du combat où Henri VI & et la reine Marguerite furent défaits par Edouard IV, près de la ville d'Yorck.06 Rév. d'Ang. l. 6.Les deux armées, s'étant rencontrées le dimanche des Rameaux, assez proche des bourgades de Saxton & et de Touton, une vaste prairie fut le champ d'une des plus mémorables batailles, dont on eut oui ouï parler de long-temps longtemps . On combattit durant deux jours, avec ce que l'on pourroit pourrait mieux appeller fureur que courage. Edouard avoit avait défendu qu'on fît des prisonniers, & et ordonné qu'on passât tout au fil de l'épée. Il pouvoit pouvait épargner à sa gloire cet ordre plus digne d'un désespéré, que d'un grand capitaine & et d'un prince chrétien. L'acharnement des deux partis à s'entredétruire l'un l'autre, parut dans cette action plus que jamais. On commença ce rude choc par combattre dix heures, sans que l'on perdit rien du terrein terrain que l'on avoit avait d'abord occupé. On tomboit tombait , mais on ne reculoit reculait pas, & et les files de derriere derrière remplaçoient remplaçaient , avec un ordre que la chaleur du combat ne dérégloit déréglait point, ceux que l'on tuoit tuait dans les premieres premières  ; de sorte que si les deux grands chefs de la faction d'Yorck n' avoient avaient fait des choses au-dessus même des hommes extraordinaires, on pourroit pourrait dire que cette bataille se seroit serait moins décidée par la valeur & et par la science de la guerre, que par la force & et le travail des bras, & et et que si les Lancastres céderent cédèrent , ce fut que leurs gens furent plutôt plus tôt las que les autres. Encore ne céderent cédèrent -ils point en fuyant, pour quitter le combat ; mais en se retirant, pour reprendre haleine & et recommencer à combattre. Ainsi, tout rompus qu'ils étoient étaient , on les voyoit voyait de tous côtés se rallier en petites troupes, & et retourner à la charge en désespérés. Un jour ne suffit pas pour rendre cette victoire complete complète  : il fallut y employer le lendemain. Aussi le nombre des morts monta-t-il jusqu'à trente-six mille hommes, en comptant ceux des deux partis. On dit que la riviere rivière de Warf, dans laquelle se décharge un ruisseau jusqu'aux bords duquel on poussa les vaincus, parut tout en sang, tant il en fut versé. Quelques phrases un peu moins longues, & et quelques détails un peu plus circonstanciés, ne dépareroient dépareraient pas, je crois, l'élégance de ce tableau. L'autre est la fameuse action entre D. Sébastien, Roi de Portugal, & et Muleï Moluc, Roi de Maroc.07 Révol. de Port.Le Roi de Portugal, dit M. l'abbé de Vertot, qui croyoit croyait qu'il lui seroit serait plus difficile de joindre les ennemis que de les vaincre, s'attacha à leur poursuite : mais Moluc ne le vit pas plutôt plus tôt éloigné de la mer & et de sa flotte, qu'il fit ferme dans la plaine ; & et il étendit ensuite un grand corps de cavalerie en forme de croissant, pour enfermer toute l'armée chrétienne. Il avoit avait mis le prince Hamet, son frwre frère , à la tête de ce corps : mais, comme il n' étoit était pas prévenu en faveur de son courage, il lui dit, que c' étoit était uniquement à sa naissance qu'il devoit devait ce commandement ; mais que, s'il étoit était assez lâche pour fuir, il l' étrangleroit étranglerait de ses propres mains, & et qu'il falloit fallait vaincre ou mourir. Il se voyoit voyait mourir lui-même, & et sa foiblesse faiblesse étoit était si grande, qu'il ne douta point qu'il ne fût arrivé à son dernier jour, Il n'oublia rien dans cette extrémité pour le rendre le plus beau de sa vie. Il rangea lui-même son armée en bataille, & et donna tous les ordres avec autant de netteté d'esprit & et d'application, que s'il eût été en parfaite santé. Il étendit même sa prévoyance jusqu'aux événemens événements qui pouvaient arriver par sa mort, & et il ordonna aux officiers dont il étoit était environné, que s'il expiroit expirait pendant la chaleur du combat, on en cachât avec soin la nouvelle ..... (...). La bataille commença de part & et d'autre par des décharges d'artillerie. Les deux armées s' ébranlerent ébranlèrent ensuite, & et se chargerent chargèrent avec beaucoup de fureur : tout se mêla bientôt. L'infanterie chrétienne, soutenue des ieux yeux de son Roi, fit plier sans peine celle des Maures, la plupart composée d'Alarbes08 C'est-à-dire, arabes. Le terme, sans être attesé dans les dictionnaires de référence de la présente édition, ne peut cependant être traité comme une coquille. & et de vagabonds. Le duc d'Aveïro poussa même un corps de cavalerie qui lui étoit était opposé jusqu'au centre & et à l'endroit qu' occupoit occupait le Roi du Maroc. Ce prince, voyant arriver ses soldats en désordre, & et fuyant honteusement devant un ennemi victorieux, se jetta jeta à bas de sa litière, & et plein de colere colère & et de fureur, il vouloit voulait , quoique mourant, les ramener lui-même à la charge. Ses officiers s' opposoient opposaient envain en vain à son passage; il se fit faire jour à coups d'epée : mais ses efforts achevant de consommer ses forces, il tomba évanoui dans les bras de ses écuyers : on le remit dans sa litiere litière  ; & et il n'y fut pas plutôt, qu'ayant mis son doigt sur sa bouche, comme pour leur recommander le secret, il expira dans le moment, & et avant même qu'on eût pu le conduire jusqu'à sa tente. Sa mort demeura inconnue aux deux partis. Les chrétiens paroissoient paraissaient jusques-là jusque-là avoir de l'avantage : mais la cavalerie des Maures, qui avoit avait formé un grand cercle, se resserrant à mesure que ses extrémités se rapprochoient rapprochaient , acheva d'envelopper la petite armée de D. Sébastien. Les Maures chargerent chargèrent ensuite de tous côtés la cavalerie Portugaise. Ces troupes accablées par le nombre, tomberent tombèrent en se retirant sur leur infanterie, & et elles y porterent portèrent , avec la crainte, le désordre & et la consufion. Les infidèles se jetterent jetèrent aussitôt, le cimetere cimeterre 09 Selon le Dictionnaire de L'Académie française (4e éd., 1762), une cimeterre est un « grand coutelas recourbé qui ne tranche que d'un côté. » à la main, dans ces baraillons ouverts & et renversés, & et ils vainquirent des gens étonnés & et déjà vaincus par une frayeur générale. Ce fut moins, dans la suite, un combat qu'un carnage. Les uns, se mettoient mettaient à genoux pour demander la vie, d'autrès, cherchoient cherchaient leur salut dans la fuite : mais comme ils étoient étaient enveloppés de tous côtés, ils rencontroient rencontraient par-tout partout l'ennemi & et la mort. L'mprudent D. Sébastien périt dans cettte occasion, soit qu'il n'eût pas été reconnu dans le désordre d'une fuite, ou qu'il eût voulu se faire tuer lui-même, pour ne pas survivre à la perte de tant de gens de qualité, que les Maures avoient avaient massacrés, & et que lui-même avoit avait , pour ainsi dire, entraînés à la boucherie. Quel feu, quelle élégance, & et quelle netteté dans ces détails ! que de naturel, & et en même-temps même temps de beauté, dans cette pensée au sujet de Moluc, qui se voyant au dernier de ses jours, voulut le rendre le plus beau de sa vie !

Ce stile style sage & et pourtant animé, répartit Euphorbe, n'est-il pas préférable à ces grands lieux communs, à cette pompe étudiée, dont on nous régale souvent en pareilles occasions? L'embarras & et le désordre sont insupportables dans la description d'une bataille : ils le sont encore plus dans le détail de ces événemens événements plus tranquilles, où le lecteur de sang froid examine à loisir toutes les parties du spectacle qu'on lui présente. La clarté, l'élégance & et l'exactitude, y sont d'autant plus nécessaires, que les objets sont plus compliqués, ou plus importans importants pour la suite de l'histoire. On sait quelle confusion regne règne dans une ville soulevée contre son Roi. L'auteur des révolutions d'Angleterre Révolutions d'Angleterre , nous a donné une description bien faite de l'état affreux où étoit était la ville de Londres, pendant la tenue du Parlement de 1641. Elle peut servir de modèle pour les faits de la premiere première espece espèce .10 Rév. d'Angl. 1. 9. Le tumulte, dit-il, alloit allait toujours en augmentant. Le Roi ne pouvoit pouvait paroître paraître dans Londres, qu'on ne lui criât de toutes parts : les priviléges privilèges du Parlement, les priviléges privilèges du Parlement. Le peuple vouloit voulait dire par-là par là ce que les Puritains expliquoient expliquaient plus nettement dans les compagnies, que le Roi avoit avait violé les priviléges privilèges de cette assemblée. On poussa l'insolence si loin, qu'un ministre nommé Walker jetta jeta dans le carosse du Roi un libelle fait contre lui. On venoit venait jusque dans son palais, tumultuairement & et en troupes, lui dire des injures en face, pendant que le Parlement, feignant de n'être pas en sureté à Westminster, se retira dans la ville pour en augmenter le tumulte, demanda des gardes, & et refusant ceux que le Roi lui vouloit voulait donner, en prit de dévoues à la faction. Durant ce temps-là, on semoit semait mille bruits des desseins du Roi sur la ville, la plupart incroyables & et extravagans extravagants , mais crus néanmoins, & et ayant le même effet pour émouvoir la multitude, que s'ils eussent été les plus vraisemblables. Le Roi se préparoit préparait , disoit disait -on, à venir avec les papistes exterminer les protestans protestants . On voyoit voyait déjà des troupes paroître paraître . Digby & et Lansfort étoient étaient à Kinston avec un corps de cavalerie, & et n' attendoient attendaient que d'être mandés. Ces fausses nouvelles qui se disoient disaient le jour dans toutes les maisons de la ville, & et qui se crioient criaient la nuit par les rues, remplissoient remplissaient Londres d'une terreur & et d' un une confusion si étranges, qu'on ne voyoit voyait dans toutes les places que des troupes de gens en armes, des corps-de-gardes, des retranchemens retranchements , des barricades, des chaînes tendues & et d'autres semblables préparatifs pour repousser les efforts du Roi. Les serviteurs de ce monarque craignant pour lui, de leur côté lui vinrent offrir leurs services. Le même historien peut apprendre avec quel soin, avec quelle noble simplicité, il faut détailler un fait dont les circonstances peuvent avoir des conséquences sérieuses pour l'avenir. Prenons celui de la déposition de Richard II, Roi d'Angleterre. Tous les événemens événements ici, même ceux qui semblent les plus légers, peuvent être utiles ou funestes à l'usurpateur ; peuvent servir à excuser sa révolte, ou réserver une ressource au Roi détrôné. Voici comme ils sont décrits.11 Rév. d'Angl. to. 2, l. 5. On convint avec le Roi du jour de cette triste cérémomonie cérémonie ;12 La coquille évidente, dans l'original, est sans doute liée au passage à la ligne qui se trouve au même endroit. car on voulut, pour rendre la chose plus authentique, qu'elle fût solemnelle. Au jour marqué, on s'assembla dans une salle de la tour, où tout le monde s'étant placé, le Roi parut, la couronne en tête, revêtu du manteau royal, & et tenant le sceptre en main : & et après avoir dit quelques mots rapportés différemment par les historiens, & et assez peu dignes de l'être, il mit son sceptre & et sa couronne entre les mains du duc de Lancastre, disant qu'il y renonçoit renonçait en sa faveur. Le duc les ayant pris, les donna comme en dépôt au primat du royaume. Ensuite l'acte d'abdication, qui avoit avait été dressé par des notaires, ayant été signé par les témoins, chacun se retira chez soi, en attendant l'ouverture du Parlement, où l'affaire se devoit devait consommer. Ce fut le jour de S. Saint Michel que commencerent commencèrent les séances de cette célébre célèbre assemblée. La premiere première chose qu'on y fit, fut de présenter l'acte d'abdication qui fut juridiquemenr accepté ; ensuite en suite de quoi, sous prétexte de donner un nouveau droit au duc de Lancastre de prendre possession du royaume, le Parlement se confirma dans l'usurpation du droit qu'il s'attribue sur la personne des Rois ; car non content de ratifier la démission volontaire de Richard, il y ajouta la déposition. Son procès lui fut fait dans les formes, partie sur. sur sa démission même, par laquelle ils disoient disaient qu'il se confessoit confessait incapable de gouverner ; partie sur les crimes dont on l' accusoit accusait compris en trente-trois articles, qui se peuvent réduire à la mort du duc de Glocestre & et de ses partisans, à l'exil du duc de Lancastre & et de l'archevêque de Cantorbéri Cantorbery , à l'affectation de la puissance arbitraire, à la dissipation des finances, à des parjures, à des manquemens manquements de paroles & et de bonne foi. Sur quoi on lui prononça son arrêt, par lequel il fut déclaré incapable de gouverner le royaume, & et déposé de la royauté. On crut lui faire grace grâce de lui laisser la vie ; mais on le priva de la liberté par les ordres qui furent donnés de le tenir en prison perpétuelle, d'éloigner de lui tous les amis, & et de ne lui laisser de commerce qu'avec ceux qu'on choisit pour le garder. Ces sortes de descriptions ont moins de feu & et d'agrément, que les vôtres, mais elles sont comunément communément plus utiles ; & et vous savez que dans l'histoire l'utile doit marcher avant l'agréable.

Vous me soupçonnez quelquefois, continua Timagene, d'aimer les ornemens ornements du stile style un peu plus qu'il ne faut : voyez combien je suis raisonnable. Je souscris à ce que vous venez de dire ; & et je crois même que ce précepte s'étend sur les portraits autant que sur les descriptions. Je suis persuadé que, dans un caractere caractère , l' Auteur auteur doit s'occuper beaucoup plus de bien faire connoître connaître son héros, que de prouver son esprit & et l'adresse de son pinceau. L'historien, remarque Lucien,13 [Grec.] Quomodo scrib. Hist. doit considérer qu'il écrit pour la postérité, & et non pas seulement pour ceux de son siécle siècle . II doit donc peindre ses personnages si ressemblans ressemblants , qu'on ne puisse s'y méprendre & et les confondre avec aucun autre, même sans les avoir jamais pratiqués. Qu'après cela, il s'étudie à y répandre un coloris gracieux, c'est un mérite de plus. Je vois peu d'écrivains qui nous ait mieux fait connoître connaître Walstein, que Sarrasin dans l'histoire qu'il nous a laissée de la conspiration tramée par ce fameux capitaine, contre l'empereur à qui il devoit devait sa fortune. Voici le portrait qu'il en fait. Walstein eut l'esprit grand & et hardi, mais inquiet & et ennemi du repos : le corps vigoureux & et haut : le visage plus majestueux, qu'agréable. Il fut naturellement fort sobre ; ne dormant presque point ; travaillant toujours ; supportant aisément le froid & et la faim ; fuyant les délices, & et surmontant les incommodités de la goutte & et de l'âge par la tempérance & et par l'exercice ; parlant peu, pensant beaucoup, écrivant lui-même toutes ses affaires : vaillant & et judicieux à la guerre, admirable à lever & et à faire subsister les armées, sévere sévère à punir les soldats, prodigue à les récompenser, pourtant avec choix & et dessein : toujours ferme contre le malheur, civil dans le besoin, ailleurs orgueilleux & et fier : ambitieux sans mesure, envieux de la gloire d'autrui, jaloux de la sienne ; implacable dans la haine, cruel dans la vangeance vengeance , prompt à la colère colere  ; ami de la magnificence, de l'ostentation & et de la nouveauté : extravagant en apparence, mais ne faisant rien sans dessein, & et ne manquant jamais du prétexte du bien public, quoiqu'il rapportât tout à l'accroissement de sa fortune : méprisant la religion qu'il faisoit faisait servir à sa politique : artificieux au possible, & et principalement à paroître paraître désintéresse : au reste, très-curieux très curieux & et très-clairvoyant très clairvoyant dans les desseins des autres ; très-avisé très avisé à conduire les siens ; sur-tout surtout adroit à les cacher, & et d'autant plus impénétrable, qu'il affectoit affectait en public la candeur & et la liberté, & et blâmoit blâmait en autrui la dissimulation dont il se servoit servait en toutes choses. N'est-il pas vrai que ce portrait seroit serait achevé, si l'on en supprimoit supprimait quelques traits qui semblent répétés ?

Je voudrois voudrais en retrancher aussi, reprit Euphorbe, quelques négligences de stile style . Mais le temps où il ecrivoit ecrivait , n' étoit était encore pour ainsi dire, que l'aurore de la belle littérature. Voyons-en quelques autres dessinés dans les plus beaux jours du siécle siècle dernier ; ce siécle siècle rival, & et peut-être vainqueur du siécle siècle d'Auguste. L'abbé de S. Saint Réal nous trace ainsi le portrait du marquis de Bedemar.14 Conj. contre Ven. Don Alphonse de la Cueva, marquis de Bedemar, ambassadeur ordinaire à Venise, étoit était l'un des plus puissans puissants génies & et des plus dangereux esprits que l'Espagne ait jamais produits. On voit par les écrits qu'il a laisses, qu'il possédoit possédait tout ce qu'il y a dans les historiens anciens & et modernes, qui peut former un homme extraordinaire. ll comparoit comparait les choses qu'ils racontent, avec celles qui se passoient passaient de son temps. Il observoit observait exactement les différences & et les ressemblances des affaires, & et combien ce qu'elles ont de différent, change ce qu'elles ont de semblable. Il portoit portait d'ordinaire son jugement sur l'issue d'une entreprise, aussi-tôt aussitôt qu'il en savoit savait le plan & et les fondemens fondements . S'il trouvoit trouvait par la suite qu'il n'eût pas deviné, il remontoit remontait à la source de son erreur, & et tâchoit tâchait de découvrir ce qui l' avoit avait trompé. Par cette étude, il avoit avait compris quelles sont les voies sûres, les véritables moyens & et les circonstances capitales qui présagent un bon succès aux grands desseins, & et qui les font presque toujours réussir. Cette pratique continuelle de lecture, de méditation & et d'observation des choses du monde, l' avoit avait élevé à un tel point de sagacité, que ses conjectures sur l'avenir passoient passaient presque dans le conseil d'Espagne, pour des prophéties. A À cette connoissance connaissance profonde de la nature des grandes affaires, étoient étaient joints des talens talents singuliers pour les manier, une facilité de parler & et d'écrire avec un agrément inexprimable ; un instinct merveilleux pour se connoître connaître en hommes ; un air toujours gai & et ouvert, où il paroissait paraissait plus de feu que de gravité, éloigné de la dissimulation, jusqu'à approcher de la naïveté ; une humeur libre & et complaisante, d'autant plus impénétrable, que tout le mondé croyoit croyait la pénétrer ; des manieres manières tendres, insinuantes & et flatteuses, qui attiroient attiraient le secret des cœurs les plus difficiles à s'ouvrir ; toutes les apparences d'une entiere entière liberté d'esprit dans les plus cruelles agitations. Ne trouvez-vous pas là cette fidélité, cette expression que vous demandiez il n'y a qu'un moment ? Le premier coup de pinceau nous peint déjà en racourci quel est l'homme dont il s'agit : c'est un puissant génie & et un esprit très-dangereux très dangereux . Ces deux traits joints à une étude profonde, & et à tous les talens talents propres à séduire, forment un sujet capable de tout entreprendre & et de tout exécuter, & et à qui rien ne manquoit manquait pour être le premier mobile de cette fameuse conjuration qui pensa renverser l'état de Venise. A À la suite de ce caractere caractère , mettons celui de Henri III, Roi d'Angleterre. Il est écrit avec autant de fidélité & et avec plus d'élégance encore.15 Révol. d'Angl. l. 3. Henri, dit l' Auteur auteur , se trouva en prenant les rênes de la monarchie, dans un état bien éloigné de celui qui lui convenoit convenait . Chargé d'affaires à négocier, & et de querelles à soutenir ; engagé au-dehors à réparer des pertes qu'il n' avoit avait pas faites, mais qu'on lui reprochoit reprochait , tandis qu'il ne les réparoit réparait pas ; troublé au-dedans par une ligue opiniâtre à lui demander des priviléges privilèges qui le dégradoient dégradaient , il se vit, avec de grands besoins & et une plus grande inclinaision à la dépense, dans un royaume épuisé d'argent, dépendant pour en avoir, de ceux-même ceux mêmes 16 Même est ici un adjectif, et non un adverbe. dont il le devoit devait tirer. Il auroit aurait fallu, pour soutenir le poids de sa couronne en ces conjonctures, un grand génie, un bon politique, un esprit vif & et pénétrant, des vues étendues & et assurées, du courage & et de la fermeté, de l'habileté & et un grand savoir faire savoir-faire pour manier tant d'esprits fâcheux, pour en occuper d'inquiets, pour en contenter de difficiles : & et c'est ce que Henri n' avoit avait pas. C' étoit était un esprit mou, facile à rebuter ; faisant des amis par bonté, & et les abandonnant par foiblesse faiblesse  ; voulant & et commençant avec ardeur, mais ne suivant & et ne finissant rien ; hautain, mais soutenant mal ses hauteurs ; hardi à demander, & et propre à recevoir un refus ; ayant d'assez bonnes vues, mais prenant mal ses mesures, & et n'usant presque jamais qu'à contre-temps, ou de la vigueur, ou de la souplesse, qui eussent fait en lui de fort bons effets, s'il eût mieux su les mettre en œuvre. Vous remarquez, sans doute, avec quelle adresse l'historien nous expose la difficulté des circonstances ou se trouva ce prince. Le contraste des qualités qui lui eussent été nécessaires avec celles qu'il avoit avait , fait sortir davantage les traits de son caractere caractère , qui sont alors sur nous le présage des malheurs qu'il éprouva pendant son régne règne .

Je lisois lisais il y a quelques jours, répliqua Timagène, dans un Auteur auteur estimable d'ailleurs, un caractere caractère qui ne me paroît paraît pas à beaucoup près aussi-bien aussi bien fait que ceux-là. C'est celui de Philippe duc d'Anjou, frere frère de Louis XIV. Il n'est pas long ; il ne vous ennuyera ennuiera pas ; & et c'est peut-être là son plus grand mérite. Le voici.17 Hist. du regne de Louis XIV, t. 3. Ce prince étoit était bien différent du Roi, & et quoiqu'il eut beaucoup d'esprit, & et qu il fut déjà parvenu à sa dix-huitieme année, il n' avoit avait ni solidité ni expérience, ce qui le rendoit rendait non-seulement non seulement incapable de gouverner, mais même de connoître connaître ses véritables intérêts ; en sorte qu'il y avoit avait à craindre que ses confidens confidents , auxquels ils se livroient il se livrait , ne lui fissent faire bien des fautes, en lui donnant de mauvais conseils. Je ne sais pas comment on peut accuser un jeune prince de dix-huit ans de manquer d'expérience. A-t-on droit d'en attendre à cet âge ? La solidité n'est pas non plus le défaut ordinaire de la première jeunesse. Mais je conçois encore moins comment, avec beaucoup d'esprit, on peut être incapable de connoître ses véritables intérêts. Tout ce portrait se réduit à deux défauts qui appartiennent plus à l'âge qu'à la personne ; & et on ne nous apprend rien, ou presque rien, des vices particuliers du prince, de ses vertus, de ses passions : car enfin il devoit devait en avoir qui lui fussent propres, comme le reste des hommes. Il semble néanmoins que l' Auteur auteur avoit avait un moyen bien facile de faire connoître connaître le duc d'Anjou, en le comparant avec le Roi son frere frère . Ses premiers mots paroissent paraissent même annoncer ce dessein, & et il ne tenoit tenait qu'à lui de poursuivre le parallèle parallele . Cette manière maniere de peindre a toujours l'avantage de représenter dans un seul tableau deux hommes illustres, & et de les mettre l'un & et l'autre dans un plus grand jour par l'opposition de leurs qualités réciproques. Salluste a mieux saisi l'occasion. Quelle énergie, quelle vérité dans le beau parallele parallèle qu'il fait de Caton & et de César ?18 His genus, stras-, eloquentia propexqua* lia fuêre : magnitudo animi par, item gloria; fed alia alii. Cxfar beneficiis ac munificentiâ magnus habebatur ; inregrirate vitæ , Cato. Ille mansuctudine & et miserteordiâ clarus fac-tu» : huic severius dignitatcm addiderat. C*«far dando, sublcvando , ignofeendo ; Cato , nihil largiundo, glomrn adcptus est. In al-tero miseris perfugium , in altero malis pernicies. Illius facilitas , hu)us conftan-tia laudabatut. Poftrcmo Casser in anitnum induxerat laborare ; vigilare ; negotiis amico-rom intentus sua negligcre; nihil denegare, quod dono dignum essec ; sibi magnum impe-rium , exercitum, bellum novum exoptabat, ubi virtus enitcfcere posset. At Catoni üudiuinmodeftiæ , decoris , sed maxime severitatil erar. Non divitiis cum divite , nequc factionc Cum factiofo , sed cum ftrenuo virtute , cura modefto pudore , cum innocente abftincnti.i certabat ; esse , quàm videri bonus malebat : ita quö minus gloriam petcbat, eö magis ad-fequebatur. De bel. Cai.Pour la naissance, l'âge & et l'éloquence, ces deux hommes célébres célèbres n' avoient avaient presque aucun avantage l'un sur l'autre : même grandeur d'âme dans tous les deux, même célébrité ; mais ils l' avoient avaient méritée par des moyens bien différens différents . César s' étoit était fait un grand nom par ses bienfaits & et sa magnificence ; Caton, par son innocence : celui-Ià devoit devait son éclat à sa douceur, à sa sensibilité ; celui-ci s' étoit était rendu respectable par sa sévérité. César acheta la gloire aux prix des largesses, des grâces graces , des secours de toute espèce espece  : Caton l'obtint par une économie inflexible. L'un étoit était l'asile des malheureux ; l'autre, le fléau des méchans méchants . On aimoit aimait dans le premier, un caractere caractère doux & et traitable ; on estimoit estimait dans le second, une fermeté à toute épreuve. En un mot, César s' étoit était proposé de n'épargner ni veilles ni travaux pour réussir ; de se livrer tout entier aux affaires de ses amis, même aux dépens des siennes ; de ne rien refuser de tout ce qu'il pouvoit pouvait accorder avec bienséance : il desiroit desirait quelque grand emploi, le commandement d'une armée, une nouvelle guerre, ou son mérite put paroître paraître avec éclat. Mais toutes les inclinations de Caton étoient étaient pour la simplicité, la décence, & et sur tout surtout pour la sévérité. Il ne disputoit disputait point en opulence avec les riches, en intrigues avec les factieux ; mais en courage avec les plus braves, en retenue avec les plus réservés, en régularité avec les plus vertueux. Plus jaloux d'être homme de bien, que de le paroître paraître , il arrivoit arrivait d'autant plus surement à la gloire, qu'il la recherchoit recherchait avec moins d'empressement. Voilà ce qui s'appelle peindre les hommes. J' apperçois aperçois déjà dans le premier un génie trop ambitieux & et trop adroit pour ne pas arriver à la souveraine puissance ; & et dans l'autre un caractère trop vertueux & et trop inflexible, pour demeurer paisiblement son sujet.

Je ne vois rien, poursuivit Euphorbe, qui soit plus capable d'attacher un lecteur intelligent aux événemens événements qu'on lui raconte que ces sortes de caracteres caractères . En lui faisant bien connoître connaître les principaux personnages, on lui procure le plaisir de juger lui-même leurs projets & et leurs actions. Il prend parti dans leurs querelles; il s'affecte, il se passionne en faveur de celui ci, contre celui-là. Après le pathétique, c'est cette espece espèce d'ornement qui jette dans le récit historique le plus vif intérêt.

J'ai bien entendu parler du pathétique dans les pieces pièces d'éloquence, interrompit Timagène ; mais je ne soupçonnois soupçonnais pas qu'il trouvât sa place dans l'histoire. Je lui en accorderois accorderais une tout au plus dans la tragédie & et dans l'épopée.

Dans l'histoire, reprit Euphorbe, il est moins étudié, moins artificiel ; mais son effet n'en est que plus puissant, parce qu'il est soutenu de la vérité. Il consiste à recueuillir, avec soin, jusqu'aux moindres circonstances d'un fait propre à exciter la compassion, à les développer avec assez d'adresse pour faire croître successivement cette émotion, qui nous plaît même en nous arrachant des larmes. Dans la poësie poésie , dans l' éloquence éloquence, le pathétique n'est presque qu'un enfant de l'art : ici l'écrivain n'a rien autre chose à faire, que de profiter habilement des événemens événements , où il se présente de lui-même. Avez-vous jamais pu lire, sans être ému, l'histoire de Coriolan dans Tite-Live, celle de Virginie, la peinture de la consternation de Rome, après la bataille de Cannes ?

Je vous avoue mon ingratitude, répondit Timagene. En faisant ces lectures, trop occupé, fans doute, de l'objet en lui-même, je n'ai jamais su aucun gré à l' Auteur auteur des pleurs qu'il me faisoit faisait verser. Je ne songeois songeais pas même qu'il pût y avoir quelque part. Je lui rends maintenant toute la reconnoissance reconnaissance que je lui dois. Je vois qu'il a eu soin de réunir les circonstances les plus capables de faire impression sur moi. Mais à propos de cela, je ne vois pas pourquoi vous avez dit tout-à-l'heure tout à l'heure que, parmi les circonstances, il falloit fallait recueuillir recueillir jusqu'aux plus légéres légères . Ce choix me paroît paraît peu propre à produire un grand effet.

Celui du pathétique, répartit Euphorbe, dépend très-souvent très souvent de cette attention. Un geste, un coup-d'œuil, un mot, qui par eux-mêmes ne sont rien, dans bien des occasions sont le trait perçant qui pénétre pénètre jusqu'au cœur.19 Cyrop. l. 7. Panthée, épouse d'Abradate, avoit avait fait faire à son mari une superbe armure pour combattre dans l'armée de Cyrus contre Crésus. Elle ne l' avoit avait point prévenu de ces préparatifs. Le jour même de la bataille où ce malheureux prince perdit la vie, Panthée lui apporte ce présent, & et veut l'en revêtir de ses propres mains. Mais, en lui rendant ce tendre service, elle laisse, malgré elle, échapper des larmes : lorsqu'elle ne peut plus embrasser ce cher époux, elle baise encore le char sur lequel il est monté. Assurément ce sont des objets bien peu considérables que les pleurs d'une femme, & et ces démonstrations de tendresse qu'elle étend jusqu'au char, qui porte son mari : ce sont néanmoins ces objets qui touchent, qui ébranlent dans ce récit.

Ce que vous venez de dire, répliqua Timagène, me rappelle ce fait singulier arrivé sous l'empereur Conrad III. Ce prince assiégeoit assiégeait la ville de Lansperg. Les femmes lui envoyerent envoyèrent demander un saufconduit pour sortir de la ville. L'empereur l'accorda : il fit plus ; il leur permit d'emporter avec elles ce qu'elles pourroient pourraient porter de plus précieux. Qui ne croiroit croirait qu'elles se chargèrent chargerent de leurs pierreries & et de leurs bijoux ? Point du tout. On les vit sortit toutes portant leurs maris sur leurs épaules. Cette anecdote est bien dans le genre dont vous parlez. Par elle-même, elle semble peu digne de la majesté de l'histoire : mais elle laisse dans l' âme ame un sentiment d'admiration & et de tendresse qui la releve relève au-dessus des événemens événements les plus sérieux.

Ajoutons à cela, poursuivit Euphorbe, que quand il s'agit d'un homme distingué, sur-tout surtout dans une occasion critique, tout nous intéresse ; & et dès-lors dès lors rien n'est petit, rien n'est à négliger.20 Révol. de Port. Révolution de Portugal. Vasconcellos, caché dans un armoire sous un monceau de papiers, & et découvert par un signe que fit aux meurtriers une vieille servante, est un objet plus frappant pour nous, que si on se contentoit de nous dire, qu'il fut trouvé dans son appartement par les conjurés, & et percé de mille coups.21 Il est question ici de Miguel de Vasconcelos (ou Vasconcellos, 1590-1640), un homme d'État portugais. Depuis le moment où le duc de Montmorenci Montmorency est condamné à mort, jusqu'à celui où il périt sur l' échaffaud échafaud , toutes ses démarches, toutes ses actions, ses paroles sur-tout surtout , ses discours, tels qu'ils sont dans l'exacte vérité, sont autant de ressorts du pathétique, qui mettent en mouvement la sensibilité.22 Il s'agit de Henri II de Montmorency (1595-1632), exécuté à Toulouse le 30 octobre 1632. Voyons, dans l'exemple présent, de quelle maniere manière un habile historien a su profiter de ces secours, en racontant ce triste événement.23 Hist. de Louis XIII Histoire du règne de Louis XIII par le P. Père Griffer, vol. 2.24 Il s'agit de l'Histoire du règne de Louis XIII, roi de France et de Navarre(3 vol. in-4°, Paris: Les libraires associés, 1758), par Henri Griffet (1698-1771). Toute la ville de Toulouse retentissoit retentissait de gémissemens gémissements & et de pleurs. Chacun frémissait frémissoit à la vue de l'appareil tragique de l'exécution qui le préparait préparoit  : les courtisans eux-mêmes osoient osaient paroître paraître affligés : le peuple accouroit accourait en foule dans les églises pour prier Dieu de fléchir le cœur du Roi. Plusieurs crioient criaient dans les rues, grace grâce , grace grâce , miséricorde, miséricorde ; & et leurs cris se faisoient faisaient entendre jusques jusque dans l'archevêché où le Roi étoit était logé. Le maréchal de Châtillon en prit occasion de lui dire, que les sentimens sentiments de compassion & et de douleur qu'il voyoit voyait peints dans les ieux yeux & et sur le visage de tous ceux qui l' environnoient environnaient , l' avertissoient avertissaient qu'il feroit ferait plaisir à beaucoup de personnes, s'il pardonnoit au duc de Montmorenci Montmorency . Je ne serois serais pas roi, reprit le monarque inflexible, si j' avois avais les sentimens sentiments des particuliers. Le comte de Charlus avoit avait été chargé d'aller demander au duc, de la part du Roi, le cordon de l'ordre du Saint-Esprit & et le bâton de maréchal de France. Lorsqu'il se fut acquitté de cette commission, Monsieur & et cher cousin, lui dit le duc, je rends volontiers & et le bâton & et l'ordre à mon Roi, puisqu'il juge que je suis indigne de sa grace grâce . Le comte partit aussi-tôt aussitôt pour aller chez le Roi, qu'il trouva occupé à jouer aux échecs avec M. de Liancourt. Louis avoit avait le déplaisir de voir que celui qui jouoit jouait avec lui & et tous les courtisans qui entroient entraient dans le cabinet, ne pouvoient pouvaient retenir leurs larmes. Sire, lui dit le comte de Charlus, je viens de la part de M. de Montmorenci Montmorency vous apporter son collier de l'ordre & et son bâton de maréchal de France, dont vous l'aviez ci-devant honoré, & et vous dire en même-temps même temps qu'il meurt avec un sensible déplaisir de vous avoir offensé ; & et que bien loin de se plaindre de la mort à laquelle il est condamné, il la trouve trop douce par rapport au crime qu'il a commis. En prononçant ces paroles, le comte se mit à genoux ; & et embrassant les pieds du Roi, qu'il arrosoit arrosait de ses larmes ; ah Sire ! lui dit-il, que votre majesté fasse grace grâce à M. de Montmorenci Montmorency . Ses ancêtres ont si bien servi les Rois, vos prédécesseurs : faites-lui grace grâce , Sire . Tous ceux qui étoient étaient dans le cabinet se mirent aussi à genoux , & et demanderent demandèrent grace grâce en pleurant. Non, dit le Roi d'un air chagrin, il n'y a point de grace grâce  ; il faut qu'il meure. On ne doit pas être fâché de voir mourir un homme qui l'a si bien mérité. On doit seulement le plaindre de ce qu'il est tombé par sa faute dans un si grand malheur. Allez lui dire, ajoutat-il, que toute la grace grâce que je puis lui faire, c'est que le bourreau ne le touchera point, qu'il ne lui mettra point la corde sur les épaules, & et qu'il ne fera que lui couper le cou. Launay, étant aller allé trouver le Roi une seconde fois, ceux qui étoient étaient avec le duc de Montmorenci Montmorency eurent encore un moment d'espérance, qui s'évanouit à son retour.... Il me semble que vous êtes à-peu-près dans le même état que les courtisans de Louis XIII, & et que vous avez peine à retenir vos larmes. Poursuivons. Launay étant revenu de chez le Roi, livra le duc de Montmorenci au grand-prévôt ; & et le duc comprit alors qu'il n'y avoit avait plus d'espérance. Il pria le P. Père Arnoux & et trois autres Jésuites qui l' accompagnoient accompagnaient , de ne pas l'abandonner, & et de lui aider à25 Le Grevisse permet la construction. mourir chrétiennement. Son chirurgien s'étant approché pour lui couper les cheveux, le duc s' apperçut aperçut qu'il étoit était tout en pleurs, & et qu'il n' avoit avait pas la force de lui rendre ce dernier devoir. Un historien dit même qu'il s'évanouit. Le duc lui dit : Comment vous, qui m'exhortiez si souvent à recevoir tous les maux, comme venans venants de la main de Dieu, vous êtes aujourd'hui plus affligé que moi ! Consolez-vous, Lucante, je veux vous embrasser, & et vous dire le dernier adieu, pendant que j'ai les mains libres. Il l'embrassa en effet en le priant de se souvenir de lui. Il tendit ensuite ses bras à l'exécuteur, & et voulut être lié, quoiqu'on lui eût dit que le Roi l' avoit avait dispensé de cette ignominie. Il souffrit patiemment que l'exécuteur lui coupât les cheveux, & et lui découvrit le col & et une partie des épaules. Il s'avança ensuite, tenant un crucifix entre ses mains, pour aller à l' échaffaud échafaud . Les portes de l'hôtel-de-ville étoient étaient fermées ; & et il n'y avoit dans la cour que le grand-prévôt avec ses archers, le greffier du Parlement, les Capitouls & et les officiers du corps de ville, qui avoient avaient eu ordre d'assister à l'exécution en habit de cérémonie. Le duc en entrant dans cette cour, remarqua la statue de Henri IV, qui est posée au-dessus de la porte inférieure de l' hôtel-de-ville hôtel de ville de Toulouse : il s'arrêta un moment pour la considérer ; & et le P. Père Arnoux lui ayant demandé s'il desiroit desirait quelque chose : non, mon pere père , lui dit-il : je regardois regardais l'effigie de ce grand monarque, qui étoit était un très-bon très bon & et très-généreux très généreux prince, de qui j' avois avais l'honneur d'être filleul. Allons, mon pere père , voici le seul & et le plus assuré chemin du paradis. Etant arrivé au pied de l' échaffaud échafaud , il pria un des Jésuites jésuites qui accompagnoient accompagnaient le P. Père Arnoux, de faire en sorte que sa tête ne tombât point à terre, & et de la recueuillir recueillir , s'il étoit était possible. Il salua tous ceux qui étoient étaient dans la cour, & et les pria de dire au Roi qu'il mouroit mourait son très-humble très humble sujet, & et avec un regret extrême de l'avoir offensé. II monta ensuite sur l'échaffaud ; se mit à genoux ; baisa le crucifix, que le P. Père Arnoux retira de ses mains ; reçut une dernière derniere absolution, & et se recommanda aux prières prieres des Jésuites jésuites qui l' assistoient assistaient . Le billot sur lequel il devoit devait recevoir le coup de la mort s'étant trouvé trop bas, il eut de la peine à s'y appuyer, à cause de la blessure qu'il avoit avait à la gorge. Il dit à I'exécuteur d'attendre pour le frapper, qu'il se fût mis dans une situation moins douloureuse ; & et lorsqu'il l'eut trouvée, frappez hardiment, lui dit-il ; & et s'écria aussitôt, Seigneur Jésus, recevez mon ame âme . A peine eut-il prononcé ces paroles, que le bourreau lui trancha la tête d'un seul coup, pendant que tous les assistans assistants fondoient fondaient en larmes. Outre les détails & et le choix des circonstances, ses discours mêlés dans ce récit produisent le plus grand effet sur des cœurs sensibles. Ils nous dévoilent dans cet illustre criminel une ame âme tranquille & et grande sous le glaive d'un bourreau, & et , ce qui peut être est plus difficile encore, dans l'abbatement du repentir.

Il y a long-temps longtemps , ajouta Timagène, que j'ai éprouvé pour la première premiere fois, ce que peut un discours touchant pour émouvoir l' ame âme . Celui que Germanicus mourant adresse à ses amis m'a coûté autrefois bien des larmes. Je me le rappelle encore avec attendrissement.26 Si fato concederem, justus mihi dolor etiam adversus Deos estet, quod me parentibus, liberis, patriæ, intra juventam præmaturo exitu raperent : nunc scelere Pisonis & et Plancinæ interceptus, ultimas preces pectoribus vestris relinquo : referatis patri ac fratri, quibus acerbitatibus dilaceratus, quibus insidiis circumventus, miserrimam vitam pessimâ morte finierim. Si quos spes meæ, si quos propinquus sanguis, etiam quos invidia erga viventem movebat, inlacrymabunt, quondam florentem, & et tot bellorum superstitem, mulie-[p387]bri fraude cecidisse. Erit vobis locus querendi apud senatum, invocandi leges. Non hoc praecipuum amicorum munus est, prosequi defunctum ignavo questu ; sed quæ voluerit, meminisse, quae mandaverit exequi. Flebunt Germanicum etiam ignoti : vindicabitis vos, si me potius quàm fortunam meam fovebatis. Ostendite populo Romano divi Augusti neptem, eandemque conjugem meam : numerate sex libe-[p388]ros. Misericordia cum accusantibus erit, fingentibusque scelesta mandata aut non credent homines, aut non ignoscent. Tac. Annal. Tacite, Annales, lib. 2. c. 70. Si je périssois périssais par un accident naturel, dit ce héros, il semble que j' aurois aurais un juste sujet de me plaindre des Dieux mêmes, qui par une mort prématurée m' enleveroient enleveraient dans la fleur de la jeunesse à ma famille, à mes enfans enfants , à ma patrie ; mais je succombe aujourd'hui sous la scélératesse de Pison & et de Plancine. C'est dans vos cœurs que je dépose mes dernières dernieres prières prieres . Allez rapporter à mon pere père & et à mon frwre frère , quels maux j'ai soufferts, quels piéges pièges on m'a tendus, quelle mort cruelle a terminé la plus triste des vies. Ceux que mes espérances où les liens du sang m' attachoient attachaient , ceux même qui ne voyoient voyaient mes succès qu'avec un œuil œil jaloux, donneront des larmes à mes malheurs : ils s'indigneront qu'un jeune prince au sein de la gloire, échappé à tant de hasards & et de combats, soit péri par les artifices d'une femme. Que de raisons n'aurez-vous pas de porter vos plaintes au sénat, d'invoquer ses loix lois  ! Arroser de pleurs stériles les cendres d'un ami, n'est pas le plus important des devoirs de l'amitié : c'est de se rappeller, c'est d'exécuter ses dernieres dernières volontés. Laissez les étrangers même pleurer Germanicus ; vengez-moi, vous, si vous étiez plus attachés à moi, qu'à ma fortune. Montrez aux Romains la princesse mon épouse, la petite-fille d'Auguste ; présentez-Ieur six princes, fruits de cette heureuse union : la pitié due à mes malheurs appuyera vos accusations. Si mes ennemis s'excusent sur des ordres aussi faux que barbares, on refusera de les croire, où27 S'agit-il d'une coquille? leur crime n'en sera pas moins condamné. Quel Quels sentimens sentiments n' étoient étaient pas capables de produire ces dernieres dernières paroles, s'il est vrai qu'elles aient été prononcées par Germanicus expirant ? Il faut pourtant avouer que ces sortes de discours, s'ils sont dénués de circonstances pathétiques, agitent moins vivement, que le détail de ces mêmes circonstances, quand on les supposeroit supposerait arivées de tout autre secours. Il me semble encore trouver une autre différence entre les exemples que nous avons cités. Dans le détail de la mort de Germanicus, de Virginie, du duc de Montmorenci Montmorency , je ne me sens pas affecté de la même maniere manière que quand on me rapporte le trait de Panthée, ou celui des femmes de Lansperg. Le premier sentiment a quelque chose de douloureux : il plaît ; mais la pitié qui l'accompagne, porte avec elle une espece espèce d'amertume. L'autre renferme je ne sais quoi de délicieux, & et l'admiration s'y mêle avec le plus vif intérêt.

Rien n'est plus juste, que votre remarque, repartit Euphorbe. Ce second28 Le texte original est bien second, et non pas fécond. genre de pathétique, que les Grecs nous ont désigné sous le nom d'[grec], prouve l'empire que l'honnête & et le beau ont naturellement sur nos cœurs, pour les toucher & et les émouvoir. Tout ce qui est vertueux vient se peindre dans notre ame âme , comme dans un miroir fidele fidèle , & et nous force d'admirer & et d'aimer ses traits. Peut-on être insensible, par exemple, à la beauté de ce fait raconté par Pline le naturaliste ?29 L. 35, ch. 10.Démétrius fils d'Antigone, ce fameux Polyorcetes preneur de villes, formoit formait le siége siège de Rhodes. Protogène, peintre célèbre demeuroit demeurait dans un des fauxbourgs faubourgs , & et se trouvoit trouvait ainsi au milieu des troupes ennemies. La crainte du danger, les désordres si communs dans un camp, le bruit inévitable dans les travaux d'un siége siège , rien ne fut capable de lui faire abandonner son attelier atelier  ;30 La graphie de l'original est attestée chez Féraud. & et il s'occupa de son art comme auparavant. Le prince en fut instruit. Il fut curieux de le voir, & et lui demanda la cause d'une tranquillité si rare : c'est que je sais, répondit l'artiste, que vous faites la guerre aux Rhodiens, & et non pas aux arts. Cette réponse eut tout l'effet qu'on en pouvoit pouvait attendre. Démétrius fit placer une garde autour de l' attelier atelier du peintre, pour le mettre en sureté ; & et lui-même, il alloit allait souvent, pendant le siége siège , admirer les chef-d'œuvres de son pinceau.

Je vous avoue, répliqua Timagene, que ce dernier pathétique me plaît davantage que l'autre. Le premier me paroît paraît un peu Anglois anglais  : celui-ci au contraire me flatte agréablement en me faisant retrouver dans moi-même les plus beaux principes de la vertu. Cet avantage se rencontre souvent aussi dans les réflexions que fait l'historien, & et dans les anecdotes frappantes qu'il rapporte à propos.

Les unes & et les autres, reprit Euphorbe, sont d'un grand secours dans le récit historique, pourvu que les anecdotes soient utiles, & et que les réflexions soient vraies. Convient-il à la dignité de l'histoire de rapporter des événemens événements détachés de l'objet principal, s'ils n'apprennent rien, & et par la seule raison qu'ils ont quelque chose d'amusant ou de singulier ? Ces sortes de faits doivent être de quelque utilité à l' Auteur auteur , ou du moins au lecteur. A À celui-là, en lui fournissant les moyens de mettre dans un plus beau jour le génie de quelques particuliers, ou d'un peuple entier ; à celui-ci, en lui faisant naître des idées conformes à la vertu & et aux bonnes mœurs, ou en lui dévoilant les vices & et ses défauts des hommes, pour lui apprendre à s'en garantir. Comme c'est là le plus grand fruit de l'histoire & et son principal but, tout ce qui peut produire cet effet a un droit assuré d'y être admis. L'abbé de Saint-Réal, dans ses discours sur ce genre de littérature, nous montre quel fond inépuisable de réflexions fournissent ces anecdotes, pour nous aider à connoître connaître le cœur de l'homme, & et à sonder ses derniers replis. Sans m'arréter ici aux exemples qu'il cite en assez grand nombre, & et que vous pouvez consulter, je me contente de vous en rapporter deux ou trois, que j'ai lus depuis peu dans quelques ouvrages modernes. Jagellon Roi de Pologne faisoit faisait la guerre à l'ordre Teutonique.31 Il s'agit de Sigismond Ier le Vieux (1467-1548),roi de Pologne, membre de la dynastie Jagellon, qui mena la guerre entre la Pologne et les Chevaliers teutoniques (l’ordre de la Maison de sainte Marie des Teutoniques) entre 1519 et 1521. Comme il entendoit entendait la messe, on vint l'avertir coup-sur-coup que l'armée des chevaliers avançoit avançait , & et que déjà elle n' étoit était pas bien loin. Le Roi, sans s'émouvoir, continua ses prieres prières jusqu'à la fin du sacrifice. Les ennemis voyant que les Polonois Polonais ne s' ébranloient ébranlaient point, crurent qu'ils avoient avaient peur, & et leur grand maître députa au Roi de Pologne deux chevaliers, qui lui présenterent présentèrent deux épées nues & et ensanglantées, en lui disant. disant : 32 Fastes de la Pol. par M. Contant Dorville. Notre chef ne craint point de vous fournir des armes, pour vous inspirer plus de courage, sur le point d'ouvrir le combat. Si le terrein terrain où vous campez vous paroît paraît trop étroit & et trop serré pour faire vos manœuvres, nous consentons à reculer quelques pas. Jagellon, reprend l' Auteur auteur , ne daigna pas s'offenser de cette bravade. Je suis surpris, répondit-il aux députés, que votre grand maître se presse si fort de me rendre les armes. Je reçois celles que vous me présentez, avec plaisir, & et j'en tire un favorable augure pour le succès de cette journée. En effet, jamais audace ne fut punie plus cruellement. De cent quarante mille soldats, dont étoit était composée l'armée Teutonique teutonique , cinquante mille resterent restèrent sur le champ de bataille, entre lesquels on compta le grand-maître & et trois cens cents chevaliers ou commandeurs, outre quatorze mille prisonniers.33 Desit: limites de la citation. Si l'historien s' étoit était borné, comme il pouvoit pouvait le faire, à rapporter les dispositions & et le succès du combat, nous aurions moins bien connu le caractere caractère du Roi de Pologne, & et nous aurions perdu les leçons secretes secrètes que nous donnent le pieux & et l'héroïque sang-froid de ce prince, & et la juste punition d'une fanfaronade tout-à-fait tout à fait déplacée.

Il y a véritablement une epece de satisfaction, interrompit Timagène, à voir humilier ces hommes avantageux, dont le mérite assez communément ne consiste que dans l'admirable opinion qu'ils ont d'eux-mêmes. J'ai eu du plaisir ces jours-ci à lire, dans un journal bien écrit, un trait sur M. de Turenne, moins sérieux que le vôtre, mais qui est bien dans le même genre.34 An. litt. 1770, feuille 21. Un petit maître étoit assis sur le théâtre à côté du grand Turenne, à lui seul inconnu. Il s'avisa par gentillesse de lui arracher son chapeau, & et de le jetter par terre. Quelqu'un l'avertit dans ce moment, qu'il ignoroit sans doute à quel homme il se jouoit ainsi : que c'étoit le vicomte de Turenne. Celui-ci cependant ramassa tranquillement son chapeau, & et se contenta de dire à ce jeune sot, qui s'épuisoit en excuses sur ce qu'il l'avoit pris pour un autre ; eh ! Monsieur, quand ç'eût été tout autre, votre procédé n'en seroit pas plus louable. Cette scene, à mon avis, étoit plus capable d'instruire, que la piece à laquelle on étoit venu assister. Elle faisoit toucher au doigt à quels dangers s'exposent l'orgueuil & et la fatuité, qu'accompagnent d'ordinaire l'imprudence & et l'étourderie. Elle nous montre d'ailleurs toute la noblesse d'une grande ame, trop élevée au-dessus de pareilles sotises sottises 35 La graphie n'est pas attestée dans les dictionnaires de référence. pour s'en irriter & et vouloir s'en vanger venger 36 La graphie n'est pas attestée dans les dictionnaires de référence.. Les meilleures instructions sont celles qu'on puise dans la conduite des hommes. Certains traits de générosité du chevalier Bayard, la réponse qu'il fit en mourant au connétable de Bourbon, sont des leçons qui laissent des traces plus profondes encore dans le coeur, que dans l'esprit. Je n'oublierai jamais celle que Canut, Roi d'Angleterre, donna un jour à ses courtisans. Ce prince étoit sur le bord de la mer. Un flatteur s'avisa de l'appeller le Roi des Rois, le souverain de la terre & et des mers. Le héros, sans rien répondre, s'assit sur la grève. Un moment après, voyant la marée monter, il apostropha ainsi la mer : « La terre où je suis est à moi ; & et toi-même tu es soumise à ma domination. Je te commande de n'avancer pas plus loin, & et de respecter les pieds de ton Roi. »37 Desit. Limites de la citation. Cependant le flux peu respectueux n'obéissoit point & et mouilloit déjà les pieds du monarque. « Vous voyez, dit alors Canut en se tournant vers les seigneurs de sa suite, comment je suis maître de la mer. Apprenez par-là ce que c'est que la puissance des Rois de la terre, & et qu'à proprement parler, il ne faut appeller Roi que ce grand Dieu, par qui le ciel, la terre & et la mer sont gouvernés. »38 Rév. d'Angl. t. 1.Après ces mots, il alla dans l'église de S. Pierre mettre sur la tête du crucifix un diadème, dont il se servoit, & et ne voulut plus le reprendre. Cependant ce Canut n'étoit ni un visionnaire, ni un imbécille imbécile 39 La graphie est attestée dans le Dictionnaire de l'Académie (1762)..

Si j' entreprenois entreprenais d'écrire l'expédition de M. de Montcalm, poursuivit Euphorbe, je n' oublierois oublierais pas l'instruction que reçut d'un Cacique40 Cacique est le « nom qu'on donnoit aux Princes dans le Mexique et dans quelques régions de l'Amérique », selon le Dictionnaire de l'Académie (1762). cet excellent officier dans un moment de colere colère , à laquelle il s' étoit était livré contre sa coutume. « Tu es maître, dit l'indien, & et tu te fâches ! » Quels traits de lumiere lumière partent de ce peu de mots ! Il n'est presque point d'anecdote, qui puisse entrer en parallelle parallèle avec celle-là, si ce n'est peut-être la réponse de M. Fabert, depuis maréchal de France, à M. de Cinqmars.41 Il s'agit de Abraham (de) Fabert d'Esternay (1599-1662), lieutenant général puis maréchal de France, et de Henri Coiffier de Ruzé (1620-1642), marquis de Cinq-Mars, qui mena une conspiration contre Richelieu.

Vous parlez sans doute, reprit Timagene, de celle que ce brave & et vertueux guerrier fit au grand écuyer, lorsque ce dernier lui fit part de la conspiration qu'il avoit avait formée contre le cardinal de Richelieu, & et qu'il voulut l'engager dans ce complot. Vous m'obligeriez de me la rappeller ; car je vous avoue qu'il ne m'en reste plus qu'un souvenir confus.

Elle mérite assurément, repartit Euphorbe, de n'être point oubliée ;car elle met dans tout son jour la franchise de ce grand homme. La voici :42 Hist. de Louis XIII Histoire de Louis XIII , tom. tome troisieme troisième . J'ai pour maxime d'entrer dans les intérêts de mes amis, jamais dans leurs passions. Quiconque me méprise assez , pour exiger de moi ce que je crois contraire à mon honneur & et à mon devoir, me dispense par cette insulte des égards & et de la considération que je lui dois.43 Dans l'original, les guillemets initiaux manquent.

Si j' étois étais disciple de Pythagore, continua Timagène, je me persuaderois persuaderais que l' ame âme du chevalier Dayard étoit était venue animer le corps de M. Fabert, tant je trouve de ressemblance entre les vertus de ces deux grands hommes. Même droiture, même fidélité, même franchise : & et tout cela se montre dans la réponse que vous venez de rapporter. Quand on a de pareilles anecdotes à raconter, il est sage, je crois, de supprimer toutes réflexions. Le simple récit en fait naître assez : ce qu'on pourroit pourrait ajouter ne feroit ferait que distraire, & et rallentir ralentir l'impression naturelle des objets.

N'avez-vous pas remarqué, ajouta Euphorbe, ce qui arrive souvent dans la conversation ? Si un particulier dit un bon mot, & et qu'il s'avise d'en rire le premier, la compagnie garde le sérieux. La plaisanterie ne réussit que quand celui qui en est l'auteur, paroît paraît n'y prendre presque aucune part. Il en est de même dans ces saillies de génie ou de vertu, dont nous parlons. On s'indispose contre un historien, qui veut nous endoctriner mal-à-propos. Mais il est des événemens événements , des détails même d'une nature toute différente. Ils demandent d'être éclaircis ; & et d'ailleurs tous les lecteurs ne sont pas toujours capables de tirer les conséquences des faits qu'on leur met sous les ieux yeux . Dans ces circonstances, l'historien remplit son objet lorsqu'il entremêle dans son récit quelques réflexions propres à lui donner du jour. Mais pour cela, il faut quelles qu'elles soient vraies : car, comme dit un Auteur auteur ,44 Man. de bien penser Père Bouhours, Manière de bien penser dans les ouvrages d'esprit. . rien n'est plus irrégulier que de penser faux sur des événemens événements véritables. Rien de plus vrai, par exemple, que celle-ci : communi naturæ vitio fit, ut latitantibus & et incognitis rebus mugis confidamus & et vehementius exterreamur45 Caesar de bello civ. lib. 2.. Il suffit en effet de consulter l'expérience, pour convenir que c'est une foiblesse faiblesse naturelle à presque tous les hommes, de s' allarmer alarmer plus vivement ou de se rassurer davantage dans les événemens événements dont ils ignorent les causes, que dans tout autre.

La reflexion réflexion de votre Auteur auteur , répliqua Timagène, m'afflige : elle est humiliante pour l'humanité. J'aime mieux celle de Valere Valère Maxime,46 Valère Maxime (Valerius Maximus, premier siècle après J.-C.), historien et moraliste romain. à l'occasion de Tigranes Roi d'Arménie, dans l'entrevue qu'il eut avec Pompée, après sa défaite.47 Val. max. l. 5. c. 1.Ce prince s'étant jetté jeté aux pieds de son vainqueur, celui-ci le releva, & et lui rendit sa couronne, jugeant, dit l'historien, qu'il étoit était aussi beau de faire des Rois, que de les vaincre : aeque pulchrum esse judicans & et vincere reges & et facere.

Je sais, poursuivit Euphorbe, qu'on peut, sans vous déplaire, n'être pas toujours de votre avis. Ainsi, je ne crains point de remarquer que la réflexion de Valere Valère Maxime porte avec elle un air d'appareil & et des prétentions à l'esprit, que n'a point celle de César. L'une semble se proposer d'instruire son lecteur, l'autre de célébrer son Auteur auteur . Et vous conviendrez que l'utilité est le plus grand mérite d'une réflexion. Nous en avons une dans Tacite où cet avantage est frappant. Après avoir remarqué avec quelle adresse Agricola avoit avait su se ménager sous l'empire de Domitien, & et adoucir le caractere caractère farouche & et sanguinaire de ce tyran, l'historien ajoute :48 Sciant quibus moris illicita mirari, posse etiam sub malis principibus magnos viros esse, obsequiumque ac modestiam, si industria ac vigor adsint, eò laudis excedere, quò plerique per abrupta, sed in nullum reipublicae usum, ambitiosâ morte inclaruerunt. In vitae Agric. cap. 42. Que ceux qui bornent leur admiration aux entreprises audacieuses & et téméraires, apprennent, par son exemple, qu'il peut y avoir de grands hommes sous de mauvais princes, & et que la soumission & et la modération, si elles sont soutenues d'une vigueur & et d'une activité propres aux grandes affaires, peuvent arriver au même point de gloire où sont arrivés la plupart des autres, par des, procédés hardis & et violens violents , & et par une mort éclatante, mais inutile à la république. L' Auteur auteur nous présente ici le plus beau fruit du sujet qu'il traite. C'est avec le même succès que l'abbé de Vertot, après avoir peint l'obstination de D. Sebastien à faire la guerre en Afrique, contre l'avis de son conseil, insere insère ce peu de mots dans son récit :49 Révol. de Port. Révolution de Portugal. Comme si la souveraine puissance donnoit donnait une souveraineté de raison. Ce sont là des leçons utiles & et bien placées.

Vous mériteriez-bien en effet, reprit Timagène, que je prisse un peu d'humeur contre vous. Vous faites main-basse main basse impitoyablement sur tout ce qui a quelque apparence d'esprit. Vous voulez donc le bannir entièrement entierement de l'histoire ?

Je ne dis pas cela, répondit Euphorbe. Je ne prétends point exclure le morceau que vous avez cité de Valere Valère Maxime, ni même le condamner. J'établis seulement une comparaison entre les deux phrases dont il s'agit ; & et je crois que celle de César mérite mieux le nom de réflexion, que celle de Valere Valère Maxime. Changeons les livrées de cette derniere dernière  ; elle trouvera sa place parmi les pensées, qui sont un des principaux ornemens ornements du récit historique : & et celle que vous venez de rappeller rappeler , a droit assurément d'être distinguée parmi les plus belles. Cela n'est-il pas suffisant pour faire ma paix avec vous ?

Vous la faites un peu en vainqueur, repartit Timagène. Mais je renoncerois renoncerais plutôt à tous les écrivains du monde, que d'être en guerre avec vous. Quelque nom que vous donniez à ce qu'a dit Valere Valère Maxime, dès que vous l'admettez dans l'histoire, je suis content. Ce sera donc une pensée, & et même une belle pensée.

A À Dieu ne plaise, poursuivit Euphorbe, que je bannisse de l'histoire cette espèce espece d'ornement. Elle y produit le même effet que les fleurs dans un vaste parterre. On varie, on releve un récit trop sérieux ou trop uniforme, par quelques pensées nobles, délicates, pathétiques, ou même sublimes : car, comme nous l'avons déjà remarqué après le P. Père Rapin, le grand dans l'objet joint à la simplicité dans l'expression, forme souvent le sublime ; & et ces deux choses conviennent parfaitement au récit historique. D'où vous conclurez aisément que ces sortes de pensées dont nous nous sommes déjà entretenus, peuvent trouver place dans l'histoire, & et qu'on peut leur appliquer tout ce que nous en avons deja dit en général.

Je viens de lire, reprit Timagène, dans une description du triomphe de Constantin, après sa victoire sur Maxence, une pensée bien noble & et bien frappante, à l'occasion de la tête du tyran que l'on portoit portait dans ce triomphe.

50 Suberat adhuc saevitia, & et horrendae frontis minas mors ipsa non vicerat. Nazaire, panég. de Const. le Grand. Dans ses ieux yeux éteints, dit l'orateur, on démêloit démêlait encore la barbarie & et la cruauté ; & et la mort même n' avoit avait pu adoucir l'air farouche & et menaçant de son front.

Cette pensée, repartit Euphorbe, figureroit figurerait aussi-bien aussi bien dans une histoire que dans un panégyrique. Elle est pleine de grandeur & et de majesté, sans avoir d'enflure. Elle n'a point l'affectation de celle de Florus, dans sa description de la bataille de Tarente. Non content d'avoir dit des soldats tués dans ce combat,51 Relictae in vultibus minae, & et in ipsâ morte ira vivebat. leur front portoit portait encore un air menaçant, il ajoute, & et leur fureur vivoit vivait après leur mort. Celle-ci m'en rappelle une autre de Paterculus, qui est à peu-près peu près dans le même goût. A À l'occasion du corps de Pompée inhumé sur le rivage, & et couvert d'un peu de sable, il s'exprime ainsi ;52 In tantum in illo riro discordante for-[p404]tunâ, ut cui modò ad victoriam terra defuerat, deesset ad sepulturam. Vel. Paterc. lib. 2. dans ce grand'homme la fortune fut bien peu d'accord avec elle-même. Cette même terre, qui peu de temps auparavant, n' avoit avait pas suffi à ses victoires manquoit manquait alors à sa sépulture. Voilà bien de la recherche ; mais, est-ce là du beau ? Au reste, pour vous avouer mon goût particulier, les pensées dont je fais le plus de cas, sont celles qu'on nomme délicates.

Si j'ai bonne mémoire, interrompit Timagène, nous avons dit que la pensée délicate étoit était celle qui procuroit procurait à l'esprit un charme secret, en lui faisant concevoir beaucoup plus qu'elle ne sembloit semblait exprimer.53 Voir le cinquième entretien, pages 267-268. Il sera question à nouveau de la pensée délicate au onzième entretien, pages 565-566. Vous-en rappelleriez-vous quelques-unes de ce genre ?

Elles ne sont pas fort communes, répondit Euphorbe. Tacite nous en fournira un exemple. En parlant de Galba, il dit ;54 Major privato visus dum privatus fuit ; [p405] & et omnium consensu capax imperii, nisi imperasset. Tant que ce prince fut simple particulier, il parut au-dessus de son état ; & et tout l'univers l'eut jugé digne du trône, s'il n'y fut jamais monté. C'est ce qu'a répété un de nos poëtes poètes à l'occasion de Henri III.

Telle brille au second rang, qui s' éclypse éclipse au premier.

Je me rappelle encore d'avoir vu quelque part cette pensée, au sujet de Louis XIV. Il ne fait la guerre, que pour rendre les peuples heureux, en se les asujettissant, & et il a trouvé dans la victoire quelque chose de plus glorieux que la victoire même. Il ne faut qu une attention médiocre, pour appercevoir la richesse & et la fécondité de ces pensées. Celle de Tacite, par exemple, me fait concevoir que des talens talents & et des vertus propres à établir la réputation d'un particulier, ne suffisent pas à un souverain : elle m'apprend encore que le desir de s'avancer porte souvent les hommes à une espece espèce d'héroïsme, dont ils ne sont plus capables, lorsqu'ils ont obtenu l'objet de leurs vœux.

Ajoutons donc aussi, répliqua Timagène, que ces sortes de pensées ornent la diction, & et qu'elles sont une des principales sources de la beauté stile beauté du style  55 L'ommission de du, dans l'original, est corrigée dans les errata de l'édition originale, en fin du volume.; & et combien d'ouvrages historiques doivent au stile style leur principal succès !

Ce succès n'a rien d'étonnant, dit Euphorbe, si le stile style a les qualités que demande Cicéron :56 Nihil est in historiâ purâ & et illustri brevitate dulcius. Lib. de clar. orat. c. 120. s'il est clair, s'il est noble, s'il est concis, il porte avec lui un charme invincible. A À ce que dit ici l'orateur Romain joignons une autre qualité ; celle d'être proportionné au sujet que l'on traite, c'est-à-dire, vif & et animé dans les effets des passions violentes ; léger dans les sujets riants ; rapide & et coupé dans ceux où l'action est prompte & et intéresse par sa célérité ; mais jamais affecté ni ampoulé.

Je crois avoir lu dernierement dernièrement , reprit Timagène, un morceau d'histoire bien propre à servir d'exemple dans cette espece espèce de stile style rapide, dont vous venez de parler. Je vais le chercher dans l' Auteur auteur  : vous en jugerez vous-même. Il s'agit de la conquête de la Normandie toute entiere entière , faite par Charles VII, Roi de France, sur Henri VI, Roi d'Angleterre. Le Roi n'eut besoin que de treize mois pour terminer cette expédition, & et l'historien n'emploie que trois pages pour la raconter.57 Révol. d'Angl. Révolutions d'Angleterre, t. 2. Brezé, dit-il, prit d'abord le Pont-de-l'Arche ; Robert de Beuil, surnommé Floquet, bailli d'Evreux, prit Conches & et Verneuil. Un meûnier meunier qu'un Anglois anglais bâtit,58 Desit. livra cette derniere dernière place, l'une des plus fortes de la province. Sur quoi Charles ayant partagé ses troupes en divers petits corps, les fit entrer en même temps dans le pays par divers endroits, sous la conduite du Connétable, des ducs de Bretagne & et d'Alençon, des comtes de Dunois, de Clermont, d'Eu, de Nevers, de Saint Pol, qui, en peu de mois, réduisirent sous l'obéissance du Roi tout ce qui ne demandoit demandait pas sa présence. Pendant ce temps-là, ce monarque formoit formait une armée à Louviers, où le Roi de Sicile & et le duc du Maine l' étoient étaient venu joindre avec leurs troupes auxquelles le comte de Dunois, qu'il fit son lieutenant-général, ayant aussi joint les siennes, on marcha vers Rouen, que le Roi avoit avait résolu d'assiéger. Rouen étoit était bien pourvu d'Anglois : le régent y étoit était en personne, & et Talbot, qui valoit valait une armée, s'y étoit était renfermé avec lui : mais à la vue du Roi légitime, les habitans habitants étant entrés en différend avec les Anglois anglais , se cantonnerent cantonnèrent , traiterent traitèrent avec Charles, & et se mutinant enfin tout-à-fait, pousserent poussèrent la garnison, & et l' obligerent obligèrent à se renfermer dans le vieux palais, où le comte de Dunois l'ayant attaquée, elle se rendit par composition après quelques jours de résistance. Le duc de Sommerset se retira avec les siens en basse-Normandie, & et Talbot demeura en otage de cinquante mille écus d'or que le Régent devoit devait payer au Roi par un des articles de la capitulation. Charles ayant fait son entrée dans Rouen, poussa ses conquêtes au pays de Caux, où Harfleur l'arrêta ; mais il le prit, & et le reste plia devant lui. L'hiver qui se faisoit faisait sentir, n'empêcha pas l'armée victorieuse, animée par l'exemple de son Roi, de passer la seine & et d'assiéger Honfleur, où un gouverneur opiniâtre soutint le siége siège assez long-temps longtemps . On prit la place par composition le dix- huitieme huitième de février. La bataille de Formigny, hâta la prise de ce qui restoit restait de villes à réduire en basse-Normandie, & et abrégea fort la conquête. Le Connétable & et le comte de Clermont s' étoient étaient réunis à propos près de cette bourgade, située entre Carentan & et Bayeux, pour s'opposer à Thomas Tyrel, nouvellement arrivé d' Angletterre Angleterre avec environ trois mille hommes, auxquels s'étant joint d'autres troupes tirées des garnisons d'alentour, il s'en étoit était formé une armée, qui tenoit tenait la campagne & et reprenoit reprenait des villes. Lisieux & et Valognes avoient avaient reçu Tyrel, qui menaçoit menaçait de plus grands progrès, lorsque le comte & et le Connétable l'ayant heureusement rencontré au lieu que je viens de nommer, quoique beaucoup inférieurs en nombre, lui livrerent livrèrent bataille, le défirent, lui tuèrent près de cinq mille hommes, en prirent quatorze cent prisonniers, du nombre desquels il fut lui-même, & et ne perdirent que six soldats, circonstance qui fit passer cet événement pour miraculeux. Cette journée fut le coup fatal qui acheva de ruiner les forces des Anglois anglais en Normandie. De Formigny l'armée victorieuse se rendit à Caen, où le Roi se trouva, & et rassembla toutes ses troupes, la prise de cette ville étant une affaire décisive, qu'il ne falloit fallait pas laisser languir. Le duc de Sommerset défendit Caen en personne, comme il avoit avait défendu Rouen, & et le rendit de même par composition. Après quoi peu de places résisterent résistèrent , hormis Cherbourg, qu'on attaqua la derniere dernière  ; mais qui capitula enfin comme les autres, après un mois de siége siège , par lequel finit la conquête, environ le milieu du mois d' Août août de l'année 1450. Assurément cet historien a été plus heureux que Pélisson Pellisson- Fontanier ; car il a trouvé un Pegase Pégase assez prompt pour suivre son héros.59 Il s'agit de Paul Pellisson-Fontanier (1624-1693), homme de lettres français, et auteur d'une Histoire de l’Académie française depuis son établissement jusqu’en 1652 (2 vols., 1653).

Sa course seroit serait encore plus rapide, repartit Euphorbe, si ses phrases étoient étaient un peu moins longues : & et peut-être par-là par là remarqueroit remarquerait -on moins aussi quelques négligences dans l'expression, qui font peine dans ce morceau. Au surplus, cette rapidité de stile style n'est avantageuse que dans certains cas particuliers. Les autres qualités dont nous avons parlé, sont d'un usage plus ordinaire. Il n'est point de récit qui ne doive avoir un caractere caractère particulier, analogue au sujet qu'il détaille, & et c'est sur-tout surtout par ce rapport qu'il plaît à l'imagination. Les muses d'Hérodote auroient auraient plus de grace grâce , si elles étoient étaient moins ornées & et moins verbeuses : Thucidide au contraire, n'a rien de superflu : mais je vois peu de modeles modèles plus parfaits en ce genre que César60 De bello Gal. lib. 2., sur-tout surtout dans le récit qu'il nous fait de son expédition contre les Belges, et61 De bello civ. lib. 3. dans la description de cette fameuse journée, qui lui soumit Pompée et l'univers. Quelle noble vivacité, quelle chaleur de stile style , et en même-temps même temps quelle exactitude ! Quelle clarté et quelle sagesse ! C'est un mérite bien rare, que de savoir exécuter et raconter parfaitement d'aussi grandes choses. Mais, si je ne me trompe, j'entends un équipage qui entre dans la cour. Voilà encore quelqu'importun qui vient nous interrompre.

Allez, reprit Timagène, recevoir votre compagnie. Je vais m'amuser ici à relire les deux endroits de César que vous venez de citer, et je vous rejoindrai après les premiers complimens compliments .

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"Septième entretien. Ornements de l'histoire" de Essai sur le récit, ou Entretiens sur la manière de raconter. Édition électronique. François-Joseph Bérardier de Bataut (1720-1794) Christof Schöch Version 0.7, 09/2014

Texte libre de droits. Édition électronique publiée en ligne à l'adresse http://tapas.neu.edu/berardier/essai/ sous licence Creative Commons Attribution 3.0 (CC-BY). Republication de l'édition électronique publiée en ligne à l'adresse http://berardier.org en 2010.

Bérardier de Bataut, François-Joseph (1720-1794) Essai sur le récit, ou entretiens sur la manière de raconter Paris Charles-Pierrre Berton 1776 Format in-12, X-725 pages.

Cette édition fournit une édition accessible en ligne et commentée de l'Essai sur le récit, ou Entretiens sur la manière de raconter, par François-Joseph Bérardier de Bataut.

L'édition réunit une transcription diplomatique (graphies d'époque, coquilles, abréviations) et une version de lecture (graphies modernisées, coquilles corrigées, abréviations explicitées).

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SEPTIEME ENTRETIEN. Ornemens Ornements de l' Histoire histoire .

Le lendemain, dès le matin, Euphorbe, en entrant dans son cabinet, y trouva son ami occupé à parcourir ses livres. Vous ne savez pas, dit celui-ci, à quel objet je pensois pensais en vous attendant. J' admirois admirais la justesse de cette inscription que vous avez fait graver au-dessus de la porte ; tantùm tantum series juncturaque pollet ! La citation provient de l'Ars poetica d'Horace, v. 242. Ce vers et le suivant se trouvent cités sur la page de titre du premier volume de l'Encyclopédie des Arts et des métiers, en 1751. Outre le choix des livres, que vous avez rassemblez ici, il est difficile d'y mettre un plus bel ordre.

Une bibliothèque sans arrangement, reprir Euphorbe, devient presque inutile, par la difficulté que l'on éprouve à trouver les différens différents volumes que l'on cherche. D'ailleurs cette confusion choque la vue des gens de goût.

En effet, poursuivit Timagene, dans tout ce qui est fait pour plaire, la principale beauté vient d'un certain accord, d'une disposition heureuse, qui de plusieurs parties forme un tout gracieux, & et dont les justes proportions ravissent nôtre notre admiration. C' étoit était là, sans doute, ce que vous entendiez hier, lorsque vous mîtes l'ordre à la tête des ornemens ornements propres au récit historique.

Je ne suis pas étonné, repartit Euphorbe, que ce mot vous ait frappé. Un militaire est, pour ainsi dire, naturalisé avec l'ordre : il en sent tout le prix. Si cet ordre est indispensable dans la conduite d'une armée, il est aussi le premier & et le plus utile ornement de l'histoire. Elle lui doit cette variété, dont nous avons déjà reconnu la nécessité dans toute espèce de récit. Le dernier Auteur auteur de là vie de Louis XIII, suffit pour nous en donner la preuve. Pour épargner à son lecteur l'ennui que doit produire naturellement le détail trop uniforme des guerres qu'il est obligé de rapporter, il quitte de temps en temps les armées ; il revient à sa cour, & et fixe nos ieux yeux sur les cabales des grands, & et sur ses intrigues du cabinet. Au milieu des combats & et des sièges siéges , qu'il est forcé de décrire, il ne perd jamais de vue un ministre habile, qui lutte sans cesse contre la foiblesse faiblesse de son prince & et la jalousie des grands, autant que contre les ennemis de l'état. Ce n'est point une énumération séche sàche & et fatigante de batailles, de campemens campements & et d'opérations guerrieres guerrières . Nous voyons le jeu de la machine ; mais nous appercevons apercevons en même - temps le ressort qui la fait mouvoir. Delà De là naît l'intérêt, autre avantage plus précieux encore de cette disposition habile, dont nous parlons.

N'est-ce point cette adresse, ajouta Timagène, cet admirable enchaînement de projets, d'intrigues, d' événemens événements , qui rend si intéressante l' histoire de la conjuration contre Venise Histoire de la conjuration contre Venise , écrite par l'abbé de Saint-Réal ? Point de tableau dont l'ordonnance soit aussi heureuse. L' Auteur auteur fait d'abord connoître connaître ses principaux personnages. Leurs caracteres caractères sont bien peints. Les détails de la conjuration sont présentés avec netteté, & et dans leur place naturelle : le manége manège des conjurés, la politique de la cour d'Espagne, tout se développe sans embarras. Les reflexions naissent du sujet. Mais sur-tout surtout il ne laisse point entrevoir le succès. C'est au moment où l'entreprise va s'exécuter, que toute la trame se découvre. L'esprit a toujours été en suspens, & et l'émotion que lui cause cet événement inattendu, fait sur lui le même effet que la catastrophe d'une tragédie.

Ce sont là de ces ouvrages qu'on lit toujours avec un nouveau plaisir, reprit Euphorbe. L'abbé de Vertot excelle aussi dans cette espèce d'enchantement ; & et s'il n'eût pas quelquefois sacrifié la vérité à l'intérêt, il auroit aurait peut-être atteint la perfection dans son genre. Il nous conduit comme par la main d' événemens événements en événemens événements  : à chaque instant, la curiosité augmente, & et le temps qu'on emploie à le suivre paroît paraît toujours trop court. Thucidide charge souvent son récit, jusqu'à fatiguer son lecteur ; Tacite voit par-tout partout de la politique, de l'intrigue & et de la dissimulation. Ce n'est point là la marche de la nature. Elle est aisée à saisir : sans chercher -du du mystere mystère où il n'y en a point, elle expose les motifs, qui sont ordinairement différens différents selon les différens différents génies  ; enfin elle n'attribue point à des vues secrettes secrètes & et à des méditations profondes, ce qui n'est souvent l'effet que de l'accident le plus commun.

Puisque l'ordre est le pere père de la variété & et de l'intérêt, répliqua Timagène, je ne voudrois voudrais point d'autre ornement dans l'histoire. Cette espece espèce de composition est toute autre que la poësie poésie . Si je m'en souviens bien, Lucien a dit quelque partQuomodò scrib. Hist., que charger un récit historique de louanges outrées & et d' ornemens ornements poëtiques poétiques , ou oratoires, c'est habiller un Athlete athlète en comédienne, c'est représenter Hercule filant aux pieds d'Omphale. En effet, la poësie poésie semble annoncer par ses charmes, que son but principal est de plaire ; l'histoire, au contraire, par son sérieux, nous prévient d'abord qu'elle veut nous instruire.

Je connois connais toute la sévérité de Lucien sur cet article, répondit Euphorbe. Néanmoins cet ingénieux critique, dans l'ouvrage même que vous citez, Ibid. veut que l'expression de l'historien approche quelquefois du sublime de la poësie poésie , sur-tout surtout dans les descriptions des batailles. L'histoire & et la poësie poésie ont un même but principal ; c'est de nous être utiles : mais elles y vont par des routes différentes. Celle-ci étale à nos ieux yeux tout l'éclat, toute la pompe d'une brillante imagination : celle-là porte un air plus austère, & et sans rejetter rejeter les ornemens ornements qui lui sont propres, elle se contente de les voiler assez pour que le lecteur ait peine à les découvrir. L'ordre même y produiroit produirait difficilement les deux grands effets qui vous charment, la variété & et l'intérêt, s'il n' empruntoit empruntait des ressorts étrangers, tels que les descriptions, les portraits, le pathétique, les réflexions, les anecdotes frappantes , les pensées même & et la beauté de l'expression. Tout cela doit marcher d'un pas égal sous les enseignes de la vérité.

Si vous le trouvez bon, reprit Timagène en riant, passons en revue votre petite armée. Nous sommes ici à portée de trouver des exemples, dans toutes les parties que vous venez de nommer. Nous nous sommes déjà entretenus des descriptions & et des caractères caracteres . A À ce que nous en avons dit je voudrois voudrais seulement ajouter, que dans l'histoire ces deux espèces d' ornemens ornements doivent avoir de la dignité, & et conséquemment qu'il faut y admettre du choix. C'est abuser de la complaisance du lecteur, que de lui décrire des minuties, ou de lui peindre, avec un grand détail, des personnages peu importans importants , dans le sujet qui l'occupe. Je suis toujours étonné que Sallufse nous ait donné, avec beaucoup d'appareil, un portrait de Sempronia, qui ne joue pas un assez grand rôle dans la conjuration de Catilina, pour mériter cette distinction.

Je suis encore moins indulgent que vous, poursuivit Euphorbe. Vous rejettez de l'histoire toute description minutieuse : & et moi, j'en bannis toutes celles qui ne sont pas absolument nécessaires. Ce n'est pas, en effet, la grandeur de l'objet qui décide du mérite de la description, mais le rapport qu'il a avec le but principal, que l'écrivain se propose. Un poëte poète s'amuse à peindre une affreuse tempête, un riant bocage, un magnifique palais, sans autre nécessité que d'orner son ouvrage & et de charmer son lecteur. Cette liberté n'est point accordée à l'historien. S'il décrit une campagne, c'est qu'il ne peut se dispenser de peindre la situation des lieux, pour faire entendre les différens différents mouvemens mouvements de deux armées ennemies pendant une bataille, ou dans une marche. Si Tacite fait la description de l' isle île de Caprée, c'est pour dévoiler les motifs qui engagerent engagèrent Tibere Tibère à s'y retirer.Solitudinem ejus placuisse maximè crediderim, quoniam importuosum circa mare, & et vix modicis navigiis pauca subsidia ; neque adpulerit quisquam, nisi gnaro custode. Cœli temperies hieme mitis, objectu montis, quo sæva ventorum arcentur : æstas in favonium obversa, & et aperto circum pelago peramœna ; prospectabatque pulcherrimum finum, antequam Vesuvius mons ardescens faciem loci verteret. Annal. lib. 4, c. 67.Je croirois croirais volontiers, dit-il, que la solitude, qui regne règne dans cette isle île , la rendit plus agréable à ce prince que toute autre. Toutes ces mers sont dépourvues de ports  : les plus petits bâtimens bâtiments ont peine à y trouver quelques secours ; & et il est impossible d'y aborder, sans être apperçu aperçu par les sentinelles. Une chaîne de montagnes met isle île à l'abri des vents froids, & et y entretient une douce température pendant la saison la plus rigoureuse. Ouverte du côté du levant, un air frais y modere modère les ardeurs de l'été, & et la mer, que l'on découvre de tous côtés, rend alors ce séjour très-agréable très agréable . Elle avoit avait en perspective un golfe charmant, avant que les éruptions brûlantes du Vésuve eussent désolé ces rivages. L'empereur cherchoit cherchait une retraite solitaire & et gracieuse. C'est sous ces deux rapports seulement qu'on nus peint celle qu'il choisit.

Je crois appercevoir apercevoir , dans ce que vous venez de lire, reprit Timagène, toutes les qualités qu'un homme de beaucoup de goût du siécle siècle dernier, exige dans cette partie de l'histoireLe P. Rapin, réfl. sur l'hist. art. 18.Il faut, dit-il, que les descriptions soient nécessaires, exactes, élégantes, jamais recherchées ; qu'elles n'aient rien de choquant, ni qu'on n'y voie pas trop d'envie de faire plus paroître paraître son esprit, que son sujet. Voilà précisément dans ces derniers mots la différence que vous mettiez tout-à-l'heure tout à l'heure entre la description poëtique poétique , & et l'historique. Tite-Live peut être regardé comme un modèle d'exactitude, lorsqu'il décrit une bataille : je mettrois mettrais au même rang le P. Père Daniel, dans le combat des trente, sous le Roi Jean ; dans la bataille de Bouvines, sous Philippe Auguste. Rien de plus exact que le détail des trois journées de Fribourg, sous le rwgne règne de Louis XIV, dans M. Reboulet. On voit, on suit, pour ainsi dire, des ieux yeux toutes les évolutions & et tous les mouvemens mouvements des combattans combattants . Mais pour l'élégance, sans recherche & et sans affectation, je me déclare sur-tout surtout pour deux morceaux que j'ai envie de relire encore ici avec vous. Le premier est tiré des révolutions d'Angleterre Révolutions d'Angleterre . C'est la description du combat où Henri VI & et la reine Marguerite furent défaits par Edouard IV, près de la ville d'Yorck.Rév. d'Ang. l. 6.Les deux armées, s'étant rencontrées le dimanche des Rameaux, assez proche des bourgades de Saxton & et de Touton, une vaste prairie fut le champ d'une des plus mémorables batailles, dont on eut oui ouï parler de long-temps longtemps . On combattit durant deux jours, avec ce que l'on pourroit pourrait mieux appeller fureur que courage. Edouard avoit avait défendu qu'on fît des prisonniers, & et ordonné qu'on passât tout au fil de l'épée. Il pouvoit pouvait épargner à sa gloire cet ordre plus digne d'un désespéré, que d'un grand capitaine & et d'un prince chrétien. L'acharnement des deux partis à s'entredétruire l'un l'autre, parut dans cette action plus que jamais. On commença ce rude choc par combattre dix heures, sans que l'on perdit rien du terrein terrain que l'on avoit avait d'abord occupé. On tomboit tombait , mais on ne reculoit reculait pas, & et les files de derriere derrière remplaçoient remplaçaient , avec un ordre que la chaleur du combat ne dérégloit déréglait point, ceux que l'on tuoit tuait dans les premieres premières  ; de sorte que si les deux grands chefs de la faction d'Yorck n' avoient avaient fait des choses au-dessus même des hommes extraordinaires, on pourroit pourrait dire que cette bataille se seroit serait moins décidée par la valeur & et par la science de la guerre, que par la force & et le travail des bras, & et et que si les Lancastres céderent cédèrent , ce fut que leurs gens furent plutôt plus tôt las que les autres. Encore ne céderent cédèrent -ils point en fuyant, pour quitter le combat ; mais en se retirant, pour reprendre haleine & et recommencer à combattre. Ainsi, tout rompus qu'ils étoient étaient , on les voyoit voyait de tous côtés se rallier en petites troupes, & et retourner à la charge en désespérés. Un jour ne suffit pas pour rendre cette victoire complete complète  : il fallut y employer le lendemain. Aussi le nombre des morts monta-t-il jusqu'à trente-six mille hommes, en comptant ceux des deux partis. On dit que la riviere rivière de Warf, dans laquelle se décharge un ruisseau jusqu'aux bords duquel on poussa les vaincus, parut tout en sang, tant il en fut versé. Quelques phrases un peu moins longues, & et quelques détails un peu plus circonstanciés, ne dépareroient dépareraient pas, je crois, l'élégance de ce tableau. L'autre est la fameuse action entre D. Sébastien, Roi de Portugal, & et Muleï Moluc, Roi de Maroc.Révol. de Port.Le Roi de Portugal, dit M. l'abbé de Vertot, qui croyoit croyait qu'il lui seroit serait plus difficile de joindre les ennemis que de les vaincre, s'attacha à leur poursuite : mais Moluc ne le vit pas plutôt plus tôt éloigné de la mer & et de sa flotte, qu'il fit ferme dans la plaine ; & et il étendit ensuite un grand corps de cavalerie en forme de croissant, pour enfermer toute l'armée chrétienne. Il avoit avait mis le prince Hamet, son frwre frère , à la tête de ce corps : mais, comme il n' étoit était pas prévenu en faveur de son courage, il lui dit, que c' étoit était uniquement à sa naissance qu'il devoit devait ce commandement ; mais que, s'il étoit était assez lâche pour fuir, il l' étrangleroit étranglerait de ses propres mains, & et qu'il falloit fallait vaincre ou mourir. Il se voyoit voyait mourir lui-même, & et sa foiblesse faiblesse étoit était si grande, qu'il ne douta point qu'il ne fût arrivé à son dernier jour, Il n'oublia rien dans cette extrémité pour le rendre le plus beau de sa vie. Il rangea lui-même son armée en bataille, & et donna tous les ordres avec autant de netteté d'esprit & et d'application, que s'il eût été en parfaite santé. Il étendit même sa prévoyance jusqu'aux événemens événements qui pouvaient arriver par sa mort, & et il ordonna aux officiers dont il étoit était environné, que s'il expiroit expirait pendant la chaleur du combat, on en cachât avec soin la nouvelle ..... (...). La bataille commença de part & et d'autre par des décharges d'artillerie. Les deux armées s' ébranlerent ébranlèrent ensuite, & et se chargerent chargèrent avec beaucoup de fureur : tout se mêla bientôt. L'infanterie chrétienne, soutenue des ieux yeux de son Roi, fit plier sans peine celle des Maures, la plupart composée d'AlarbesC'est-à-dire, arabes. Le terme, sans être attesé dans les dictionnaires de référence de la présente édition, ne peut cependant être traité comme une coquille. & et de vagabonds. Le duc d'Aveïro poussa même un corps de cavalerie qui lui étoit était opposé jusqu'au centre & et à l'endroit qu' occupoit occupait le Roi du Maroc. Ce prince, voyant arriver ses soldats en désordre, & et fuyant honteusement devant un ennemi victorieux, se jetta jeta à bas de sa litière, & et plein de colere colère & et de fureur, il vouloit voulait , quoique mourant, les ramener lui-même à la charge. Ses officiers s' opposoient opposaient envain en vain à son passage; il se fit faire jour à coups d'epée : mais ses efforts achevant de consommer ses forces, il tomba évanoui dans les bras de ses écuyers : on le remit dans sa litiere litière  ; & et il n'y fut pas plutôt, qu'ayant mis son doigt sur sa bouche, comme pour leur recommander le secret, il expira dans le moment, & et avant même qu'on eût pu le conduire jusqu'à sa tente. Sa mort demeura inconnue aux deux partis. Les chrétiens paroissoient paraissaient jusques-là jusque-là avoir de l'avantage : mais la cavalerie des Maures, qui avoit avait formé un grand cercle, se resserrant à mesure que ses extrémités se rapprochoient rapprochaient , acheva d'envelopper la petite armée de D. Sébastien. Les Maures chargerent chargèrent ensuite de tous côtés la cavalerie Portugaise. Ces troupes accablées par le nombre, tomberent tombèrent en se retirant sur leur infanterie, & et elles y porterent portèrent , avec la crainte, le désordre & et la consufion. Les infidèles se jetterent jetèrent aussitôt, le cimetere cimeterre Selon le Dictionnaire de L'Académie française (4e éd., 1762), une cimeterre est un « grand coutelas recourbé qui ne tranche que d'un côté. » à la main, dans ces baraillons ouverts & et renversés, & et ils vainquirent des gens étonnés & et déjà vaincus par une frayeur générale. Ce fut moins, dans la suite, un combat qu'un carnage. Les uns, se mettoient mettaient à genoux pour demander la vie, d'autrès, cherchoient cherchaient leur salut dans la fuite : mais comme ils étoient étaient enveloppés de tous côtés, ils rencontroient rencontraient par-tout partout l'ennemi & et la mort. L'mprudent D. Sébastien périt dans cettte occasion, soit qu'il n'eût pas été reconnu dans le désordre d'une fuite, ou qu'il eût voulu se faire tuer lui-même, pour ne pas survivre à la perte de tant de gens de qualité, que les Maures avoient avaient massacrés, & et que lui-même avoit avait , pour ainsi dire, entraînés à la boucherie. Quel feu, quelle élégance, & et quelle netteté dans ces détails ! que de naturel, & et en même-temps même temps de beauté, dans cette pensée au sujet de Moluc, qui se voyant au dernier de ses jours, voulut le rendre le plus beau de sa vie !

Ce stile style sage & et pourtant animé, répartit Euphorbe, n'est-il pas préférable à ces grands lieux communs, à cette pompe étudiée, dont on nous régale souvent en pareilles occasions? L'embarras & et le désordre sont insupportables dans la description d'une bataille : ils le sont encore plus dans le détail de ces événemens événements plus tranquilles, où le lecteur de sang froid examine à loisir toutes les parties du spectacle qu'on lui présente. La clarté, l'élégance & et l'exactitude, y sont d'autant plus nécessaires, que les objets sont plus compliqués, ou plus importans importants pour la suite de l'histoire. On sait quelle confusion regne règne dans une ville soulevée contre son Roi. L'auteur des révolutions d'Angleterre Révolutions d'Angleterre , nous a donné une description bien faite de l'état affreux où étoit était la ville de Londres, pendant la tenue du Parlement de 1641. Elle peut servir de modèle pour les faits de la premiere première espece espèce .Rév. d'Angl. 1. 9. Le tumulte, dit-il, alloit allait toujours en augmentant. Le Roi ne pouvoit pouvait paroître paraître dans Londres, qu'on ne lui criât de toutes parts : les priviléges privilèges du Parlement, les priviléges privilèges du Parlement. Le peuple vouloit voulait dire par-là par là ce que les Puritains expliquoient expliquaient plus nettement dans les compagnies, que le Roi avoit avait violé les priviléges privilèges de cette assemblée. On poussa l'insolence si loin, qu'un ministre nommé Walker jetta jeta dans le carosse du Roi un libelle fait contre lui. On venoit venait jusque dans son palais, tumultuairement & et en troupes, lui dire des injures en face, pendant que le Parlement, feignant de n'être pas en sureté à Westminster, se retira dans la ville pour en augmenter le tumulte, demanda des gardes, & et refusant ceux que le Roi lui vouloit voulait donner, en prit de dévoues à la faction. Durant ce temps-là, on semoit semait mille bruits des desseins du Roi sur la ville, la plupart incroyables & et extravagans extravagants , mais crus néanmoins, & et ayant le même effet pour émouvoir la multitude, que s'ils eussent été les plus vraisemblables. Le Roi se préparoit préparait , disoit disait -on, à venir avec les papistes exterminer les protestans protestants . On voyoit voyait déjà des troupes paroître paraître . Digby & et Lansfort étoient étaient à Kinston avec un corps de cavalerie, & et n' attendoient attendaient que d'être mandés. Ces fausses nouvelles qui se disoient disaient le jour dans toutes les maisons de la ville, & et qui se crioient criaient la nuit par les rues, remplissoient remplissaient Londres d'une terreur & et d' un une confusion si étranges, qu'on ne voyoit voyait dans toutes les places que des troupes de gens en armes, des corps-de-gardes, des retranchemens retranchements , des barricades, des chaînes tendues & et d'autres semblables préparatifs pour repousser les efforts du Roi. Les serviteurs de ce monarque craignant pour lui, de leur côté lui vinrent offrir leurs services. Le même historien peut apprendre avec quel soin, avec quelle noble simplicité, il faut détailler un fait dont les circonstances peuvent avoir des conséquences sérieuses pour l'avenir. Prenons celui de la déposition de Richard II, Roi d'Angleterre. Tous les événemens événements ici, même ceux qui semblent les plus légers, peuvent être utiles ou funestes à l'usurpateur ; peuvent servir à excuser sa révolte, ou réserver une ressource au Roi détrôné. Voici comme ils sont décrits.Rév. d'Angl. to. 2, l. 5. On convint avec le Roi du jour de cette triste cérémomonie cérémonie ;La coquille évidente, dans l'original, est sans doute liée au passage à la ligne qui se trouve au même endroit. car on voulut, pour rendre la chose plus authentique, qu'elle fût solemnelle. Au jour marqué, on s'assembla dans une salle de la tour, où tout le monde s'étant placé, le Roi parut, la couronne en tête, revêtu du manteau royal, & et tenant le sceptre en main : & et après avoir dit quelques mots rapportés différemment par les historiens, & et assez peu dignes de l'être, il mit son sceptre & et sa couronne entre les mains du duc de Lancastre, disant qu'il y renonçoit renonçait en sa faveur. Le duc les ayant pris, les donna comme en dépôt au primat du royaume. Ensuite l'acte d'abdication, qui avoit avait été dressé par des notaires, ayant été signé par les témoins, chacun se retira chez soi, en attendant l'ouverture du Parlement, où l'affaire se devoit devait consommer. Ce fut le jour de S. Saint Michel que commencerent commencèrent les séances de cette célébre célèbre assemblée. La premiere première chose qu'on y fit, fut de présenter l'acte d'abdication qui fut juridiquemenr accepté ; ensuite en suite de quoi, sous prétexte de donner un nouveau droit au duc de Lancastre de prendre possession du royaume, le Parlement se confirma dans l'usurpation du droit qu'il s'attribue sur la personne des Rois ; car non content de ratifier la démission volontaire de Richard, il y ajouta la déposition. Son procès lui fut fait dans les formes, partie sur. sur sa démission même, par laquelle ils disoient disaient qu'il se confessoit confessait incapable de gouverner ; partie sur les crimes dont on l' accusoit accusait compris en trente-trois articles, qui se peuvent réduire à la mort du duc de Glocestre & et de ses partisans, à l'exil du duc de Lancastre & et de l'archevêque de Cantorbéri Cantorbery , à l'affectation de la puissance arbitraire, à la dissipation des finances, à des parjures, à des manquemens manquements de paroles & et de bonne foi. Sur quoi on lui prononça son arrêt, par lequel il fut déclaré incapable de gouverner le royaume, & et déposé de la royauté. On crut lui faire grace grâce de lui laisser la vie ; mais on le priva de la liberté par les ordres qui furent donnés de le tenir en prison perpétuelle, d'éloigner de lui tous les amis, & et de ne lui laisser de commerce qu'avec ceux qu'on choisit pour le garder. Ces sortes de descriptions ont moins de feu & et d'agrément, que les vôtres, mais elles sont comunément communément plus utiles ; & et vous savez que dans l'histoire l'utile doit marcher avant l'agréable.

Vous me soupçonnez quelquefois, continua Timagene, d'aimer les ornemens ornements du stile style un peu plus qu'il ne faut : voyez combien je suis raisonnable. Je souscris à ce que vous venez de dire ; & et je crois même que ce précepte s'étend sur les portraits autant que sur les descriptions. Je suis persuadé que, dans un caractere caractère , l' Auteur auteur doit s'occuper beaucoup plus de bien faire connoître connaître son héros, que de prouver son esprit & et l'adresse de son pinceau. L'historien, remarque Lucien,[Grec.] Quomodo scrib. Hist. doit considérer qu'il écrit pour la postérité, & et non pas seulement pour ceux de son siécle siècle . II doit donc peindre ses personnages si ressemblans ressemblants , qu'on ne puisse s'y méprendre & et les confondre avec aucun autre, même sans les avoir jamais pratiqués. Qu'après cela, il s'étudie à y répandre un coloris gracieux, c'est un mérite de plus. Je vois peu d'écrivains qui nous ait mieux fait connoître connaître Walstein, que Sarrasin dans l'histoire qu'il nous a laissée de la conspiration tramée par ce fameux capitaine, contre l'empereur à qui il devoit devait sa fortune. Voici le portrait qu'il en fait. Walstein eut l'esprit grand & et hardi, mais inquiet & et ennemi du repos : le corps vigoureux & et haut : le visage plus majestueux, qu'agréable. Il fut naturellement fort sobre ; ne dormant presque point ; travaillant toujours ; supportant aisément le froid & et la faim ; fuyant les délices, & et surmontant les incommodités de la goutte & et de l'âge par la tempérance & et par l'exercice ; parlant peu, pensant beaucoup, écrivant lui-même toutes ses affaires : vaillant & et judicieux à la guerre, admirable à lever & et à faire subsister les armées, sévere sévère à punir les soldats, prodigue à les récompenser, pourtant avec choix & et dessein : toujours ferme contre le malheur, civil dans le besoin, ailleurs orgueilleux & et fier : ambitieux sans mesure, envieux de la gloire d'autrui, jaloux de la sienne ; implacable dans la haine, cruel dans la vangeance vengeance , prompt à la colère colere  ; ami de la magnificence, de l'ostentation & et de la nouveauté : extravagant en apparence, mais ne faisant rien sans dessein, & et ne manquant jamais du prétexte du bien public, quoiqu'il rapportât tout à l'accroissement de sa fortune : méprisant la religion qu'il faisoit faisait servir à sa politique : artificieux au possible, & et principalement à paroître paraître désintéresse : au reste, très-curieux très curieux & et très-clairvoyant très clairvoyant dans les desseins des autres ; très-avisé très avisé à conduire les siens ; sur-tout surtout adroit à les cacher, & et d'autant plus impénétrable, qu'il affectoit affectait en public la candeur & et la liberté, & et blâmoit blâmait en autrui la dissimulation dont il se servoit servait en toutes choses. N'est-il pas vrai que ce portrait seroit serait achevé, si l'on en supprimoit supprimait quelques traits qui semblent répétés ?

Je voudrois voudrais en retrancher aussi, reprit Euphorbe, quelques négligences de stile style . Mais le temps où il ecrivoit ecrivait , n' étoit était encore pour ainsi dire, que l'aurore de la belle littérature. Voyons-en quelques autres dessinés dans les plus beaux jours du siécle siècle dernier ; ce siécle siècle rival, & et peut-être vainqueur du siécle siècle d'Auguste. L'abbé de S. Saint Réal nous trace ainsi le portrait du marquis de Bedemar.Conj. contre Ven. Don Alphonse de la Cueva, marquis de Bedemar, ambassadeur ordinaire à Venise, étoit était l'un des plus puissans puissants génies & et des plus dangereux esprits que l'Espagne ait jamais produits. On voit par les écrits qu'il a laisses, qu'il possédoit possédait tout ce qu'il y a dans les historiens anciens & et modernes, qui peut former un homme extraordinaire. ll comparoit comparait les choses qu'ils racontent, avec celles qui se passoient passaient de son temps. Il observoit observait exactement les différences & et les ressemblances des affaires, & et combien ce qu'elles ont de différent, change ce qu'elles ont de semblable. Il portoit portait d'ordinaire son jugement sur l'issue d'une entreprise, aussi-tôt aussitôt qu'il en savoit savait le plan & et les fondemens fondements . S'il trouvoit trouvait par la suite qu'il n'eût pas deviné, il remontoit remontait à la source de son erreur, & et tâchoit tâchait de découvrir ce qui l' avoit avait trompé. Par cette étude, il avoit avait compris quelles sont les voies sûres, les véritables moyens & et les circonstances capitales qui présagent un bon succès aux grands desseins, & et qui les font presque toujours réussir. Cette pratique continuelle de lecture, de méditation & et d'observation des choses du monde, l' avoit avait élevé à un tel point de sagacité, que ses conjectures sur l'avenir passoient passaient presque dans le conseil d'Espagne, pour des prophéties. A À cette connoissance connaissance profonde de la nature des grandes affaires, étoient étaient joints des talens talents singuliers pour les manier, une facilité de parler & et d'écrire avec un agrément inexprimable ; un instinct merveilleux pour se connoître connaître en hommes ; un air toujours gai & et ouvert, où il paroissait paraissait plus de feu que de gravité, éloigné de la dissimulation, jusqu'à approcher de la naïveté ; une humeur libre & et complaisante, d'autant plus impénétrable, que tout le mondé croyoit croyait la pénétrer ; des manieres manières tendres, insinuantes & et flatteuses, qui attiroient attiraient le secret des cœurs les plus difficiles à s'ouvrir ; toutes les apparences d'une entiere entière liberté d'esprit dans les plus cruelles agitations. Ne trouvez-vous pas là cette fidélité, cette expression que vous demandiez il n'y a qu'un moment ? Le premier coup de pinceau nous peint déjà en racourci quel est l'homme dont il s'agit : c'est un puissant génie & et un esprit très-dangereux très dangereux . Ces deux traits joints à une étude profonde, & et à tous les talens talents propres à séduire, forment un sujet capable de tout entreprendre & et de tout exécuter, & et à qui rien ne manquoit manquait pour être le premier mobile de cette fameuse conjuration qui pensa renverser l'état de Venise. A À la suite de ce caractere caractère , mettons celui de Henri III, Roi d'Angleterre. Il est écrit avec autant de fidélité & et avec plus d'élégance encore.Révol. d'Angl. l. 3. Henri, dit l' Auteur auteur , se trouva en prenant les rênes de la monarchie, dans un état bien éloigné de celui qui lui convenoit convenait . Chargé d'affaires à négocier, & et de querelles à soutenir ; engagé au-dehors à réparer des pertes qu'il n' avoit avait pas faites, mais qu'on lui reprochoit reprochait , tandis qu'il ne les réparoit réparait pas ; troublé au-dedans par une ligue opiniâtre à lui demander des priviléges privilèges qui le dégradoient dégradaient , il se vit, avec de grands besoins & et une plus grande inclinaision à la dépense, dans un royaume épuisé d'argent, dépendant pour en avoir, de ceux-même ceux mêmes Même est ici un adjectif, et non un adverbe. dont il le devoit devait tirer. Il auroit aurait fallu, pour soutenir le poids de sa couronne en ces conjonctures, un grand génie, un bon politique, un esprit vif & et pénétrant, des vues étendues & et assurées, du courage & et de la fermeté, de l'habileté & et un grand savoir faire savoir-faire pour manier tant d'esprits fâcheux, pour en occuper d'inquiets, pour en contenter de difficiles : & et c'est ce que Henri n' avoit avait pas. C' étoit était un esprit mou, facile à rebuter ; faisant des amis par bonté, & et les abandonnant par foiblesse faiblesse  ; voulant & et commençant avec ardeur, mais ne suivant & et ne finissant rien ; hautain, mais soutenant mal ses hauteurs ; hardi à demander, & et propre à recevoir un refus ; ayant d'assez bonnes vues, mais prenant mal ses mesures, & et n'usant presque jamais qu'à contre-temps, ou de la vigueur, ou de la souplesse, qui eussent fait en lui de fort bons effets, s'il eût mieux su les mettre en œuvre. Vous remarquez, sans doute, avec quelle adresse l'historien nous expose la difficulté des circonstances ou se trouva ce prince. Le contraste des qualités qui lui eussent été nécessaires avec celles qu'il avoit avait , fait sortir davantage les traits de son caractere caractère , qui sont alors sur nous le présage des malheurs qu'il éprouva pendant son régne règne .

Je lisois lisais il y a quelques jours, répliqua Timagène, dans un Auteur auteur estimable d'ailleurs, un caractere caractère qui ne me paroît paraît pas à beaucoup près aussi-bien aussi bien fait que ceux-là. C'est celui de Philippe duc d'Anjou, frere frère de Louis XIV. Il n'est pas long ; il ne vous ennuyera ennuiera pas ; & et c'est peut-être là son plus grand mérite. Le voici.Hist. du regne de Louis XIV, t. 3. Ce prince étoit était bien différent du Roi, & et quoiqu'il eut beaucoup d'esprit, & et qu il fut déjà parvenu à sa dix-huitieme année, il n' avoit avait ni solidité ni expérience, ce qui le rendoit rendait non-seulement non seulement incapable de gouverner, mais même de connoître connaître ses véritables intérêts ; en sorte qu'il y avoit avait à craindre que ses confidens confidents , auxquels ils se livroient il se livrait , ne lui fissent faire bien des fautes, en lui donnant de mauvais conseils. Je ne sais pas comment on peut accuser un jeune prince de dix-huit ans de manquer d'expérience. A-t-on droit d'en attendre à cet âge ? La solidité n'est pas non plus le défaut ordinaire de la première jeunesse. Mais je conçois encore moins comment, avec beaucoup d'esprit, on peut être incapable de connoître ses véritables intérêts. Tout ce portrait se réduit à deux défauts qui appartiennent plus à l'âge qu'à la personne ; & et on ne nous apprend rien, ou presque rien, des vices particuliers du prince, de ses vertus, de ses passions : car enfin il devoit devait en avoir qui lui fussent propres, comme le reste des hommes. Il semble néanmoins que l' Auteur auteur avoit avait un moyen bien facile de faire connoître connaître le duc d'Anjou, en le comparant avec le Roi son frere frère . Ses premiers mots paroissent paraissent même annoncer ce dessein, & et il ne tenoit tenait qu'à lui de poursuivre le parallèle parallele . Cette manière maniere de peindre a toujours l'avantage de représenter dans un seul tableau deux hommes illustres, & et de les mettre l'un & et l'autre dans un plus grand jour par l'opposition de leurs qualités réciproques. Salluste a mieux saisi l'occasion. Quelle énergie, quelle vérité dans le beau parallele parallèle qu'il fait de Caton & et de César ?His genus, stras-, eloquentia propexqua* lia fuêre : magnitudo animi par, item gloria; fed alia alii. Cxfar beneficiis ac munificentiâ magnus habebatur ; inregrirate vitæ , Cato. Ille mansuctudine & et miserteordiâ clarus fac-tu» : huic severius dignitatcm addiderat. C*«far dando, sublcvando , ignofeendo ; Cato , nihil largiundo, glomrn adcptus est. In al-tero miseris perfugium , in altero malis pernicies. Illius facilitas , hu)us conftan-tia laudabatut. Poftrcmo Casser in anitnum induxerat laborare ; vigilare ; negotiis amico-rom intentus sua negligcre; nihil denegare, quod dono dignum essec ; sibi magnum impe-rium , exercitum, bellum novum exoptabat, ubi virtus enitcfcere posset. At Catoni üudiuinmodeftiæ , decoris , sed maxime severitatil erar. Non divitiis cum divite , nequc factionc Cum factiofo , sed cum ftrenuo virtute , cura modefto pudore , cum innocente abftincnti.i certabat ; esse , quàm videri bonus malebat : ita quö minus gloriam petcbat, eö magis ad-fequebatur. De bel. Cai.Pour la naissance, l'âge & et l'éloquence, ces deux hommes célébres célèbres n' avoient avaient presque aucun avantage l'un sur l'autre : même grandeur d'âme dans tous les deux, même célébrité ; mais ils l' avoient avaient méritée par des moyens bien différens différents . César s' étoit était fait un grand nom par ses bienfaits & et sa magnificence ; Caton, par son innocence : celui-Ià devoit devait son éclat à sa douceur, à sa sensibilité ; celui-ci s' étoit était rendu respectable par sa sévérité. César acheta la gloire aux prix des largesses, des grâces graces , des secours de toute espèce espece  : Caton l'obtint par une économie inflexible. L'un étoit était l'asile des malheureux ; l'autre, le fléau des méchans méchants . On aimoit aimait dans le premier, un caractere caractère doux & et traitable ; on estimoit estimait dans le second, une fermeté à toute épreuve. En un mot, César s' étoit était proposé de n'épargner ni veilles ni travaux pour réussir ; de se livrer tout entier aux affaires de ses amis, même aux dépens des siennes ; de ne rien refuser de tout ce qu'il pouvoit pouvait accorder avec bienséance : il desiroit desirait quelque grand emploi, le commandement d'une armée, une nouvelle guerre, ou son mérite put paroître paraître avec éclat. Mais toutes les inclinations de Caton étoient étaient pour la simplicité, la décence, & et sur tout surtout pour la sévérité. Il ne disputoit disputait point en opulence avec les riches, en intrigues avec les factieux ; mais en courage avec les plus braves, en retenue avec les plus réservés, en régularité avec les plus vertueux. Plus jaloux d'être homme de bien, que de le paroître paraître , il arrivoit arrivait d'autant plus surement à la gloire, qu'il la recherchoit recherchait avec moins d'empressement. Voilà ce qui s'appelle peindre les hommes. J' apperçois aperçois déjà dans le premier un génie trop ambitieux & et trop adroit pour ne pas arriver à la souveraine puissance ; & et dans l'autre un caractère trop vertueux & et trop inflexible, pour demeurer paisiblement son sujet.

Je ne vois rien, poursuivit Euphorbe, qui soit plus capable d'attacher un lecteur intelligent aux événemens événements qu'on lui raconte que ces sortes de caracteres caractères . En lui faisant bien connoître connaître les principaux personnages, on lui procure le plaisir de juger lui-même leurs projets & et leurs actions. Il prend parti dans leurs querelles; il s'affecte, il se passionne en faveur de celui ci, contre celui-là. Après le pathétique, c'est cette espece espèce d'ornement qui jette dans le récit historique le plus vif intérêt.

J'ai bien entendu parler du pathétique dans les pieces pièces d'éloquence, interrompit Timagène ; mais je ne soupçonnois soupçonnais pas qu'il trouvât sa place dans l'histoire. Je lui en accorderois accorderais une tout au plus dans la tragédie & et dans l'épopée.

Dans l'histoire, reprit Euphorbe, il est moins étudié, moins artificiel ; mais son effet n'en est que plus puissant, parce qu'il est soutenu de la vérité. Il consiste à recueuillir, avec soin, jusqu'aux moindres circonstances d'un fait propre à exciter la compassion, à les développer avec assez d'adresse pour faire croître successivement cette émotion, qui nous plaît même en nous arrachant des larmes. Dans la poësie poésie , dans l' éloquence éloquence, le pathétique n'est presque qu'un enfant de l'art : ici l'écrivain n'a rien autre chose à faire, que de profiter habilement des événemens événements , où il se présente de lui-même. Avez-vous jamais pu lire, sans être ému, l'histoire de Coriolan dans Tite-Live, celle de Virginie, la peinture de la consternation de Rome, après la bataille de Cannes ?

Je vous avoue mon ingratitude, répondit Timagene. En faisant ces lectures, trop occupé, fans doute, de l'objet en lui-même, je n'ai jamais su aucun gré à l' Auteur auteur des pleurs qu'il me faisoit faisait verser. Je ne songeois songeais pas même qu'il pût y avoir quelque part. Je lui rends maintenant toute la reconnoissance reconnaissance que je lui dois. Je vois qu'il a eu soin de réunir les circonstances les plus capables de faire impression sur moi. Mais à propos de cela, je ne vois pas pourquoi vous avez dit tout-à-l'heure tout à l'heure que, parmi les circonstances, il falloit fallait recueuillir recueillir jusqu'aux plus légéres légères . Ce choix me paroît paraît peu propre à produire un grand effet.

Celui du pathétique, répartit Euphorbe, dépend très-souvent très souvent de cette attention. Un geste, un coup-d'œuil, un mot, qui par eux-mêmes ne sont rien, dans bien des occasions sont le trait perçant qui pénétre pénètre jusqu'au cœur.Cyrop. l. 7. Panthée, épouse d'Abradate, avoit avait fait faire à son mari une superbe armure pour combattre dans l'armée de Cyrus contre Crésus. Elle ne l' avoit avait point prévenu de ces préparatifs. Le jour même de la bataille où ce malheureux prince perdit la vie, Panthée lui apporte ce présent, & et veut l'en revêtir de ses propres mains. Mais, en lui rendant ce tendre service, elle laisse, malgré elle, échapper des larmes : lorsqu'elle ne peut plus embrasser ce cher époux, elle baise encore le char sur lequel il est monté. Assurément ce sont des objets bien peu considérables que les pleurs d'une femme, & et ces démonstrations de tendresse qu'elle étend jusqu'au char, qui porte son mari : ce sont néanmoins ces objets qui touchent, qui ébranlent dans ce récit.

Ce que vous venez de dire, répliqua Timagène, me rappelle ce fait singulier arrivé sous l'empereur Conrad III. Ce prince assiégeoit assiégeait la ville de Lansperg. Les femmes lui envoyerent envoyèrent demander un saufconduit pour sortir de la ville. L'empereur l'accorda : il fit plus ; il leur permit d'emporter avec elles ce qu'elles pourroient pourraient porter de plus précieux. Qui ne croiroit croirait qu'elles se chargèrent chargerent de leurs pierreries & et de leurs bijoux ? Point du tout. On les vit sortit toutes portant leurs maris sur leurs épaules. Cette anecdote est bien dans le genre dont vous parlez. Par elle-même, elle semble peu digne de la majesté de l'histoire : mais elle laisse dans l' âme ame un sentiment d'admiration & et de tendresse qui la releve relève au-dessus des événemens événements les plus sérieux.

Ajoutons à cela, poursuivit Euphorbe, que quand il s'agit d'un homme distingué, sur-tout surtout dans une occasion critique, tout nous intéresse ; & et dès-lors dès lors rien n'est petit, rien n'est à négliger. Révol. de Port. Révolution de Portugal. Vasconcellos, caché dans un armoire sous un monceau de papiers, & et découvert par un signe que fit aux meurtriers une vieille servante, est un objet plus frappant pour nous, que si on se contentoit de nous dire, qu'il fut trouvé dans son appartement par les conjurés, & et percé de mille coups.Il est question ici de Miguel de Vasconcelos (ou Vasconcellos, 1590-1640), un homme d'État portugais. Depuis le moment où le duc de Montmorenci Montmorency est condamné à mort, jusqu'à celui où il périt sur l' échaffaud échafaud , toutes ses démarches, toutes ses actions, ses paroles sur-tout surtout , ses discours, tels qu'ils sont dans l'exacte vérité, sont autant de ressorts du pathétique, qui mettent en mouvement la sensibilité.Il s'agit de Henri II de Montmorency (1595-1632), exécuté à Toulouse le 30 octobre 1632. Voyons, dans l'exemple présent, de quelle maniere manière un habile historien a su profiter de ces secours, en racontant ce triste événement. Hist. de Louis XIII Histoire du règne de Louis XIII par le P. Père Griffer, vol. 2. Il s'agit de l'Histoire du règne de Louis XIII, roi de France et de Navarre(3 vol. in-4°, Paris: Les libraires associés, 1758), par Henri Griffet (1698-1771). Toute la ville de Toulouse retentissoit retentissait de gémissemens gémissements & et de pleurs. Chacun frémissait frémissoit à la vue de l'appareil tragique de l'exécution qui le préparait préparoit  : les courtisans eux-mêmes osoient osaient paroître paraître affligés : le peuple accouroit accourait en foule dans les églises pour prier Dieu de fléchir le cœur du Roi. Plusieurs crioient criaient dans les rues, grace grâce , grace grâce , miséricorde, miséricorde ; & et leurs cris se faisoient faisaient entendre jusques jusque dans l'archevêché où le Roi étoit était logé. Le maréchal de Châtillon en prit occasion de lui dire, que les sentimens sentiments de compassion & et de douleur qu'il voyoit voyait peints dans les ieux yeux & et sur le visage de tous ceux qui l' environnoient environnaient , l' avertissoient avertissaient qu'il feroit ferait plaisir à beaucoup de personnes, s'il pardonnoit au duc de Montmorenci Montmorency . Je ne serois serais pas roi, reprit le monarque inflexible, si j' avois avais les sentimens sentiments des particuliers. Le comte de Charlus avoit avait été chargé d'aller demander au duc, de la part du Roi, le cordon de l'ordre du Saint-Esprit & et le bâton de maréchal de France. Lorsqu'il se fut acquitté de cette commission, Monsieur & et cher cousin, lui dit le duc, je rends volontiers & et le bâton & et l'ordre à mon Roi, puisqu'il juge que je suis indigne de sa grace grâce . Le comte partit aussi-tôt aussitôt pour aller chez le Roi, qu'il trouva occupé à jouer aux échecs avec M. de Liancourt. Louis avoit avait le déplaisir de voir que celui qui jouoit jouait avec lui & et tous les courtisans qui entroient entraient dans le cabinet, ne pouvoient pouvaient retenir leurs larmes. Sire, lui dit le comte de Charlus, je viens de la part de M. de Montmorenci Montmorency vous apporter son collier de l'ordre & et son bâton de maréchal de France, dont vous l'aviez ci-devant honoré, & et vous dire en même-temps même temps qu'il meurt avec un sensible déplaisir de vous avoir offensé ; & et que bien loin de se plaindre de la mort à laquelle il est condamné, il la trouve trop douce par rapport au crime qu'il a commis. En prononçant ces paroles, le comte se mit à genoux ; & et embrassant les pieds du Roi, qu'il arrosoit arrosait de ses larmes ; ah Sire ! lui dit-il, que votre majesté fasse grace grâce à M. de Montmorenci Montmorency . Ses ancêtres ont si bien servi les Rois, vos prédécesseurs : faites-lui grace grâce , Sire . Tous ceux qui étoient étaient dans le cabinet se mirent aussi à genoux , & et demanderent demandèrent grace grâce en pleurant. Non, dit le Roi d'un air chagrin, il n'y a point de grace grâce  ; il faut qu'il meure. On ne doit pas être fâché de voir mourir un homme qui l'a si bien mérité. On doit seulement le plaindre de ce qu'il est tombé par sa faute dans un si grand malheur. Allez lui dire, ajoutat-il, que toute la grace grâce que je puis lui faire, c'est que le bourreau ne le touchera point, qu'il ne lui mettra point la corde sur les épaules, & et qu'il ne fera que lui couper le cou. Launay, étant aller allé trouver le Roi une seconde fois, ceux qui étoient étaient avec le duc de Montmorenci Montmorency eurent encore un moment d'espérance, qui s'évanouit à son retour.... Il me semble que vous êtes à-peu-près dans le même état que les courtisans de Louis XIII, & et que vous avez peine à retenir vos larmes. Poursuivons. Launay étant revenu de chez le Roi, livra le duc de Montmorenci au grand-prévôt ; & et le duc comprit alors qu'il n'y avoit avait plus d'espérance. Il pria le P. Père Arnoux & et trois autres Jésuites qui l' accompagnoient accompagnaient , de ne pas l'abandonner, & et de lui aider àLe Grevisse permet la construction. mourir chrétiennement. Son chirurgien s'étant approché pour lui couper les cheveux, le duc s' apperçut aperçut qu'il étoit était tout en pleurs, & et qu'il n' avoit avait pas la force de lui rendre ce dernier devoir. Un historien dit même qu'il s'évanouit. Le duc lui dit : Comment vous, qui m'exhortiez si souvent à recevoir tous les maux, comme venans venants de la main de Dieu, vous êtes aujourd'hui plus affligé que moi ! Consolez-vous, Lucante, je veux vous embrasser, & et vous dire le dernier adieu, pendant que j'ai les mains libres. Il l'embrassa en effet en le priant de se souvenir de lui. Il tendit ensuite ses bras à l'exécuteur, & et voulut être lié, quoiqu'on lui eût dit que le Roi l' avoit avait dispensé de cette ignominie. Il souffrit patiemment que l'exécuteur lui coupât les cheveux, & et lui découvrit le col & et une partie des épaules. Il s'avança ensuite, tenant un crucifix entre ses mains, pour aller à l' échaffaud échafaud . Les portes de l'hôtel-de-ville étoient étaient fermées ; & et il n'y avoit dans la cour que le grand-prévôt avec ses archers, le greffier du Parlement, les Capitouls & et les officiers du corps de ville, qui avoient avaient eu ordre d'assister à l'exécution en habit de cérémonie. Le duc en entrant dans cette cour, remarqua la statue de Henri IV, qui est posée au-dessus de la porte inférieure de l' hôtel-de-ville hôtel de ville de Toulouse : il s'arrêta un moment pour la considérer ; & et le P. Père Arnoux lui ayant demandé s'il desiroit desirait quelque chose : non, mon pere père , lui dit-il : je regardois regardais l'effigie de ce grand monarque, qui étoit était un très-bon très bon & et très-généreux très généreux prince, de qui j' avois avais l'honneur d'être filleul. Allons, mon pere père , voici le seul & et le plus assuré chemin du paradis. Etant arrivé au pied de l' échaffaud échafaud , il pria un des Jésuites jésuites qui accompagnoient accompagnaient le P. Père Arnoux, de faire en sorte que sa tête ne tombât point à terre, & et de la recueuillir recueillir , s'il étoit était possible. Il salua tous ceux qui étoient étaient dans la cour, & et les pria de dire au Roi qu'il mouroit mourait son très-humble très humble sujet, & et avec un regret extrême de l'avoir offensé. II monta ensuite sur l'échaffaud ; se mit à genoux ; baisa le crucifix, que le P. Père Arnoux retira de ses mains ; reçut une dernière derniere absolution, & et se recommanda aux prières prieres des Jésuites jésuites qui l' assistoient assistaient . Le billot sur lequel il devoit devait recevoir le coup de la mort s'étant trouvé trop bas, il eut de la peine à s'y appuyer, à cause de la blessure qu'il avoit avait à la gorge. Il dit à I'exécuteur d'attendre pour le frapper, qu'il se fût mis dans une situation moins douloureuse ; & et lorsqu'il l'eut trouvée, frappez hardiment, lui dit-il ; & et s'écria aussitôt, Seigneur Jésus, recevez mon ame âme . A peine eut-il prononcé ces paroles, que le bourreau lui trancha la tête d'un seul coup, pendant que tous les assistans assistants fondoient fondaient en larmes. Outre les détails & et le choix des circonstances, ses discours mêlés dans ce récit produisent le plus grand effet sur des cœurs sensibles. Ils nous dévoilent dans cet illustre criminel une ame âme tranquille & et grande sous le glaive d'un bourreau, & et , ce qui peut être est plus difficile encore, dans l'abbatement du repentir.

Il y a long-temps longtemps , ajouta Timagène, que j'ai éprouvé pour la première premiere fois, ce que peut un discours touchant pour émouvoir l' ame âme . Celui que Germanicus mourant adresse à ses amis m'a coûté autrefois bien des larmes. Je me le rappelle encore avec attendrissement.Si fato concederem, justus mihi dolor etiam adversus Deos estet, quod me parentibus, liberis, patriæ, intra juventam præmaturo exitu raperent : nunc scelere Pisonis & et Plancinæ interceptus, ultimas preces pectoribus vestris relinquo : referatis patri ac fratri, quibus acerbitatibus dilaceratus, quibus insidiis circumventus, miserrimam vitam pessimâ morte finierim. Si quos spes meæ, si quos propinquus sanguis, etiam quos invidia erga viventem movebat, inlacrymabunt, quondam florentem, & et tot bellorum superstitem, mulie-[p387]bri fraude cecidisse. Erit vobis locus querendi apud senatum, invocandi leges. Non hoc praecipuum amicorum munus est, prosequi defunctum ignavo questu ; sed quæ voluerit, meminisse, quae mandaverit exequi. Flebunt Germanicum etiam ignoti : vindicabitis vos, si me potius quàm fortunam meam fovebatis. Ostendite populo Romano divi Augusti neptem, eandemque conjugem meam : numerate sex libe-[p388]ros. Misericordia cum accusantibus erit, fingentibusque scelesta mandata aut non credent homines, aut non ignoscent. Tac. Annal. Tacite, Annales, lib. 2. c. 70. Si je périssois périssais par un accident naturel, dit ce héros, il semble que j' aurois aurais un juste sujet de me plaindre des Dieux mêmes, qui par une mort prématurée m' enleveroient enleveraient dans la fleur de la jeunesse à ma famille, à mes enfans enfants , à ma patrie ; mais je succombe aujourd'hui sous la scélératesse de Pison & et de Plancine. C'est dans vos cœurs que je dépose mes dernières dernieres prières prieres . Allez rapporter à mon pere père & et à mon frwre frère , quels maux j'ai soufferts, quels piéges pièges on m'a tendus, quelle mort cruelle a terminé la plus triste des vies. Ceux que mes espérances où les liens du sang m' attachoient attachaient , ceux même qui ne voyoient voyaient mes succès qu'avec un œuil œil jaloux, donneront des larmes à mes malheurs : ils s'indigneront qu'un jeune prince au sein de la gloire, échappé à tant de hasards & et de combats, soit péri par les artifices d'une femme. Que de raisons n'aurez-vous pas de porter vos plaintes au sénat, d'invoquer ses loix lois  ! Arroser de pleurs stériles les cendres d'un ami, n'est pas le plus important des devoirs de l'amitié : c'est de se rappeller, c'est d'exécuter ses dernieres dernières volontés. Laissez les étrangers même pleurer Germanicus ; vengez-moi, vous, si vous étiez plus attachés à moi, qu'à ma fortune. Montrez aux Romains la princesse mon épouse, la petite-fille d'Auguste ; présentez-Ieur six princes, fruits de cette heureuse union : la pitié due à mes malheurs appuyera vos accusations. Si mes ennemis s'excusent sur des ordres aussi faux que barbares, on refusera de les croire, oùS'agit-il d'une coquille? leur crime n'en sera pas moins condamné. Quel Quels sentimens sentiments n' étoient étaient pas capables de produire ces dernieres dernières paroles, s'il est vrai qu'elles aient été prononcées par Germanicus expirant ? Il faut pourtant avouer que ces sortes de discours, s'ils sont dénués de circonstances pathétiques, agitent moins vivement, que le détail de ces mêmes circonstances, quand on les supposeroit supposerait arivées de tout autre secours. Il me semble encore trouver une autre différence entre les exemples que nous avons cités. Dans le détail de la mort de Germanicus, de Virginie, du duc de Montmorenci Montmorency , je ne me sens pas affecté de la même maniere manière que quand on me rapporte le trait de Panthée, ou celui des femmes de Lansperg. Le premier sentiment a quelque chose de douloureux : il plaît ; mais la pitié qui l'accompagne, porte avec elle une espece espèce d'amertume. L'autre renferme je ne sais quoi de délicieux, & et l'admiration s'y mêle avec le plus vif intérêt.

Rien n'est plus juste, que votre remarque, repartit Euphorbe. Ce secondLe texte original est bien second, et non pas fécond. genre de pathétique, que les Grecs nous ont désigné sous le nom d'[grec], prouve l'empire que l'honnête & et le beau ont naturellement sur nos cœurs, pour les toucher & et les émouvoir. Tout ce qui est vertueux vient se peindre dans notre ame âme , comme dans un miroir fidele fidèle , & et nous force d'admirer & et d'aimer ses traits. Peut-on être insensible, par exemple, à la beauté de ce fait raconté par Pline le naturaliste ?L. 35, ch. 10.Démétrius fils d'Antigone, ce fameux Polyorcetes preneur de villes, formoit formait le siége siège de Rhodes. Protogène, peintre célèbre demeuroit demeurait dans un des fauxbourgs faubourgs , & et se trouvoit trouvait ainsi au milieu des troupes ennemies. La crainte du danger, les désordres si communs dans un camp, le bruit inévitable dans les travaux d'un siége siège , rien ne fut capable de lui faire abandonner son attelier atelier  ;La graphie de l'original est attestée chez Féraud. & et il s'occupa de son art comme auparavant. Le prince en fut instruit. Il fut curieux de le voir, & et lui demanda la cause d'une tranquillité si rare : c'est que je sais, répondit l'artiste, que vous faites la guerre aux Rhodiens, & et non pas aux arts. Cette réponse eut tout l'effet qu'on en pouvoit pouvait attendre. Démétrius fit placer une garde autour de l' attelier atelier du peintre, pour le mettre en sureté ; & et lui-même, il alloit allait souvent, pendant le siége siège , admirer les chef-d'œuvres de son pinceau.

Je vous avoue, répliqua Timagene, que ce dernier pathétique me plaît davantage que l'autre. Le premier me paroît paraît un peu Anglois anglais  : celui-ci au contraire me flatte agréablement en me faisant retrouver dans moi-même les plus beaux principes de la vertu. Cet avantage se rencontre souvent aussi dans les réflexions que fait l'historien, & et dans les anecdotes frappantes qu'il rapporte à propos.

Les unes & et les autres, reprit Euphorbe, sont d'un grand secours dans le récit historique, pourvu que les anecdotes soient utiles, & et que les réflexions soient vraies. Convient-il à la dignité de l'histoire de rapporter des événemens événements détachés de l'objet principal, s'ils n'apprennent rien, & et par la seule raison qu'ils ont quelque chose d'amusant ou de singulier ? Ces sortes de faits doivent être de quelque utilité à l' Auteur auteur , ou du moins au lecteur. A À celui-là, en lui fournissant les moyens de mettre dans un plus beau jour le génie de quelques particuliers, ou d'un peuple entier ; à celui-ci, en lui faisant naître des idées conformes à la vertu & et aux bonnes mœurs, ou en lui dévoilant les vices & et ses défauts des hommes, pour lui apprendre à s'en garantir. Comme c'est là le plus grand fruit de l'histoire & et son principal but, tout ce qui peut produire cet effet a un droit assuré d'y être admis. L'abbé de Saint-Réal, dans ses discours sur ce genre de littérature, nous montre quel fond inépuisable de réflexions fournissent ces anecdotes, pour nous aider à connoître connaître le cœur de l'homme, & et à sonder ses derniers replis. Sans m'arréter ici aux exemples qu'il cite en assez grand nombre, & et que vous pouvez consulter, je me contente de vous en rapporter deux ou trois, que j'ai lus depuis peu dans quelques ouvrages modernes. Jagellon Roi de Pologne faisoit faisait la guerre à l'ordre Teutonique.Il s'agit de Sigismond Ier le Vieux (1467-1548),roi de Pologne, membre de la dynastie Jagellon, qui mena la guerre entre la Pologne et les Chevaliers teutoniques (l’ordre de la Maison de sainte Marie des Teutoniques) entre 1519 et 1521. Comme il entendoit entendait la messe, on vint l'avertir coup-sur-coup que l'armée des chevaliers avançoit avançait , & et que déjà elle n' étoit était pas bien loin. Le Roi, sans s'émouvoir, continua ses prieres prières jusqu'à la fin du sacrifice. Les ennemis voyant que les Polonois Polonais ne s' ébranloient ébranlaient point, crurent qu'ils avoient avaient peur, & et leur grand maître députa au Roi de Pologne deux chevaliers, qui lui présenterent présentèrent deux épées nues & et ensanglantées, en lui disant. disant : Fastes de la Pol. par M. Contant Dorville. Notre chef ne craint point de vous fournir des armes, pour vous inspirer plus de courage, sur le point d'ouvrir le combat. Si le terrein terrain où vous campez vous paroît paraît trop étroit & et trop serré pour faire vos manœuvres, nous consentons à reculer quelques pas. Jagellon, reprend l' Auteur auteur , ne daigna pas s'offenser de cette bravade. Je suis surpris, répondit-il aux députés, que votre grand maître se presse si fort de me rendre les armes. Je reçois celles que vous me présentez, avec plaisir, & et j'en tire un favorable augure pour le succès de cette journée. En effet, jamais audace ne fut punie plus cruellement. De cent quarante mille soldats, dont étoit était composée l'armée Teutonique teutonique , cinquante mille resterent restèrent sur le champ de bataille, entre lesquels on compta le grand-maître & et trois cens cents chevaliers ou commandeurs, outre quatorze mille prisonniers. Desit: limites de la citation. Si l'historien s' étoit était borné, comme il pouvoit pouvait le faire, à rapporter les dispositions & et le succès du combat, nous aurions moins bien connu le caractere caractère du Roi de Pologne, & et nous aurions perdu les leçons secretes secrètes que nous donnent le pieux & et l'héroïque sang-froid de ce prince, & et la juste punition d'une fanfaronade tout-à-fait tout à fait déplacée.

Il y a véritablement une epece de satisfaction, interrompit Timagène, à voir humilier ces hommes avantageux, dont le mérite assez communément ne consiste que dans l'admirable opinion qu'ils ont d'eux-mêmes. J'ai eu du plaisir ces jours-ci à lire, dans un journal bien écrit, un trait sur M. de Turenne, moins sérieux que le vôtre, mais qui est bien dans le même genre.An. litt. 1770, feuille 21. Un petit maître étoit assis sur le théâtre à côté du grand Turenne, à lui seul inconnu. Il s'avisa par gentillesse de lui arracher son chapeau, & et de le jetter par terre. Quelqu'un l'avertit dans ce moment, qu'il ignoroit sans doute à quel homme il se jouoit ainsi : que c'étoit le vicomte de Turenne. Celui-ci cependant ramassa tranquillement son chapeau, & et se contenta de dire à ce jeune sot, qui s'épuisoit en excuses sur ce qu'il l'avoit pris pour un autre ; eh ! Monsieur, quand ç'eût été tout autre, votre procédé n'en seroit pas plus louable. Cette scene, à mon avis, étoit plus capable d'instruire, que la piece à laquelle on étoit venu assister. Elle faisoit toucher au doigt à quels dangers s'exposent l'orgueuil & et la fatuité, qu'accompagnent d'ordinaire l'imprudence & et l'étourderie. Elle nous montre d'ailleurs toute la noblesse d'une grande ame, trop élevée au-dessus de pareilles sotises sottises La graphie n'est pas attestée dans les dictionnaires de référence. pour s'en irriter & et vouloir s'en vanger venger La graphie n'est pas attestée dans les dictionnaires de référence.. Les meilleures instructions sont celles qu'on puise dans la conduite des hommes. Certains traits de générosité du chevalier Bayard, la réponse qu'il fit en mourant au connétable de Bourbon, sont des leçons qui laissent des traces plus profondes encore dans le coeur, que dans l'esprit. Je n'oublierai jamais celle que Canut, Roi d'Angleterre, donna un jour à ses courtisans. Ce prince étoit sur le bord de la mer. Un flatteur s'avisa de l'appeller le Roi des Rois, le souverain de la terre & et des mers. Le héros, sans rien répondre, s'assit sur la grève. Un moment après, voyant la marée monter, il apostropha ainsi la mer : « La terre où je suis est à moi ; & et toi-même tu es soumise à ma domination. Je te commande de n'avancer pas plus loin, & et de respecter les pieds de ton Roi. »Desit. Limites de la citation. Cependant le flux peu respectueux n'obéissoit point & et mouilloit déjà les pieds du monarque. « Vous voyez, dit alors Canut en se tournant vers les seigneurs de sa suite, comment je suis maître de la mer. Apprenez par-là ce que c'est que la puissance des Rois de la terre, & et qu'à proprement parler, il ne faut appeller Roi que ce grand Dieu, par qui le ciel, la terre & et la mer sont gouvernés. »Rév. d'Angl. t. 1.Après ces mots, il alla dans l'église de S. Pierre mettre sur la tête du crucifix un diadème, dont il se servoit, & et ne voulut plus le reprendre. Cependant ce Canut n'étoit ni un visionnaire, ni un imbécille imbécile La graphie est attestée dans le Dictionnaire de l'Académie (1762)..

Si j' entreprenois entreprenais d'écrire l'expédition de M. de Montcalm, poursuivit Euphorbe, je n' oublierois oublierais pas l'instruction que reçut d'un Cacique Cacique est le « nom qu'on donnoit aux Princes dans le Mexique et dans quelques régions de l'Amérique », selon le Dictionnaire de l'Académie (1762). cet excellent officier dans un moment de colere colère , à laquelle il s' étoit était livré contre sa coutume. « Tu es maître, dit l'indien, & et tu te fâches ! » Quels traits de lumiere lumière partent de ce peu de mots ! Il n'est presque point d'anecdote, qui puisse entrer en parallelle parallèle avec celle-là, si ce n'est peut-être la réponse de M. Fabert, depuis maréchal de France, à M. de Cinqmars.Il s'agit de Abraham (de) Fabert d'Esternay (1599-1662), lieutenant général puis maréchal de France, et de Henri Coiffier de Ruzé (1620-1642), marquis de Cinq-Mars, qui mena une conspiration contre Richelieu.

Vous parlez sans doute, reprit Timagene, de celle que ce brave & et vertueux guerrier fit au grand écuyer, lorsque ce dernier lui fit part de la conspiration qu'il avoit avait formée contre le cardinal de Richelieu, & et qu'il voulut l'engager dans ce complot. Vous m'obligeriez de me la rappeller ; car je vous avoue qu'il ne m'en reste plus qu'un souvenir confus.

Elle mérite assurément, repartit Euphorbe, de n'être point oubliée ;car elle met dans tout son jour la franchise de ce grand homme. La voici : Hist. de Louis XIII Histoire de Louis XIII , tom. tome troisieme troisième . J'ai pour maxime d'entrer dans les intérêts de mes amis, jamais dans leurs passions. Quiconque me méprise assez , pour exiger de moi ce que je crois contraire à mon honneur & et à mon devoir, me dispense par cette insulte des égards & et de la considération que je lui dois. Dans l'original, les guillemets initiaux manquent.

Si j' étois étais disciple de Pythagore, continua Timagène, je me persuaderois persuaderais que l' ame âme du chevalier Dayard étoit était venue animer le corps de M. Fabert, tant je trouve de ressemblance entre les vertus de ces deux grands hommes. Même droiture, même fidélité, même franchise : & et tout cela se montre dans la réponse que vous venez de rapporter. Quand on a de pareilles anecdotes à raconter, il est sage, je crois, de supprimer toutes réflexions. Le simple récit en fait naître assez : ce qu'on pourroit pourrait ajouter ne feroit ferait que distraire, & et rallentir ralentir l'impression naturelle des objets.

N'avez-vous pas remarqué, ajouta Euphorbe, ce qui arrive souvent dans la conversation ? Si un particulier dit un bon mot, & et qu'il s'avise d'en rire le premier, la compagnie garde le sérieux. La plaisanterie ne réussit que quand celui qui en est l'auteur, paroît paraît n'y prendre presque aucune part. Il en est de même dans ces saillies de génie ou de vertu, dont nous parlons. On s'indispose contre un historien, qui veut nous endoctriner mal-à-propos. Mais il est des événemens événements , des détails même d'une nature toute différente. Ils demandent d'être éclaircis ; & et d'ailleurs tous les lecteurs ne sont pas toujours capables de tirer les conséquences des faits qu'on leur met sous les ieux yeux . Dans ces circonstances, l'historien remplit son objet lorsqu'il entremêle dans son récit quelques réflexions propres à lui donner du jour. Mais pour cela, il faut quelles qu'elles soient vraies : car, comme dit un Auteur auteur , Man. de bien penser Père Bouhours, Manière de bien penser dans les ouvrages d'esprit. . rien n'est plus irrégulier que de penser faux sur des événemens événements véritables. Rien de plus vrai, par exemple, que celle-ci : communi naturæ vitio fit, ut latitantibus & et incognitis rebus mugis confidamus & et vehementius exterreamur Caesar de bello civ. lib. 2.. Il suffit en effet de consulter l'expérience, pour convenir que c'est une foiblesse faiblesse naturelle à presque tous les hommes, de s' allarmer alarmer plus vivement ou de se rassurer davantage dans les événemens événements dont ils ignorent les causes, que dans tout autre.

La reflexion réflexion de votre Auteur auteur , répliqua Timagène, m'afflige : elle est humiliante pour l'humanité. J'aime mieux celle de Valere Valère Maxime,Valère Maxime (Valerius Maximus, premier siècle après J.-C.), historien et moraliste romain. à l'occasion de Tigranes Roi d'Arménie, dans l'entrevue qu'il eut avec Pompée, après sa défaite.Val. max. l. 5. c. 1.Ce prince s'étant jetté jeté aux pieds de son vainqueur, celui-ci le releva, & et lui rendit sa couronne, jugeant, dit l'historien, qu'il étoit était aussi beau de faire des Rois, que de les vaincre : aeque pulchrum esse judicans & et vincere reges & et facere.

Je sais, poursuivit Euphorbe, qu'on peut, sans vous déplaire, n'être pas toujours de votre avis. Ainsi, je ne crains point de remarquer que la réflexion de Valere Valère Maxime porte avec elle un air d'appareil & et des prétentions à l'esprit, que n'a point celle de César. L'une semble se proposer d'instruire son lecteur, l'autre de célébrer son Auteur auteur . Et vous conviendrez que l'utilité est le plus grand mérite d'une réflexion. Nous en avons une dans Tacite où cet avantage est frappant. Après avoir remarqué avec quelle adresse Agricola avoit avait su se ménager sous l'empire de Domitien, & et adoucir le caractere caractère farouche & et sanguinaire de ce tyran, l'historien ajoute :Sciant quibus moris illicita mirari, posse etiam sub malis principibus magnos viros esse, obsequiumque ac modestiam, si industria ac vigor adsint, eò laudis excedere, quò plerique per abrupta, sed in nullum reipublicae usum, ambitiosâ morte inclaruerunt. In vitae Agric. cap. 42. Que ceux qui bornent leur admiration aux entreprises audacieuses & et téméraires, apprennent, par son exemple, qu'il peut y avoir de grands hommes sous de mauvais princes, & et que la soumission & et la modération, si elles sont soutenues d'une vigueur & et d'une activité propres aux grandes affaires, peuvent arriver au même point de gloire où sont arrivés la plupart des autres, par des, procédés hardis & et violens violents , & et par une mort éclatante, mais inutile à la république. L' Auteur auteur nous présente ici le plus beau fruit du sujet qu'il traite. C'est avec le même succès que l'abbé de Vertot, après avoir peint l'obstination de D. Sebastien à faire la guerre en Afrique, contre l'avis de son conseil, insere insère ce peu de mots dans son récit : Révol. de Port. Révolution de Portugal. Comme si la souveraine puissance donnoit donnait une souveraineté de raison. Ce sont là des leçons utiles & et bien placées.

Vous mériteriez-bien en effet, reprit Timagène, que je prisse un peu d'humeur contre vous. Vous faites main-basse main basse impitoyablement sur tout ce qui a quelque apparence d'esprit. Vous voulez donc le bannir entièrement entierement de l'histoire ?

Je ne dis pas cela, répondit Euphorbe. Je ne prétends point exclure le morceau que vous avez cité de Valere Valère Maxime, ni même le condamner. J'établis seulement une comparaison entre les deux phrases dont il s'agit ; & et je crois que celle de César mérite mieux le nom de réflexion, que celle de Valere Valère Maxime. Changeons les livrées de cette derniere dernière  ; elle trouvera sa place parmi les pensées, qui sont un des principaux ornemens ornements du récit historique : & et celle que vous venez de rappeller rappeler , a droit assurément d'être distinguée parmi les plus belles. Cela n'est-il pas suffisant pour faire ma paix avec vous ?

Vous la faites un peu en vainqueur, repartit Timagène. Mais je renoncerois renoncerais plutôt à tous les écrivains du monde, que d'être en guerre avec vous. Quelque nom que vous donniez à ce qu'a dit Valere Valère Maxime, dès que vous l'admettez dans l'histoire, je suis content. Ce sera donc une pensée, & et même une belle pensée.

A À Dieu ne plaise, poursuivit Euphorbe, que je bannisse de l'histoire cette espèce espece d'ornement. Elle y produit le même effet que les fleurs dans un vaste parterre. On varie, on releve un récit trop sérieux ou trop uniforme, par quelques pensées nobles, délicates, pathétiques, ou même sublimes : car, comme nous l'avons déjà remarqué après le P. Père Rapin, le grand dans l'objet joint à la simplicité dans l'expression, forme souvent le sublime ; & et ces deux choses conviennent parfaitement au récit historique. D'où vous conclurez aisément que ces sortes de pensées dont nous nous sommes déjà entretenus, peuvent trouver place dans l'histoire, & et qu'on peut leur appliquer tout ce que nous en avons deja dit en général.

Je viens de lire, reprit Timagène, dans une description du triomphe de Constantin, après sa victoire sur Maxence, une pensée bien noble & et bien frappante, à l'occasion de la tête du tyran que l'on portoit portait dans ce triomphe.

Suberat adhuc saevitia, & et horrendae frontis minas mors ipsa non vicerat. Nazaire, panég. de Const. le Grand. Dans ses ieux yeux éteints, dit l'orateur, on démêloit démêlait encore la barbarie & et la cruauté ; & et la mort même n' avoit avait pu adoucir l'air farouche & et menaçant de son front.

Cette pensée, repartit Euphorbe, figureroit figurerait aussi-bien aussi bien dans une histoire que dans un panégyrique. Elle est pleine de grandeur & et de majesté, sans avoir d'enflure. Elle n'a point l'affectation de celle de Florus, dans sa description de la bataille de Tarente. Non content d'avoir dit des soldats tués dans ce combat,Relictae in vultibus minae, & et in ipsâ morte ira vivebat. leur front portoit portait encore un air menaçant, il ajoute, & et leur fureur vivoit vivait après leur mort. Celle-ci m'en rappelle une autre de Paterculus, qui est à peu-près peu près dans le même goût. A À l'occasion du corps de Pompée inhumé sur le rivage, & et couvert d'un peu de sable, il s'exprime ainsi ;In tantum in illo riro discordante for-[p404]tunâ, ut cui modò ad victoriam terra defuerat, deesset ad sepulturam. Vel. Paterc. lib. 2. dans ce grand'homme la fortune fut bien peu d'accord avec elle-même. Cette même terre, qui peu de temps auparavant, n' avoit avait pas suffi à ses victoires manquoit manquait alors à sa sépulture. Voilà bien de la recherche ; mais, est-ce là du beau ? Au reste, pour vous avouer mon goût particulier, les pensées dont je fais le plus de cas, sont celles qu'on nomme délicates.

Si j'ai bonne mémoire, interrompit Timagène, nous avons dit que la pensée délicate étoit était celle qui procuroit procurait à l'esprit un charme secret, en lui faisant concevoir beaucoup plus qu'elle ne sembloit semblait exprimer.Voir le cinquième entretien, pages 267-268. Il sera question à nouveau de la pensée délicate au onzième entretien, pages 565-566. Vous-en rappelleriez-vous quelques-unes de ce genre ?

Elles ne sont pas fort communes, répondit Euphorbe. Tacite nous en fournira un exemple. En parlant de Galba, il dit ;Major privato visus dum privatus fuit ; [p405] & et omnium consensu capax imperii, nisi imperasset. Tant que ce prince fut simple particulier, il parut au-dessus de son état ; & et tout l'univers l'eut jugé digne du trône, s'il n'y fut jamais monté. C'est ce qu'a répété un de nos poëtes poètes à l'occasion de Henri III.

Telle brille au second rang, qui s' éclypse éclipse au premier.

Je me rappelle encore d'avoir vu quelque part cette pensée, au sujet de Louis XIV. Il ne fait la guerre, que pour rendre les peuples heureux, en se les asujettissant, & et il a trouvé dans la victoire quelque chose de plus glorieux que la victoire même. Il ne faut qu une attention médiocre, pour appercevoir la richesse & et la fécondité de ces pensées. Celle de Tacite, par exemple, me fait concevoir que des talens talents & et des vertus propres à établir la réputation d'un particulier, ne suffisent pas à un souverain : elle m'apprend encore que le desir de s'avancer porte souvent les hommes à une espece espèce d'héroïsme, dont ils ne sont plus capables, lorsqu'ils ont obtenu l'objet de leurs vœux.

Ajoutons donc aussi, répliqua Timagène, que ces sortes de pensées ornent la diction, & et qu'elles sont une des principales sources de la beauté stile beauté du style  L'ommission de du, dans l'original, est corrigée dans les errata de l'édition originale, en fin du volume.; & et combien d'ouvrages historiques doivent au stile style leur principal succès !

Ce succès n'a rien d'étonnant, dit Euphorbe, si le stile style a les qualités que demande Cicéron :Nihil est in historiâ purâ & et illustri brevitate dulcius. Lib. de clar. orat. c. 120. s'il est clair, s'il est noble, s'il est concis, il porte avec lui un charme invincible. A À ce que dit ici l'orateur Romain joignons une autre qualité ; celle d'être proportionné au sujet que l'on traite, c'est-à-dire, vif & et animé dans les effets des passions violentes ; léger dans les sujets riants ; rapide & et coupé dans ceux où l'action est prompte & et intéresse par sa célérité ; mais jamais affecté ni ampoulé.

Je crois avoir lu dernierement dernièrement , reprit Timagène, un morceau d'histoire bien propre à servir d'exemple dans cette espece espèce de stile style rapide, dont vous venez de parler. Je vais le chercher dans l' Auteur auteur  : vous en jugerez vous-même. Il s'agit de la conquête de la Normandie toute entiere entière , faite par Charles VII, Roi de France, sur Henri VI, Roi d'Angleterre. Le Roi n'eut besoin que de treize mois pour terminer cette expédition, & et l'historien n'emploie que trois pages pour la raconter. Révol. d'Angl. Révolutions d'Angleterre, t. 2. Brezé, dit-il, prit d'abord le Pont-de-l'Arche ; Robert de Beuil, surnommé Floquet, bailli d'Evreux, prit Conches & et Verneuil. Un meûnier meunier qu'un Anglois anglais bâtit,Desit. livra cette derniere dernière place, l'une des plus fortes de la province. Sur quoi Charles ayant partagé ses troupes en divers petits corps, les fit entrer en même temps dans le pays par divers endroits, sous la conduite du Connétable, des ducs de Bretagne & et d'Alençon, des comtes de Dunois, de Clermont, d'Eu, de Nevers, de Saint Pol, qui, en peu de mois, réduisirent sous l'obéissance du Roi tout ce qui ne demandoit demandait pas sa présence. Pendant ce temps-là, ce monarque formoit formait une armée à Louviers, où le Roi de Sicile & et le duc du Maine l' étoient étaient venu joindre avec leurs troupes auxquelles le comte de Dunois, qu'il fit son lieutenant-général, ayant aussi joint les siennes, on marcha vers Rouen, que le Roi avoit avait résolu d'assiéger. Rouen étoit était bien pourvu d'Anglois : le régent y étoit était en personne, & et Talbot, qui valoit valait une armée, s'y étoit était renfermé avec lui : mais à la vue du Roi légitime, les habitans habitants étant entrés en différend avec les Anglois anglais , se cantonnerent cantonnèrent , traiterent traitèrent avec Charles, & et se mutinant enfin tout-à-fait, pousserent poussèrent la garnison, & et l' obligerent obligèrent à se renfermer dans le vieux palais, où le comte de Dunois l'ayant attaquée, elle se rendit par composition après quelques jours de résistance. Le duc de Sommerset se retira avec les siens en basse-Normandie, & et Talbot demeura en otage de cinquante mille écus d'or que le Régent devoit devait payer au Roi par un des articles de la capitulation. Charles ayant fait son entrée dans Rouen, poussa ses conquêtes au pays de Caux, où Harfleur l'arrêta ; mais il le prit, & et le reste plia devant lui. L'hiver qui se faisoit faisait sentir, n'empêcha pas l'armée victorieuse, animée par l'exemple de son Roi, de passer la seine & et d'assiéger Honfleur, où un gouverneur opiniâtre soutint le siége siège assez long-temps longtemps . On prit la place par composition le dix- huitieme huitième de février. La bataille de Formigny, hâta la prise de ce qui restoit restait de villes à réduire en basse-Normandie, & et abrégea fort la conquête. Le Connétable & et le comte de Clermont s' étoient étaient réunis à propos près de cette bourgade, située entre Carentan & et Bayeux, pour s'opposer à Thomas Tyrel, nouvellement arrivé d' Angletterre Angleterre avec environ trois mille hommes, auxquels s'étant joint d'autres troupes tirées des garnisons d'alentour, il s'en étoit était formé une armée, qui tenoit tenait la campagne & et reprenoit reprenait des villes. Lisieux & et Valognes avoient avaient reçu Tyrel, qui menaçoit menaçait de plus grands progrès, lorsque le comte & et le Connétable l'ayant heureusement rencontré au lieu que je viens de nommer, quoique beaucoup inférieurs en nombre, lui livrerent livrèrent bataille, le défirent, lui tuèrent près de cinq mille hommes, en prirent quatorze cent prisonniers, du nombre desquels il fut lui-même, & et ne perdirent que six soldats, circonstance qui fit passer cet événement pour miraculeux. Cette journée fut le coup fatal qui acheva de ruiner les forces des Anglois anglais en Normandie. De Formigny l'armée victorieuse se rendit à Caen, où le Roi se trouva, & et rassembla toutes ses troupes, la prise de cette ville étant une affaire décisive, qu'il ne falloit fallait pas laisser languir. Le duc de Sommerset défendit Caen en personne, comme il avoit avait défendu Rouen, & et le rendit de même par composition. Après quoi peu de places résisterent résistèrent , hormis Cherbourg, qu'on attaqua la derniere dernière  ; mais qui capitula enfin comme les autres, après un mois de siége siège , par lequel finit la conquête, environ le milieu du mois d' Août août de l'année 1450. Assurément cet historien a été plus heureux que Pélisson Pellisson- Fontanier ; car il a trouvé un Pegase Pégase assez prompt pour suivre son héros.Il s'agit de Paul Pellisson-Fontanier (1624-1693), homme de lettres français, et auteur d'une Histoire de l’Académie française depuis son établissement jusqu’en 1652 (2 vols., 1653).

Sa course seroit serait encore plus rapide, repartit Euphorbe, si ses phrases étoient étaient un peu moins longues : & et peut-être par-là par là remarqueroit remarquerait -on moins aussi quelques négligences dans l'expression, qui font peine dans ce morceau. Au surplus, cette rapidité de stile style n'est avantageuse que dans certains cas particuliers. Les autres qualités dont nous avons parlé, sont d'un usage plus ordinaire. Il n'est point de récit qui ne doive avoir un caractere caractère particulier, analogue au sujet qu'il détaille, & et c'est sur-tout surtout par ce rapport qu'il plaît à l'imagination. Les muses d'Hérodote auroient auraient plus de grace grâce , si elles étoient étaient moins ornées & et moins verbeuses : Thucidide au contraire, n'a rien de superflu : mais je vois peu de modeles modèles plus parfaits en ce genre que CésarDe bello Gal. lib. 2., sur-tout surtout dans le récit qu'il nous fait de son expédition contre les Belges, etDe bello civ. lib. 3. dans la description de cette fameuse journée, qui lui soumit Pompée et l'univers. Quelle noble vivacité, quelle chaleur de stile style , et en même-temps même temps quelle exactitude ! Quelle clarté et quelle sagesse ! C'est un mérite bien rare, que de savoir exécuter et raconter parfaitement d'aussi grandes choses. Mais, si je ne me trompe, j'entends un équipage qui entre dans la cour. Voilà encore quelqu'importun qui vient nous interrompre.

Allez, reprit Timagène, recevoir votre compagnie. Je vais m'amuser ici à relire les deux endroits de César que vous venez de citer, et je vous rejoindrai après les premiers complimens compliments .