Neuvième entretien. Narration poétique

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    <fileDesc>
      <titleStmt>
        <title>"Neuvième entretien. Narration poétique" de Essai sur le récit, ou Entretiens sur la manière de
          raconter. Édition électronique.</title>
        <author>François-Joseph Bérardier de Bataut (1720-1794)</author>
        <editor>Christof Schöch</editor>
      </titleStmt>
      <editionStmt>
        <edition>Version 0.7, 09/2014</edition>
      </editionStmt>
      <publicationStmt>
        <p>Texte libre de droits. Édition électronique publiée en ligne à l'adresse
          http://tapas.neu.edu/berardier/essai/ sous licence Creative Commons Attribution 3.0
          (CC-BY). Republication de l'édition électronique publiée en ligne à l'adresse
          http://berardier.org en 2010.</p>
      </publicationStmt>
      <sourceDesc>
        <bibl>
          <author>Bérardier de Bataut, François-Joseph (1720-1794)</author>
          <title>Essai sur le récit, ou entretiens sur la manière de raconter</title>
          <pubPlace>Paris</pubPlace>
          <publisher>Charles-Pierrre Berton</publisher>
          <date>1776</date>
          <extent>Format in-12, X-725 pages.</extent>
        </bibl>
      </sourceDesc>
    </fileDesc>
    <encodingDesc>
      <projectDesc>
        <p>Cette édition fournit une édition accessible en ligne et commentée de l'Essai sur le
          récit, ou Entretiens sur la manière de raconter, par François-Joseph Bérardier de Bataut.
        </p>
      </projectDesc>
      <editorialDecl>
        <p>L'édition réunit une transcription diplomatique (graphies d'époque, coquilles,
          abréviations) et une version de lecture (graphies modernisées, coquilles corrigées,
          abréviations explicitées).</p>
      </editorialDecl>
    </encodingDesc>
    <revisionDesc>
      <change when="2010-08-30" who="Christof Schöch">Transfer zu TEI-Lite</change>
      <change when="2010-10-24" who="Christof Schöch">Revisions, including "choice".</change>
      <change when="2011-04-12" who="Christof Schöch">Updated header, corrected
        transcription.</change>
      <change when="2014-09-06" who="Christof Schöch">Minor adjustments for TAPAS
        publication.</change>
    </revisionDesc>
  </teiHeader>
  <text>
    <body>
      <div type="chapter" xml:id="essai09">
        <head>NEUVIÈME ENTRETIEN. <lb/><hi rend="italic">Narration <choice>
              <orig>Poëtique</orig>
              <reg>poétique</reg>
            </choice>&#160;; ses <choice>
              <orig>ornemens</orig>
              <reg>ornements</reg>
            </choice>.</hi></head>
        <p>L'arrivée d'un seigneur nouveau ayant occasionné une fête dans le village, on l'<choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> célébrée à l'ordinaire par des danses, des chansons <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> d'autres <choice>
            <orig>pieces</orig>
            <reg>pièces</reg>
          </choice> de vers à la louange de celui qu'on <choice>
            <orig>vouloit</orig>
            <reg>voulait</reg>
          </choice> flatter. Cette solemnité champêtre <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> amusé pendant quelque temps la curiosité des deux amis. <choice>
            <orig>A</orig>
            <reg>À</reg>
          </choice> leur retour, Timagène en prit occasion de dire à Euphorbe, en plaisantant&#160;:
          la poésie<note resp="editor">La graphie de l'original est ici plus moderne que dans le
            reste du texte.</note> s'appelle ordinairement le langage des Dieux&#160;; mais ici je
          crois qu'à peine elle est le langage des hommes.</p>
        <p>Cette poésie, telle qu'elle est, répartit Euphorbe, nous rappelle néanmoins sa <choice>
            <orig>premiere</orig>
            <reg>première</reg>
          </choice> origine. Elle ne fut <pb n="464" xml:id="p464"/> d'abord que l'expression d'un
          cœur vivement affecté. Les premiers hommes, comme ceux-ci, n'eurent d'autres règles<note
            resp="editor">La graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du
            texte.</note> que la nature, d'autre Apollon que leurs <choice>
            <sic>desirs</sic>
            <corr>désirs</corr>
          </choice> et leur <choice>
            <orig>reconnoissance</orig>
            <reg>reconnaissance</reg>
          </choice>. Les Hébreux <choice>
            <orig>sur-tout</orig>
            <reg>surtout</reg>
          </choice>, comblés des bienfaits de leur Dieu, se <choice>
            <orig>répandoient</orig>
            <reg>répandaient</reg>
          </choice> fréquemment en actions de <choice>
            <orig>grace</orig>
            <reg>grâce</reg>
          </choice>. On trouva bientôt que le langage ordinaire ne <choice>
            <orig>répondoit</orig>
            <reg>répondait</reg>
          </choice> pas assez à l'enthousiasme dont on <choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> animé. On eut recours à l'harmonie, et l'on introduisit dans le discours la
          cadence <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> la mesure. Toutes ces idées<note resp="author">Hist. Anc. l. 25, ch. 1.</note>,
          que j'emprunte de M. Rollin, sont appuyées sur les livres saints, c'est-à-dire, sur la
          vérité elle-même&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> elles établissent que la poésie, dans ses premiers temps, n'<choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> qu'un récit vif <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> orné, où l'on <choice>
            <orig>détailloit</orig>
            <reg>détaillait</reg>
          </choice> les prodiges opérés par la divinité, ou les exploits des grands hommes.</p>
        <p>Elle a bien dégénéré de cette origine, reprit Timagène&#160;: car elle chante aujourd'hui
          des objets bien <choice>
            <orig>différens</orig>
            <reg>différents</reg>
          </choice> de ceux-là.</p>
        <p>Il est vrai, poursuivit Euphorbe. Les rivières, en s'éloignant de leur source, <pb
            xml:id="p467"/> n'en deviennent pas plus pures. Quoi qu'il en soit, laissons ses <choice>
            <orig>égaremens</orig>
            <reg>égarements</reg>
          </choice> : considérons-<choice>
            <sic>là</sic>
            <corr>la</corr>
          </choice> sous ce premier rapport, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> voyons comment elle doit raconter.</p>
        <p>Nous ne serons plus gênés ici, répliqua Timagène, par l'<choice>
            <orig>austere</orig>
            <reg>austère</reg>
          </choice> vérité. La <choice>
            <orig>carriere</orig>
            <reg>carrière</reg>
          </choice> immense de la fiction nous laissera une liberté <choice>
            <orig>entiere</orig>
            <reg>entière</reg>
          </choice> ; car le récit <choice>
            <orig>poëtique</orig>
            <reg>poétique</reg>
          </choice> n'est tenu à suivre d'autres <choice>
            <orig>loix</orig>
            <reg>lois</reg>
          </choice> que celles de cette vérité, que <choice>
            <orig>vous même</orig>
            <reg>vous-même</reg>
          </choice> avez nommé vérité de la nature, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> qui consiste, si je m'en souviens bien, à ne rien avancer qui soit contraire au
          cours ordinaire des choses, à moins qu'un Dieu ne s'en mêle ; rien qui choque les idées
          reçues, ou le <choice>
            <orig>caractere</orig>
            <reg>caractère</reg>
          </choice> connu des personnages. Nous allons être à notre aise.</p>
        <p>Peut-être pas autant que vous vous imaginez, ajouta Euphorbe. Je conviens que la
          vraisemblance tient souvent la place de la vérité, dans les récits <choice>
            <orig>poëtiques</orig>
            <reg>poétiques</reg>
          </choice> : mais d'abord cette <choice>
            <orig>derniere</orig>
            <reg>dernière</reg>
          </choice> n'en est pas toujours exclue. Arrêtons-nous aux sujets grands <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> nobles. Le <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice> ne chante-t-il pas fréquemment des <choice>
            <orig>événemens</orig>
            <reg>événements</reg>
          </choice> qui se sont passés sous ses <choice>
            <orig>ieux</orig>
            <reg>yeux</reg>
          </choice> ? Les récits épiques <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> ceux de la tragédie ne sont-ils pas pour la plupart empruntés de l'histoire ?
          Est-il rien de plus <pb xml:id="p468"/> vrai que le sujet du <choice>
            <orig>Paradis perdu</orig>
            <reg><hi rend="italic">Paradis perdu</hi></reg>
          </choice> de Milton, que celui de la <choice>
            <orig>Jérusalem délivrée</orig>
            <reg><hi rend="italic">Jérusalem délivrée</hi></reg>
          </choice> du Tasse ? Le <choice>
            <orig>siége</orig>
            <reg>siège</reg>
          </choice> de <choice>
            <orig>Troye</orig>
            <reg>Troie</reg>
          </choice> est un fait reconnu par toutes les nations. L'arrivée d'<choice>
            <orig>Ænée</orig>
            <reg>Énée</reg>
          </choice> en Italie a été, ou a passé pour certaine, au point que le judicieux Tite-Live
          l'a insérée dans son ouvrage. Combien d'exemples pareils dans le genre tragique ?</p>
        <p>J'avoue, reprit Timagene, que le fonds de l'action principale est vrai dans ces <choice>
            <orig>différens</orig>
            <reg>différents</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>poëmes</orig>
            <reg>poèmes</reg>
          </choice> : mais l'accessoire l'emporte ici sur le fond, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> les fictions dont cette vérité est enveloppée la font presque <choice>
            <orig>disparoître</orig>
            <reg>disparaître</reg>
          </choice>. Je sais que <choice>
            <orig>Godefroi de Bouillon</orig>
            <reg>Godefroy de Bouillon</reg>
          </choice><note resp="editor">Godefroy de Bouillon (~1058-1100) était un chevalier franc et
            le premier souverain chrétien de Jérusalem.</note> a fait la conquête de Jérusalem, mais
          l'histoire de Clorinde, celle d'Armide <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de Renaud, les <choice>
            <orig>enchantemens</orig>
            <reg>enchantements</reg>
          </choice> d'Ismen, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> tant d'autres morceaux que je <choice>
            <orig>pourrois</orig>
            <reg>pourrais</reg>
          </choice> citer, sont tous sortis de l'imagination du <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice>.</p>
        <p>C'est une petite querelle que je me <choice>
            <orig>plaisois</orig>
            <reg>plaisais</reg>
          </choice> à vous faire, interrompit Euphorbe. Nous sommes du même avis&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> je crois avec vous, que même dans les sujets empruntés de l'histoire, la fiction
          doit conserver ses droits, pourvu quelle se renferme dans les bornes de la vraisemblance,
          ou pour mieux dire, de la nature. C'est le précepte judicieux <pb xml:id="p469"/> de
          l'évêque d'Albe.<note resp="author"><q rend="verse"><l>Hoc quoque non studiis nobis
                levioribus instat.</l>
              <l>Curandum, ut, quando non semper vera profamur. </l>
              <l>Fingentes, faltem sint illa simillima veris.</l></q>
            <hi rend="italic">Vida. Poët. lib. 2.</hi></note><note resp="editor">Il s'agit de Jean
            de la Balue, 1421-1492.</note>
          <q rend="inline">Toutes les fois, dit-il, que nous abandonnons la vérité, pour nous
            livrer à la fiction, ayons le plus grand soin de ne pas nous écarter de la
            vraisemblance&#160;:</q>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> cette vraisemblance est si nécessaire dans les ouvrages dont nous parlons,
          qu'elle doit, pour ainsi dire, servir de passeport à la vérité même. Vous savez avec
          quelle hardiesse le médecin de Louis XI <choice>
            <orig>parloit</orig>
            <reg>parlait</reg>
          </choice> à son maître, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> avec quelle timidité <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> quelle <choice>
            <orig>foiblesse</orig>
            <reg>faiblesse</reg>
          </choice> ce prince, jaloux d'ailleurs de son autorité, <choice>
            <orig>souffroit</orig>
            <reg>souffrait</reg>
          </choice> ses propos <choice>
            <orig>insolens</orig>
            <reg>insolents</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>tâchoit</orig>
            <reg>tâchait</reg>
          </choice> de l'appaiser par des largesses. Ce fait tout incontestable qu'il est, <choice>
            <orig>auroit</orig>
            <reg>aurait</reg>
          </choice> mauvaise <choice>
            <orig>grace</orig>
            <reg>grâce</reg>
          </choice> dans un <choice>
            <orig>poëme</orig>
            <reg>poème</reg>
          </choice>, parce qu'il manque de vraisemblance. Qu'une imagination riche <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> féconde embellisse donc sa <choice>
            <orig>matiere</orig>
            <reg>matière</reg>
          </choice> de tout ce que lui permettent les <choice>
            <orig>loix</orig>
            <reg>lois</reg>
          </choice> de la nature <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> l'opinion <pb xml:id="p470"/> des hommes sages, elle ne méritera que des <choice>
            <orig>applaudissemens</orig>
            <reg>applaudissements</reg>
          </choice>.</p>
        <p>Fort bien, poursuivit Timagène. Mais je suis inquiet de savoir comment tout cela
          s'accordera avec le merveilleux, si familier <choice>
            <orig>sur-tout</orig>
            <reg>surtout</reg>
          </choice> à l'épopée.</p>
        <p>Parfaitement, répondit Euphorbe. Il faut d'abord remarquer,<note resp="author"><q
              rend="verse"><l>Nam quæ multa canunt ficta <choice>
                  <orig>&amp;</orig>
                  <reg>et</reg>
                </choice> non credita vates, </l><l>Dulcia quò vacuas teneant mendacia mentes,
                </l><l>Illis nulla fides, quam nec sibi denique aperti </l><l>Exposcunt, mec
                dissimulant . . . . . . . . . </l><l/>. . . . . . . . . . . . . . <l> Omnia quæ
                portâ veniunt insomnia eburnâ. </l></q><hi rend="italic">Vida. lbid.</hi></note>
          avec le même <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice> que je viens de citer, que par ces prodiges l'<choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <reg>auteur</reg>
          </choice> veut seulement répandre de l'agrément dans son <choice>
            <orig>poëme</orig>
            <reg>poème</reg>
          </choice>. Il ne prétend point qu'on le <choice>
            <orig>croye</orig>
            <reg>croie</reg>
          </choice> ; il n'en fait point <choice>
            <sic>mistere</sic>
            <corr>mystère</corr>
          </choice><note resp="editor">La graphie de l'original n'est pas attestée dans les
            dictionnaires de référence.</note> ; il le déclare ouvertement : ce sont des songes
          sortis par la porte d'ivoire. Mais d'ailleurs, le merveilleux lui-même a sa vraisemblance,
          fondée en premier lieu sur le pouvoir de la divinité, mais plus encore sur le choix des
          occasions où on <pb xml:id="p471"/> l'<choice>
            <orig>employe</orig>
            <reg>emploie</reg>
          </choice>.<note resp="author">Hor. de Arte Poët. v. 191.</note>Horace nous apprend en deux
          mots quelles sont ces conjonctures&#160;:</p>
        <p><q rend="verse"><l>Nec Deus intersit nisi dignus vindice nodus ;</l></q></p>

        <p>si l'objet est assez grand, ou l'intrigue assez nouée pour exiger le secours du ciel. La
          fureur <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> l'acharnement des Grecs <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> des <choice>
            <orig>Troyens</orig>
            <reg>Troiens</reg>
          </choice> les uns contre les autres dans l'<choice>
            <orig>Iliade</orig>
            <reg><hi rend="italic">Iliade</hi></reg>
          </choice>, celui de ces mêmes <choice>
            <orig>Troyens</orig>
            <reg>Troiens</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> des Italiens dans l'<choice>
            <orig>Ænéide</orig>
            <reg><hi rend="italic">Énéide</hi></reg>
          </choice>, forment une querelle assez sérieuse, pour que les Dieux prennent parti en
          faveur de l'un ou de l'autre peuple ; assez difficile à <choice>
            <sic>vuider</sic>
            <corr>vider</corr>
          </choice><note resp="editor">La graphie de l'original n'est pas attestée dans les
            dictionnaires de référence.</note><note>Desit: sens?</note> pour que Jupiter s'en mêle, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> assemble toutes les divinités à ce sujet. Achille <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>Ænée</orig>
            <reg>Énée</reg>
          </choice> sont des héros d'un assez grand nom, pour que Vulcain leur fasse lui-même une
          armure.</p>
        <p>Ainsi vous ne voudriez pas, répliqua Timagène, que ce Dieu alluma ses fourneaux pour en
          faire une à <choice>
            <orig>Dom Guichotte</orig>
            <reg>Don Quichotte</reg>
          </choice>. J'<choice>
            <orig>apperçois</orig>
            <reg>aperçois</reg>
          </choice> maintenant toute l'étendue de cette qualité dont nous parlons. Elle exige, <choice>
            <orig>non-seulement</orig>
            <reg>non seulement</reg>
          </choice> que chacun des faits en particulier ne sorte point des bornes prescrites par la
          raison <pb xml:id="p472"/>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> le bon sens, mais encore que tous les <choice>
            <orig>événemens</orig>
            <reg>événements</reg>
          </choice>, sans en excepter les prodiges, naissent les uns des autres dans un ordre
          naturel <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> qui n'ait rien de forcé. <choice>
            <orig>C'est-là</orig>
            <reg>C'est là</reg>
          </choice> en effet le vrai moyen d'imiter parfaitement la vérité, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de ne point tomber dans le défaut de ces romans, où l'on entasse aventure sur
          aventure, incident sur incident ; où les intrigues sont si compliquées que l'esprit a
          peine à se retrouver dans ce labyrinthe. <choice>
            <orig>A</orig>
            <reg>À</reg>
          </choice> l'occasion de cette vraisemblance, qui n'est autre chose que l'ordre prescrit
          par la nature <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> par les circonstances du lieu, du temps <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> des personnes, je me rappelle qu'on fait une querelle au célèbre Racine, ce <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice> de la nature, sur sa description de la mort d'Hyppolite. On l'accuse d'avoir
          répandu dans cet endroit une pompe <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> une magnificence peu convenables à celui devant qui on fait ce récit, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> à celui qui le fait. Vous savez que c'est le gouverneur d'Hyppolite qui vient
          apprendre la mort de ce jeune prince à Thésée son <choice>
            <orig>pere</orig>
            <reg>père</reg>
          </choice>. On cite le fameux [grec] d'<choice>
            <orig>Homere</orig>
            <reg>Homère</reg>
          </choice> ;<note resp="author">II. l. 18, v. 20,</note>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> on oppose l'énergique <choice>
            <orig>briéveté</orig>
            <reg>brièveté</reg>
          </choice>
          <pb xml:id="p473"/> de ce peu de mots à tous les détails <choice>
            <orig>brillans</orig>
            <reg>brillants</reg>
          </choice> de ces vers,<note resp="author">Phèdre, acte 5, sc. 6.</note></p>
        <p><q rend="verse">
            <l>Cependant sur le dos de la plaine liquide </l>
            <l>S'élève à gros bouillons une montagne humide ;</l>
            <l>L'onde approche, se brise, <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> vomit à nos <choice>
                <orig>ieux</orig>
                <reg>yeux</reg>
              </choice>,</l>
            <l>Parmi des flots d'écume un monstre furieux. </l>
            <l>Son front large est armé de cornes menaçantes&#160;;</l>
            <l>Tout son corps est couvert d'écaillés jaunissantes&#160;:</l>
            <l>Indomptable taureau, dragon impétueux, </l>
            <l>Sa croupe se recourbe en replis tortueux. </l>
            <l>Ses longs mugissemens font trembler le rivage&#160;; </l>
            <l>Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage&#160;; </l>
            <l>La terre s'en émeut&#160;; l'air en est infecté&#160;; </l>
            <l>Le flot qui l'apporta recule épouvanté.</l>
          </q></p>
        <p>Que pensez-vous, s'il vous plaît, de cette critique ?</p>
        <p>Je sens, répondit Euphorbe, que vous ne pouvez sans quelque peine condamner tant de
          beautés. Il faut avouer cependant, qu'elles sont déplacées. Si vous rapportiez la mort
          cruelle d'un <pb xml:id="p474"/>
          <choice>
            <orig>éleve</orig>
            <reg>élève</reg>
          </choice> qui vous fût cher, votre douleur vous <choice>
            <orig>permettroit</orig>
            <reg>permettrait</reg>
          </choice>-elle de faire ces riches descriptions&#160;? Si vous étiez son <choice>
            <orig>pere</orig>
            <reg>père</reg>
          </choice>, les entendriez-vous de sang froid&#160;? Le discours d'Antiloque dans <choice>
            <orig>Homere</orig>
            <reg>Homère</reg>
          </choice>, me semble bien plus conforme à la nature. <q rend="inline">Hélas,<note
              resp="author">[Grec.]</note> fils de Pelée, dit-il, je vous apporte une nouvelle bien
            triste <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> que les Dieux <choice>
              <orig>auroient</orig>
              <reg>auraient</reg>
            </choice> bien dû vous épargner&#160;: Patrocle n'est plus.</q> Au surplus, dans le
          morceau du <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>françois</orig>
            <reg>français</reg>
          </choice>, il n'y a <choice>
            <sic>guères</sic>
            <corr>guère</corr>
          </choice> que les vers que vous avez cités <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> quelques autres qui puissent mériter ce reproche. Tout le reste de ce récit nous
          dédommage bien de cette <choice>
            <orig>légere</orig>
            <reg>légère</reg>
          </choice> intempérance <choice>
            <orig>poëtique</orig>
            <reg>poétique</reg>
          </choice>. Quoi de plus intéressant que ce qui suit&#160;?</p>
        <p><q rend="verse">
            <l>Tout fuit, <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> sans s'armer d'un courage inutile,</l>
            <l>Dans le temple voisin chacun cherche un <choice>
                <orig>asile</orig>
                <reg>asyle</reg>
              </choice>.</l>
            <l>Hyppolite lui seul, digne fils d'un héros, </l>
            <l>Arrête ses coursiers, saisit ses javelots, </l>
            <l>Pousse au monstre, <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> d'un dard lancé d'une main sure,</l>
            <l><pb xml:id="p475"/> Il lui fait dans le flanc une large blessure. </l>
            <l>De rage <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> de douleur le monstre bondissant </l>
            <l>Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant, </l>
            <l>Se roule, <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> leur présente une gueule enflammée ,</l>
            <l>Qui les couvre de feu, de sang <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> de fumée, </l>
            <l>La frayeur les emporte&#160;; <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice>, sourds à cette fois, </l>
            <l>Ils ne <choice>
                <orig>connoissent</orig>
                <reg>connaissent</reg>
              </choice> plus ni le frein, ni la voix. </l>
            <l>En efforts <choice>
                <orig>impuissans</orig>
                <reg>impuissants</reg>
              </choice> leur maître se consume. </l>
            <l>Ils rougissent le mords d'une sanglante écume. </l>
            <l>On dit qu'on a vu même, en ce désordre affreux ,</l>
            <l>Un Dieu, qui d'aiguillons <choice>
                <orig>pressoit</orig>
                <reg>pressait</reg>
              </choice> leurs flancs poudreux.</l>
            <l><choice>
                <orig>A</orig>
                <reg>À</reg>
              </choice> travers les rochers la peur les précipite&#160;: </l>
            <l>L'essieu crie, <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> se rompt. L'intrépide Hyppolite</l>
            <l>Voit voler en éclats tout son char fracassé&#160;: </l>
            <l>Dans les rênes lui-même il tombe embarrasse.</l>
          </q></p>
        <p>Mais c'est ici, <choice>
            <orig>sur-tout</orig>
            <reg>surtout</reg>
          </choice>, que je retrouve le naturel, l'affectueux Racine.</p>
        <p><q rend="verse">
            <l>Excusez ma douleur&#160;: cette image cruelle. </l>
            <l>Sera pour moi de pleurs une source éternelle. </l>
            <l>J'ai vu, Seigneur, j'ai vu votre malheureux fils</l>
            <l>Traîné par les chevaux, que fa main a nourris.</l>
          </q></p>
        <p><pb xml:id="p476"/> Et plus bas.</p>
        <p><q rend="verse">
            <l>Je cours, en soupirant, <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> sa garde me suit&#160;: </l>
            <l>De son généreux sang la trace nous conduit. </l>
            <l>Les rochers en sont teints&#160;: les ronces dégoûtantes</l>
            <l>Portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes.</l>
          </q></p>
        <p>Si <choice>
            <orig>Homere</orig>
            <reg>Homère</reg>
          </choice> dans cet endroit a l'avantage du naturel <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de la vraisemblance, il en est bien d'autres chez lui, où il a mérité d'être
          relevé par Jérôme Vida, l'ami constant de Virgile.</p>
        <p>Il est vrai, continua Timagène, que je trouve les <choice>
            <orig>régles</orig>
            <reg>règles</reg>
          </choice> de la convenance mieux observées dans les autres récits de notre <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice> tragique&#160;: par exemple, dans celui ou Arbate confident de Mithridate,
          raconte les derniers exploits, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> la mort de ce héros,<note resp="author">Mithr. acte 5, sc. 4.</note>
        </p>
        <p><q rend="verse">
            <l>D'abord il a tenté les atteintes mortelles </l>
            <l>Des poisons que lui-même a cru les plus <choice>
                <orig>fideles</orig>
                <reg>fidèles</reg>
              </choice>.</l>
            <l>Il les a trouvés tous sans force <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> sans vertu.</l>
            <l><pb xml:id="p477"/> Vains secours, a-t-il dit, que j'ai trop combattu&#160;!</l>
            <l>Contre tous les poisons soigneux de me défendre,</l>
            <l>J'ai perdu tout le fruit que j'en <choice>
                <orig>pouvois</orig>
                <reg>pouvais</reg>
              </choice> attendre,</l>
            <l>Essayons maintenant des secours plus certains, </l>
            <l>Et cherchons un trépas plus funeste aus Romains.</l>
            <l>Il dit, <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> défiant leurs nombreuses cohortes, </l>
            <l>Du palais, à ces mots, il fait ouvrir les portes, </l>
            <l><choice>
                <orig>A</orig>
                <reg>À</reg>
              </choice> l'aspect de ce front, dont la noble fureur . </l>
            <l>Tant de fois dans leurs rangs répandit la terreur,</l>
            <l>Vous les eussiez vu tous, retournant en arrière,<note resp="editor">La graphie de
                l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte, voir notamment la rime
                de la ligne suivante.</note>
            </l>
            <l>Laisser entr'eux <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> nous une large <choice>
                <orig>carriere</orig>
                <reg>carrière</reg>
              </choice>&#160;; </l>
            <l>Et déjà quelques-uns <choice>
                <orig>couroient</orig>
                <reg>couraient</reg>
              </choice> épouvantés </l>
            <l><choice>
                <orig>Jusques</orig>
                <reg>Jusque</reg>
              </choice> dans les vaisseaux qui les ont apportés. </l>
            <l>Mais le dirai-je&#160;? <choice>
                <orig>ô</orig>
                <reg>Ô</reg>
              </choice> ciel&#160;! Rassurés par Pharnace, </l>
            <l>Et la honte en leurs cœurs réveillant leur audace,</l>
            <l>Ils reprennent courage, ils attaquent le Roi, </l>
            <l>Qu'un reste de soldats <choice>
                <orig>defendoit</orig>
                <reg>defendait</reg>
              </choice> avec moi. </l>
            <l>Qui <choice>
                <orig>pourroit</orig>
                <reg>pourrait</reg>
              </choice> exprimer par quels faits incroyables,</l>
            <l>Quels coups, accompagnés de regards effroyables,</l>
            <l><pb xml:id="p478"/> Son bras, se signalant pour la <choice>
                <orig>derniere</orig>
                <reg>dernière</reg>
              </choice> fois, </l>
            <l>A de ce grand héros terminé les exploits&#160;? </l>
            <l>Enfin, las <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> couvert de sang <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> de <choice>
                <orig>poussiere</orig>
                <reg>poussière</reg>
              </choice>. </l>
            <l>Il s'<choice>
                <orig>étoit</orig>
                <reg>était</reg>
              </choice> faits de morts une noble <choice>
                <orig>barriere</orig>
                <reg>barrière</reg>
              </choice>. </l>
            <l>Un autre bataillon s'est avancé vers nous. </l>
            <l>Les Romains, pour le joindre, ont suspendu leurs coups, </l>
            <l>Ils <choice>
                <orig>vouloient</orig>
                <reg>voulaient</reg>
              </choice> tous ensemble accabler Mithridate&#160;:</l>
            <l>Mais lui, c'en est assez, m'a-t-il dit, cher Arbate.</l>
            <l>Le sang <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> ma fureur m'emportent trop avant. </l>
            <l>Ne livrons pas <choice>
                <orig>sur-tout</orig>
                <reg>surtout</reg>
              </choice> Mithridate vivant. </l>
            <l><choice>
                <orig>Aussi-tôt</orig>
                <reg>Aussitôt</reg>
              </choice> dans son sein il plonge son épée. </l>
            <l>Mais la mort fuit encor sa grande <choice>
                <orig>ame</orig>
                <reg>âme</reg>
              </choice> trompée.</l>
            <l>Ce héros dans mes bras est tombé tout sanglant ,</l>
            <l><choice>
                <orig>Foible</orig>
                <reg>Faible</reg>
              </choice>, <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> qui s'<choice>
                <orig>irritoit</orig>
                <reg>irritait</reg>
              </choice> contre un trépas si lent&#160;;</l>
            <l>Et se plaignant à moi de ce reste de vie, </l>
            <l>Il <choice>
                <orig>soulevoit</orig>
                <reg>soulevait</reg>
              </choice> encor sa main appesantie, </l>
            <l>Et marquant à mon bras la place de son cœur, </l>
            <l><choice>
                <orig>Sembloit</orig>
                <reg>Semblait</reg>
              </choice> d'un coup plus sûr implorer la faveur.</l>
          </q></p>
        <p>On ne voit là que des beautés mâles <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> sans affectation, que les couleurs de la <pb xml:id="p479"/> nature même, <choice>
            <orig>sur-tout</orig>
            <reg>surtout</reg>
          </choice> dans ce beau tableau que renferment les trois derniers vers, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> que je regarde comme un chef-d'œuvre. Je me suis souvent demandé, pourquoi nos
          tragiques modernes pour la plupart, suppriment aujourd'hui ces sortes de récits. Je crois
          que la véritable raison est leur difficulté. En effet, pour éviter l'ennui dans le détail
          circonstancié d'un événement déjà connu par un grand nombre des spectateurs, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> qui doit avoir une certaine étendue, pour le rendre intéressant, il faut
          beaucoup d'habileté, il faut la main d'un grand maître. Il est plus court <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> plus aisé de faire exécuter la chose même sous les <choice>
            <orig>ieux</orig>
            <reg>yeux</reg>
          </choice> du parterre. Ajoutons, qu'il est rare de trouver un acteur qui débite ces
          morceaux de <choice>
            <orig>maniere</orig>
            <reg>manière</reg>
          </choice> à mérirer des <choice>
            <orig>applaudissemens</orig>
            <reg>applaudissements</reg>
          </choice>.<note resp="editor">Sur ce qu'elle décrit comme «&#160;a shift from a
            predominantly verbal to a predominantly visual aesthetic&#160;» dans le théâtre
            français, voir Kate Tunstall, «&#160;Racine in 1769 and 1910, or Racine à l'usage de
            ceux qui voient&#160;», 2006 (voir bibliographie).</note></p>
        <p>Les anciens, reprit Euphorbe, ne <choice>
            <orig>trouvoient</orig>
            <reg>trouvaient</reg>
          </choice> pas ces difficultés insurmontables&#160;: car ils les <choice>
            <orig>éprouvoient</orig>
            <reg>éprouvaient</reg>
          </choice>, sans doute, comme nous.</p>
        <p>Croyez-vous donc, interrompit Timagène, qu'on ne doit jamais s'écarter de la route qu'ont
          suivie les anciens&#160;? Voudriez-vous, par exemple, que Racine, en imitant Euripide, eût
          fait descendre sur la scène Diane qui <choice>
            <sic>enléve</sic>
            <corr>enlève</corr>
          </choice>
          <pb xml:id="p480"/> Iphigénie, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> lui substitue une biche&#160;?</p>
        <p>Non assurément, répondit Euphorbe. Mais il faut mettre une grande différence entre ce qui s'<choice>
            <orig>appuye</orig>
            <reg>appuie</reg>
          </choice> sur la nature <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> la raison, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> ce qui dépend des opinions, ou des usages particuliers. Ce merveilleux, ou comme
          l'appellent les gens de l'art, cette machine est de ce dernier genre. Chez les anciens,
          ces sortes de prodiges <choice>
            <orig>étoient</orig>
            <reg>étaient</reg>
          </choice> admis même dans les <choice>
            <orig>poëmes</orig>
            <reg>poèmes</reg>
          </choice> dramatiques&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> ils <choice>
            <orig>pouvoient</orig>
            <reg>pouvaient</reg>
          </choice> l'être. Les divinités payennes <choice>
            <orig>étoient</orig>
            <reg>étaient</reg>
          </choice> complaisantes&#160;: on les <choice>
            <orig>trouvoit</orig>
            <reg>trouvait</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>par-tout</orig>
            <reg>partout</reg>
          </choice> où le besoin l'<choice>
            <orig>exigeoit</orig>
            <reg>exigeait</reg>
          </choice>. Leur entremise <choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> si ordinaire, qu'elle <choice>
            <orig>sembloit</orig>
            <reg>semblait</reg>
          </choice> suivre l'ordre commun, du moins, dans les grands <choice>
            <orig>événemens</orig>
            <reg>événements</reg>
          </choice>. La religion des Grecs <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> des Romains en cela <choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> fort commode&#160;: la nôtre, comme plus vraie, est aussi plus <choice>
            <orig>sévere</orig>
            <reg>sévère</reg>
          </choice>. Nous ne souffrons point que dans une action qui se passe sous nos <choice>
            <orig>ieux</orig>
            <reg>yeux</reg>
          </choice>, on mêle des prodiges, qui n'ont point de fondement. Nous renvoyons le
          merveilleux aux <choice>
            <orig>poëmes</orig>
            <reg>poèmes</reg>
          </choice> épiques&#160;; c'est-à-dire, à ceux qui ne consistent que dans un récit&#160;:
          encore faut-il qu'il n'ait rien de contraire aux oracles de nos livres saints. C'est pour
          cela que nos opéra, qui ne <choice>
            <orig>seroient</orig>
            <reg>seraient</reg>
          </choice> qu'un amusement puérile <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> insipide si on les <choice>
            <orig>dépouilloit</orig>
            <reg>dépouillait</reg>
          </choice>
          <pb xml:id="p481"/> de la musique et du jeu des machines, empruntent communément leurs
          sujets de la théogonie <choice>
            <orig>payenne</orig>
            <reg>païenne</reg>
          </choice>.</p>
        <p>Il faut bien, répliqua Timagène, que ce soit l'harmonie, l'enchantement de la décoration,
          enfin l'illusion théâtrale, qui fasse trouver du plaisir dans un spectacle où la
          vraisemblance est choquée à tout moment&#160;: où l'emportement, la douleur, la tristesse,
          le dernier soupir même s'exprime par les <choice>
            <orig>accens</orig>
            <reg>accents</reg>
          </choice> de la musique. Mais ce charme que nous trouvons dans le jeu des machines, ne
          prouve-t-il pas que l'homme a un goût naturel pour le merveilleux&#160;?</p>
        <p>Je n'en doute en aucune façon, répartit Euphorbe&#160;: c'est ce penchant secret que le
          joueur de gobelets saisit pour nous attacher&#160;; et notre plaisir cesse, aussitôt que
          nous connaissons la <choice>
            <orig>maniere</orig>
            <reg>manière</reg>
          </choice> dont il s'y prend pour nous tromper. Aussi le merveilleux est-il l'âme de la <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice> grande et noble. Il prête aux êtres inanimés la vie et le sentiment. C'est ce
          que dit magnifiquement Boileau dans son <choice>
            <orig>art poëtique</orig>
            <reg><hi rend="italic">Art poétique</hi></reg>
          </choice>.<note resp="author"><choice>
              <orig>Art Poët. ch. 3</orig>
              <reg><hi rend="italic">Art poétique</hi>, chant III</reg>
            </choice>.</note><note resp="editor">Boileau, <hi rend="italic">Art poétique</hi>, chant
            III, v. 163-190 (voir bibliographie).</note></p>
        <p><q rend="verse">
            <l>Là pour nous enchanter tout est mis en usage&#160;;</l>
            <l><pb xml:id="p482"/>Tout prend un corps, une <choice>
                <orig>ame</orig>
                <reg>âme</reg>
              </choice>, un esprit, un visage,</l>
            <l>Chaque vertu devient une divinité :</l>
            <l>Minerve est la prudence, <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> Vénus, la beauté.</l>
            <l>Ce n'est plus la vapeur qui produit le tonnerre ,</l>
            <l>C'est Jupiter armé pour foudroyer la terre. </l>
            <l>Un orage terrible aux <choice>
                <orig>ieux</orig>
                <reg>yeux</reg>
              </choice> des matelots, </l>
            <l>C'est Neptune en courroux qui gourmande les flots, </l>
            <l>Echo n'est plus un son qui dans l'air retentisse,</l>
            <l>C'est une Nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse.<choice>
                <orig>....</orig>
                <reg>[...]</reg>
              </choice></l>
            <l>Qu'Enée <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> ses vaisseaux, par le vent écartés,</l>
            <l>Soient aux bords Afriquains d'un orage emportés&#160;;</l>
            <l>Ce n'est qu'une aventure ordinaire <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> commune,</l>
            <l>Qu'un coup peu surprenant des traits de la fortune.</l>
            <l>Mais que Junon, constante en son aversion, </l>
            <l>Poursuive sur les flots les restes d'Ilion ; </l>
            <l>Qu'<choice>
                <orig>Eole</orig>
                <reg>Éole</reg>
              </choice> en sa faveur les chassent d'Italie, </l>
            <l>Ouvre aux vents mutinés les prisons d'<choice>
                <orig>Eolie</orig>
                <reg>Éolie</reg>
              </choice>, </l>
            <l>Que Neptune, en courroux s'élevant sur la mer, </l>
            <l>D'un mot calme les flots, mette la paix dans l'air</l>
            <l><pb xml:id="p483"/>Délivre les vaisseaux, des Syrtes les arrache&#160;; </l>
            <l><choice>
                <orig>C'est-là</orig>
                <reg>C'est là</reg>
              </choice> ce qui surprend, frappe, saisit, attache.</l>
            <l>Sans tous ces <choice>
                <orig>ornemens</orig>
                <reg>ornements</reg>
              </choice> le vers tombe en langueur&#160;;</l>
            <l>La <choice>
                <orig>poësie</orig>
                <reg>poésie</reg>
              </choice> est morte, ou rampe sans vigueur. </l></q></p>
        <p>En effet, reprit vivement Timagène, tout ce qui nous remet sous les <choice>
            <orig>ieux</orig>
            <reg>yeux</reg>
          </choice> le portrait de la divinité gravé dans notre <choice>
            <orig>ame</orig>
            <reg>âme</reg>
          </choice>, tout ce qui nous rappelle sa grandeur <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> son pouvoir est sûr de nous enchanter. Mais, si j'ai bonne mémoire, je crois que
          M. Rollin<note resp="author">Tr. des Etud. tom. 1. l. 1, art. 4.</note> n'est pas ici
          d'accord avec notre <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice>. Si l'on en croit le premier, il n'est pas permis à un <choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <reg>auteur</reg>
          </choice> chrétien d'employer même les noms des divinités payennes. Cette décision me <choice>
            <orig>paroît</orig>
            <reg>paraît</reg>
          </choice> fort <choice>
            <orig>sévere</orig>
            <reg>sévère</reg>
          </choice>&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> dans les raisonnements qu'il fait pour l'appuyer, je crois qu'il prend le
          change. Il prétend que par ces noms on ne peut entendre que les Dieux du paganisme, où les
          attributs du vrai Dieu, où que l'on entend rien du tout&#160;; mais il me semble à moi que
          par ces mots on entend une chose inanimée, à qui, comme le dit Despréaux, on prête une <choice>
            <orig>ame</orig>
            <reg>âme</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice>
          <pb xml:id="p484"/> un esprit pour donner du feu <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de la <choice>
            <orig>grace</orig>
            <reg>grâce</reg>
          </choice> à la <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice>&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> M. Rollin lui-même accorde cette liberté aux <choice>
            <orig>poëtes</orig>
            <reg>poètes</reg>
          </choice>, dans le même endroit dont il est ici question, <q rend="inline">Je suis
            bien éloigné, dit-il, de condamner certaines figures, par lesquelles on attribue du
            sentiment, de la voix, de l'action même aux choses inanimées. Il sera toujours permis <choice>
              <orig>....</orig>
              <reg>[...]</reg>
            </choice> de donner des ailes aux vents <choice>
              <orig>...</orig>
              <reg>[...]</reg>
            </choice> de prêter une voix au<note>Desit: Ici et ailleurs, vérifier accent sur
              tonnèrre.</note><choice>
              <orig>tonnerre</orig>
              <reg>tonnèrre</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>...</orig>
              <reg>[...]</reg>
            </choice> de personnifier les vertus <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> les vices.</q> Mais si l'on peut donner des ailes au vents, pourquoi ne <choice>
            <orig>pourroit</orig>
            <reg>pourrait</reg>
          </choice>-on pas leur donner un nom&#160;? Si je peux personnifier la prudence, pourquoi
          m'empêche-t-on de l'appeller Minerve&#160;? Est-il quelqu'un assez <choice>
            <orig>mal-adroit</orig>
            <reg>maladroit</reg>
          </choice> pour s'imaginer, que je veuille honorer sous ce nom une prétendue
          divinité&#160;? Tout homme sensé ne voit dans la déesse qui accompagne Télémaque sous la
          figure de Mentor, qu'une allégorie ingénieuse, qui répand dans ce beau <choice>
            <orig>poëme</orig>
            <reg>poème</reg>
          </choice> un feu <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> une action moins aisée à peindre, qu'à sentir. Tout y <choice>
            <orig>languiroit</orig>
            <reg>languirait</reg>
          </choice> si au lieu de cette fiction, l'<choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <reg>auteur</reg>
          </choice> se fût contenté de supposer que dans toutes les démarches du jeune prince, la
          prudence lui <choice>
            <orig>montroit</orig>
            <reg>montrait</reg>
          </choice> le parti le plus sage, <choice>
            <orig>modéroit</orig>
            <reg>modérait</reg>
          </choice> ses passions <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>corrigeoit</orig>
            <reg>corrigeait</reg>
          </choice> ses écarts&#160;?</p>
        <p><pb xml:id="p485"/> Sans doute, poursuivit Euphorbe, on ne peut interdire la fiction à la <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice>, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>sur-tout</orig>
            <reg>surtout</reg>
          </choice> à l'épopée, sans lui ravir tous ses <choice>
            <orig>agrémens</orig>
            <reg>agréments</reg>
          </choice>. Donnons-lui la liberté d'animer tout, jusqu'aux vices <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> aux vertus. Mais avouons aussi qu'il faut donner des bornes à cette fiction. On
          ne peut excusér un <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice> qui ose mêler le sacré avec le prophane, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> qui fait concourir les divinités du paganisme avec le Dieu de vérité. S'il est
          bien pénétré du sujet qu'il traite, il doit y trouver assez de grandeur <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de majesté pour qu'il puisse se passer de cette décoration indécente. Toutes ses
          richesses de la <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice> de Sannazar, tout le feu, toute l'imagination, toute la noblesse du génie le
          plus sublime <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> le plus fécond ne peuvent nous dédommager de ce défaut. Au reste, ce merveilleux
          étant grand par lui-même, puisqu'il est l'effet d'un pouvoir divin, ne peut convenir qu'à
          la <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice> noble <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> sérieuse. Les Grecs le <choice>
            <orig>souffroient</orig>
            <reg>souffraient</reg>
          </choice> sur la <choice>
            <orig>scene</orig>
            <reg>scène</reg>
          </choice> tragique&#160;: mais, comme je l'ai déjà remarqué, nous sommes plus difficiles
          sur cet article. Nous ne lui laissons de place que dans le <choice>
            <orig>poëme</orig>
            <reg>poème</reg>
          </choice> épique. Il lui est nécessaire, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> fait, pour ainsi dire, partie de son essence&#160;: en <pb xml:id="p486"/>
          effet, on peut définir ce <choice>
            <orig>poëme</orig>
            <reg>poème</reg>
          </choice>, le récit d'une action grande <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> merveilleuse, exécutée par un héros dans un certain espace de temps. Laissant à
          part cè qui regarde l'unité d'action, de héros <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de temps, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> les autres <choice>
            <orig>régles</orig>
            <reg>règles</reg>
          </choice> qu'il doit suivre, arrêtons-nous seulement à sa qualité de récit. <choice>
            <orig>C'est-là</orig>
            <reg>C'est là</reg>
          </choice>, <choice>
            <sic>sur tout</sic>
            <corr>surtout</corr>
          </choice>, ce qui le distingue du <choice>
            <orig>poëme</orig>
            <reg>poème</reg>
          </choice> tragique, dont la nature est d'être la représentation d'une action&#160;: <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> c'est par cette raison qu'on en bannit ordinairement le merveilleux. Cette
          représentation néanmoins est entremêlée de récits&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>dès-lors</orig>
            <reg>dès lors</reg>
          </choice>, elle fournira encore <choice>
            <orig>matiere</orig>
            <reg>matière</reg>
          </choice> à nos entretiens, par les autres qualités qui lui conviennent sous ce rapport,
          ainsi qu'au <choice>
            <orig>poëme</orig>
            <reg>poème</reg>
          </choice> épique.</p>
        <p>Si le merveilleux figure mal dans une représentation, interrompit Timagène, d'où vient
          donc l'empressement du public pour l'opéra, qui n'est qu'un tissu de prodiges, souvent mal
          amenés <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> toujours dépourvus de vraisemblance&#160;?</p>

        <p>Il vient, répondit Euphorbe, de ce qu'on <choice>
            <orig/>
            <reg>n'</reg>
          </choice>y assiste que pour s'amuser. Nous l'avons remarqué <choice>
            <orig>tout-à-l'heure</orig>
            <reg>tout à l'heure</reg>
          </choice>. Les charmes de la musique soutenus par la variété des décorations, par la
          richesse des perspectives, produisent cet effet, <pb xml:id="p487"/> sans avoir besoin de
          beaucoup d'illusion. Aussi le cœur n'est point du tout affecté par ce spectacle. La
          tragédie au contraire, veut ébranler l'<choice>
            <orig>ame</orig>
            <reg>âme</reg>
          </choice> par les ressorts de la terreur <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de la compassion. Il faut pour cela qu'elle suive pas à pas les routes
          ordinaires de la nature, dont le merveilleux s'écarte presque toujours.</p>
        <p>Si je vous objecte, reprit Timagène, que cette même raison <choice>
            <orig>devroit</orig>
            <reg>devrait</reg>
          </choice> aussi bannir de l'épopée le merveilleux, je vois d'avance ce que vous m'allez
          répondre. Vous me direz que ce dernier <choice>
            <orig>poëme</orig>
            <reg>poème</reg>
          </choice> en général, se <unclear>propose</unclear> de nous instruire <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de nous <unclear>plaire plutôt</unclear> par le sentiment de l'admiration, qu'en
          nous arrachant des larmes&#160;: que le ressort du pathétique ne s'y emploie que dans
          certains endroits particuliers. Contentons-nous donc que <choice>
            <orig>par-tout</orig>
            <reg>partout</reg>
          </choice> il nous attache par la magnificence de ses <choice>
            <orig>ornemens</orig>
            <reg>ornements</reg>
          </choice>, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>sur-tout</orig>
            <reg>surtout</reg>
          </choice> par l'intérêt. C'est ici qu'il faut faire usage de ce que nous avons déjà
            dit<note resp="author">Entret. deuxième.</note> de l'intérêt général <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> particulier. La révolution qui mit les Tartares sur le trône de la Chine, sera
          toujours <pb xml:id="p488"/> pour moi un objet beaucoup plus indifférent, que l'<choice>
            <orig>avénement</orig>
            <reg>avènement</reg>
          </choice> de Charlemagne à l'empire d'occident&#160;: la <choice>
            <orig>Jérusalem délivrée</orig>
            <reg><hi rend="italic">Jérusalem délivrée</hi></reg>
          </choice> a des charmes plus <choice>
            <orig>puissans</orig>
            <reg>puissants</reg>
          </choice> pour un chrétien, que pour un mahométan.</p>
        <p>Entre les <choice>
            <orig>différens</orig>
            <reg>différents</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>ornemens</orig>
            <reg>ornements</reg>
          </choice> qu'exige le récit <choice>
            <orig>poëtique</orig>
            <reg>poétique</reg>
          </choice>, repartit Euphorbe, il en est qui contribuent beaucoup plus que les autres, à
          cet intérêt dont vous parlez. Tels sont le sublime <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> le pathétique. On s'affecte, on se passionne aisément pour un objet qu'on
          admire, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> plus encore pour celui qui sait nous attendrir. <choice>
            <orig>Etre</orig>
            <reg>Être</reg>
          </choice> maître du cœur c'est être maître de l'homme entier. Le
            <unclear>sublime</unclear> brille <choice>
            <orig>par-tout</orig>
            <reg>partout</reg>
          </choice> dans les <choice>
            <orig>poëmes</orig>
            <reg>poèmes</reg>
          </choice> d'<choice>
            <orig>Homere</orig>
            <reg>Homere</reg>
          </choice>. Pour s'en convaincre, il suffit d'ouvrir le traité de Longin. On y en trouvera
          une foule d'exemples mis en vers <choice>
            <orig>françois</orig>
            <reg>français</reg>
          </choice>, par Despréaux. Cette traduction m'en rappelle une autre d'une <choice>
            <orig><unclear>espece</unclear></orig>
            <reg>espèce</reg>
          </choice> un peu différente, mais qui a toujours rapport à l'objet dont nous parlons. Un <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice> de nos jours a rendu tout le sublime que renferme le commencement de la Genèse,
          avec cette seule différence, qu'il a mis en action, ce qui n'est qu'en récit dans l'<choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <reg>auteur</reg>
          </choice> sacré. Il fait parler ainsi le maître du tonnerre.</p>

        <p><q rend="verse"><pb xml:id="p489"/>
            <l>Les temps sont arrivés&#160;: cessez tristes chaos&#160;: </l>
            <l><choice>
                <orig>Paroissez</orig>
                <reg>Paraissez</reg>
              </choice>
              <choice>
                <orig>élémens</orig>
                <reg>éléments</reg>
              </choice>&#160;: Dieux allez leur prescrire</l>
            <l rend="indent">Le mouvement <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> le repos&#160;: </l>
            <l>Tenez-les renfermés chacun dans son empire. </l>
            <l>Coulez, ondes, coulez&#160;; volez rapides feux&#160;; </l>
            <l>Voile azuré des airs embrassez la nature&#160;; </l>
            <l>Terre enfante des fruits, couvre-toi de verdure&#160;; </l>
            <l rend="indent">Naissez, mortels, pour obéir aux Dieux. </l></q></p>
        <p>Je <choice>
            <orig>connois</orig>
            <reg>connais</reg>
          </choice> ce morceau, répliqua Timagène. Il m'a toujours fait beaucoup de plaisir, même à
          la simple lecture&#160;; mérite bien rate dans une <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice> d'opéra. Rien n'est plus grand que ce spectacle superbe, d'un Dieu qui commande
          au néant d'enfanter la nature, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> dont l'ordre est exécuté sur le champ. <choice>
            <orig>Homere</orig>
            <reg>Homère</reg>
          </choice> est rempli de ces idées magnifiques, <choice>
            <orig><unclear>sur-tout</unclear></orig>
            <reg>surtout</reg>
          </choice> lorsqu'il parle de la divinité. Virgile en a imité plusieurs, lorsqu'il dit, par
          exemple, que Jupiter d'un mouvement de tête fait trembler l'Olympe entier, ou quand il
          nous peint ce maître des Dieux <choice>
            <orig>jettant</orig>
            <reg>jetant</reg>
          </choice> sur sa fille un de ces regards, qui portent le calme dans Ies cieux <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> jusqu'au sein des tempêtes&#160;: mais il me semble qu'il en a peu tiré de son
          prorpre fond. Cependant je <choice>
            <orig>serois</orig>
            <reg>serais</reg>
          </choice> bien tenté <pb xml:id="p490"/> de mettre dans ce même rang un endroit du <choice>
            <orig>sixieme</orig>
            <reg>sixième</reg>
          </choice> livre de l'<choice>
            <orig>Enéide</orig>
            <reg><hi rend="italic">Énéide</hi></reg>
          </choice>. C'est celui où <choice>
            <orig>Ænée</orig>
            <reg>Énée</reg>
          </choice> rencontre Didon dans les enfers. Le prince Troyen veut excuser à ses <choice>
            <orig>ieux</orig>
            <reg>yeux</reg>
          </choice> son départ précipité, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> lui parle avec toute la tendresse <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> le feu dont il est capable. Le <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice> sans mettre un mot dans la bouche de la princesse,<note resp="author">Illa solo
            fixos oculos averse tenebat .... Tandem proripuit sese, atque inimica refugit, In memus
            umbriserum. <hi rend="italic">Æen. lib. 6</hi>.</note> ajoute seulement, <q
            rend="inline">ses regards fixés à terre, son visage détourné, témoignent son dédain. <choice>
              <orig>....</orig>
              <reg>[...]</reg>
            </choice> enfin elle se dérobe à sa vue, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> d'un air indigné s'enfonce dans l'épaisseur d'un bois.</q> Je <choice>
            <orig>voudrois</orig>
            <reg>voudrais</reg>
          </choice> appeller ce silence, un silence sublime.</p>
        <p>Si vous êtes tenté de le faire, repartit Euphorbe en riant, je vous déclare, moi, que
          depuis <choice>
            <orig>long-temps</orig>
            <reg>longtemps</reg>
          </choice> j'ai succombé à la tentation. Avant Virgile on <choice>
            <orig>trouvoit</orig>
            <reg>trouvait</reg>
          </choice> chez les Grecs des exemples de ce silence énergique, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> qu'on peut regarder comme le dernier effort de l'éloquence.<note resp="author"
            >Acte 4, scène 2.</note> Dans les <choice>
            <orig>Trachinienes</orig>
            <reg><hi rend="italic">Trachiniennes</hi></reg>
          </choice> de Sophocle, Hyllus, fils d'Hercule, <pb xml:id="p491"/> fait à Déjanire un
          récit touchant de la mort de ce héros, dont elle <choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> la cause innocente par le don de la robe empoisonnée qu'elle lui <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> envoyée. La princesse alors <choice>
            <orig>reconnoît</orig>
            <reg>reconnaît</reg>
          </choice> sa funeste erreur. Sa douleur est si profonde, son désespoir si affreux, qu'elle
          se retire, sans répondre un mot aux invectives <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> aux reproches dont son fils l'accable, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> laisse le chœur <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> les spectateurs dans la plus cruelle inquiétude sur le parti qu'elle va
            prendre.<note resp="author">Acte 5, sc. 2.</note> Dans la tragédiè d'<choice>
            <orig>Antigone</orig>
            <reg><hi rend="italic">Antigone</hi></reg>
          </choice>, Euridice, femme de Créon, après avoir entendu le détail de la mort du prince
          Hémon son fils, sort sans proférer une parole <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>par-là</orig>
            <reg>par là</reg>
          </choice> donne à penser au chœur, qu'elle est résolue de s'arracher la vie. Il y a encore
          un exemple pareil dans l'<choice>
            <orig>Œdipe</orig>
            <reg><hi rend="italic">Œdipe</hi></reg>
          </choice> du même <choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <reg>auteur</reg>
          </choice>. Ne rien dire dans ces occasions, c'est assurément dire beaucoup.</p>
        <p>Ce que vous observez ici dans Sophocle, poursuivit Timagène, s'accorde parfaitement bien
          avec l'idée que M. Rollin, après le P. Brumoi, nous donne de ce <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice>. Le génie de ce tragique a bien du rapport avec celui de Corneille. Tous <pb
            xml:id="p492"/> deux s'attachent plus à nous frapper par le grand <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> le sublime, à nous intéresser par l'admiration, qu'à surprendre notre
          sensibilité, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> à nous arracher des larmes. Ce tribut du sentiment leur <choice>
            <orig>paroît</orig>
            <reg>paraît</reg>
          </choice> indigne des héros dont ils parlent&#160;; leur esprit naturellement élevé se
          met, pour ainsi dire, de niveau avec les grands hommes, dont ils décrivent les exploits <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> la mort. <choice>
            <orig>C'est-là</orig>
            <reg>C'est là</reg>
          </choice> du moins l'impression qu'a toujours fait sur moi le récit de celle de Pompée
          dans le Sophocle <choice>
            <orig>françois</orig>
            <reg>français</reg>
          </choice>. C'est un spectacle aussi beau que touchant, de voir ce Romain porter tout
          l'héroïsme d'une grande <choice>
            <orig>ame</orig>
            <reg>âme</reg>
          </choice> au milieu des assassins qui le poignardent, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> je ne sais si le sentiment qu'on éprouve alors, ne vaut pas bien celui que fait
          naître le sang d'Iphigénie qui coule sur l'autel.</p>
        <p>Peut-être vaut-il mieux, reprit Euphorbe&#160;; mais malheureusement il y a beaucoup plus
          de cœurs sensibles, que d'âmes<note resp="editor">La graphie de l'original est ici plus
            moderne que dans le reste du texte.</note> grandes <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> élevées. D'ailleurs il arrive assez souvent, qu'en voulant atteindre le sublime,
          on donne dans le gigantesque <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> l'<choice>
            <sic>empoulé</sic>
            <corr>ampoulé</corr>
          </choice><note resp="editor">La graphie de l'original n'est pas attestée dans les
            dictionnaires de référence.</note>. Le Tasse en décrivant le dernier combat des
          Chrétiens contre les infidèles<note resp="editor">La graphie de l'original est ici plus
            moderne que dans le reste du texte.</note>, dit avec plus d'emphase que de
          grandeur&#160;: <q rend="inline">Les nués <pb xml:id="p493"/> disparurent, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> le ciel voulut voir à découvert ces grandes actions.</q></p>

        <p><q>
            <l rend="indent">E senza velo</l>
            <l>Volse mirar l'opre grandi il cielo.</l></q></p>
        <p>Il est donc plus sûr <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> plus facile d'intéresser par le pathétique, que par le sublime. Il <choice>
            <orig>falloit</orig>
            <reg>fallait</reg>
          </choice> le génie de Corneille pour se soutenir dans une pareille élévation. Ses
          successeurs ont sagement fait de se rapprocher de nous&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> ils ont réussi à nous charmer, sans nous étonner. Sophocle lui-même emploie
          souvent le pathétique, pour émouvoir les spectateurs, en y mêlant, il est vrai, presque
          toujours quelques-uns de ces traits forts <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> vigoureux, qui forment son <choice>
            <orig>caractere</orig>
            <reg>caractère</reg>
          </choice> particulier. De ce genre, est la peinture que Hyllus fait à Déjanire d'Hercule
          mourant, dans l'endroit dont je vous <choice>
            <orig>parlois</orig>
            <reg>parlais</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>tout-à-l'heure</orig>
            <reg>tout à l'heure</reg>
          </choice>,<note resp="author">Trachin. Acte 4, sc. 2.</note> La voici dans la traduction
          de M. Dupuy. <q rend="inline">Paré de votre main, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> la joie de son cœur peinte sur le visage, il adresse ses <choice>
              <orig>prieres</orig>
              <reg>prières</reg>
            </choice> aux dieux&#160;: mais à peine le feu a-t-il <choice>
              <sic>embrâsé</sic>
              <corr>embrasé</corr>
            </choice> le bûcher chargé <pb xml:id="p494"/> des victimes sanglantes, qu'on voit
            sortir de tout son corps une sueur abondante. La robe s'attache <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> se colle fortement à tous ses membres&#160;: un poison dévorant, tel que le
            venin d'une <choice>
              <orig>vipere</orig>
              <reg>vipère</reg>
            </choice>, ronge, <choice>
              <orig>pénétre</orig>
              <reg>pénètre</reg>
            </choice> les chairs, s'insinue jusqu'à la moelle des os, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> produit d'affreuses convulsions. Il appelle Lichas, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> lui demande de quelle main perfide il <choice>
              <orig>tenoit</orig>
              <reg>tenait</reg>
            </choice> ce funeste présent. Lichas, l'infortuné Lichas, qui <choice>
              <orig>ignoroit</orig>
              <reg>ignorait</reg>
            </choice> votre artifice, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> n'y <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> aucune part, répond qu'il ne l'avait reçu que de vous, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> qu'il l'<choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> apporté dans l'état qu'il lui <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> été confié. <choice>
              <orig>A</orig>
              <reg>À</reg>
            </choice> ces mots Hercule, dans un accès de douleur qui le <choice>
              <orig>pénétre</orig>
              <reg>pénètre</reg>
            </choice> jusqu'au fond des entrailles, prend Lichas par le pied, le jette <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> l'écrase contre un rocher qui <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> dans la mer. La tête brisée de ce malheureux n'offre plus qu'un mélange
            affreux de cervelle <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de sang. Tout le peuple à l'instant pousse à l'envi des <choice>
              <orig>gémissemens</orig>
              <reg>gémissements</reg>
            </choice> que lui arrachent <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> la mort funeste de <choice>
              <orig>Lychas</orig>
              <reg>Lichas</reg>
            </choice><note resp="editor">La graphie de l'original est ici différente de celle
              trouvée dans le reste du texte.</note>
            <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> l'état douloureux d'Alcide&#160;; mais personne n'ose approcher. Tantôt il se
            roule par terre, tantôt il se <choice>
              <orig>releve</orig>
              <reg>relève</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> pousse des cris effroyables, qui font retentir au loin les rivages <pb
              xml:id="p495"/> de l'Eubée <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> les montagnes de la Thessalie. Souvent épuisé par la violence de ses douleurs,
            il <choice>
              <orig>tomboit</orig>
              <reg>tombait</reg>
            </choice> à terre, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> sa fureur s'<choice>
              <orig>exhaloit</orig>
              <reg>exhalait</reg>
            </choice> en imprécations terribles contre l'hymen fatal qui l'<choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> uni à la fille d'Œnée, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> qui <choice>
              <orig>faisoit</orig>
              <reg>faisait</reg>
            </choice> en ce jour son tourment <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> sa perte. Enfin, dans la noire vapeur qui l'<choice>
              <orig>obséde</orig>
              <reg>obsède</reg>
            </choice> sans relâche, il jette de côté <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> d'autre des regards égarés, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> m'<choice>
              <orig>appercevant</orig>
              <reg>apercevant</reg>
            </choice> dans la foule, où je <choice>
              <orig>fondois</orig>
              <reg>fondais</reg>
            </choice> en larmes, il m'appelle. Approchez, mon fils, dit-il&#160;; n'abandonnez pas
            un <choice>
              <orig>pere</orig>
              <reg>père</reg>
            </choice> dans l'état déplorable où vous le voyez&#160;: approchez&#160;; dussiez-vous
            terminer avec lui votre sort, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> s'il vous reste quelque sentiment de tendresse <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de pitié, enlevez-moi promptement de cette terre, afin que je n'y finisse pas
            mes tristes jours. Transportez-moi loin d'ici, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> dans un lieu où je puisse cacher à l'univers entier ma cruelle destinée. <choice>
              <orig>A</orig>
              <reg>À</reg>
            </choice> ces mots, nous le portons au vaisseau <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> nous l'amenons sur ces<note>Desit: ses?</note> bords avec bien de la peine. Il
            a été sans cesse travaillé par la violence de ses maux&#160;; <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> vous le verrez bientôt expirant, si même il vit encore.</q> Quel choix des
          circonstances les plus capables d'émouvoir <pb type="wordbreaking" xml:id="p496"/>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> d'attendrir sur le sort de ce heros&#160;? C'est au moment où il se <choice>
            <orig>livroit</orig>
            <reg>livrait</reg>
          </choice> à la joie la plus pure, que d'horrible <choice>
            <orig>tourmens</orig>
            <reg>tourments</reg>
          </choice> vont lui ravir le jour. Mais vous remarquez, sans doute, comme moi, quelle
          vivacité <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> quel intérêt ajoute ici la situation de Déjanire. On lui raconte la mort cruelle
          de son époux, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> c'est elle seule qui en est la cause innocente, pour avoir ajouté foi aux
          paroles de Nessus. Cette circonstance ne donne-t-elle pas une force <choice>
            <orig>singuliere</orig>
            <reg>singulière</reg>
          </choice> à ce que dit Hyllus, qu'<q rend="italic">Hercule <choice>
              <orig>exhaloit</orig>
              <reg>exhalait</reg>
            </choice> sa fureur en intprécations terribles contre l'hymen fatal qui l'<choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> uni à la fille d'Œnée</q>&#160;?</p>

        <p>Il me semble, ajouta Timagène, qu'il y a une situation <choice>
            <orig>à-peu-près</orig>
            <reg>à peu près</reg>
          </choice> semblable dans la <choice>
            <orig>Phèdre</orig>
            <reg><hi rend="italic">Phèdre</hi></reg>
          </choice> de Racine. <choice>
            <orig>Théramene</orig>
            <reg>Théramène</reg>
          </choice> raconte à Thésée la mort d'Hyppolite son fils, dont cet infortuné <choice>
            <orig>pere</orig>
            <reg>père</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>étoit</orig>
            <reg>était</reg>
          </choice> devenu l'auteur, en prêtant l'oreille aux accusations de sa femme contre ce
          prince innocent. J'y trouve même un trait, qui, comme le vôtre, emprunte une énergie toute <choice>
            <orig>particuliere</orig>
            <reg>particulière</reg>
          </choice> de cette situation&#160;: ce sont ces deux beaux vers, où <choice>
            <orig>Théramene</orig>
            <reg>Théramène</reg>
          </choice> peint le cadavre défiguré de ce prince malheureux&#160;:</p>

        <p><pb xml:id="p497"/><note resp="author">Phed. Acte 5, sc. 6.</note>
          <q rend="verse">
            <l>Triste objet, où des Dieux éclate la <choice>
                <orig>colere</orig>
                <reg>colère</reg>
              </choice>, </l>
            <l>Et que <choice>
                <sic>m'éconnoîtroit</sic>
                <corr>méconnaîtrait</corr>
              </choice> l'<choice>
                <orig>œuil</orig>
                <reg>œil</reg>
              </choice> même de son <choice>
                <orig>pere</orig>
                <reg>père</reg>
              </choice>.</l></q></p>
        <p>Quel coup doit porter au cœur de Thésée cette réflexion&#160;?</p>
        <p>Ce coup est si sensible, poursuivit Euphorbe, qu'il <choice>
            <orig>devroit</orig>
            <reg>devrait</reg>
          </choice> peut-être avoir des effets plus tristes, qu'il n'en a dans la <choice>
            <orig>piece</orig>
            <reg>pièce</reg>
          </choice>. Je ne puis m'empêcher d'accorder ici l'avantage au tragique Grec, sur le <choice>
            <orig>françois</orig>
            <reg>français</reg>
          </choice>. Outre le <choice>
            <orig>stile</orig>
            <reg>style</reg>
          </choice> de la description, plus naturel, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>dès-lors</orig>
            <reg>dès lors</reg>
          </choice> plus pathétique dans le premier que dans Ie second, quelle différence dans les
          suites qu'elle a chez l'un <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> l'autre <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice>&#160;? Déjanire écoute le récit d'Hyllus avec cette sombre <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> morne attention qui <choice>
            <orig>décéle</orig>
            <reg>décèle</reg>
          </choice> l'excès de la douleur. Son désespoir est au comble&#160;: elle fort sans dire un
          mot&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> c'est pour se donner la mort. Voilà la nature peinte en grand. Cette conduite
          est bien plus expressive, que les exclamations de Thésée. De tout cela, il est aisé de
          conclure, que le pathétique dépend <choice>
            <orig>entiérement</orig>
            <reg>entièrement</reg>
          </choice> du soin que le <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice> a de rassembler les circonstances les plus naturelles en elles-mêmes, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> les plus capables de nous attendrir sur l'objet <pb xml:id="p498"/> qui nous est
            présenté.<note resp="author"><q rend="verse"><l>Discitur hinc etenim sensus
                mentesque legentum </l><l>Flectere, diversosque animis motus dare, ut illis
                </l><l>Imperet atte potens (dictu mirabile) vates. </l><l>Nam semper seu laeta
                canat, seu tristia moerens, </l><l>Affectas implet racitâ dulcedine
              mentes.</l></q> Vid. Poët. lib. 2.</note>
          <q rend="inline">Voilà, dit le <choice>
              <orig>poëte</orig>
              <reg>poète</reg>
            </choice> de Crémone, quels ressorts doit faire jouer le favori des muses, pour conduire
            à son gré l'esprit <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> le cœur de ses lecteurs, pour leur inspirer les <choice>
              <orig>mouvemens</orig>
              <reg>mouvements</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> les passions qu'il lui plaît, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> par <choice>
              <sic>un</sic>
              <corr>une</corr>
            </choice>
            <choice>
              <orig>espece</orig>
              <reg>espèce</reg>
            </choice> de prodige, les soumettre à l'effort tout-puissant de son art. Soit qu'il nous
            porte à la joie, soit qu'il veuille nous arracher des pleurs, toujours il répand dans
            notre <choice>
              <orig>ame</orig>
              <reg>âme</reg>
            </choice> un sentiment plein de douceur <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de charmes.</q> L'<choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <reg>auteur</reg>
          </choice> ne se contente pas de le dire, il le prouve par des exemples tirés de Virgile,
          son <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice> favori.<note resp="author"><q rend="verse">Quem non Threicii quondam sors
              aperta vatis Molliat, amissam dum solo in littore secum, Eurydice, solans aegrum
              testudine amorem, Te veniente die, te decedente canebat&#160;? [p. 499] <l>Quid&#160;
                Puer Euryalus cum pulchros volvitur artus, </l><l>Ah dolor&#160;! inque humeros
                lapsâ cervice recumbens, </l>Languescit moriens, ceu flos succisus aratro&#160;
                <l>Ardet adire animus lectori, <choice>
                  <orig>&amp;</orig>
                  <reg>et</reg>
                </choice> currere in ipsunt </l><l>Volscentem, puerique manum supponere mento
                </l><l>Labenti, ac largum frustra prohibere cruorem Purpureo niveum signantem
                flumine pectus.</l></q> Ib.</note>
          <q rend="inline">Qui <choice>
              <orig>seroit</orig>
              <reg>serait</reg>
            </choice> insensible, continue-t-il, au sort déplorable du <pb xml:id="p499"/> chantre
            de la Thrace, lorsque seul sur un rivage désert, il pleure la perte de son épouse, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> tâche de charmer son amour désespéré, lorsque les lugubres <choice>
              <orig>accens</orig>
              <reg>accents</reg>
            </choice> de sa lyre chantent le nom d'Euridice au lever de l'aurore, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> le répétant encore au coucher du soleil&#160;? Quel tableau plus touchant que
            celui d'Euryale, lorsque ce bel enfant tombe sous les coups de son ennemi&#160;? Sa tête
            languissante demeure <choice>
              <orig>panchée</orig>
              <reg>penchée</reg>
            </choice> sur ses épaules&#160;; la pâleur de la mort se répand sur ses lèvres&#160;;
            c'est une fleur coupée par le tranchant de la charrue. <choice>
              <orig>A</orig>
              <reg>À</reg>
            </choice> cette peinture, le lecteur <choice>
              <orig>voudroit</orig>
              <reg>voudrait</reg>
            </choice> s'avancer lui-même, fondre sur Volscens, soutenir de la main cette tête
            mourante, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> faire des efforts, même inutiles, pour arrêter ces flots de sang qui coulent
            le long de sa poitrine.</q></p>
        <p><pb xml:id="p500"/> Votre bon prélat, reprit Timagène, <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> du goût <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>possédoit</orig>
            <reg>possédait</reg>
          </choice> bien son Virgile. Il <choice>
            <orig>pensoit</orig>
            <reg>pensait</reg>
          </choice> avec raison que les grands mots, les exclamations, les phrases coupées <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> ponctuées sont moins propres au pathétique que les circonstances réunies avec
          habileté. C'est le grand art qu'emploie Racine pour émouvoir, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> dans lequel il réussit si bien&#160;; témoin cette description touchante que
          fait Josabeth dans la tragédie d'Athalie, en parlant du jeune Joas.<note resp="author"
            >Athalie, Acte 1. sc. 2.</note></p>
        <p><q rend="verse">
            <l>Hélas&#160;! L'état horrible où le ciel me l'offrit, </l>
            <l>Revient à tout moment effrayer mon esprit&#160;! </l>
            <l>De princes égorgés la chambre <choice>
                <orig>étoit</orig>
                <reg>était</reg>
              </choice> remplie. </l>
            <l>Un poignard à la main l'implacable Athalie </l>
            <l>Au carnage <choice>
                <orig>animoit</orig>
                <reg>animait</reg>
              </choice> ses barbares soldats, </l>
            <l>Se <choice>
                <orig>poursuivoit</orig>
                <reg>poursuivait</reg>
              </choice> le cours de ses assassinats. </l>
            <l>Joas laissé pour mort frappa soudain ma vue. </l>
            <l>Je me figure encor sa nourrice éperdue, </l>
            <l>Qui devant les bourreaux s'<choice>
                <orig>étoit</orig>
                <reg>était</reg>
              </choice>
              <choice>
                <orig>jetté</orig>
                <reg>jeté</reg>
              </choice>
              <choice>
                <orig>envain</orig>
                <reg>en vain</reg>
              </choice>, </l>
            <l>Et <choice>
                <orig>foible</orig>
                <reg>faible</reg>
              </choice> le <choice>
                <orig>tenoit</orig>
                <reg>tenait</reg>
              </choice> renversé sur son sein. </l>
            <l>Je le pris tout sanglant. En baignant son visage, </l>
            <l>Mes pleurs du sentiment lui rendirent l'usage&#160;; </l>
            <l>Et, soit frayeur encore, ou pour me caresser, </l>
            <l>De ses bras <choice>
                <orig>innocens</orig>
                <reg>innocents</reg>
              </choice> je me sentis presser.</l>
          </q>
        </p>
        <p><pb xml:id="p501"/> Il n'y a <choice>
            <orig>pas-là</orig>
            <reg>pas là</reg>
          </choice> un coup de pinceau qui ne porte avec lui un sentiment. Qui ne <choice>
            <orig>seroit</orig>
            <reg>serait</reg>
          </choice> ému à la vue de cette nourrice qui ose se <choice>
            <orig>jetter</orig>
            <reg>jeter</reg>
          </choice> au-devant des assassins, de cet enfant renversé tout sanglant surt son
          sein&#160;? Mais <choice>
            <orig>sur-tout</orig>
            <reg>surtout</reg>
          </choice> quel trait admirable que le mouvement de ce même enfant, qui blessé, presque
          sans <choice>
            <orig>connoissance</orig>
            <reg>connaissance</reg>
          </choice>, presse entre ses bras la personne qui le tient&#160;! Ce <choice>
            <orig>sont-là</orig>
            <reg>sont là</reg>
          </choice> de ces circonstances délicates, qui ne sont <choice>
            <orig>apperçues</orig>
            <reg>aperçues</reg>
          </choice> que par l'<choice>
            <orig>œuil</orig>
            <reg>œil</reg>
          </choice> d'un grand maître.</p>
        <p>Ce concours adroit des circonstances, ajouta Euphorbe, est le ressort le plus puissant, <choice>
            <orig>non-seulement</orig>
            <reg>non seulement</reg>
          </choice> pour produire le pathétique, mais encore pour inspirer toutes les passions <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> tous les <choice>
            <orig>mouvemens</orig>
            <reg>mouvements</reg>
          </choice> dont l'<choice>
            <orig>ame</orig>
            <reg>âme</reg>
          </choice> est susceptible. Voyons dans un autre endroit du même <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice>, comment il contribue à faire naître l'éloignement <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> l'horreur. Céphise, confidente d'Andromaque, veut persuader à cette princesse de
          donner la main à Pyrrhus, pour mettre à couvert les jours d'Astyanax son fils&#160;;
          puisque c'est à ce prix que le prince Grec consent à lui conserver la vie. La veuve
          d'Hector indignée de ce conseil, s'attache à montrer combien Pyrrhus est un objet <pb
            xml:id="p502"/> odieux pour elle, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> par ses propres exploits, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> par ceux d'Achille son <choice>
            <orig>pere</orig>
            <reg>père</reg>
          </choice>. Elle <choice>
            <sic>réprend</sic>
            <corr>répond</corr>
          </choice> donc ainsi,<note resp="author">Androm, Act. 3. sc. 7.</note></p>
        <p><q rend="verse">
            <l>Dois-je oublier Hector privé de funérailles, </l>
            <l>Et traîné, sans honneur, autour de nos murailles&#160;? </l>
            <l>Dois-je oublier son <choice>
                <orig>pere</orig>
                <reg>père</reg>
              </choice> à mes pieds renversé, </l>
            <l>Ensanglantant l'autel qu'il <choice>
                <orig>tenoit</orig>
                <reg>tenait</reg>
              </choice> embrassé&#160;? </l>
            <l>Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle, </l>
            <l>Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle. </l>
            <l>Figure-toi Pyrrhus, les <choice>
                <orig>ieux</orig>
                <reg>yeux</reg>
              </choice>
              <choice>
                <orig>étincelans</orig>
                <reg>étincelants</reg>
              </choice>, </l>
            <l>Entrant à la lueur de nos palais <choice>
                <orig>brûlans</orig>
                <reg>brûlants</reg>
              </choice>&#160;; </l>
            <l>Sur tous mes <choice>
                <orig>freres</orig>
                <reg>frères</reg>
              </choice> morts se faisant un passage, </l>
            <l>Et, de sang tout couvert, échauffant le carnage.</l>
            <l>Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des <choice>
                <orig>mourans</orig>
                <reg>mourants</reg>
              </choice>, </l>
            <l>Dans la flamme étouffés, sous le fer <choice>
                <orig>expirans</orig>
                <reg>expirants</reg>
              </choice>. </l>
            <l>Peins-toi dans ces horreurs Andromaque éperdue, </l>
            <l>Voilà comme Pyrrhus vint s'offrir à ma vue&#160;; </l>
            <l>Voilà par quels exploits il <choice>
                <orig>sçut</orig>
                <reg>sut</reg>
              </choice> se couronner&#160;; </l>
            <l>Enfin, voilà l'époux que tu me veux donner.</l>
          </q></p>
        <p><pb xml:id="p503"/> Je pense que ce morceau peut bien figurer auprès du vôtre, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> que les circonstances y sont assez bien rapprochées, pour nous donner l'idée la
          plus affreuse du fils d'Achillle.</p>
        <p>Puisque vous parlez de descriptions effrayantes <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> terribles, interrompit Timagène, j'en vois peu qui produisent mieux cet effet,
          que ce peu de vers traduits du <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>Eschile</orig>
            <reg>Éschyle</reg>
          </choice>, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> que l'on trouve dans le <choice>
            <orig>traité du sublime</orig>
            <reg><hi rend="italic">Traité du sublime</hi></reg>
          </choice> de Longin.<note resp="author">Ch. 13.</note></p>
        <p><q rend="verse">
            <l>Sur un bouclier noir sept chefs impitoyables </l>
            <l><choice>
                <orig>Epouvantent</orig>
                <reg>Épouvantent</reg>
              </choice> les Dieux de <choice>
                <orig>sermens</orig>
                <reg>serments</reg>
              </choice> effroyables. </l>
            <l>Près d'un taureau mourant qu'ils viennent d'égorger, </l>
            <l>Tous, la main dans le sang, jurent de se <choice>
                <orig>vanger</orig>
                <reg>venger</reg>
              </choice>&#160;: </l>
            <l>Ils en jurent la peur, le dieu Mars <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> Bellone.</l>
          </q></p>
        <p>Et cet autre morceau de je ne <choice>
            <orig>sçais</orig>
            <reg>sais</reg>
          </choice> quel <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice>, qui fait ainsi le portrait du démon de la guerre. <pb xml:id="p504"/>
        </p>
        <p><q rend="verse">
            <l>Quelle divinité barbare </l>
            <l>S'offre à mes <choice>
                <orig>ieux</orig>
                <reg>yeux</reg>
              </choice> épouvantés&#160;? </l>
            <l>Deux glaives forgés au Tartare </l>
            <l>Arment ses bras ensanglantés&#160;: </l>
            <l>Des <choice>
                <orig>serpens</orig>
                <reg>serpents</reg>
              </choice> forment sa couronne&#160;; </l>
            <l>L'ombre de la mort l'environne&#160;; </l>
            <l>Le tonnerre gronde à l'entour&#160;: </l>
            <l>Les inexorables furies, </l>
            <l>Les gorgones de sang nourries, </l>
            <l>Composent son horrible cour.</l>
          </q></p>
        <p>Quel assemblage d'objets tous plus épouvantables les uns que les autres&#160;!</p>
        <p>Les exemples dans ce genre, repartit Euphorbe, se présentent en foule dans nos bons <choice>
            <orig>Auteurs</orig>
            <reg>auteurs</reg>
          </choice>. <choice>
            <orig>A</orig>
            <reg>À</reg>
          </choice> ceux que vous venez de citer, on <choice>
            <orig>pourroit</orig>
            <reg>pourrait</reg>
          </choice> joindre le récit qu'Athalie fait elle-même d'un songe affreux qui lui annonce
          ses malheurs, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> cet endroit si connu de la cantate de Circé, où le grand Rousseau décrit les
          effets d'un enchantement.</p>
        <p><q rend="verse">
            <l>Sa voix redoutable </l>
            <l>Trouble les enfers&#160;; </l>
            <l>Un bruit formidable </l>
            <l>Gronde dans les airs&#160;; </l>
            <l>Un voile effroyable </l>
            <l>Couvre l'univers&#160;:</l>
            <l><pb xml:id="p505"/> La terre tremblante </l>
            <l>Frémit de terreur&#160;; </l>
            <l>L'onde turbulente </l>
            <l>Mugit de fureur&#160;; </l>
            <l>La lune sanglante </l>
            <l>Recule d'horreur.</l>
          </q></p>

        <p>Au reste, parmi tous ces traits propres à rendre un objet odieux, il faut se donner de
          garde d'en admettre aucun qui rende la peinture dégoûtante. L'imagination échauffée
          s'aveugle quelquefois <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> donne dans cet <choice>
            <orig>écueuil</orig>
            <reg>écueil</reg>
          </choice>, sans s'en <choice>
            <orig>appercevoir</orig>
            <reg>apercevoir</reg>
          </choice>. Horace, cet oracle du goût, semble s'être oublié dans ces vers, où il peint
          Cerbère&#160;; si cependant cette strophe n'a pas été ajoutée par quelque copiste
            ignorant,<note resp="author">Lib. 3 Od. 11.</note></p>
        <p><q rend="verse">
            <l rend="indent">Quamvis furiale centum </l>
            <l>Muniant angues caput ejus, atque </l>
            <l>Spiritus teter saniesque manet </l>
            <l rend="indent">Ore trilingui.</l>
          </q></p>
        <p>Cette haleine empestée, ce sang corrompu qui coule de la gueule du monstre infernal, est
          plus capable de soulever <pb n="506" xml:id="p506"/> le cœur, que de porter l'effroi dans
          l'esprit.</p>
        <p>Ce <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice>, répliqua Timagène, a porté lui-même son arrêt, lorsqu'il nous a dit que tout ce
          qui sort des bornes précieuses de la nature, devient outré <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> ne peut plaire. Je crois qu'il en est du récit comme du spectacle. Une scène
          tendue de noir, ornée de larmes funèbres<note resp="editor">La graphie de l'original est
            ici plus moderne que dans le reste du texte.</note>, parsemée d'<choice>
            <orig>ossemens</orig>
            <reg>ossements</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de têtes de morts, où I'<choice>
            <orig>œuil</orig>
            <reg>œil</reg>
          </choice> découvre des tombeaux ouverts <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> des cadavres <choice>
            <orig>à demi-corrompus</orig>
            <reg>à demi corrompus</reg>
          </choice>&#160;;<note resp="author">Roméo, Trag.</note> telle enfin qu'on <choice>
            <sic>la</sic>
            <corr>l'a</corr>
          </choice> vue de nos jours, n'est plus qu'un triste convoi qui m'accable ou me révolte.
          Mais détournons un peu nos <choice>
            <orig>ieux</orig>
            <reg>yeux</reg>
          </choice> de ces objets lugubres, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> fixons-les sur des descriptions plus propres à nous égayer. L'empire qu'elles
          ont sur nos <choice>
            <orig>sentimens</orig>
            <reg>sentiments</reg>
          </choice> doit s'étendre, sans doute, sur celui-là, comme sur les autres.</p>
        <p>Vous en rencontrerez de ce genre, reprit Euphorbe, dans tous les grands écrivains anciens <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> modernes. Telle est la description des <choice>
            <orig>champs Elisées</orig>
            <reg>champs Élysées</reg>
          </choice> dans Virgile, celle du paradis terrestre dans Milton, celle du palais d'Armide <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de <pb xml:id="p507"/> ses environs dans le Tasse. Voici de quelle <choice>
            <orig>maniere</orig>
            <reg>manière</reg>
          </choice> M. Mirabaud a traduit Ia <choice>
            <orig>derniere</orig>
            <reg>dernière</reg>
          </choice>.<note resp="author">Jérus. dél. chant 15 <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> 16.</note>
          <q rend="inline">Après que les chevaliers furent parvenus au haut de la montagne, ils
            virent une agréable plaine, qui s'<choice>
              <orig>étendoit</orig>
              <reg>étendait</reg>
            </choice> sous un ciel pur <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> serein. La terre y <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> couverte d'un gazon toujours <choice>
              <orig>verd</orig>
              <reg>vert</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> émaillé des plus riantes fleurs. Dans ce climat enchanté, jamais le rigoureux <choice>
              <orig>hyver</orig>
              <reg>hiver</reg>
            </choice> ne <choice>
              <orig>pénétre</orig>
              <reg>pénètre</reg>
            </choice>&#160;; les ardeurs brûlantes de l'été ne s'y font jamais sentir&#160;: on y
            respire en tout temps un air délicieux, que <choice>
              <orig>tempere</orig>
              <reg>tempère</reg>
            </choice> le doux Zéphire, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> que l'aimable Flore parfume. Au milieu de cette belle plaine <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> sur le bord d'un lac, <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> un magnifique palais d'où l'on <choice>
              <orig>découvroit</orig>
              <reg>découvrait</reg>
            </choice> la mer <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> les <choice>
              <orig>isles</orig>
              <reg>îles</reg>
            </choice> voisines, sur lesquelles ce somptueux édifice <choice>
              <orig>sembloit</orig>
              <reg>semblait</reg>
            </choice> dominer<choice>
              <orig>....</orig>
              <reg>. [...]</reg>
            </choice> Le superbe palais d'Armide étoit d'une forme ronde<choice>
              <orig>.....</orig>
              <reg>. [...]</reg>
            </choice> La porte <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> d'argent <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> les gonds en <choice>
              <orig>étoient</orig>
              <reg>étaient</reg>
            </choice> d'or, mais l'ouvrage dont elle <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> ornée, <choice>
              <orig>surpassoit</orig>
              <reg>surpassait</reg>
            </choice> infiniment la <choice>
              <orig>matiere</orig>
              <reg>matière</reg>
            </choice>. Les figures qu'on y <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> gravées <choice>
              <orig>étoient</orig>
              <reg>étaient</reg>
            </choice> si bien faites, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> on leur <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> donné <pb xml:id="p508"/> tant d'expression, qu'elles <choice>
              <orig>paroissoient</orig>
              <reg>paraissaient</reg>
            </choice> animées<choice>
              <orig>....</orig>
              <reg>. [...]</reg>
            </choice> Après que les chevaliers eurent légérement considéré ce bel ouvrage<choice>
              <orig>....</orig>
              <reg> [...]</reg>
            </choice> Ils parvinrent à l'entrée du jardin. Alors s'offrit à leurs <choice>
              <orig>ieux</orig>
              <reg>yeux</reg>
            </choice> tout ce qu'on peut imaginer de plus agréable <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de plus charmant. Les parterres émaillés de fleurs, les bosquets toujours <choice>
              <orig>verds</orig>
              <reg>verts</reg>
            </choice>, les fontaines cristallines prodiguant leurs eaux sous mille formes
            différentes, les <choice>
              <orig>grotes</orig>
              <reg>grottes</reg>
            </choice>, les riants côteaux, les vallons frais <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> sombres <choice>
              <orig>ornoient</orig>
              <reg>ornaient</reg>
            </choice> à l'envi ce délicieux séjour. Mais ce qui en <choice>
              <orig>faisoit</orig>
              <reg>faisait</reg>
            </choice> la plus grande beauté, c'est que l'art y <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> tellement caché, que ce jardin <choice>
              <orig>sembloit</orig>
              <reg>semblait</reg>
            </choice> devoir à la nature seule tous ses <choice>
              <orig>ornemens</orig>
              <reg>ornements</reg>
            </choice>.<note resp="editor">Une nouvelle instance du principe 'ars est celare artem'
              formulé par Ovide dans son <hi rend="italic">Ars Amatoria</hi>&#160;; voir également
                <ref target="#p71">page 71</ref>.</note> L'air toujours également tempéré, y <choice>
              <orig>faisoit</orig>
              <reg>faisait</reg>
            </choice> produire aux arbres des fleurs <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> des fruits en tout temps&#160;; à côté d'une figue encore verte <choice>
              <orig>pendoit</orig>
              <reg>pendait</reg>
            </choice> à la même branche une figue d'une parfaite maturité, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> sur le même pied on <choice>
              <orig>voyoit</orig>
              <reg>voyait</reg>
            </choice> la vigne encore en fleur chargée de raisins murs <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> d'un goût exquis. Au murmure des eaux, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> à celui des feuilles qu'<choice>
              <orig>agitoit</orig>
              <reg>agitait</reg>
            </choice> l'haleine des zéphyrs, une infinité de petits oiseaux <choice>
              <orig>accordoient</orig>
              <reg>accordaient</reg>
            </choice> leur ramage.</q> Il <pb xml:id="p509"/> est difficile assurément de voir
          une peinture plus gaie <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> plus agréable.</p>
        <p>Ce <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>Italien</orig>
            <reg>italien</reg>
          </choice> a une imagination <choice>
            <orig>très-riche</orig>
            <reg>très riche</reg>
          </choice>, ajouta Timagene&#160;; mais je lui trouve un autre mérite qui lui est
          particulier. Son récit intéresse <choice>
            <orig>singuliérement</orig>
            <reg>singulièrement</reg>
          </choice>&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> je pense qu'on doit attribuer principalement cet effet aux situations délicates
          dans lesquelles il met souvent ses personnages, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> qui ménagent au lecteur une surprise délicieuse. <choice>
            <orig>C'est-là</orig>
            <reg>C'est là</reg>
          </choice>, s'il m'en souvient bien, ce que vous appelliez suspension.<note resp="editor"
            >Les deux interlocuteurs en avaient déjà parlé plus tôt&#160;; voir <ref target="#124"
              >page 124</ref>.</note> Telle est l'arrivée inattendue de Clorinde à Jérusalem, au
          moment ou Sophronie <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> Olinde vont subir un supplice infâme <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> cruel, auquel cette <choice>
            <orig>héroine</orig>
            <reg>héroïne</reg>
          </choice> s'empresse de les arracher&#160;: tel est le combat de cette même Clorinde
          contre Tancrède, qui ne <choice>
            <orig>reconnoît</orig>
            <reg>reconnaît</reg>
          </choice> son amante qu'après lui avoir donné le coup de la mort&#160;: telle est la
          rencontre d'Herminie à la suite d'Armide, au milieu de l'armée <choice>
            <orig>Egyptienne</orig>
            <reg>égyptienne</reg>
          </choice>, lorsqu'on la croit encore dans la retraite champêtre, où la frayeur l'<choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> conduite. </p>
        <p>Il est vrai, repartit Euphorbe, que ces situations sont assez fréquentes dans <choice>
            <orig>la Jérusalem délivrée</orig>
            <reg>la <hi rend="italic">Jérusalem délivrée</hi></reg>
          </choice>. Elles le sont peut-être au point de donner à ce <choice>
            <orig>poëme</orig>
            <reg>poème</reg>
          </choice>
          <pb xml:id="p510"/> un petit air de roman, qui, joint à quelques pensées recherchées, à
          ces <hi rend="italic">concetti</hi> familiers aux Italiens, forme sans doute ce clinquant,
          que Despréaux <choice>
            <orig>condamnoit</orig>
            <reg>condamnait</reg>
          </choice> dans ce bel ouvrage. Mais enfin, comme chaque <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice> a ses défauts, chacun aussi a son mérite particulier. <choice>
            <orig>Homere</orig>
            <reg>Homère</reg>
          </choice> excelle par le génie, Virgile par le naturel, Milton par la force <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> l'énergie, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> le Tasse par l'esprit <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> le brillant. Pour la solidité de l'instruction <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> les richesses de la <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice>, il en est peu qui le disputent à l'archevêque de Cambrai.</p>
        <p>Soit dit sans vous offenser, répliqua Timagène&#160;; vous me <choice>
            <orig>paroissez</orig>
            <reg>paraissez</reg>
          </choice> un peu hardi de vanter la <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice> d'un ouvrage, qu'on refuse de nommer un <choice>
            <orig>poëme</orig>
            <reg>poème</reg>
          </choice>, bien loin de le <choice>
            <orig>reconnoître</orig>
            <reg>reconnaître</reg>
          </choice> pour un <choice>
            <orig>poëme</orig>
            <reg>poème</reg>
          </choice> épique. Je veux bien y voir avec vous toute la conduite de l'épopée&#160;;
          l'unité d'action, de héros <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de temps&#160;; le merveilleux le plus frappant, l'intérêt le plus vif,
          l'imagination la plus brillante&#160;: mais il n'est point un <choice>
            <orig>poëme</orig>
            <reg>poème</reg>
          </choice>, dès qu'il n'est point écrit en vers. </p>
        <p>Cet oracle, reprit Euphorbe, est-il aussi sûr que vous paroissez le croire&#160;? Je vais
          tâcher de justifier ma hardiesse, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> d'assurer au <choice>
            <orig>Télémaque</orig>
            <reg><hi rend="italic">Télémaque</hi></reg>
          </choice> le titre de <choice>
            <orig>poëme</orig>
            <reg>poème</reg>
          </choice> épique. On convient assez communément <pb type="wordbreaking" xml:id="p511"/>
          que l'épopée est le récit <choice>
            <orig>poëtique</orig>
            <reg>poétique</reg>
          </choice> d'une action grande, merveilleuse, intéressante, exécutée par un héros dans un
          certain espace de temps. De toutes les qualités renfermées dans cette définition, vous
          n'en contestez qu'une à l'ouvrage dont il s'agit&#160;: c'est déjà un grand avantage pour
          moi. Toute la difficulté roule donc sur ces mots, <hi rend="italic">un récit <choice>
              <orig>poëtique</orig>
              <reg>poétique</reg>
            </choice></hi> auxquels des gens de lettres ont substitué un récit en vers. Pour moi, je
          pense qu'il faut mettre une grande différence entre l'un <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> l'autre. On lit tous les jours des vers sans <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice>&#160;; on peut lire aussi de la <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice> sans vers. Le nombre, la mesure des syllabes, la rime, sont une écorce
          extérieure qui n'exige point le secours des muses. La versification est à la <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice>, ce que la bordure est à un tableau. Le coloris, l'expression, l'ordonnance sont
          absolument <choice>
            <orig>indépendans</orig>
            <reg>indépendants</reg>
          </choice> de cette décoration. Rapportons-nous-en sur cette question à Horace&#160;: c'est
          un bon juge.<note resp="author"><q rend="verse">
              <l>Necque enim concludere versum </l>
              <l>Dixeris esse satis&#160;; neque, si quis scribat, uti nos, </l>
              <l><pb n="512" corresp="#p512"/>Sermoni propiora, putes hunc esse poëtam. </l>
              <l>Ingenium cui fit, cui meas divinior, atque os </l>
              <l>Magna sonaturum, des nominis hujus honorem. </l>
            </q>
            <hi rend="italic">Hor. Sat. lib</hi>. 1.</note>
          <q rend="inline">Pour être <choice>
              <orig>poëte</orig>
              <reg>poète</reg>
            </choice>, dit-il, il ne suffit pas de <pb xml:id="p512"/> renfermer un vers dans une
            certaine mesure, comme je le fais maintenant, sans dire rien qui s'élève au-dessus d'une
            conversation <choice>
              <orig>familiere</orig>
              <reg>familière</reg>
            </choice>. Réservez ce titre magnifique pour celui qui a reçu du ciel le génie,
            l'enthousiasme <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> une expression digne des plus grands objets.</q> Voilà donc l'essence de
          la <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice>&#160;: le génie qui choisit habilement son sujet, qui le dispose avec art, qui
          puise dans la vérité <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> la nature ses <choice>
            <orig>caracteres</orig>
            <reg>caractères</reg>
          </choice>, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> qui <choice>
            <orig>sçait</orig>
            <reg>sait</reg>
          </choice> franchir à propos les bornes trop étroites, que les <choice>
            <orig>régles</orig>
            <reg>règles</reg>
          </choice> lui prescrivent&#160;; l'enthousiasme qui enfante le sublime, le pathétique, les
          idées nobles ou riantes, les belles descriptions, les pensées brillantes&#160;; enfin les
          richesses de l'expression, qui ajoute une nouvelle énergie à la pensée, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> qui va quelquefois jusqu'à peindre, pour ainsi dire, à l'oreille l'émotion que
          l'esprit éprouve. Aucune de ces parties ne manque à l'immortel ouvrage de <choice>
            <orig>Fénélon</orig>
            <reg>Fénelon</reg>
          </choice>. On n'exige point ici la vérsification. <pb xml:id="p513"/> Le favori de <choice>
            <orig>Mécêne</orig>
            <reg>Mécène</reg>
          </choice> l'exclut même formellement, si elle est seule, lorsqu'il met au rang de la prose
          la <choice>
            <orig>satyre</orig>
            <reg>satire</reg>
          </choice> qu'il <choice>
            <orig>écrivoit</orig>
            <reg>écrivait</reg>
          </choice> alors, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> qu'il <choice>
            <orig>écrivoit</orig>
            <reg>écrivait</reg>
          </choice> en vers. Si la mesure <choice>
            <sic>où</sic>
            <corr>ou</corr>
          </choice> la rime <choice>
            <orig>étoient</orig>
            <reg>étaient</reg>
          </choice> absolument nécessaires à la <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice>, dans une traduction en prose, elle <choice>
            <orig>perdroit</orig>
            <reg>perdrait</reg>
          </choice> sa nature.<note resp="editor">Bérardier de Bataut ne sera apparemment plus de
            l'opinion d'Euphorbe en 1786, lorsqu'il choisit les vers pour sa traduction de <hi
              rend="italic">L'Anti-Lucrèce</hi> de Melchior de Polignac.</note> De bonne foi, est-ce
          de la prose que nous lisons dans la traduction du beau <choice>
            <orig>poëme</orig>
            <reg>poème</reg>
          </choice> de Milton&#160;? Il a peut-être perdu quelques-unes de ses <choice>
            <orig>graces</orig>
            <reg>grâces</reg>
          </choice>&#160;: mais quelque défiguré qu'on le suppose, on ne le prendra jamais pour une
          histoire&#160;; pas même pour un roman. Ainsi je ne crains point de placer l'<choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <reg>auteur</reg>
          </choice> du <choice>
            <orig>Télémaque</orig>
            <reg><hi rend="italic">Télémaque</hi></reg>
          </choice> sur le Parnasse au-dessus de beaucoup de versificateurs, supposé même que <choice>
            <sic>ceux ci</sic>
            <corr>ceux-ci</corr>
          </choice> y soient admis.</p>
        <p>Vous avez ici un beau champ, poursuivit Timagène&#160;: vous combattiez un ennemi qui ne
          demande que d'être vaincu&#160;: car je vous avoue qu'on a toujours eu bien de la peine à
          me faire voir de la simple prose, par exemple, dans la descriprion charmante que fait cet <choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <reg>auteur</reg>
          </choice> de la <choice>
            <orig>grote</orig>
            <reg>grotte</reg>
          </choice> de Calypso. <q rend="inline">Cette <choice>
              <orig>grote</orig>
              <reg>grotte</reg>
            </choice>, dit-il, <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> taillée dans le roc en voûtes pleines de rocailles <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de coquilles&#160;: elle <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> tapissée d'une jeune vigne qui <choice>
              <orig>étendoit</orig>
              <reg>étendait</reg>
            </choice> également ses bran<pb type="wordbreaking" xml:id="p514"/>ches souples de tous
            côtés. Les doux Zéphyrs <choice>
              <orig>conservoient</orig>
              <reg>conservaient</reg>
            </choice> en ce lieu, malgré les ardeurs du soleil, une délicieuse fraîcheur. Des
            fontaines coulant avec un doux murmure sur des prés semés d'amaranthes <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de violettes, <choice>
              <orig>formoient</orig>
              <reg>formaient</reg>
            </choice> en divers lieux des bains aussi purs <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> aussi clairs que le cristal. Mille fleurs naissantes <choice>
              <orig>émailloient</orig>
              <reg>émaillaient</reg>
            </choice> les tapis <choice>
              <orig>verds</orig>
              <reg>verts</reg>
            </choice> dont la <choice>
              <orig>grote</orig>
              <reg>grotte</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> environnée. Là on <choice>
              <orig>trouvoit</orig>
              <reg>trouvait</reg>
            </choice> un bois de ces arbres touffus qui portent des pommes d'or, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> dont la fleur, qui se renouvelle dans toutes les saisons, répand le plus doux
            de tous les parfums. Ce bois <choice>
              <orig>sembloit</orig>
              <reg>semblait</reg>
            </choice> couronner ces belles prairies, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>formoit</orig>
              <reg>formait</reg>
            </choice> une nuit que les rayons du soleil ne <choice>
              <orig>pouvoient</orig>
              <reg>pouvaient</reg>
            </choice> percer. Là on n'<choice>
              <orig>entendoit</orig>
              <reg>entendait</reg>
            </choice> jamais que chant des oiseaux, <choice>
              <sic>où</sic>
              <corr>ou</corr>
            </choice> le bruit d'un ruisseau qui se précipitant du haut d'un rocher, <choice>
              <orig>tomboit</orig>
              <reg>tombait</reg>
            </choice> à gros bouillons pleins d'écume, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> s'<choice>
              <orig>enfuyoit</orig>
              <reg>enfuyait</reg>
            </choice> au travers de la prairie.</q> Quelle <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice> employa jamais des images plus riantes, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> prodigua avec plus d'abondance toutes les richesses <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> tous les <choice>
            <orig>ornemens</orig>
            <reg>ornements</reg>
          </choice> du <choice>
            <orig>stile</orig>
            <reg>style</reg>
          </choice>&#160;? </p>
        <p>C'est aussi dans la <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice>, poursuivit Euphorbe, que l'on peut <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> que l'on doit les répandre avec une <choice>
            <orig>espece</orig>
            <reg>espèce</reg>
          </choice> de <pb xml:id="p515"/> profusion. Comme elle se propose de gagner le cœur <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> l'esprit par l'attrait du plaisir, pour les instruire plus sûrement, elle
          n'épargne rien de tout ce qui peut ravir <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> enchanter. De là<note resp="editor">La graphie de l'original est ici plus
            moderne que dans le reste du texte.</note> ces peintures fréquentes, où les traits de la
          nature sont si bien saisis, qu'on la confond presque avec son portrait&#160;; <choice>
            <orig>delà</orig>
            <reg>de là</reg>
          </choice> ces pensées naturelles, délicates, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> toujours <choice>
            <orig>poëtiques</orig>
            <reg>poétiques</reg>
          </choice>&#160;: <choice>
            <orig>delà</orig>
            <reg>de là</reg>
          </choice> cette harmonie, cette cadence si expressive, qu'elle fait presque concevoir
          l'objet qu'elle décrit, à ceux même pour qui la langue dans laquelle elle s'exprime, est <choice>
            <orig>étrangere</orig>
            <reg>étrangère</reg>
          </choice>.</p>
        <p>Je ne puis entendre parler de peintures naturelles en <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice>, répliqua Timagène, sans me rappeller celle que fait Horace dans cette belle
          ode, où il raconte les projets chimériques d'un usurier, qui <choice>
            <orig>sembloit</orig>
            <reg>semblait</reg>
          </choice> résolu de quitter la ville <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> son infâme trafic. Pour se confirmer dans cette belle résolution, il décrit
          ainsi la félicité d'un habitant de la campagne.<note><q rend="verse">
              <l>Ergo aut adultâ vitium propagirie </l>
              <l><pb n="516" corresp="#p516"/>Altas maritat populos&#160;; </l>
              <l><choice>
                  <orig>............. </orig>
                  <reg>[...]</reg>
                </choice></l>
              <l>Aut in reductâ valle mugientum</l>
              <l>Prospectat errantes greges&#160;; </l>
              <l>Aut pressa puris mella condit amphoris&#160;; </l>
              <l>Aut tondet infirmas oves. </l>
              <l>Vel cum devorum mitibus pomis caput </l>
              <l>Autumnus arvis extulit, </l>
              <l>Ut gaudet infitiva decerpens pyra, </l>
              <l>Certantem <choice>
                  <orig>&amp;</orig>
                  <reg>et</reg>
                </choice> uvam purpurae&#160;! </l>
              <l><pb n="517" corresp="#p517"/>Liber jacere modo sub antiquâ ilice&#160;; </l>
              <l>Modo in renaci gramine. </l>
              <l>Labuntur altis interim ripis aquae&#160;; </l>
              <l>Queruntur in sylvis avec&#160;; </l>
              <l>Fontesque lymphis obstrepunt manantibus, </l>
              <l>Somnos quod invitet leves. </l>
              <l><choice>
                  <orig>................</orig>
                  <reg>[...]</reg>
                </choice></l>
              <l>Has inter epulas, ut juvar pastas oves </l>
              <l>Videre properantes domum&#160;! </l>
              <l>Videre fessos vomerem inversum boves </l>
              <l>Collo trahentes languido&#160;; </l>
              <l>Positosque vernas, ditis examen domûs, </l>
              <l>Circum renidentes lares. </l>
            </q>
            <hi rend="italic">Epod. 2. </hi></note>
          <q rend="inline">Là il marie aux peupliers les <choice>
              <orig>seps</orig>
              <reg>ceps</reg>
            </choice> de sa vigne déjà forts <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> vigoureux&#160;; ici il suit des <choice>
              <orig>ieux</orig>
              <reg>yeux</reg>
            </choice> ses <pb xml:id="p516"/> troupeaux <choice>
              <orig>errans</orig>
              <reg>errants</reg>
            </choice> dans un vallon écarté, qu'ils font retentir de leurs <choice>
              <orig>mugissemens</orig>
              <reg>mugissements</reg>
            </choice>&#160;: quelquefois il s'occupe à renfermer dans des vases purs le miel exprimé
            de ses rayons, ou à décharger ses moutons de leur toison. Lorsque Pomone montre à
            l'univers sa tête couronnée de fruits, quel charme pour lui de <choice>
              <orig>cueuillir</orig>
              <reg>cueillir</reg>
            </choice> une poire que les travaux ont fait naître, ou une grappe de raisin dont
            l'incarnat le dispute à la pourpre. Au gré de son caprice, tantôt il s'étend à l'ombre
            d'un vieux chêne, tantôt sur un gazon dont la fraîcheur a pour lui mille attraits.
            Cependant le murmure d'un fleuve <pb xml:id="p517"/> profond, le ramage plaintif des
            oiseaux dans les bois, le gazouillement d'une onde fugitive répandent sur ses <choice>
              <orig>ieux</orig>
              <reg>yeux</reg>
            </choice> de légers pavots.</q> Le <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice> termine enfin ce charmant paysage par ces traits. <q rend="inline">Tandis
            qu'il prend un repas frugal, quel spectacle plus agréable à ses <choice>
              <orig>ieux</orig>
              <reg>yeux</reg>
            </choice>, que d'<choice>
              <orig>appercevoir</orig>
              <reg>apercevoir</reg>
            </choice> ses troupeaux revenir à pas précipités des pâturages à la bergerie, ses bœufs
            fatigués rentrer d'un air abbatu <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> traîner après eux la charrue renversée&#160;; de voir autour d'un foyer, où
            règne la douce gaieté, un <choice>
              <sic>essain</sic>
              <corr>essaim</corr>
            </choice> de domestiques qui font la richesse de la maison qui les a vu naître&#160;!
          </q></p>
        <p><pb xml:id="p518"/> J'ai rencontré <choice>
            <orig>derniérement</orig>
            <reg>dernièrement</reg>
          </choice>, repartit Euphorbe, un de ces portraits dans un ouvrage qui n'a aucun rapport,
          il est vrai, à l'objet que nous traitons, mais qui revient si bien à celui que vous venez
          de citer, que je ne puis m'empêcher de le mettre sous vos <choice>
            <orig>ieux</orig>
            <reg>yeux</reg>
          </choice>. Ce sera une petite digression, que vous me pardonnerez. Je l'ai trouvé dans un
          discours prononcé en 1769, par un magistrat digne par ses <choice>
            <orig>talens</orig>
            <reg>talents</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> ses vertus du ministere public, dont il a été chargé pendant quelque temps dans
          un parlement de province.<note resp="author">Disc. sur les mœurs de M. Servan, anc. Av.
            Gén. du Parl. de Grenoble.</note><note resp="editor">L'appel à la note manque dans
            l'original. La place de la note est donc conjecturale.</note> L'orateur suppose un bon
          citoyen, un patriote sans prétentions, qui s'entretient ainsi avec lui-même. <q
            rend="inline">Il est nuit, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> j'ai travaillé tout le jour pour ma patrie <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> pour mes devoirs&#160;; mais voici le moment où je vais être payé de tout. Je
            vais retrouver ma femme, mes <choice>
              <orig>enfans</orig>
              <reg>enfants</reg>
            </choice>, ma famille<choice>
              <orig>.....</orig>
              <reg> [...]</reg>
            </choice> Tous m'aiment, tous m'attendent, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> je suis sûr que déjà vingt fois mes <choice>
              <orig>enfans</orig>
              <reg>enfants</reg>
            </choice> ont interrompu leurs jeux <choice>
              <orig>innocens</orig>
              <reg>innocents</reg>
            </choice>, pour demander à leur <choice>
              <orig>mere</orig>
              <reg>mère</reg>
            </choice> avec inquiétude, si leur <choice>
              <orig>pere</orig>
              <reg>père</reg>
            </choice>
            <pb xml:id="p519"/>
            <choice>
              <orig>tarderoit</orig>
              <reg>tarderait</reg>
            </choice> encore <choice>
              <orig>long-temps</orig>
              <reg>longtemps</reg>
            </choice>. <choice>
              <orig>A</orig>
              <reg>À</reg>
            </choice> peine ils me verront, que je n'entendrai qu'un cri de joie&#160;: tous leurs
            regards, toutes leurs caresses seront pour moi, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> je leur prodiguerai toutes les miennes, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> je les serrerai dans mes bras tous ensemble, tous l'un après l'autre. Assis à
            la même table, sans doute, ils me demanderont compte de ma journée <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> tout mon cœur leur sera ouvert&#160;: qu'ai-je à leur cacher&#160;? Je leur
            dirai ma joie <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> mes chagrins. Quel plaisir de les voir surpendre leur repas, les <choice>
              <orig>ieux</orig>
              <reg>yeux</reg>
            </choice> attachés sur les miens, m'écouter avidement, pâlir à ma moindre peine, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> s'entreregarder en souriant, à mes moindres plaisirs, quelquefois
            m'interrompre par tendresse, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> se retenir <choice>
              <orig>aussi-tôt</orig>
              <reg>aussitôt</reg>
            </choice> par respect&#160;; m'écouter encore quand je me suis tu, attendant dans un
            long silence, si je n'ai plus rien à leur apprendre de moi&#160;! Un de mes signes, un coup-d'<choice>
              <orig>œuil</orig>
              <reg>œil</reg>
            </choice>, un souris sera le signal de quelques jeux, où je serai pris pour témoin, pour
            conseil, pour arbitre, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> toujours pour leur <choice>
              <orig>pere</orig>
              <reg>père</reg>
            </choice>.</q> Peut-on se refuser à l'émotion paisible <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> délicieuse que produisent dans l'âme<note resp="editor">La graphie de l'original
            est ici plus moderne que dans le reste du texte.</note> de pareils objets&#160;?</p>
        <p><pb xml:id="p520"/> En lisant ces morceaux, interrompit Timagène, je crois voir un de ces
          agréables tableaux de Greuze, qui nous peint les occupations d'une famille villageoise,
          l'objet de nos mépris, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> qui <choice>
            <orig>devroit</orig>
            <reg>devrait</reg>
          </choice> l'être de notre envie. Elle ne <choice>
            <orig>connoît</orig>
            <reg>connaît</reg>
          </choice> point nos arts <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> notre politique, mais elle ignore aussi nos vices. Rien n'égale, à mon avis,
          I'expression <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> la vérité de ce coup de pinceau dans Horace, <q rend="italic">Quel spectacle
            plus intéressant, que de voir... ses bœufs fatigués rentrer d'un air abbatu, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> traîner après eux la charrue renversée&#160;?</q> Et de ceux-ci qui m'ont <choice>
            <orig>singuliérement</orig>
            <reg>singulièrement</reg>
          </choice> frappé dans le discours de votre magistrat. <q rend="italic">Quel plaisir de
            voir mes <choice>
              <orig>enfans</orig>
              <reg>enfants</reg>
            </choice> s'entre-regarder en souriant de mes moindres plaisirs&#160;; .... m'écouter
            encore, quand je me suis tu, attendant dans un long silence, si je n'ai plus rien à leur
            apprendre de moi&#160;!</q> Voilà ce que j'appelle prendre la nature sur le fait, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> je pense que c'est-là un des plus beaux <choice>
            <orig>ornemens</orig>
            <reg>ornements</reg>
          </choice> du récit poétique.</p>
        <p><choice>
            <orig>Par-tout</orig>
            <reg>Partout</reg>
          </choice> où se montre la nature, poursuivit Euphorbe, elle est sûre d'enchaîner les
          cœurs, ne fût-ce que dans une simple pensée. On en rencontre souvent de cette <choice>
            <orig>espece</orig>
            <reg>espèce</reg>
          </choice> dans Virgile. Telle est <pb xml:id="p521"/> celle-ci, qui termine le portrait de
          deux <choice>
            <orig>freres</orig>
            <reg>frères</reg>
          </choice>, que la nature <choice>
            <orig>avoit</orig>
            <reg>avait</reg>
          </choice> formés <choice>
            <orig>très-ressemblans</orig>
            <reg>très ressemblants</reg>
          </choice>.<note resp="author"><q rend="verse"><l rend="indent"><choice>
                  <orig>. . . . .</orig>
                  <reg>[...]</reg>
                </choice> Simillima proles </l><l>lndiscreta suis, gratusque parentibus error.
              </l></q></note>
          <q rend="inline">Les <choice>
              <orig>ieux</orig>
              <reg>yeux</reg>
            </choice> des <choice>
              <orig>pere</orig>
              <reg>père</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>mere</orig>
              <reg>mère</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>avoient</orig>
              <reg>avaient</reg>
            </choice> peine à les distinguer, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> la ressemblance <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> si parfaite, qu'elle leur <choice>
              <orig>occasionnoit</orig>
              <reg>occasionnait</reg>
            </choice> souvent des méprises agréables pour eux&#160;:</q>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> cette autre qui sert de couronnement à la belle description de la démarche
            d'Apollon&#160;;<note resp="author">Latonae tacitum pertentant gaudia poetus.</note>
          <q rend="inline">Latone éprouve, en le voyant, un plaisir secret, mais
            délicieux.</q><note resp="editor">Les guillemets finaux manquent, dans
            l'original.</note></p>
        <p>Dans ces vers, reprit Timagène, je ne vois rien de saillant, rien qui puisse
          surprendre&#160;: je ne conçois pas pourquoi vous les qualifiez du titre de pensées.</p>
        <p>Ce ne sont pas des pensées sublimes ou brillantes, repartit Euphorbe, mais des pensées
          naturelles&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> celles-ci ne sont pas les moins précieuses. Il n'est peut-être pas si difficile
          qu'on le <choice>
            <orig>croiroit</orig>
            <reg>croirait</reg>
          </choice>, d'en produire de la <choice>
            <orig>premiere</orig>
            <reg>première</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>espèce</orig>
            <reg>espece</reg>
          </choice>. On s'échauffe l'imagination, on se bat, pour ainsi dire, les flancs&#160;; il
          est rare que de ce mouvement électrique, <pb xml:id="p522"/> il ne sorte quelques
          étincelles. Il est vrai que ces feux <choice>
            <orig>dégénerent</orig>
            <reg>dégénèrent</reg>
          </choice> souvent en fumée. C'est ce qui est arrivé au Guarini dans cette pensée qu'il
          nous a donnée au sujet d'Encelade, l'un des Titans&#160;:<note resp="author"><q
              rend="verse"><l>La dove sotto à la gran mole Etnea </l><l>Non so se fulminato, ô
                fulminante, </l><l>Vibra il fiero gigante </l><l>Contra l nemico ciel fiamme di
                sdegno. </l></q>
          </note><q rend="inline">On ne <choice>
              <orig>sçait</orig>
              <reg>sait</reg>
            </choice> si ce fier géant, enfermé sous l'<choice>
              <orig>Ethna</orig>
              <reg>Étna</reg>
            </choice>, est foudroyé, ou foudroye. Il lance dans sa <choice>
              <orig>colere</orig>
              <reg>colère</reg>
            </choice>, des feux contre le ciel, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> lui fait la guerre.</q> Je <choice>
            <orig>connois</orig>
            <reg>connais</reg>
          </choice> peu de pensées plus recherchées que celle-là. Elle n'est pas néanmoins aussi
          ridicule, que celle de l'Arioste, qui dit d'un de ses héros, <q rend="inline">Le
            pauvre homme ne s'<choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> pas <choice>
              <orig>apperçu</orig>
              <reg>aperçu</reg>
            </choice> qu'il <choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> mort, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>combattoit</orig>
              <reg>combattait</reg>
            </choice> encore.</q><note resp="author"><q rend="verse"><l>Il pover huomo, che
                non sen era accorto, </l><l>Andava combattendo, <choice>
                  <orig>&amp;</orig>
                  <reg>et</reg>
                </choice> era morto. </l></q></note></p>
        <p>Je n'ai jamais été si surpris, interrompit Timagène, que de rencontrer <choice>
            <orig>derniérement</orig>
            <reg>dernièrement</reg>
          </choice> cette même pensée, non pas dans un <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice>, mais dans un historien <choice>
            <orig>Espagnol</orig>
            <reg>espagnol</reg>
          </choice>. <choice>
            <orig>A</orig>
            <reg>À</reg>
          </choice> l'occasion de quelques <pb xml:id="p523"/> guerriers coupés en deux par le
          canon, au <choice>
            <orig>siége</orig>
            <reg>siège</reg>
          </choice> de <choice>
            <orig>Maestricht</orig>
            <reg>Maastricht</reg>
          </choice>, voici comme il s'exprime<note resp="author"><q rend="verse" xml:lang="lat"
                ><l rend="indent">Dimidiato corpore pugnabant, </l><l>Sibi superstites, ac peremptae
                partis ultores. </l></q> Strada de bel. Belg. dec. 2. l. 2.</note><note
            resp="editor">Dans l'appel à la note, la parenthèse fermante est très faiblement
            imprimée aussi bien dans l'exemplaire de l'édition l'originale qui sert de référence
            pour la présente édition électronique, que dans le facsimilé disponible sur Google Books
            produit à partir d'un exemplaire de la Taylor Institution, Oxford et provenant de la
            collection de Vivienne Mylne. C'est un indice parmi d'autres qu'il s'agit de la même et
            peut-être de l'unique impression de l'ouvrage.</note>
          <q rend="inline">La moitié de leur corps <choice>
              <orig>survivoit</orig>
              <reg>survivait</reg>
            </choice> à l'autre, <choice>
              <orig>combattoit</orig>
              <reg>combattait</reg>
            </choice> encore, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>vangeoit</orig>
              <reg>vengeait</reg>
            </choice> celle qui n'<choice>
              <orig>étoit</orig>
              <reg>était</reg>
            </choice> plus.</q><note resp="editor">Les guillemets finaux manquent, dans
            l'original.</note> Nous avons trouvé de l'affectation dans Florus, quand il dit, <q
            rend="italic">que la <choice>
              <orig>colere</orig>
              <reg>colère</reg>
            </choice>
            <choice>
              <orig>vivoit</orig>
              <reg>vivait</reg>
            </choice><choice>
              <orig> </orig>
              <reg> / </reg>
            </choice>Sur le front d'un guerrier après sa mort</q>&#160;: mais qu'est ce que
          cela, en comparaison de la moitié d'un corps qui venge l'autre&#160;?<note resp="author"
            >De Art. Poët. v. 230.</note><q rend="italic">Je veux m'élever</q>, dit Horace,
            <q rend="italic">je me perds dans les nues</q>.</p>
        <p>Ce malheur n'est que trop commun, poursuivit Euphorbe. Il n'est donné qu'aux hommes de
          goût <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de génie, de saisir ces traits où la nature <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> le vrai semblent avoir imprimé leur sceau. Semblables à la violette, ces fleurs
          plaisent toujours, ne fatiguent point, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> ne portent jamais à la tête. Quel esprit assez bouché,<note resp="editor">Le
            texte lit bien bouché, et non pas borné, auquel on aurait pu s'attendre.</note> quels
          organes assez grossiers, pour ne point sentir I'impression de ces deux mots d'<choice>
            <orig>Homere</orig>
            <reg>Homère</reg>
          </choice>
          <q rend="italic" xml:lang="grc">δαxρυοεν γελατασα</q>, qui nous peignent les ris <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> pleurs confondus sur <pb xml:id="p524"/> le visage d'Andromaque, dans un de ces <choice>
            <orig>momens</orig>
            <reg>moments</reg>
          </choice> délicats où le cœur obéit <choice>
            <orig>tout-à-Ia fois</orig>
            <reg>tout à Ia fois</reg>
          </choice> aux <choice>
            <orig>mouvemens</orig>
            <reg>mouvements</reg>
          </choice> de la joie <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de la tristesse&#160;?</p>
        <p><q rend="italic">Ut pictura poesis</q>, reprit Timagène. Cet admirable coup de
          pinceau du <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice> Grec, se retrouve parfaitement, ce me semble, dans le tableau de la naissance de
          Louis XIII, fait par Rubens. On y distingue dans les <choice>
            <orig>ieux</orig>
            <reg>yeux</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> dans tous les traits de Marie de Médicis le double sentiment de la douleur, <choice>
            <orig>appanage</orig>
            <reg>apanage</reg>
          </choice> de l'enfantement, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> du plaisir que lui cause la naissance d'un fils <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> d'un héritier du trône. Au reste, je ne <choice>
            <orig>sçais</orig>
            <reg>sais</reg>
          </choice> auquel des deux, du naturel, ou de la délicatesse je <choice>
            <orig>donnerois</orig>
            <reg>donnerais</reg>
          </choice> la préférence dans la <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice>. Peut-on rien imaginer de plus adroit, par exemple, que la <choice>
            <orig>maniere</orig>
            <reg>manière</reg>
          </choice> dont Virgile fait sa cour à Auguste dans son <choice>
            <orig>Enéïde</orig>
            <reg>Énéide</reg>
          </choice>, en prêtant à son héros les qualités, les vertus <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> même les <choice>
            <orig>foiblesses</orig>
            <reg>faiblesses</reg>
          </choice> du souverain de Rome. Les Dieux dans l'<choice>
            <orig>Elisée</orig>
            <reg>Élysée</reg>
          </choice> s'occupent de sa grandeur future&#160;: Vulcain grave ses exploits sur le
          bouclier de l'<choice>
            <orig>Auteur</orig>
            <reg>auteur</reg>
          </choice> de sa race. Quelle finesse dans cet éloge de Louis-le-Grand<note resp="author"
            >Lutrin, ch. 2.</note>
          <pb xml:id="p525"/> que Despréaux met dans la bouche de la mollesse&#160;? Par ce tour
          ingénieux, je porte ma pensée bien au-delà de ce que me dit le <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice>&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>c'est-Ià</orig>
            <reg>c'est Ià</reg>
          </choice>, si je m'en souviens bien, ce qu'on nomme délicatesse. <choice>
            <orig>A</orig>
            <reg>À</reg>
          </choice> cette occasion, je me rappelle qu'un homme de goût m'apprit autrefois un moyen
          propre à découvrir l'ornement dont un <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice> a revêtu sa matiere. C'est de l'en dépouiller pour un moment, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de réduire la pensée à la proposition simple. Par exemple, dans l'endroit dont
          il s'agit, Boileau ne veut dire autre chose sinon, que l'ardeur du Roi pour la gloire
          n'est arrêtée ni par les plaisirs, ni par les saisons. Cette louange, qui n'a rien de
          surprenant par elle-même, devient bien plus flatteuse <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> plus intéressante, lorsque la mollesse en personne se plaint de l'activité
          infatigable de ce prince.</p>
        <p>Ce moyen en effet, ajouta Euphorbe, est infaillible pour apprécier le mérite d'une
          pensée&#160;; <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> suivant cette <choice>
            <orig>régle</orig>
            <reg>règle</reg>
          </choice>, vous ne ferez pas grand cas, sans doute, de celle du Tasse au sujet de
          Clorinde, lorsque cette <choice>
            <orig>guerriere</orig>
            <reg>guerrière</reg>
          </choice> rencontra dans un bois Tancrède, à qui ses charmes <choice>
            <orig>avoient</orig>
            <reg>avaient</reg>
          </choice> inspiré toutes les fureurs de l'amour. <pb type="wordbreaking" xml:id="p526"/>Le <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice> dit à cette occasion,<note resp="author">Jér. Déliv. Chant, premier.</note>
          <q rend="inline">Clorinde <choice>
              <orig>alloit</orig>
              <reg>allait</reg>
            </choice> sans doute attaquer celui qu'elle <choice>
              <orig>avoit</orig>
              <reg>avait</reg>
            </choice> déjà vaincu.</q> Si vous retranchez de cette pensée la petite <choice>
            <orig>antithese</orig>
            <reg>antithèse</reg>
          </choice> qu'elle renferme, vous <choice>
            <orig>appercevrez</orig>
            <reg>apercevrez</reg>
          </choice> que loin d'y perdre, elle en devient plus noble. Elle se réduit à
          celle-ci&#160;; Clorinde <choice>
            <orig>alloit</orig>
            <reg>allait</reg>
          </choice> attaquer un ennemi plein d'amour pour elle. Cette <choice>
            <orig>derniere</orig>
            <reg>dernière</reg>
          </choice> idée me semble plus digne de l'épopée que la <choice>
            <orig>premiere</orig>
            <reg>première</reg>
          </choice>.</p>
        <p>La <choice>
            <orig>premiere</orig>
            <reg>première</reg>
          </choice>, répliqua Timagène, est plutôt une pensée fine qu'une pensée délicate. Elle a
          trop d'apprêt, trop d'esprit. Tout cela montre assurémemt que les <choice>
            <orig>ornemens</orig>
            <reg>ornements</reg>
          </choice>, même dans la <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice>, ont des bornes.</p>
        <p>Je n'en doute en aucune façon, reprit Euphorbe. Tout ce qui s'écarte de la belle nature,
          tout ce qui sent l'affectation est de mauvais <choice>
            <orig>alloi</orig>
            <reg>aloi</reg>
          </choice>. Hors <choice>
            <orig>de-là</orig>
            <reg>de là</reg>
          </choice>, tout est permis&#160;; même de donner de l'<choice>
            <orig>ame</orig>
            <reg>âme</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> du sentiment aux êtres les plus insensibles. C'est cette hardiesse ingénieuse
          qui rend une pensée vraiment <choice>
            <orig>poëtique</orig>
            <reg>poétique</reg>
          </choice>. Je me rappelle un endroit de <pb xml:id="p527"/> Silius Italicus qui mérite
          bien ce titre.<note resp="editor">Tiberius Catius Asconius Silius Italicus (26-101 après
            J.-C.) fut un poète et homme politique romain. Il est notamment l'auteur de <hi
              rend="italic">La Guerre punique</hi>, un poème épique en 12 000 vers.</note> C'est au
          sujet d'Annibal qu'un jeune Capouan <choice>
            <orig>vouloit</orig>
            <reg>voulait</reg>
          </choice> poignarder dans un festin. On apostrophe ainsi l'assassin.<note resp="author"
              ><q rend="verse"><l>Fallit te mensas inter quod credis inerinem, </l><l>Tot bellis
                quæsita viro, tot cœdibus armat </l><l>Majestas æterna ducem&#160;: si admoveris
                ora, </l><l>Cannas <choice>
                  <orig>&amp;</orig>
                  <reg>et</reg>
                </choice> Trebiam ante oculos, Thrasimenaque busta, </l><l>Et Pauli stare ingentem
                miraberis umbram. </l></q><hi rend="italic">Lib. 11.</hi></note><q
            rend="inline">Tu te trompes, si tu le crois sans défense au milieu d'un repas&#160;: cet
            air majestueux <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> fier qu'il doit à tant de guerres <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de batailles forme un rempart éternel autour de ce héros. Dès que tu <choice>
              <orig>paroîtras</orig>
              <reg>paraîtras</reg>
            </choice> en sa présence, tes <choice>
              <orig>ieux</orig>
              <reg>yeux</reg>
            </choice> verront avec étonnement à ses côtés les journées de Cannes <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> de Trebie, les bûchers de <choice>
              <orig>Thrasimene</orig>
              <reg>Thrasimène</reg>
            </choice>, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> la grande ombre de Paul <choice>
              <orig>Emile</orig>
              <reg>Émile</reg>
            </choice>.</q></p>

        <p>Permettez-moi, interrompit Timagène, de mettre ici en usage le moyen dont nous parlions <choice>
            <orig>tout-à-l'heure</orig>
            <reg>tout à l'heure</reg>
          </choice>, pour distinguer les <choice>
            <orig>ornemens</orig>
            <reg>ornements</reg>
          </choice> de cette pensée. Tout ce que dit ici le chantre d'<choice>
            <orig>Annibal</orig>
            <reg>Hannibal</reg>
          </choice>, se réduit à cette idée simple, que <pb xml:id="p528"/> la seule présence du
          héros de Carthage, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> le souvenir de ses victoires arrêteront le bras de l'assassin. Quelle
          magnificence ajoute ici la <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice>&#160;! L'air noble devient un boulevard insurmontable&#160;: Cannes, <choice>
            <orig>Trebie</orig>
            <reg>Trebbia</reg>
          </choice> ne sont plus de simples batailles&#160;; ce sont des personnages <choice>
            <orig>imposans</orig>
            <reg>imposants</reg>
          </choice> qui forment une cour au vainqueur de Rome. Ce <choice>
            <orig>privilége</orig>
            <reg>privilège</reg>
          </choice> d'animer même des êtres imaginaires est pourtant quelque chose de bien commode
          pour Messieurs les <choice>
            <orig>poëtes</orig>
            <reg>poètes</reg>
          </choice>.</p>
        <p>Ils doivent exciter l'admiration, repartit Euphorbe, ravir, enchanter nos esprits.
          Comment y réussiront-ils, si on leur ôte cette liberté&#160;? C'est pour atteindre ce but,
          qu'ils emploient les comparaisons les plus riches, l'énergie même d'une élocution
          pittoresque, pour former des tableaux <choice>
            <orig>frappans</orig>
            <reg>frappants</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> capables de vaincre les dégoûts du lecteur le plus dédaigneux. Peut-on se
          refuser, par exemple, aux charmes de cette comparaison que l'Esprit Saint a dicté au
          législateur des Juifs, dans ce beau cantique, où il rappelle les bienfaits dont le Dieu
          d'Israël a comblé son peuple. On y met en parallèle ses soins <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> ses attentions avec celles du Roi des <pb type="wordbreaking" xml:id="p529"/>
            oiseaux.<note resp="author">Sicut aquila provocans ad volandum pullos suos, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> super eos volitans, expandit alas suas, <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> assumpit eum, atque portavit in humeris suis. Cant. Moysi. Deut. 32.</note>
          <q rend="inline">Telle, dit l'<choice>
              <orig>Auteur</orig>
              <reg>auteur</reg>
            </choice> sacré, une aigle instruit ses jeunes aiglons <choice>
              <orig>&amp;</orig>
              <reg>et</reg>
            </choice> les anime par son exemple à prendre l'essor&#160;: elle vole au-dessus
            d'eux&#160;; elle les prend, elle les porte sur ses <choice>
              <orig>aîles</orig>
              <reg>ailes</reg>
            </choice> déployées.</q> Un <choice>
            <orig>poëte</orig>
            <reg>poète</reg>
          </choice><note resp="author">M. de Bologne.</note> moderne a tâché de rendre ainsi ce
          riche portrait.</p>
        <p><q rend="verse">
            <l>Telle une aigle active, intrépide, </l>
            <l>Pour instruire un aiglon timide, </l>
            <l><choice>
                <orig>A</orig>
                <reg>À</reg>
              </choice> sa <choice>
                <orig>foiblesse</orig>
                <reg>faiblesse</reg>
              </choice> offre un appui&#160;; </l>
            <l>Lui sert de guide <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> de modèle&#160;;<note resp="editor">La graphie de l'original est ici plus
                moderne que dans le reste du texte.</note></l>
            <l>Tantôt le porte sur son aîle, </l>
            <l>Tantôt voltige autour de lui. </l>
          </q></p>
        <p>Rien n'est plus propre à charmer un lecteur que cette adresse à rapprocher deux objets
          qui réfléchissent l'un sur l'autre une <choice>
            <orig>lumiere</orig>
            <reg>lumière</reg>
          </choice> mutuelle. Nous en avons dans le <choice>
            <orig>Télémaque</orig>
            <reg><hi rend="italic">Télémaque</hi></reg>
          </choice> des modèles<note resp="editor">La graphie de l'original est ici plus moderne que
            dans le reste du texte.</note> parfaits. Le Tasse a répandu dans son <choice>
            <orig>poëme</orig>
            <reg>poème</reg>
          </choice> cette <choice>
            <orig>espece</orig>
            <reg>espèce</reg>
          </choice> de richesse avec une abondance <pb xml:id="p530"/> qui approche un peu de la
          profusion. <choice>
            <orig>A</orig>
            <reg>À</reg>
          </choice> tout cela, ajoutons les descriptions, les <choice>
            <orig>épithétes</orig>
            <reg>épithètes</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> la cadence, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> nous aurons <choice>
            <orig>à-peu-près</orig>
            <reg>à peu près</reg>
          </choice> tous les <choice>
            <orig>ornemens</orig>
            <reg>ornements</reg>
          </choice> qui enrichissent la <choice>
            <orig>poësie</orig>
            <reg>poésie</reg>
          </choice>.</p>
        <p>J'imagine, répliqua Timagène, que cette élocution pittoresque dont vous venez de parler,
          n'est autre chose que la cadence du vers, lorsque les expressions sont disposées de façon<choice>
            <orig>,</orig>
            <reg/>
          </choice> qu'elles expriment à l'oreille ce qu'elles signifient à l'esprit.<note
            resp="editor">Ici, la ponctuation a été modifiée dans le texte de lecture.</note> Ainsi
          dans <choice>
            <orig>Homere</orig>
            <reg>Homère</reg>
          </choice>, le [grec] imite assez bien les <choice>
            <orig>ronflemens</orig>
            <reg>ronflements</reg>
          </choice> de toute une armée, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> le [grec] le bruit des vagues qui glissent les unes sur les autres. Il me semble
          que les Grecs <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> les Latins ont un grand avantage sur nous dans cette partie, à cause de la
          différente quantité de leurs syllabes longues <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>bréves</orig>
            <reg>brèves</reg>
          </choice>. Aussi Virgile nous fait-il ordinairement entendre par la cadence de ses vers
          tout ce qu'il veut nous dire. S'agit-il de peindre la tristesse&#160;? La mesure en est
          lugubre <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> traînante&#160;:<note resp="author">Æn. 5. v. 614.</note></p>
        <p>
          <q rend="verse">
            <l rend="indent"><hi rend="italic">Cunctaeque profundum </hi></l>
            <l><hi rend="italic">Pontum aspectabant flentes.</hi></l>
          </q>
        </p>
        <p><pb xml:id="p531"/>Des expressions faciles <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> coulantes y sont les <choice>
            <sic>interprêtes</sic>
            <corr>interprètes</corr>
          </choice> de la douceur <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de l'aménité&#160;:<note resp="author">Æn. 1. v. 693.</note></p>
        <p>
          <q rend="verse">
            <l rend="indent"><hi rend="italic">Ubi mollis amaracus illum </hi></l>
            <l><hi rend="italic">Floribus <choice>
                  <orig>&amp;</orig>
                  <reg>et</reg>
                </choice> dulci aspirans complectitur umbrâ. </hi></l>
          </q>
        </p>
        <p>La rencontre des consonnes <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice>
          <choice>
            <orig>sur-tout</orig>
            <reg>surtout</reg>
          </choice> de la lettre r, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> les élisions rendent admirablement tout ce qui est dur <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> difficile.<note resp="author">Geor. 3. v. 534.</note></p>
        <p>
          <q rend="verse">
            <l><hi rend="italic">Ergo aegre rastris terram rimantur.</hi></l>
          </q>
          <q>
            <note>Æn. 8 v. 689.</note><l rend="indent"><hi rend="italic">Totum spumare reductis
              </hi></l>
            <l><hi rend="italic">Convulsunt remis rostrisque tridentibus aequor. </hi></l>
          </q></p>
        <p><choice>
            <sic>qu'elle</sic>
            <corr>Quelle</corr>
          </choice> oreille ne sent pas la <choice>
            <orig>légéreté</orig>
            <reg>légèreté</reg>
          </choice> de ces vers,<note resp="author">Æn. 5. v. 139.</note></p>
        <p><q rend="verse">
            <l><hi rend="italic">Inde ubi clara dédit sonitum tuba, finibus omnes, </hi></l>
            <l><hi rend="italic">Haud mora, prosiluêre suis&#160;? </hi></l>
          </q></p>
        <p><choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> la pesanteur de celui-ci,<note resp="author">Geor. 4. v. 174.</note></p>
        <p>
          <q>
            <l><hi rend="italic">Illi inter sese magna vi brachia tollunt&#160;? </hi></l>
          </q>
        </p>
        <p><pb xml:id="p532"/> Il faut avouer que l'harmonie est bien puissante pour exprimer ce qui
          lui plaît. J'ai été une fois témoin de l'empire qu'elle a sur nos sens. Dans un concert
          bien composé, on <choice>
            <orig>exécutoit</orig>
            <reg>exécutait</reg>
          </choice> un morceau, où le musicien <choice>
            <orig>vouloit</orig>
            <reg>voulait</reg>
          </choice> rendre le bruit du tonnerre, lorsqu'il roule en grondant. Les accords d'un chœur
          nombreux furent combinés si adroitement, qu'une jeune personne de 14 à 15 ans, prit cette
          imitation pour l'effet naturel, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> en fut effrayée.</p>
        <p>Nouvelle preuve, reprit Euphorbe, qu'on réussit toujours bien, quand on copie la nature.
          Au surplus, quoique nos <choice>
            <orig>Auteurs</orig>
            <reg>auteurs</reg>
          </choice> ne rencontrent pas autant de facilité dans cette <choice>
            <orig>espece</orig>
            <reg>espèce</reg>
          </choice> de méchanisme que les anciens, comme vous l'avez remarqué fort à propos, ils
          partagent néanmoins souvent avec eux ce mérite. Témoin ce bel hémistiche de la tragédie de <choice>
            <orig>Phèdre</orig>
            <reg><hi rend="italic">Phèdre</hi></reg>
          </choice>.<note resp="author">Act. 5. sc. 6.</note></p>
        <p>
          <q rend="verse">
            <l>L'essieu crie <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> se rompt.</l>
          </q>
        </p>
        <p>où la mesure <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> la <choice>
            <orig>chûte</orig>
            <reg>chute</reg>
          </choice> du vers sont également expressives. Je ne pense pas <pb xml:id="p533"/> que dans
          vos vers latins la cadence so<unclear>it</unclear> plus analogue à l'objet, que dans
          ceux-ci du Lutrin.<note resp="author">Chant 2.</note></p>
        <p>
          <q rend="verse">
            <l>Quatre bœufs attelés, d'un pas tranquille <choice>
                <orig>&amp;</orig>
                <reg>et</reg>
              </choice> lent, </l>
            <l><choice>
                <orig>Promenoient</orig>
                <reg>Promenaient</reg>
              </choice> dans Paris le monarque indolent. </l>
          </q>
        </p>
        <p>La Fontaine n'est-il pas le rival de Virgile quand il peint la peine <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> la difficulté dans la fable du coche <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de la mouche&#160;?</p>
        <p>
          <q rend="verse">
            <l>Dans un chemin montant, sabloneux, <choice>
                <orig>mal-aisée</orig>
                <reg>malaisée</reg>
              </choice>,</l>
            <l><choice>
                <orig>..............</orig>
                <reg>[...]</reg>
              </choice></l>
            <l>Six forts chevaux <choice>
                <orig>tiroient</orig>
                <reg>tiraient</reg>
              </choice> un coche.</l>
          </q>
        </p>
        <p>Et plus bas, </p>
        <p>
          <q rend="verse">
            <l>L'attelage <choice>
                <orig>suoit</orig>
                <reg>suait</reg>
              </choice>, <choice>
                <orig>souffloit</orig>
                <reg>soufflait</reg>
              </choice>, <choice>
                <orig>étoit</orig>
                <reg>était</reg>
              </choice> rendu. </l>
          </q>
        </p>
        <p>Enfin l'harmonie de ces vers tirés de la cantate de Circé, n'inspire-t-elle pas une <choice>
            <orig>espece</orig>
            <reg>espèce</reg>
          </choice> d'effroi&#160;? </p>
        <p><q rend="verse">
            <l>La terre tremblante </l>
            <l>Frémit de terreur&#160;; </l>
            <l><pb xml:id="p534"/> L'onde turbulente </l>
            <l>Mugit de fureur&#160;; </l>
            <l>La Lune sanglante </l>
            <l>Recule d'horreur. </l>
          </q></p>
        <p>Les hommes de génie ne se rebutent jamais à la vue des difficultés. Elles animent leur
          ardeur, parce qu'ils <choice>
            <orig>sçavent</orig>
            <reg>savent</reg>
          </choice> que la gloire est en proportion avec les obstacles.</p>
        <p>Dans les armées, répliqua Timagène, vous eussiez, ce me semble, été un héros.</p>
        <p>Je n'en <choice>
            <orig>sçais</orig>
            <reg>sais</reg>
          </choice> rien, répondit Euphorbe, car il y a encore bien loin de la spéculation à la
          pratique&#160;: mais je n'en suis pas moins convaincu que cette idée de la gloire est la
          véritable, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> non celle qu'on attache au luxe des équipages <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> de la table, <choice>
            <orig>&amp;</orig>
            <reg>et</reg>
          </choice> qui ne <choice>
            <orig>coûte</orig>
            <reg>coute</reg>
          </choice> que de l'argent.</p>
        <p><choice>
            <orig>A</orig>
            <reg>À</reg>
          </choice> propos de cela, interrompit Timagène, je crois qu'il est heure de nous rendre au
          château, où nous sommes invités à souper. Il ne <choice>
            <orig>seroit</orig>
            <reg>serait</reg>
          </choice> pas honnête d'arriver au moment de se mettre à table. Il faut céder aux
          bienséances&#160;: souvent elles deviennent des devoirs.</p>
      </div>
    </body>
  </text>
</TEI>
"Neuvième entretien. Narration poétique" de Essai sur le récit, ou Entretiens sur la manière de raconter. Édition électronique. François-Joseph Bérardier de Bataut (1720-1794) Christof Schöch Version 0.7, 09/2014

Texte libre de droits. Édition électronique publiée en ligne à l'adresse http://tapas.neu.edu/berardier/essai/ sous licence Creative Commons Attribution 3.0 (CC-BY). Republication de l'édition électronique publiée en ligne à l'adresse http://berardier.org en 2010.

Bérardier de Bataut, François-Joseph (1720-1794) Essai sur le récit, ou entretiens sur la manière de raconter Paris Charles-Pierrre Berton 1776 Format in-12, X-725 pages.

Cette édition fournit une édition accessible en ligne et commentée de l'Essai sur le récit, ou Entretiens sur la manière de raconter, par François-Joseph Bérardier de Bataut.

L'édition réunit une transcription diplomatique (graphies d'époque, coquilles, abréviations) et une version de lecture (graphies modernisées, coquilles corrigées, abréviations explicitées).

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NEUVIÈME ENTRETIEN. Narration Poëtique poétique  ; ses ornemens ornements .

L'arrivée d'un seigneur nouveau ayant occasionné une fête dans le village, on l' avoit avait célébrée à l'ordinaire par des danses, des chansons & et d'autres pieces pièces de vers à la louange de celui qu'on vouloit voulait flatter. Cette solemnité champêtre avoit avait amusé pendant quelque temps la curiosité des deux amis. A À leur retour, Timagène en prit occasion de dire à Euphorbe, en plaisantant : la poésie01 La graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte. s'appelle ordinairement le langage des Dieux ; mais ici je crois qu'à peine elle est le langage des hommes.

Cette poésie, telle qu'elle est, répartit Euphorbe, nous rappelle néanmoins sa premiere première origine. Elle ne fut d'abord que l'expression d'un cœur vivement affecté. Les premiers hommes, comme ceux-ci, n'eurent d'autres règles02 La graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte. que la nature, d'autre Apollon que leurs desirs désirs et leur reconnoissance reconnaissance . Les Hébreux sur-tout surtout , comblés des bienfaits de leur Dieu, se répandoient répandaient fréquemment en actions de grace grâce . On trouva bientôt que le langage ordinaire ne répondoit répondait pas assez à l'enthousiasme dont on étoit était animé. On eut recours à l'harmonie, et l'on introduisit dans le discours la cadence & et la mesure. Toutes ces idées03 Hist. Anc. l. 25, ch. 1., que j'emprunte de M. Rollin, sont appuyées sur les livres saints, c'est-à-dire, sur la vérité elle-même ; & et elles établissent que la poésie, dans ses premiers temps, n' étoit était qu'un récit vif & et orné, où l'on détailloit détaillait les prodiges opérés par la divinité, ou les exploits des grands hommes.

Elle a bien dégénéré de cette origine, reprit Timagène : car elle chante aujourd'hui des objets bien différens différents de ceux-là.

Il est vrai, poursuivit Euphorbe. Les rivières, en s'éloignant de leur source, n'en deviennent pas plus pures. Quoi qu'il en soit, laissons ses égaremens égarements : considérons- la sous ce premier rapport, & et voyons comment elle doit raconter.

Nous ne serons plus gênés ici, répliqua Timagène, par l' austere austère vérité. La carriere carrière immense de la fiction nous laissera une liberté entiere entière ; car le récit poëtique poétique n'est tenu à suivre d'autres loix lois que celles de cette vérité, que vous même vous-même avez nommé vérité de la nature, & et qui consiste, si je m'en souviens bien, à ne rien avancer qui soit contraire au cours ordinaire des choses, à moins qu'un Dieu ne s'en mêle ; rien qui choque les idées reçues, ou le caractere caractère connu des personnages. Nous allons être à notre aise.

Peut-être pas autant que vous vous imaginez, ajouta Euphorbe. Je conviens que la vraisemblance tient souvent la place de la vérité, dans les récits poëtiques poétiques : mais d'abord cette derniere dernière n'en est pas toujours exclue. Arrêtons-nous aux sujets grands & et nobles. Le poëte poète ne chante-t-il pas fréquemment des événemens événements qui se sont passés sous ses ieux yeux ? Les récits épiques & et ceux de la tragédie ne sont-ils pas pour la plupart empruntés de l'histoire ? Est-il rien de plus vrai que le sujet du Paradis perdu Paradis perdu de Milton, que celui de la Jérusalem délivrée Jérusalem délivrée du Tasse ? Le siége siège de Troye Troie est un fait reconnu par toutes les nations. L'arrivée d' Ænée Énée en Italie a été, ou a passé pour certaine, au point que le judicieux Tite-Live l'a insérée dans son ouvrage. Combien d'exemples pareils dans le genre tragique ?

J'avoue, reprit Timagene, que le fonds de l'action principale est vrai dans ces différens différents poëmes poèmes : mais l'accessoire l'emporte ici sur le fond, & et les fictions dont cette vérité est enveloppée la font presque disparoître disparaître . Je sais que Godefroi de Bouillon Godefroy de Bouillon 04 Godefroy de Bouillon (~1058-1100) était un chevalier franc et le premier souverain chrétien de Jérusalem. a fait la conquête de Jérusalem, mais l'histoire de Clorinde, celle d'Armide & et de Renaud, les enchantemens enchantements d'Ismen, & et tant d'autres morceaux que je pourrois pourrais citer, sont tous sortis de l'imagination du poëte poète .

C'est une petite querelle que je me plaisois plaisais à vous faire, interrompit Euphorbe. Nous sommes du même avis ; & et je crois avec vous, que même dans les sujets empruntés de l'histoire, la fiction doit conserver ses droits, pourvu quelle se renferme dans les bornes de la vraisemblance, ou pour mieux dire, de la nature. C'est le précepte judicieux de l'évêque d'Albe.05 Hoc quoque non studiis nobis levioribus instat. Curandum, ut, quando non semper vera profamur. Fingentes, faltem sint illa simillima veris. Vida. Poët. lib. 2. 06 Il s'agit de Jean de la Balue, 1421-1492. Toutes les fois, dit-il, que nous abandonnons la vérité, pour nous livrer à la fiction, ayons le plus grand soin de ne pas nous écarter de la vraisemblance : & et cette vraisemblance est si nécessaire dans les ouvrages dont nous parlons, qu'elle doit, pour ainsi dire, servir de passeport à la vérité même. Vous savez avec quelle hardiesse le médecin de Louis XI parloit parlait à son maître, & et avec quelle timidité & et quelle foiblesse faiblesse ce prince, jaloux d'ailleurs de son autorité, souffroit souffrait ses propos insolens insolents & et tâchoit tâchait de l'appaiser par des largesses. Ce fait tout incontestable qu'il est, auroit aurait mauvaise grace grâce dans un poëme poème , parce qu'il manque de vraisemblance. Qu'une imagination riche & et féconde embellisse donc sa matiere matière de tout ce que lui permettent les loix lois de la nature & et l'opinion des hommes sages, elle ne méritera que des applaudissemens applaudissements .

Fort bien, poursuivit Timagène. Mais je suis inquiet de savoir comment tout cela s'accordera avec le merveilleux, si familier sur-tout surtout à l'épopée.

Parfaitement, répondit Euphorbe. Il faut d'abord remarquer,07 Nam quæ multa canunt ficta & et non credita vates, Dulcia quò vacuas teneant mendacia mentes, Illis nulla fides, quam nec sibi denique aperti Exposcunt, mec dissimulant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Omnia quæ portâ veniunt insomnia eburnâ. Vida. lbid. avec le même poëte poète que je viens de citer, que par ces prodiges l' Auteur auteur veut seulement répandre de l'agrément dans son poëme poème . Il ne prétend point qu'on le croye croie ; il n'en fait point mistere mystère 08 La graphie de l'original n'est pas attestée dans les dictionnaires de référence. ; il le déclare ouvertement : ce sont des songes sortis par la porte d'ivoire. Mais d'ailleurs, le merveilleux lui-même a sa vraisemblance, fondée en premier lieu sur le pouvoir de la divinité, mais plus encore sur le choix des occasions où on l' employe emploie .09 Hor. de Arte Poët. v. 191.Horace nous apprend en deux mots quelles sont ces conjonctures :

Nec Deus intersit nisi dignus vindice nodus ;

si l'objet est assez grand, ou l'intrigue assez nouée pour exiger le secours du ciel. La fureur & et l'acharnement des Grecs & et des Troyens Troiens les uns contre les autres dans l' Iliade Iliade , celui de ces mêmes Troyens Troiens & et des Italiens dans l' Ænéide Énéide , forment une querelle assez sérieuse, pour que les Dieux prennent parti en faveur de l'un ou de l'autre peuple ; assez difficile à vuider vider 10 La graphie de l'original n'est pas attestée dans les dictionnaires de référence.11 Desit: sens? pour que Jupiter s'en mêle, & et assemble toutes les divinités à ce sujet. Achille & et Ænée Énée sont des héros d'un assez grand nom, pour que Vulcain leur fasse lui-même une armure.

Ainsi vous ne voudriez pas, répliqua Timagène, que ce Dieu alluma ses fourneaux pour en faire une à Dom Guichotte Don Quichotte . J' apperçois aperçois maintenant toute l'étendue de cette qualité dont nous parlons. Elle exige, non-seulement non seulement que chacun des faits en particulier ne sorte point des bornes prescrites par la raison & et le bon sens, mais encore que tous les événemens événements , sans en excepter les prodiges, naissent les uns des autres dans un ordre naturel & et qui n'ait rien de forcé. C'est-là C'est là en effet le vrai moyen d'imiter parfaitement la vérité, & et de ne point tomber dans le défaut de ces romans, où l'on entasse aventure sur aventure, incident sur incident ; où les intrigues sont si compliquées que l'esprit a peine à se retrouver dans ce labyrinthe. A À l'occasion de cette vraisemblance, qui n'est autre chose que l'ordre prescrit par la nature & et par les circonstances du lieu, du temps & et des personnes, je me rappelle qu'on fait une querelle au célèbre Racine, ce poëte poète de la nature, sur sa description de la mort d'Hyppolite. On l'accuse d'avoir répandu dans cet endroit une pompe & et une magnificence peu convenables à celui devant qui on fait ce récit, & et à celui qui le fait. Vous savez que c'est le gouverneur d'Hyppolite qui vient apprendre la mort de ce jeune prince à Thésée son pere père . On cite le fameux [grec] d' Homere Homère ;12 II. l. 18, v. 20, & et on oppose l'énergique briéveté brièveté de ce peu de mots à tous les détails brillans brillants de ces vers,13 Phèdre, acte 5, sc. 6.

Cependant sur le dos de la plaine liquide S'élève à gros bouillons une montagne humide ; L'onde approche, se brise, & et vomit à nos ieux yeux , Parmi des flots d'écume un monstre furieux. Son front large est armé de cornes menaçantes ; Tout son corps est couvert d'écaillés jaunissantes : Indomptable taureau, dragon impétueux, Sa croupe se recourbe en replis tortueux. Ses longs mugissemens font trembler le rivage ; Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage ; La terre s'en émeut ; l'air en est infecté ; Le flot qui l'apporta recule épouvanté.

Que pensez-vous, s'il vous plaît, de cette critique ?

Je sens, répondit Euphorbe, que vous ne pouvez sans quelque peine condamner tant de beautés. Il faut avouer cependant, qu'elles sont déplacées. Si vous rapportiez la mort cruelle d'un éleve élève qui vous fût cher, votre douleur vous permettroit permettrait -elle de faire ces riches descriptions ? Si vous étiez son pere père , les entendriez-vous de sang froid ? Le discours d'Antiloque dans Homere Homère , me semble bien plus conforme à la nature. Hélas,14 [Grec.] fils de Pelée, dit-il, je vous apporte une nouvelle bien triste & et que les Dieux auroient auraient bien dû vous épargner : Patrocle n'est plus. Au surplus, dans le morceau du poëte poète françois français , il n'y a guères guère que les vers que vous avez cités & et quelques autres qui puissent mériter ce reproche. Tout le reste de ce récit nous dédommage bien de cette légere légère intempérance poëtique poétique . Quoi de plus intéressant que ce qui suit ?

Tout fuit, & et sans s'armer d'un courage inutile, Dans le temple voisin chacun cherche un asile asyle . Hyppolite lui seul, digne fils d'un héros, Arrête ses coursiers, saisit ses javelots, Pousse au monstre, & et d'un dard lancé d'une main sure, Il lui fait dans le flanc une large blessure. De rage & et de douleur le monstre bondissant Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant, Se roule, & et leur présente une gueule enflammée , Qui les couvre de feu, de sang & et de fumée, La frayeur les emporte ; & et , sourds à cette fois, Ils ne connoissent connaissent plus ni le frein, ni la voix. En efforts impuissans impuissants leur maître se consume. Ils rougissent le mords d'une sanglante écume. On dit qu'on a vu même, en ce désordre affreux , Un Dieu, qui d'aiguillons pressoit pressait leurs flancs poudreux. A À travers les rochers la peur les précipite : L'essieu crie, & et se rompt. L'intrépide Hyppolite Voit voler en éclats tout son char fracassé : Dans les rênes lui-même il tombe embarrasse.

Mais c'est ici, sur-tout surtout , que je retrouve le naturel, l'affectueux Racine.

Excusez ma douleur : cette image cruelle. Sera pour moi de pleurs une source éternelle. J'ai vu, Seigneur, j'ai vu votre malheureux fils Traîné par les chevaux, que fa main a nourris.

Et plus bas.

Je cours, en soupirant, & et sa garde me suit : De son généreux sang la trace nous conduit. Les rochers en sont teints : les ronces dégoûtantes Portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes.

Si Homere Homère dans cet endroit a l'avantage du naturel & et de la vraisemblance, il en est bien d'autres chez lui, où il a mérité d'être relevé par Jérôme Vida, l'ami constant de Virgile.

Il est vrai, continua Timagène, que je trouve les régles règles de la convenance mieux observées dans les autres récits de notre poëte poète tragique : par exemple, dans celui ou Arbate confident de Mithridate, raconte les derniers exploits, & et la mort de ce héros,15 Mithr. acte 5, sc. 4.

D'abord il a tenté les atteintes mortelles Des poisons que lui-même a cru les plus fideles fidèles . Il les a trouvés tous sans force & et sans vertu. Vains secours, a-t-il dit, que j'ai trop combattu ! Contre tous les poisons soigneux de me défendre, J'ai perdu tout le fruit que j'en pouvois pouvais attendre, Essayons maintenant des secours plus certains, Et cherchons un trépas plus funeste aus Romains. Il dit, & et défiant leurs nombreuses cohortes, Du palais, à ces mots, il fait ouvrir les portes, A À l'aspect de ce front, dont la noble fureur . Tant de fois dans leurs rangs répandit la terreur, Vous les eussiez vu tous, retournant en arrière,16 La graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte, voir notamment la rime de la ligne suivante. Laisser entr'eux & et nous une large carriere carrière  ; Et déjà quelques-uns couroient couraient épouvantés Jusques Jusque dans les vaisseaux qui les ont apportés. Mais le dirai-je ? ô Ô ciel ! Rassurés par Pharnace, Et la honte en leurs cœurs réveillant leur audace, Ils reprennent courage, ils attaquent le Roi, Qu'un reste de soldats defendoit defendait avec moi. Qui pourroit pourrait exprimer par quels faits incroyables, Quels coups, accompagnés de regards effroyables, Son bras, se signalant pour la derniere dernière fois, A de ce grand héros terminé les exploits ? Enfin, las & et couvert de sang & et de poussiere poussière . Il s' étoit était faits de morts une noble barriere barrière . Un autre bataillon s'est avancé vers nous. Les Romains, pour le joindre, ont suspendu leurs coups, Ils vouloient voulaient tous ensemble accabler Mithridate : Mais lui, c'en est assez, m'a-t-il dit, cher Arbate. Le sang & et ma fureur m'emportent trop avant. Ne livrons pas sur-tout surtout Mithridate vivant. Aussi-tôt Aussitôt dans son sein il plonge son épée. Mais la mort fuit encor sa grande ame âme trompée. Ce héros dans mes bras est tombé tout sanglant , Foible Faible , & et qui s' irritoit irritait contre un trépas si lent ; Et se plaignant à moi de ce reste de vie, Il soulevoit soulevait encor sa main appesantie, Et marquant à mon bras la place de son cœur, Sembloit Semblait d'un coup plus sûr implorer la faveur.

On ne voit là que des beautés mâles & et sans affectation, que les couleurs de la nature même, sur-tout surtout dans ce beau tableau que renferment les trois derniers vers, & et que je regarde comme un chef-d'œuvre. Je me suis souvent demandé, pourquoi nos tragiques modernes pour la plupart, suppriment aujourd'hui ces sortes de récits. Je crois que la véritable raison est leur difficulté. En effet, pour éviter l'ennui dans le détail circonstancié d'un événement déjà connu par un grand nombre des spectateurs, & et qui doit avoir une certaine étendue, pour le rendre intéressant, il faut beaucoup d'habileté, il faut la main d'un grand maître. Il est plus court & et plus aisé de faire exécuter la chose même sous les ieux yeux du parterre. Ajoutons, qu'il est rare de trouver un acteur qui débite ces morceaux de maniere manière à mérirer des applaudissemens applaudissements .17 Sur ce qu'elle décrit comme « a shift from a predominantly verbal to a predominantly visual aesthetic » dans le théâtre français, voir Kate Tunstall, « Racine in 1769 and 1910, or Racine à l'usage de ceux qui voient », 2006 (voir bibliographie).

Les anciens, reprit Euphorbe, ne trouvoient trouvaient pas ces difficultés insurmontables : car ils les éprouvoient éprouvaient , sans doute, comme nous.

Croyez-vous donc, interrompit Timagène, qu'on ne doit jamais s'écarter de la route qu'ont suivie les anciens ? Voudriez-vous, par exemple, que Racine, en imitant Euripide, eût fait descendre sur la scène Diane qui enléve enlève Iphigénie, & et lui substitue une biche ?

Non assurément, répondit Euphorbe. Mais il faut mettre une grande différence entre ce qui s' appuye appuie sur la nature & et la raison, & et ce qui dépend des opinions, ou des usages particuliers. Ce merveilleux, ou comme l'appellent les gens de l'art, cette machine est de ce dernier genre. Chez les anciens, ces sortes de prodiges étoient étaient admis même dans les poëmes poèmes dramatiques ; & et ils pouvoient pouvaient l'être. Les divinités payennes étoient étaient complaisantes : on les trouvoit trouvait par-tout partout où le besoin l' exigeoit exigeait . Leur entremise étoit était si ordinaire, qu'elle sembloit semblait suivre l'ordre commun, du moins, dans les grands événemens événements . La religion des Grecs & et des Romains en cela étoit était fort commode : la nôtre, comme plus vraie, est aussi plus sévere sévère . Nous ne souffrons point que dans une action qui se passe sous nos ieux yeux , on mêle des prodiges, qui n'ont point de fondement. Nous renvoyons le merveilleux aux poëmes poèmes épiques ; c'est-à-dire, à ceux qui ne consistent que dans un récit : encore faut-il qu'il n'ait rien de contraire aux oracles de nos livres saints. C'est pour cela que nos opéra, qui ne seroient seraient qu'un amusement puérile & et insipide si on les dépouilloit dépouillait de la musique et du jeu des machines, empruntent communément leurs sujets de la théogonie payenne païenne .

Il faut bien, répliqua Timagène, que ce soit l'harmonie, l'enchantement de la décoration, enfin l'illusion théâtrale, qui fasse trouver du plaisir dans un spectacle où la vraisemblance est choquée à tout moment : où l'emportement, la douleur, la tristesse, le dernier soupir même s'exprime par les accens accents de la musique. Mais ce charme que nous trouvons dans le jeu des machines, ne prouve-t-il pas que l'homme a un goût naturel pour le merveilleux ?

Je n'en doute en aucune façon, répartit Euphorbe : c'est ce penchant secret que le joueur de gobelets saisit pour nous attacher ; et notre plaisir cesse, aussitôt que nous connaissons la maniere manière dont il s'y prend pour nous tromper. Aussi le merveilleux est-il l'âme de la poësie poésie grande et noble. Il prête aux êtres inanimés la vie et le sentiment. C'est ce que dit magnifiquement Boileau dans son art poëtique Art poétique .18 Art Poët. ch. 3 Art poétique, chant III .19 Boileau, Art poétique, chant III, v. 163-190 (voir bibliographie).

Là pour nous enchanter tout est mis en usage ; Tout prend un corps, une ame âme , un esprit, un visage, Chaque vertu devient une divinité : Minerve est la prudence, & et Vénus, la beauté. Ce n'est plus la vapeur qui produit le tonnerre , C'est Jupiter armé pour foudroyer la terre. Un orage terrible aux ieux yeux des matelots, C'est Neptune en courroux qui gourmande les flots, Echo n'est plus un son qui dans l'air retentisse, C'est une Nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse. .... [...] Qu'Enée & et ses vaisseaux, par le vent écartés, Soient aux bords Afriquains d'un orage emportés ; Ce n'est qu'une aventure ordinaire & et commune, Qu'un coup peu surprenant des traits de la fortune. Mais que Junon, constante en son aversion, Poursuive sur les flots les restes d'Ilion ; Qu' Eole Éole en sa faveur les chassent d'Italie, Ouvre aux vents mutinés les prisons d' Eolie Éolie , Que Neptune, en courroux s'élevant sur la mer, D'un mot calme les flots, mette la paix dans l'air Délivre les vaisseaux, des Syrtes les arrache ; C'est-là C'est là ce qui surprend, frappe, saisit, attache. Sans tous ces ornemens ornements le vers tombe en langueur ; La poësie poésie est morte, ou rampe sans vigueur.

En effet, reprit vivement Timagène, tout ce qui nous remet sous les ieux yeux le portrait de la divinité gravé dans notre ame âme , tout ce qui nous rappelle sa grandeur & et son pouvoir est sûr de nous enchanter. Mais, si j'ai bonne mémoire, je crois que M. Rollin20 Tr. des Etud. tom. 1. l. 1, art. 4. n'est pas ici d'accord avec notre poëte poète . Si l'on en croit le premier, il n'est pas permis à un Auteur auteur chrétien d'employer même les noms des divinités payennes. Cette décision me paroît paraît fort sévere sévère  ; & et dans les raisonnements qu'il fait pour l'appuyer, je crois qu'il prend le change. Il prétend que par ces noms on ne peut entendre que les Dieux du paganisme, où les attributs du vrai Dieu, où que l'on entend rien du tout ; mais il me semble à moi que par ces mots on entend une chose inanimée, à qui, comme le dit Despréaux, on prête une ame âme & et un esprit pour donner du feu & et de la grace grâce à la poësie poésie  ; & et M. Rollin lui-même accorde cette liberté aux poëtes poètes , dans le même endroit dont il est ici question, Je suis bien éloigné, dit-il, de condamner certaines figures, par lesquelles on attribue du sentiment, de la voix, de l'action même aux choses inanimées. Il sera toujours permis .... [...] de donner des ailes aux vents ... [...] de prêter une voix au21 Desit: Ici et ailleurs, vérifier accent sur tonnèrre. tonnerre tonnèrre ... [...] de personnifier les vertus & et les vices. Mais si l'on peut donner des ailes au vents, pourquoi ne pourroit pourrait -on pas leur donner un nom ? Si je peux personnifier la prudence, pourquoi m'empêche-t-on de l'appeller Minerve ? Est-il quelqu'un assez mal-adroit maladroit pour s'imaginer, que je veuille honorer sous ce nom une prétendue divinité ? Tout homme sensé ne voit dans la déesse qui accompagne Télémaque sous la figure de Mentor, qu'une allégorie ingénieuse, qui répand dans ce beau poëme poème un feu & et une action moins aisée à peindre, qu'à sentir. Tout y languiroit languirait si au lieu de cette fiction, l' Auteur auteur se fût contenté de supposer que dans toutes les démarches du jeune prince, la prudence lui montroit montrait le parti le plus sage, modéroit modérait ses passions & et corrigeoit corrigeait ses écarts ?

Sans doute, poursuivit Euphorbe, on ne peut interdire la fiction à la poësie poésie , & et sur-tout surtout à l'épopée, sans lui ravir tous ses agrémens agréments . Donnons-lui la liberté d'animer tout, jusqu'aux vices & et aux vertus. Mais avouons aussi qu'il faut donner des bornes à cette fiction. On ne peut excusér un poëte poète qui ose mêler le sacré avec le prophane, & et qui fait concourir les divinités du paganisme avec le Dieu de vérité. S'il est bien pénétré du sujet qu'il traite, il doit y trouver assez de grandeur & et de majesté pour qu'il puisse se passer de cette décoration indécente. Toutes ses richesses de la poësie poésie de Sannazar, tout le feu, toute l'imagination, toute la noblesse du génie le plus sublime & et le plus fécond ne peuvent nous dédommager de ce défaut. Au reste, ce merveilleux étant grand par lui-même, puisqu'il est l'effet d'un pouvoir divin, ne peut convenir qu'à la poësie poésie noble & et sérieuse. Les Grecs le souffroient souffraient sur la scene scène tragique : mais, comme je l'ai déjà remarqué, nous sommes plus difficiles sur cet article. Nous ne lui laissons de place que dans le poëme poème épique. Il lui est nécessaire, & et fait, pour ainsi dire, partie de son essence : en effet, on peut définir ce poëme poème , le récit d'une action grande & et merveilleuse, exécutée par un héros dans un certain espace de temps. Laissant à part cè qui regarde l'unité d'action, de héros & et de temps, & et les autres régles règles qu'il doit suivre, arrêtons-nous seulement à sa qualité de récit. C'est-là C'est là , sur tout surtout , ce qui le distingue du poëme poème tragique, dont la nature est d'être la représentation d'une action : & et c'est par cette raison qu'on en bannit ordinairement le merveilleux. Cette représentation néanmoins est entremêlée de récits ; & et dès-lors dès lors , elle fournira encore matiere matière à nos entretiens, par les autres qualités qui lui conviennent sous ce rapport, ainsi qu'au poëme poème épique.

Si le merveilleux figure mal dans une représentation, interrompit Timagène, d'où vient donc l'empressement du public pour l'opéra, qui n'est qu'un tissu de prodiges, souvent mal amenés & et toujours dépourvus de vraisemblance ?

Il vient, répondit Euphorbe, de ce qu'on n' y assiste que pour s'amuser. Nous l'avons remarqué tout-à-l'heure tout à l'heure . Les charmes de la musique soutenus par la variété des décorations, par la richesse des perspectives, produisent cet effet, sans avoir besoin de beaucoup d'illusion. Aussi le cœur n'est point du tout affecté par ce spectacle. La tragédie au contraire, veut ébranler l' ame âme par les ressorts de la terreur & et de la compassion. Il faut pour cela qu'elle suive pas à pas les routes ordinaires de la nature, dont le merveilleux s'écarte presque toujours.

Si je vous objecte, reprit Timagène, que cette même raison devroit devrait aussi bannir de l'épopée le merveilleux, je vois d'avance ce que vous m'allez répondre. Vous me direz que ce dernier poëme poème en général, se propose de nous instruire & et de nous plaire plutôt par le sentiment de l'admiration, qu'en nous arrachant des larmes : que le ressort du pathétique ne s'y emploie que dans certains endroits particuliers. Contentons-nous donc que par-tout partout il nous attache par la magnificence de ses ornemens ornements , & et sur-tout surtout par l'intérêt. C'est ici qu'il faut faire usage de ce que nous avons déjà dit22 Entret. deuxième. de l'intérêt général & et particulier. La révolution qui mit les Tartares sur le trône de la Chine, sera toujours pour moi un objet beaucoup plus indifférent, que l' avénement avènement de Charlemagne à l'empire d'occident : la Jérusalem délivrée Jérusalem délivrée a des charmes plus puissans puissants pour un chrétien, que pour un mahométan.

Entre les différens différents ornemens ornements qu'exige le récit poëtique poétique , repartit Euphorbe, il en est qui contribuent beaucoup plus que les autres, à cet intérêt dont vous parlez. Tels sont le sublime & et le pathétique. On s'affecte, on se passionne aisément pour un objet qu'on admire, & et plus encore pour celui qui sait nous attendrir. Etre Être maître du cœur c'est être maître de l'homme entier. Le sublime brille par-tout partout dans les poëmes poèmes d' Homere Homere . Pour s'en convaincre, il suffit d'ouvrir le traité de Longin. On y en trouvera une foule d'exemples mis en vers françois français , par Despréaux. Cette traduction m'en rappelle une autre d'une espece espèce un peu différente, mais qui a toujours rapport à l'objet dont nous parlons. Un poëte poète de nos jours a rendu tout le sublime que renferme le commencement de la Genèse, avec cette seule différence, qu'il a mis en action, ce qui n'est qu'en récit dans l' Auteur auteur sacré. Il fait parler ainsi le maître du tonnerre.

Les temps sont arrivés : cessez tristes chaos : Paroissez Paraissez élémens éléments  : Dieux allez leur prescrire Le mouvement & et le repos : Tenez-les renfermés chacun dans son empire. Coulez, ondes, coulez ; volez rapides feux ; Voile azuré des airs embrassez la nature ; Terre enfante des fruits, couvre-toi de verdure ; Naissez, mortels, pour obéir aux Dieux.

Je connois connais ce morceau, répliqua Timagène. Il m'a toujours fait beaucoup de plaisir, même à la simple lecture ; mérite bien rate dans une poësie poésie d'opéra. Rien n'est plus grand que ce spectacle superbe, d'un Dieu qui commande au néant d'enfanter la nature, & et dont l'ordre est exécuté sur le champ. Homere Homère est rempli de ces idées magnifiques, sur-tout surtout lorsqu'il parle de la divinité. Virgile en a imité plusieurs, lorsqu'il dit, par exemple, que Jupiter d'un mouvement de tête fait trembler l'Olympe entier, ou quand il nous peint ce maître des Dieux jettant jetant sur sa fille un de ces regards, qui portent le calme dans Ies cieux & et jusqu'au sein des tempêtes : mais il me semble qu'il en a peu tiré de son prorpre fond. Cependant je serois serais bien tenté de mettre dans ce même rang un endroit du sixieme sixième livre de l' Enéide Énéide . C'est celui où Ænée Énée rencontre Didon dans les enfers. Le prince Troyen veut excuser à ses ieux yeux son départ précipité, & et lui parle avec toute la tendresse & et le feu dont il est capable. Le poëte poète sans mettre un mot dans la bouche de la princesse,23 Illa solo fixos oculos averse tenebat .... Tandem proripuit sese, atque inimica refugit, In memus umbriserum. Æen. lib. 6. ajoute seulement, ses regards fixés à terre, son visage détourné, témoignent son dédain. .... [...] enfin elle se dérobe à sa vue, & et d'un air indigné s'enfonce dans l'épaisseur d'un bois. Je voudrois voudrais appeller ce silence, un silence sublime.

Si vous êtes tenté de le faire, repartit Euphorbe en riant, je vous déclare, moi, que depuis long-temps longtemps j'ai succombé à la tentation. Avant Virgile on trouvoit trouvait chez les Grecs des exemples de ce silence énergique, & et qu'on peut regarder comme le dernier effort de l'éloquence.24 Acte 4, scène 2. Dans les Trachinienes Trachiniennes de Sophocle, Hyllus, fils d'Hercule, fait à Déjanire un récit touchant de la mort de ce héros, dont elle étoit était la cause innocente par le don de la robe empoisonnée qu'elle lui avoit avait envoyée. La princesse alors reconnoît reconnaît sa funeste erreur. Sa douleur est si profonde, son désespoir si affreux, qu'elle se retire, sans répondre un mot aux invectives & et aux reproches dont son fils l'accable, & et laisse le chœur & et les spectateurs dans la plus cruelle inquiétude sur le parti qu'elle va prendre.25 Acte 5, sc. 2. Dans la tragédiè d' Antigone Antigone , Euridice, femme de Créon, après avoir entendu le détail de la mort du prince Hémon son fils, sort sans proférer une parole & et par-là par là donne à penser au chœur, qu'elle est résolue de s'arracher la vie. Il y a encore un exemple pareil dans l' Œdipe Œdipe du même Auteur auteur . Ne rien dire dans ces occasions, c'est assurément dire beaucoup.

Ce que vous observez ici dans Sophocle, poursuivit Timagène, s'accorde parfaitement bien avec l'idée que M. Rollin, après le P. Brumoi, nous donne de ce poëte poète . Le génie de ce tragique a bien du rapport avec celui de Corneille. Tous deux s'attachent plus à nous frapper par le grand & et le sublime, à nous intéresser par l'admiration, qu'à surprendre notre sensibilité, & et à nous arracher des larmes. Ce tribut du sentiment leur paroît paraît indigne des héros dont ils parlent ; leur esprit naturellement élevé se met, pour ainsi dire, de niveau avec les grands hommes, dont ils décrivent les exploits & et la mort. C'est-là C'est là du moins l'impression qu'a toujours fait sur moi le récit de celle de Pompée dans le Sophocle françois français . C'est un spectacle aussi beau que touchant, de voir ce Romain porter tout l'héroïsme d'une grande ame âme au milieu des assassins qui le poignardent, & et je ne sais si le sentiment qu'on éprouve alors, ne vaut pas bien celui que fait naître le sang d'Iphigénie qui coule sur l'autel.

Peut-être vaut-il mieux, reprit Euphorbe ; mais malheureusement il y a beaucoup plus de cœurs sensibles, que d'âmes26 La graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte. grandes & et élevées. D'ailleurs il arrive assez souvent, qu'en voulant atteindre le sublime, on donne dans le gigantesque & et l' empoulé ampoulé 27 La graphie de l'original n'est pas attestée dans les dictionnaires de référence.. Le Tasse en décrivant le dernier combat des Chrétiens contre les infidèles28 La graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte., dit avec plus d'emphase que de grandeur : Les nués disparurent, & et le ciel voulut voir à découvert ces grandes actions.

E senza velo Volse mirar l'opre grandi il cielo.

Il est donc plus sûr & et plus facile d'intéresser par le pathétique, que par le sublime. Il falloit fallait le génie de Corneille pour se soutenir dans une pareille élévation. Ses successeurs ont sagement fait de se rapprocher de nous ; & et ils ont réussi à nous charmer, sans nous étonner. Sophocle lui-même emploie souvent le pathétique, pour émouvoir les spectateurs, en y mêlant, il est vrai, presque toujours quelques-uns de ces traits forts & et vigoureux, qui forment son caractere caractère particulier. De ce genre, est la peinture que Hyllus fait à Déjanire d'Hercule mourant, dans l'endroit dont je vous parlois parlais tout-à-l'heure tout à l'heure ,29 Trachin. Acte 4, sc. 2. La voici dans la traduction de M. Dupuy. Paré de votre main, & et la joie de son cœur peinte sur le visage, il adresse ses prieres prières aux dieux : mais à peine le feu a-t-il embrâsé embrasé le bûcher chargé des victimes sanglantes, qu'on voit sortir de tout son corps une sueur abondante. La robe s'attache & et se colle fortement à tous ses membres : un poison dévorant, tel que le venin d'une vipere vipère , ronge, pénétre pénètre les chairs, s'insinue jusqu'à la moelle des os, & et produit d'affreuses convulsions. Il appelle Lichas, & et lui demande de quelle main perfide il tenoit tenait ce funeste présent. Lichas, l'infortuné Lichas, qui ignoroit ignorait votre artifice, & et n'y avoit avait aucune part, répond qu'il ne l'avait reçu que de vous, & et qu'il l' avoit avait apporté dans l'état qu'il lui avoit avait été confié. A À ces mots Hercule, dans un accès de douleur qui le pénétre pénètre jusqu'au fond des entrailles, prend Lichas par le pied, le jette & et l'écrase contre un rocher qui étoit était dans la mer. La tête brisée de ce malheureux n'offre plus qu'un mélange affreux de cervelle & et de sang. Tout le peuple à l'instant pousse à l'envi des gémissemens gémissements que lui arrachent & et la mort funeste de Lychas Lichas 30 La graphie de l'original est ici différente de celle trouvée dans le reste du texte. & et l'état douloureux d'Alcide ; mais personne n'ose approcher. Tantôt il se roule par terre, tantôt il se releve relève & et pousse des cris effroyables, qui font retentir au loin les rivages de l'Eubée & et les montagnes de la Thessalie. Souvent épuisé par la violence de ses douleurs, il tomboit tombait à terre, & et sa fureur s' exhaloit exhalait en imprécations terribles contre l'hymen fatal qui l' avoit avait uni à la fille d'Œnée, & et qui faisoit faisait en ce jour son tourment & et sa perte. Enfin, dans la noire vapeur qui l' obséde obsède sans relâche, il jette de côté & et d'autre des regards égarés, & et m' appercevant apercevant dans la foule, où je fondois fondais en larmes, il m'appelle. Approchez, mon fils, dit-il ; n'abandonnez pas un pere père dans l'état déplorable où vous le voyez : approchez ; dussiez-vous terminer avec lui votre sort, & et s'il vous reste quelque sentiment de tendresse & et de pitié, enlevez-moi promptement de cette terre, afin que je n'y finisse pas mes tristes jours. Transportez-moi loin d'ici, & et dans un lieu où je puisse cacher à l'univers entier ma cruelle destinée. A À ces mots, nous le portons au vaisseau & et nous l'amenons sur ces31 Desit: ses? bords avec bien de la peine. Il a été sans cesse travaillé par la violence de ses maux ; & et vous le verrez bientôt expirant, si même il vit encore. Quel choix des circonstances les plus capables d'émouvoir & et d'attendrir sur le sort de ce heros ? C'est au moment où il se livroit livrait à la joie la plus pure, que d'horrible tourmens tourments vont lui ravir le jour. Mais vous remarquez, sans doute, comme moi, quelle vivacité & et quel intérêt ajoute ici la situation de Déjanire. On lui raconte la mort cruelle de son époux, & et c'est elle seule qui en est la cause innocente, pour avoir ajouté foi aux paroles de Nessus. Cette circonstance ne donne-t-elle pas une force singuliere singulière à ce que dit Hyllus, qu'Hercule exhaloit exhalait sa fureur en intprécations terribles contre l'hymen fatal qui l' avoit avait uni à la fille d'Œnée ?

Il me semble, ajouta Timagène, qu'il y a une situation à-peu-près à peu près semblable dans la Phèdre Phèdre de Racine. Théramene Théramène raconte à Thésée la mort d'Hyppolite son fils, dont cet infortuné pere père étoit était devenu l'auteur, en prêtant l'oreille aux accusations de sa femme contre ce prince innocent. J'y trouve même un trait, qui, comme le vôtre, emprunte une énergie toute particuliere particulière de cette situation : ce sont ces deux beaux vers, où Théramene Théramène peint le cadavre défiguré de ce prince malheureux :

32 Phed. Acte 5, sc. 6. Triste objet, où des Dieux éclate la colere colère , Et que m'éconnoîtroit méconnaîtrait l' œuil œil même de son pere père .

Quel coup doit porter au cœur de Thésée cette réflexion ?

Ce coup est si sensible, poursuivit Euphorbe, qu'il devroit devrait peut-être avoir des effets plus tristes, qu'il n'en a dans la piece pièce . Je ne puis m'empêcher d'accorder ici l'avantage au tragique Grec, sur le françois français . Outre le stile style de la description, plus naturel, & et dès-lors dès lors plus pathétique dans le premier que dans Ie second, quelle différence dans les suites qu'elle a chez l'un & et l'autre poëte poète  ? Déjanire écoute le récit d'Hyllus avec cette sombre & et morne attention qui décéle décèle l'excès de la douleur. Son désespoir est au comble : elle fort sans dire un mot ; & et c'est pour se donner la mort. Voilà la nature peinte en grand. Cette conduite est bien plus expressive, que les exclamations de Thésée. De tout cela, il est aisé de conclure, que le pathétique dépend entiérement entièrement du soin que le poëte poète a de rassembler les circonstances les plus naturelles en elles-mêmes, & et les plus capables de nous attendrir sur l'objet qui nous est présenté.33 Discitur hinc etenim sensus mentesque legentum Flectere, diversosque animis motus dare, ut illis Imperet atte potens (dictu mirabile) vates. Nam semper seu laeta canat, seu tristia moerens, Affectas implet racitâ dulcedine mentes. Vid. Poët. lib. 2. Voilà, dit le poëte poète de Crémone, quels ressorts doit faire jouer le favori des muses, pour conduire à son gré l'esprit & et le cœur de ses lecteurs, pour leur inspirer les mouvemens mouvements & et les passions qu'il lui plaît, & et par un une espece espèce de prodige, les soumettre à l'effort tout-puissant de son art. Soit qu'il nous porte à la joie, soit qu'il veuille nous arracher des pleurs, toujours il répand dans notre ame âme un sentiment plein de douceur & et de charmes. L' Auteur auteur ne se contente pas de le dire, il le prouve par des exemples tirés de Virgile, son poëte poète favori.34 Quem non Threicii quondam sors aperta vatis Molliat, amissam dum solo in littore secum, Eurydice, solans aegrum testudine amorem, Te veniente die, te decedente canebat ? [p. 499] Quid  Puer Euryalus cum pulchros volvitur artus, Ah dolor ! inque humeros lapsâ cervice recumbens, Languescit moriens, ceu flos succisus aratro  Ardet adire animus lectori, & et currere in ipsunt Volscentem, puerique manum supponere mento Labenti, ac largum frustra prohibere cruorem Purpureo niveum signantem flumine pectus. Ib. Qui seroit serait insensible, continue-t-il, au sort déplorable du chantre de la Thrace, lorsque seul sur un rivage désert, il pleure la perte de son épouse, & et tâche de charmer son amour désespéré, lorsque les lugubres accens accents de sa lyre chantent le nom d'Euridice au lever de l'aurore, & et le répétant encore au coucher du soleil ? Quel tableau plus touchant que celui d'Euryale, lorsque ce bel enfant tombe sous les coups de son ennemi ? Sa tête languissante demeure panchée penchée sur ses épaules ; la pâleur de la mort se répand sur ses lèvres ; c'est une fleur coupée par le tranchant de la charrue. A À cette peinture, le lecteur voudroit voudrait s'avancer lui-même, fondre sur Volscens, soutenir de la main cette tête mourante, & et faire des efforts, même inutiles, pour arrêter ces flots de sang qui coulent le long de sa poitrine.

Votre bon prélat, reprit Timagène, avoit avait du goût & et possédoit possédait bien son Virgile. Il pensoit pensait avec raison que les grands mots, les exclamations, les phrases coupées & et ponctuées sont moins propres au pathétique que les circonstances réunies avec habileté. C'est le grand art qu'emploie Racine pour émouvoir, & et dans lequel il réussit si bien ; témoin cette description touchante que fait Josabeth dans la tragédie d'Athalie, en parlant du jeune Joas.35 Athalie, Acte 1. sc. 2.

Hélas ! L'état horrible où le ciel me l'offrit, Revient à tout moment effrayer mon esprit ! De princes égorgés la chambre étoit était remplie. Un poignard à la main l'implacable Athalie Au carnage animoit animait ses barbares soldats, Se poursuivoit poursuivait le cours de ses assassinats. Joas laissé pour mort frappa soudain ma vue. Je me figure encor sa nourrice éperdue, Qui devant les bourreaux s' étoit était jetté jeté envain en vain , Et foible faible le tenoit tenait renversé sur son sein. Je le pris tout sanglant. En baignant son visage, Mes pleurs du sentiment lui rendirent l'usage ; Et, soit frayeur encore, ou pour me caresser, De ses bras innocens innocents je me sentis presser.

Il n'y a pas-là pas là un coup de pinceau qui ne porte avec lui un sentiment. Qui ne seroit serait ému à la vue de cette nourrice qui ose se jetter jeter au-devant des assassins, de cet enfant renversé tout sanglant surt son sein ? Mais sur-tout surtout quel trait admirable que le mouvement de ce même enfant, qui blessé, presque sans connoissance connaissance , presse entre ses bras la personne qui le tient ! Ce sont-là sont là de ces circonstances délicates, qui ne sont apperçues aperçues que par l' œuil œil d'un grand maître.

Ce concours adroit des circonstances, ajouta Euphorbe, est le ressort le plus puissant, non-seulement non seulement pour produire le pathétique, mais encore pour inspirer toutes les passions & et tous les mouvemens mouvements dont l' ame âme est susceptible. Voyons dans un autre endroit du même poëte poète , comment il contribue à faire naître l'éloignement & et l'horreur. Céphise, confidente d'Andromaque, veut persuader à cette princesse de donner la main à Pyrrhus, pour mettre à couvert les jours d'Astyanax son fils ; puisque c'est à ce prix que le prince Grec consent à lui conserver la vie. La veuve d'Hector indignée de ce conseil, s'attache à montrer combien Pyrrhus est un objet odieux pour elle, & et par ses propres exploits, & et par ceux d'Achille son pere père . Elle réprend répond donc ainsi,36 Androm, Act. 3. sc. 7.

Dois-je oublier Hector privé de funérailles, Et traîné, sans honneur, autour de nos murailles ? Dois-je oublier son pere père à mes pieds renversé, Ensanglantant l'autel qu'il tenoit tenait embrassé ? Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle, Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle. Figure-toi Pyrrhus, les ieux yeux étincelans étincelants , Entrant à la lueur de nos palais brûlans brûlants  ; Sur tous mes freres frères morts se faisant un passage, Et, de sang tout couvert, échauffant le carnage. Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des mourans mourants , Dans la flamme étouffés, sous le fer expirans expirants . Peins-toi dans ces horreurs Andromaque éperdue, Voilà comme Pyrrhus vint s'offrir à ma vue ; Voilà par quels exploits il sçut sut se couronner ; Enfin, voilà l'époux que tu me veux donner.

Je pense que ce morceau peut bien figurer auprès du vôtre, & et que les circonstances y sont assez bien rapprochées, pour nous donner l'idée la plus affreuse du fils d'Achillle.

Puisque vous parlez de descriptions effrayantes & et terribles, interrompit Timagène, j'en vois peu qui produisent mieux cet effet, que ce peu de vers traduits du poëte poète Eschile Éschyle , & et que l'on trouve dans le traité du sublime Traité du sublime de Longin.37 Ch. 13.

Sur un bouclier noir sept chefs impitoyables Epouvantent Épouvantent les Dieux de sermens serments effroyables. Près d'un taureau mourant qu'ils viennent d'égorger, Tous, la main dans le sang, jurent de se vanger venger  : Ils en jurent la peur, le dieu Mars & et Bellone.

Et cet autre morceau de je ne sçais sais quel poëte poète , qui fait ainsi le portrait du démon de la guerre.

Quelle divinité barbare S'offre à mes ieux yeux épouvantés ? Deux glaives forgés au Tartare Arment ses bras ensanglantés : Des serpens serpents forment sa couronne ; L'ombre de la mort l'environne ; Le tonnerre gronde à l'entour : Les inexorables furies, Les gorgones de sang nourries, Composent son horrible cour.

Quel assemblage d'objets tous plus épouvantables les uns que les autres !

Les exemples dans ce genre, repartit Euphorbe, se présentent en foule dans nos bons Auteurs auteurs . A À ceux que vous venez de citer, on pourroit pourrait joindre le récit qu'Athalie fait elle-même d'un songe affreux qui lui annonce ses malheurs, & et cet endroit si connu de la cantate de Circé, où le grand Rousseau décrit les effets d'un enchantement.

Sa voix redoutable Trouble les enfers ; Un bruit formidable Gronde dans les airs ; Un voile effroyable Couvre l'univers : La terre tremblante Frémit de terreur ; L'onde turbulente Mugit de fureur ; La lune sanglante Recule d'horreur.

Au reste, parmi tous ces traits propres à rendre un objet odieux, il faut se donner de garde d'en admettre aucun qui rende la peinture dégoûtante. L'imagination échauffée s'aveugle quelquefois & et donne dans cet écueuil écueil , sans s'en appercevoir apercevoir . Horace, cet oracle du goût, semble s'être oublié dans ces vers, où il peint Cerbère ; si cependant cette strophe n'a pas été ajoutée par quelque copiste ignorant,38 Lib. 3 Od. 11.

Quamvis furiale centum Muniant angues caput ejus, atque Spiritus teter saniesque manet Ore trilingui.

Cette haleine empestée, ce sang corrompu qui coule de la gueule du monstre infernal, est plus capable de soulever le cœur, que de porter l'effroi dans l'esprit.

Ce poëte poète , répliqua Timagène, a porté lui-même son arrêt, lorsqu'il nous a dit que tout ce qui sort des bornes précieuses de la nature, devient outré & et ne peut plaire. Je crois qu'il en est du récit comme du spectacle. Une scène tendue de noir, ornée de larmes funèbres39 La graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte., parsemée d' ossemens ossements & et de têtes de morts, où I' œuil œil découvre des tombeaux ouverts & et des cadavres à demi-corrompus à demi corrompus  ;40 Roméo, Trag. telle enfin qu'on la l'a vue de nos jours, n'est plus qu'un triste convoi qui m'accable ou me révolte. Mais détournons un peu nos ieux yeux de ces objets lugubres, & et fixons-les sur des descriptions plus propres à nous égayer. L'empire qu'elles ont sur nos sentimens sentiments doit s'étendre, sans doute, sur celui-là, comme sur les autres.

Vous en rencontrerez de ce genre, reprit Euphorbe, dans tous les grands écrivains anciens & et modernes. Telle est la description des champs Elisées champs Élysées dans Virgile, celle du paradis terrestre dans Milton, celle du palais d'Armide & et de ses environs dans le Tasse. Voici de quelle maniere manière M. Mirabaud a traduit Ia derniere dernière .41 Jérus. dél. chant 15 & et 16. Après que les chevaliers furent parvenus au haut de la montagne, ils virent une agréable plaine, qui s' étendoit étendait sous un ciel pur & et serein. La terre y étoit était couverte d'un gazon toujours verd vert & et émaillé des plus riantes fleurs. Dans ce climat enchanté, jamais le rigoureux hyver hiver ne pénétre pénètre  ; les ardeurs brûlantes de l'été ne s'y font jamais sentir : on y respire en tout temps un air délicieux, que tempere tempère le doux Zéphire, & et que l'aimable Flore parfume. Au milieu de cette belle plaine & et sur le bord d'un lac, étoit était un magnifique palais d'où l'on découvroit découvrait la mer & et les isles îles voisines, sur lesquelles ce somptueux édifice sembloit semblait dominer .... . [...] Le superbe palais d'Armide étoit d'une forme ronde ..... . [...] La porte étoit était d'argent & et les gonds en étoient étaient d'or, mais l'ouvrage dont elle étoit était ornée, surpassoit surpassait infiniment la matiere matière . Les figures qu'on y avoit avait gravées étoient étaient si bien faites, & et on leur avoit avait donné tant d'expression, qu'elles paroissoient paraissaient animées .... . [...] Après que les chevaliers eurent légérement considéré ce bel ouvrage .... [...] Ils parvinrent à l'entrée du jardin. Alors s'offrit à leurs ieux yeux tout ce qu'on peut imaginer de plus agréable & et de plus charmant. Les parterres émaillés de fleurs, les bosquets toujours verds verts , les fontaines cristallines prodiguant leurs eaux sous mille formes différentes, les grotes grottes , les riants côteaux, les vallons frais & et sombres ornoient ornaient à l'envi ce délicieux séjour. Mais ce qui en faisoit faisait la plus grande beauté, c'est que l'art y étoit était tellement caché, que ce jardin sembloit semblait devoir à la nature seule tous ses ornemens ornements .42 Une nouvelle instance du principe 'ars est celare artem' formulé par Ovide dans son Ars Amatoria ; voir également page 71. L'air toujours également tempéré, y faisoit faisait produire aux arbres des fleurs & et des fruits en tout temps ; à côté d'une figue encore verte pendoit pendait à la même branche une figue d'une parfaite maturité, & et sur le même pied on voyoit voyait la vigne encore en fleur chargée de raisins murs & et d'un goût exquis. Au murmure des eaux, & et à celui des feuilles qu' agitoit agitait l'haleine des zéphyrs, une infinité de petits oiseaux accordoient accordaient leur ramage. Il est difficile assurément de voir une peinture plus gaie & et plus agréable.

Ce poëte poète Italien italien a une imagination très-riche très riche , ajouta Timagene ; mais je lui trouve un autre mérite qui lui est particulier. Son récit intéresse singuliérement singulièrement  ; & et je pense qu'on doit attribuer principalement cet effet aux situations délicates dans lesquelles il met souvent ses personnages, & et qui ménagent au lecteur une surprise délicieuse. C'est-là C'est là , s'il m'en souvient bien, ce que vous appelliez suspension.43 Les deux interlocuteurs en avaient déjà parlé plus tôt ; voir page 124. Telle est l'arrivée inattendue de Clorinde à Jérusalem, au moment ou Sophronie & et Olinde vont subir un supplice infâme & et cruel, auquel cette héroine héroïne s'empresse de les arracher : tel est le combat de cette même Clorinde contre Tancrède, qui ne reconnoît reconnaît son amante qu'après lui avoir donné le coup de la mort : telle est la rencontre d'Herminie à la suite d'Armide, au milieu de l'armée Egyptienne égyptienne , lorsqu'on la croit encore dans la retraite champêtre, où la frayeur l' avoit avait conduite.

Il est vrai, repartit Euphorbe, que ces situations sont assez fréquentes dans la Jérusalem délivrée la Jérusalem délivrée . Elles le sont peut-être au point de donner à ce poëme poème un petit air de roman, qui, joint à quelques pensées recherchées, à ces concetti familiers aux Italiens, forme sans doute ce clinquant, que Despréaux condamnoit condamnait dans ce bel ouvrage. Mais enfin, comme chaque poëte poète a ses défauts, chacun aussi a son mérite particulier. Homere Homère excelle par le génie, Virgile par le naturel, Milton par la force & et l'énergie, & et le Tasse par l'esprit & et le brillant. Pour la solidité de l'instruction & et les richesses de la poësie poésie , il en est peu qui le disputent à l'archevêque de Cambrai.

Soit dit sans vous offenser, répliqua Timagène ; vous me paroissez paraissez un peu hardi de vanter la poësie poésie d'un ouvrage, qu'on refuse de nommer un poëme poème , bien loin de le reconnoître reconnaître pour un poëme poème épique. Je veux bien y voir avec vous toute la conduite de l'épopée ; l'unité d'action, de héros & et de temps ; le merveilleux le plus frappant, l'intérêt le plus vif, l'imagination la plus brillante : mais il n'est point un poëme poème , dès qu'il n'est point écrit en vers.

Cet oracle, reprit Euphorbe, est-il aussi sûr que vous paroissez le croire ? Je vais tâcher de justifier ma hardiesse, & et d'assurer au Télémaque Télémaque le titre de poëme poème épique. On convient assez communément que l'épopée est le récit poëtique poétique d'une action grande, merveilleuse, intéressante, exécutée par un héros dans un certain espace de temps. De toutes les qualités renfermées dans cette définition, vous n'en contestez qu'une à l'ouvrage dont il s'agit : c'est déjà un grand avantage pour moi. Toute la difficulté roule donc sur ces mots, un récit poëtique poétique auxquels des gens de lettres ont substitué un récit en vers. Pour moi, je pense qu'il faut mettre une grande différence entre l'un & et l'autre. On lit tous les jours des vers sans poësie poésie  ; on peut lire aussi de la poësie poésie sans vers. Le nombre, la mesure des syllabes, la rime, sont une écorce extérieure qui n'exige point le secours des muses. La versification est à la poësie poésie , ce que la bordure est à un tableau. Le coloris, l'expression, l'ordonnance sont absolument indépendans indépendants de cette décoration. Rapportons-nous-en sur cette question à Horace : c'est un bon juge.44 Necque enim concludere versum Dixeris esse satis ; neque, si quis scribat, uti nos, Sermoni propiora, putes hunc esse poëtam. Ingenium cui fit, cui meas divinior, atque os Magna sonaturum, des nominis hujus honorem. Hor. Sat. lib. 1. Pour être poëte poète , dit-il, il ne suffit pas de renfermer un vers dans une certaine mesure, comme je le fais maintenant, sans dire rien qui s'élève au-dessus d'une conversation familiere familière . Réservez ce titre magnifique pour celui qui a reçu du ciel le génie, l'enthousiasme & et une expression digne des plus grands objets. Voilà donc l'essence de la poësie poésie  : le génie qui choisit habilement son sujet, qui le dispose avec art, qui puise dans la vérité & et la nature ses caracteres caractères , & et qui sçait sait franchir à propos les bornes trop étroites, que les régles règles lui prescrivent ; l'enthousiasme qui enfante le sublime, le pathétique, les idées nobles ou riantes, les belles descriptions, les pensées brillantes ; enfin les richesses de l'expression, qui ajoute une nouvelle énergie à la pensée, & et qui va quelquefois jusqu'à peindre, pour ainsi dire, à l'oreille l'émotion que l'esprit éprouve. Aucune de ces parties ne manque à l'immortel ouvrage de Fénélon Fénelon . On n'exige point ici la vérsification. Le favori de Mécêne Mécène l'exclut même formellement, si elle est seule, lorsqu'il met au rang de la prose la satyre satire qu'il écrivoit écrivait alors, & et qu'il écrivoit écrivait en vers. Si la mesure ou la rime étoient étaient absolument nécessaires à la poësie poésie , dans une traduction en prose, elle perdroit perdrait sa nature.45 Bérardier de Bataut ne sera apparemment plus de l'opinion d'Euphorbe en 1786, lorsqu'il choisit les vers pour sa traduction de L'Anti-Lucrèce de Melchior de Polignac. De bonne foi, est-ce de la prose que nous lisons dans la traduction du beau poëme poème de Milton ? Il a peut-être perdu quelques-unes de ses graces grâces  : mais quelque défiguré qu'on le suppose, on ne le prendra jamais pour une histoire ; pas même pour un roman. Ainsi je ne crains point de placer l' Auteur auteur du Télémaque Télémaque sur le Parnasse au-dessus de beaucoup de versificateurs, supposé même que ceux ci ceux-ci y soient admis.

Vous avez ici un beau champ, poursuivit Timagène : vous combattiez un ennemi qui ne demande que d'être vaincu : car je vous avoue qu'on a toujours eu bien de la peine à me faire voir de la simple prose, par exemple, dans la descriprion charmante que fait cet Auteur auteur de la grote grotte de Calypso. Cette grote grotte , dit-il, étoit était taillée dans le roc en voûtes pleines de rocailles & et de coquilles : elle étoit était tapissée d'une jeune vigne qui étendoit étendait également ses bran ches souples de tous côtés. Les doux Zéphyrs conservoient conservaient en ce lieu, malgré les ardeurs du soleil, une délicieuse fraîcheur. Des fontaines coulant avec un doux murmure sur des prés semés d'amaranthes & et de violettes, formoient formaient en divers lieux des bains aussi purs & et aussi clairs que le cristal. Mille fleurs naissantes émailloient émaillaient les tapis verds verts dont la grote grotte étoit était environnée. Là on trouvoit trouvait un bois de ces arbres touffus qui portent des pommes d'or, & et dont la fleur, qui se renouvelle dans toutes les saisons, répand le plus doux de tous les parfums. Ce bois sembloit semblait couronner ces belles prairies, & et formoit formait une nuit que les rayons du soleil ne pouvoient pouvaient percer. Là on n' entendoit entendait jamais que chant des oiseaux, ou le bruit d'un ruisseau qui se précipitant du haut d'un rocher, tomboit tombait à gros bouillons pleins d'écume, & et s' enfuyoit enfuyait au travers de la prairie. Quelle poësie poésie employa jamais des images plus riantes, & et prodigua avec plus d'abondance toutes les richesses & et tous les ornemens ornements du stile style  ?

C'est aussi dans la poësie poésie , poursuivit Euphorbe, que l'on peut & et que l'on doit les répandre avec une espece espèce de profusion. Comme elle se propose de gagner le cœur & et l'esprit par l'attrait du plaisir, pour les instruire plus sûrement, elle n'épargne rien de tout ce qui peut ravir & et enchanter. De là46 La graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte. ces peintures fréquentes, où les traits de la nature sont si bien saisis, qu'on la confond presque avec son portrait ; delà de là ces pensées naturelles, délicates, & et toujours poëtiques poétiques  : delà de là cette harmonie, cette cadence si expressive, qu'elle fait presque concevoir l'objet qu'elle décrit, à ceux même pour qui la langue dans laquelle elle s'exprime, est étrangere étrangère .

Je ne puis entendre parler de peintures naturelles en poësie poésie , répliqua Timagène, sans me rappeller celle que fait Horace dans cette belle ode, où il raconte les projets chimériques d'un usurier, qui sembloit semblait résolu de quitter la ville & et son infâme trafic. Pour se confirmer dans cette belle résolution, il décrit ainsi la félicité d'un habitant de la campagne.47 Ergo aut adultâ vitium propagirie Altas maritat populos ; ............. [...] Aut in reductâ valle mugientum Prospectat errantes greges ; Aut pressa puris mella condit amphoris ; Aut tondet infirmas oves. Vel cum devorum mitibus pomis caput Autumnus arvis extulit, Ut gaudet infitiva decerpens pyra, Certantem & et uvam purpurae ! Liber jacere modo sub antiquâ ilice ; Modo in renaci gramine. Labuntur altis interim ripis aquae ; Queruntur in sylvis avec ; Fontesque lymphis obstrepunt manantibus, Somnos quod invitet leves. ................ [...] Has inter epulas, ut juvar pastas oves Videre properantes domum ! Videre fessos vomerem inversum boves Collo trahentes languido ; Positosque vernas, ditis examen domûs, Circum renidentes lares. Epod. 2. Là il marie aux peupliers les seps ceps de sa vigne déjà forts & et vigoureux ; ici il suit des ieux yeux ses troupeaux errans errants dans un vallon écarté, qu'ils font retentir de leurs mugissemens mugissements  : quelquefois il s'occupe à renfermer dans des vases purs le miel exprimé de ses rayons, ou à décharger ses moutons de leur toison. Lorsque Pomone montre à l'univers sa tête couronnée de fruits, quel charme pour lui de cueuillir cueillir une poire que les travaux ont fait naître, ou une grappe de raisin dont l'incarnat le dispute à la pourpre. Au gré de son caprice, tantôt il s'étend à l'ombre d'un vieux chêne, tantôt sur un gazon dont la fraîcheur a pour lui mille attraits. Cependant le murmure d'un fleuve profond, le ramage plaintif des oiseaux dans les bois, le gazouillement d'une onde fugitive répandent sur ses ieux yeux de légers pavots. Le poëte poète termine enfin ce charmant paysage par ces traits. Tandis qu'il prend un repas frugal, quel spectacle plus agréable à ses ieux yeux , que d' appercevoir apercevoir ses troupeaux revenir à pas précipités des pâturages à la bergerie, ses bœufs fatigués rentrer d'un air abbatu & et traîner après eux la charrue renversée ; de voir autour d'un foyer, où règne la douce gaieté, un essain essaim de domestiques qui font la richesse de la maison qui les a vu naître !

J'ai rencontré derniérement dernièrement , repartit Euphorbe, un de ces portraits dans un ouvrage qui n'a aucun rapport, il est vrai, à l'objet que nous traitons, mais qui revient si bien à celui que vous venez de citer, que je ne puis m'empêcher de le mettre sous vos ieux yeux . Ce sera une petite digression, que vous me pardonnerez. Je l'ai trouvé dans un discours prononcé en 1769, par un magistrat digne par ses talens talents & et ses vertus du ministere public, dont il a été chargé pendant quelque temps dans un parlement de province.48 Disc. sur les mœurs de M. Servan, anc. Av. Gén. du Parl. de Grenoble.49 L'appel à la note manque dans l'original. La place de la note est donc conjecturale. L'orateur suppose un bon citoyen, un patriote sans prétentions, qui s'entretient ainsi avec lui-même. Il est nuit, & et j'ai travaillé tout le jour pour ma patrie & et pour mes devoirs ; mais voici le moment où je vais être payé de tout. Je vais retrouver ma femme, mes enfans enfants , ma famille ..... [...] Tous m'aiment, tous m'attendent, & et je suis sûr que déjà vingt fois mes enfans enfants ont interrompu leurs jeux innocens innocents , pour demander à leur mere mère avec inquiétude, si leur pere père tarderoit tarderait encore long-temps longtemps . A À peine ils me verront, que je n'entendrai qu'un cri de joie : tous leurs regards, toutes leurs caresses seront pour moi, & et je leur prodiguerai toutes les miennes, & et je les serrerai dans mes bras tous ensemble, tous l'un après l'autre. Assis à la même table, sans doute, ils me demanderont compte de ma journée & et tout mon cœur leur sera ouvert : qu'ai-je à leur cacher ? Je leur dirai ma joie & et mes chagrins. Quel plaisir de les voir surpendre leur repas, les ieux yeux attachés sur les miens, m'écouter avidement, pâlir à ma moindre peine, & et s'entreregarder en souriant, à mes moindres plaisirs, quelquefois m'interrompre par tendresse, & et se retenir aussi-tôt aussitôt par respect ; m'écouter encore quand je me suis tu, attendant dans un long silence, si je n'ai plus rien à leur apprendre de moi ! Un de mes signes, un coup-d' œuil œil , un souris sera le signal de quelques jeux, où je serai pris pour témoin, pour conseil, pour arbitre, & et toujours pour leur pere père . Peut-on se refuser à l'émotion paisible & et délicieuse que produisent dans l'âme50 La graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte. de pareils objets ?

En lisant ces morceaux, interrompit Timagène, je crois voir un de ces agréables tableaux de Greuze, qui nous peint les occupations d'une famille villageoise, l'objet de nos mépris, & et qui devroit devrait l'être de notre envie. Elle ne connoît connaît point nos arts & et notre politique, mais elle ignore aussi nos vices. Rien n'égale, à mon avis, I'expression & et la vérité de ce coup de pinceau dans Horace, Quel spectacle plus intéressant, que de voir... ses bœufs fatigués rentrer d'un air abbatu, & et traîner après eux la charrue renversée ? Et de ceux-ci qui m'ont singuliérement singulièrement frappé dans le discours de votre magistrat. Quel plaisir de voir mes enfans enfants s'entre-regarder en souriant de mes moindres plaisirs ; .... m'écouter encore, quand je me suis tu, attendant dans un long silence, si je n'ai plus rien à leur apprendre de moi ! Voilà ce que j'appelle prendre la nature sur le fait, & et je pense que c'est-là un des plus beaux ornemens ornements du récit poétique.

Par-tout Partout où se montre la nature, poursuivit Euphorbe, elle est sûre d'enchaîner les cœurs, ne fût-ce que dans une simple pensée. On en rencontre souvent de cette espece espèce dans Virgile. Telle est celle-ci, qui termine le portrait de deux freres frères , que la nature avoit avait formés très-ressemblans très ressemblants .51 . . . . . [...] Simillima proles lndiscreta suis, gratusque parentibus error. Les ieux yeux des pere père & et mere mère avoient avaient peine à les distinguer, & et la ressemblance étoit était si parfaite, qu'elle leur occasionnoit occasionnait souvent des méprises agréables pour eux : & et cette autre qui sert de couronnement à la belle description de la démarche d'Apollon ;52 Latonae tacitum pertentant gaudia poetus. Latone éprouve, en le voyant, un plaisir secret, mais délicieux.53 Les guillemets finaux manquent, dans l'original.

Dans ces vers, reprit Timagène, je ne vois rien de saillant, rien qui puisse surprendre : je ne conçois pas pourquoi vous les qualifiez du titre de pensées.

Ce ne sont pas des pensées sublimes ou brillantes, repartit Euphorbe, mais des pensées naturelles ; & et celles-ci ne sont pas les moins précieuses. Il n'est peut-être pas si difficile qu'on le croiroit croirait , d'en produire de la premiere première espèce espece . On s'échauffe l'imagination, on se bat, pour ainsi dire, les flancs ; il est rare que de ce mouvement électrique, il ne sorte quelques étincelles. Il est vrai que ces feux dégénerent dégénèrent souvent en fumée. C'est ce qui est arrivé au Guarini dans cette pensée qu'il nous a donnée au sujet d'Encelade, l'un des Titans :54 La dove sotto à la gran mole Etnea Non so se fulminato, ô fulminante, Vibra il fiero gigante Contra l nemico ciel fiamme di sdegno. On ne sçait sait si ce fier géant, enfermé sous l' Ethna Étna , est foudroyé, ou foudroye. Il lance dans sa colere colère , des feux contre le ciel, & et lui fait la guerre. Je connois connais peu de pensées plus recherchées que celle-là. Elle n'est pas néanmoins aussi ridicule, que celle de l'Arioste, qui dit d'un de ses héros, Le pauvre homme ne s' étoit était pas apperçu aperçu qu'il étoit était mort, & et combattoit combattait encore.55 Il pover huomo, che non sen era accorto, Andava combattendo, & et era morto.

Je n'ai jamais été si surpris, interrompit Timagène, que de rencontrer derniérement dernièrement cette même pensée, non pas dans un poëte poète , mais dans un historien Espagnol espagnol . A À l'occasion de quelques guerriers coupés en deux par le canon, au siége siège de Maestricht Maastricht , voici comme il s'exprime56 Dimidiato corpore pugnabant, Sibi superstites, ac peremptae partis ultores. Strada de bel. Belg. dec. 2. l. 2.57 Dans l'appel à la note, la parenthèse fermante est très faiblement imprimée aussi bien dans l'exemplaire de l'édition l'originale qui sert de référence pour la présente édition électronique, que dans le facsimilé disponible sur Google Books produit à partir d'un exemplaire de la Taylor Institution, Oxford et provenant de la collection de Vivienne Mylne. C'est un indice parmi d'autres qu'il s'agit de la même et peut-être de l'unique impression de l'ouvrage. La moitié de leur corps survivoit survivait à l'autre, combattoit combattait encore, & et vangeoit vengeait celle qui n' étoit était plus.58 Les guillemets finaux manquent, dans l'original. Nous avons trouvé de l'affectation dans Florus, quand il dit, que la colere colère vivoit vivait / Sur le front d'un guerrier après sa mort : mais qu'est ce que cela, en comparaison de la moitié d'un corps qui venge l'autre ?59 De Art. Poët. v. 230.Je veux m'élever, dit Horace, je me perds dans les nues.

Ce malheur n'est que trop commun, poursuivit Euphorbe. Il n'est donné qu'aux hommes de goût & et de génie, de saisir ces traits où la nature & et le vrai semblent avoir imprimé leur sceau. Semblables à la violette, ces fleurs plaisent toujours, ne fatiguent point, & et ne portent jamais à la tête. Quel esprit assez bouché,60 Le texte lit bien bouché, et non pas borné, auquel on aurait pu s'attendre. quels organes assez grossiers, pour ne point sentir I'impression de ces deux mots d' Homere Homère δαxρυοεν γελατασα, qui nous peignent les ris & et pleurs confondus sur le visage d'Andromaque, dans un de ces momens moments délicats où le cœur obéit tout-à-Ia fois tout à Ia fois aux mouvemens mouvements de la joie & et de la tristesse ?

Ut pictura poesis, reprit Timagène. Cet admirable coup de pinceau du poëte poète Grec, se retrouve parfaitement, ce me semble, dans le tableau de la naissance de Louis XIII, fait par Rubens. On y distingue dans les ieux yeux & et dans tous les traits de Marie de Médicis le double sentiment de la douleur, appanage apanage de l'enfantement, & et du plaisir que lui cause la naissance d'un fils & et d'un héritier du trône. Au reste, je ne sçais sais auquel des deux, du naturel, ou de la délicatesse je donnerois donnerais la préférence dans la poësie poésie . Peut-on rien imaginer de plus adroit, par exemple, que la maniere manière dont Virgile fait sa cour à Auguste dans son Enéïde Énéide , en prêtant à son héros les qualités, les vertus & et même les foiblesses faiblesses du souverain de Rome. Les Dieux dans l' Elisée Élysée s'occupent de sa grandeur future : Vulcain grave ses exploits sur le bouclier de l' Auteur auteur de sa race. Quelle finesse dans cet éloge de Louis-le-Grand61 Lutrin, ch. 2. que Despréaux met dans la bouche de la mollesse ? Par ce tour ingénieux, je porte ma pensée bien au-delà de ce que me dit le poëte poète  ; & et c'est-Ià c'est Ià , si je m'en souviens bien, ce qu'on nomme délicatesse. A À cette occasion, je me rappelle qu'un homme de goût m'apprit autrefois un moyen propre à découvrir l'ornement dont un poëte poète a revêtu sa matiere. C'est de l'en dépouiller pour un moment, & et de réduire la pensée à la proposition simple. Par exemple, dans l'endroit dont il s'agit, Boileau ne veut dire autre chose sinon, que l'ardeur du Roi pour la gloire n'est arrêtée ni par les plaisirs, ni par les saisons. Cette louange, qui n'a rien de surprenant par elle-même, devient bien plus flatteuse & et plus intéressante, lorsque la mollesse en personne se plaint de l'activité infatigable de ce prince.

Ce moyen en effet, ajouta Euphorbe, est infaillible pour apprécier le mérite d'une pensée ; & et suivant cette régle règle , vous ne ferez pas grand cas, sans doute, de celle du Tasse au sujet de Clorinde, lorsque cette guerriere guerrière rencontra dans un bois Tancrède, à qui ses charmes avoient avaient inspiré toutes les fureurs de l'amour. Le poëte poète dit à cette occasion,62 Jér. Déliv. Chant, premier. Clorinde alloit allait sans doute attaquer celui qu'elle avoit avait déjà vaincu. Si vous retranchez de cette pensée la petite antithese antithèse qu'elle renferme, vous appercevrez apercevrez que loin d'y perdre, elle en devient plus noble. Elle se réduit à celle-ci ; Clorinde alloit allait attaquer un ennemi plein d'amour pour elle. Cette derniere dernière idée me semble plus digne de l'épopée que la premiere première .

La premiere première , répliqua Timagène, est plutôt une pensée fine qu'une pensée délicate. Elle a trop d'apprêt, trop d'esprit. Tout cela montre assurémemt que les ornemens ornements , même dans la poësie poésie , ont des bornes.

Je n'en doute en aucune façon, reprit Euphorbe. Tout ce qui s'écarte de la belle nature, tout ce qui sent l'affectation est de mauvais alloi aloi . Hors de-là de là , tout est permis ; même de donner de l' ame âme & et du sentiment aux êtres les plus insensibles. C'est cette hardiesse ingénieuse qui rend une pensée vraiment poëtique poétique . Je me rappelle un endroit de Silius Italicus qui mérite bien ce titre.63 Tiberius Catius Asconius Silius Italicus (26-101 après J.-C.) fut un poète et homme politique romain. Il est notamment l'auteur de La Guerre punique, un poème épique en 12 000 vers. C'est au sujet d'Annibal qu'un jeune Capouan vouloit voulait poignarder dans un festin. On apostrophe ainsi l'assassin.64 Fallit te mensas inter quod credis inerinem, Tot bellis quæsita viro, tot cœdibus armat Majestas æterna ducem : si admoveris ora, Cannas & et Trebiam ante oculos, Thrasimenaque busta, Et Pauli stare ingentem miraberis umbram. Lib. 11. Tu te trompes, si tu le crois sans défense au milieu d'un repas : cet air majestueux & et fier qu'il doit à tant de guerres & et de batailles forme un rempart éternel autour de ce héros. Dès que tu paroîtras paraîtras en sa présence, tes ieux yeux verront avec étonnement à ses côtés les journées de Cannes & et de Trebie, les bûchers de Thrasimene Thrasimène , & et la grande ombre de Paul Emile Émile .

Permettez-moi, interrompit Timagène, de mettre ici en usage le moyen dont nous parlions tout-à-l'heure tout à l'heure , pour distinguer les ornemens ornements de cette pensée. Tout ce que dit ici le chantre d' Annibal Hannibal , se réduit à cette idée simple, que la seule présence du héros de Carthage, & et le souvenir de ses victoires arrêteront le bras de l'assassin. Quelle magnificence ajoute ici la poësie poésie  ! L'air noble devient un boulevard insurmontable : Cannes, Trebie Trebbia ne sont plus de simples batailles ; ce sont des personnages imposans imposants qui forment une cour au vainqueur de Rome. Ce privilége privilège d'animer même des êtres imaginaires est pourtant quelque chose de bien commode pour Messieurs les poëtes poètes .

Ils doivent exciter l'admiration, repartit Euphorbe, ravir, enchanter nos esprits. Comment y réussiront-ils, si on leur ôte cette liberté ? C'est pour atteindre ce but, qu'ils emploient les comparaisons les plus riches, l'énergie même d'une élocution pittoresque, pour former des tableaux frappans frappants & et capables de vaincre les dégoûts du lecteur le plus dédaigneux. Peut-on se refuser, par exemple, aux charmes de cette comparaison que l'Esprit Saint a dicté au législateur des Juifs, dans ce beau cantique, où il rappelle les bienfaits dont le Dieu d'Israël a comblé son peuple. On y met en parallèle ses soins & et ses attentions avec celles du Roi des oiseaux.65 Sicut aquila provocans ad volandum pullos suos, & et super eos volitans, expandit alas suas, & et assumpit eum, atque portavit in humeris suis. Cant. Moysi. Deut. 32. Telle, dit l' Auteur auteur sacré, une aigle instruit ses jeunes aiglons & et les anime par son exemple à prendre l'essor : elle vole au-dessus d'eux ; elle les prend, elle les porte sur ses aîles ailes déployées. Un poëte poète 66 M. de Bologne. moderne a tâché de rendre ainsi ce riche portrait.

Telle une aigle active, intrépide, Pour instruire un aiglon timide, A À sa foiblesse faiblesse offre un appui ; Lui sert de guide & et de modèle ;67 La graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte. Tantôt le porte sur son aîle, Tantôt voltige autour de lui.

Rien n'est plus propre à charmer un lecteur que cette adresse à rapprocher deux objets qui réfléchissent l'un sur l'autre une lumiere lumière mutuelle. Nous en avons dans le Télémaque Télémaque des modèles68 La graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte. parfaits. Le Tasse a répandu dans son poëme poème cette espece espèce de richesse avec une abondance qui approche un peu de la profusion. A À tout cela, ajoutons les descriptions, les épithétes épithètes & et la cadence, & et nous aurons à-peu-près à peu près tous les ornemens ornements qui enrichissent la poësie poésie .

J'imagine, répliqua Timagène, que cette élocution pittoresque dont vous venez de parler, n'est autre chose que la cadence du vers, lorsque les expressions sont disposées de façon , qu'elles expriment à l'oreille ce qu'elles signifient à l'esprit.69 Ici, la ponctuation a été modifiée dans le texte de lecture. Ainsi dans Homere Homère , le [grec] imite assez bien les ronflemens ronflements de toute une armée, & et le [grec] le bruit des vagues qui glissent les unes sur les autres. Il me semble que les Grecs & et les Latins ont un grand avantage sur nous dans cette partie, à cause de la différente quantité de leurs syllabes longues & et bréves brèves . Aussi Virgile nous fait-il ordinairement entendre par la cadence de ses vers tout ce qu'il veut nous dire. S'agit-il de peindre la tristesse ? La mesure en est lugubre & et traînante :70 Æn. 5. v. 614.

Cunctaeque profundum Pontum aspectabant flentes.

Des expressions faciles & et coulantes y sont les interprêtes interprètes de la douceur & et de l'aménité :71 Æn. 1. v. 693.

Ubi mollis amaracus illum Floribus & et dulci aspirans complectitur umbrâ.

La rencontre des consonnes & et sur-tout surtout de la lettre r, & et les élisions rendent admirablement tout ce qui est dur & et difficile.72 Geor. 3. v. 534.

Ergo aegre rastris terram rimantur. 73 Æn. 8 v. 689. Totum spumare reductis Convulsunt remis rostrisque tridentibus aequor.

qu'elle Quelle oreille ne sent pas la légéreté légèreté de ces vers,74 Æn. 5. v. 139.

Inde ubi clara dédit sonitum tuba, finibus omnes, Haud mora, prosiluêre suis ?

& et la pesanteur de celui-ci,75 Geor. 4. v. 174.

Illi inter sese magna vi brachia tollunt ?

Il faut avouer que l'harmonie est bien puissante pour exprimer ce qui lui plaît. J'ai été une fois témoin de l'empire qu'elle a sur nos sens. Dans un concert bien composé, on exécutoit exécutait un morceau, où le musicien vouloit voulait rendre le bruit du tonnerre, lorsqu'il roule en grondant. Les accords d'un chœur nombreux furent combinés si adroitement, qu'une jeune personne de 14 à 15 ans, prit cette imitation pour l'effet naturel, & et en fut effrayée.

Nouvelle preuve, reprit Euphorbe, qu'on réussit toujours bien, quand on copie la nature. Au surplus, quoique nos Auteurs auteurs ne rencontrent pas autant de facilité dans cette espece espèce de méchanisme que les anciens, comme vous l'avez remarqué fort à propos, ils partagent néanmoins souvent avec eux ce mérite. Témoin ce bel hémistiche de la tragédie de Phèdre Phèdre .76 Act. 5. sc. 6.

L'essieu crie & et se rompt.

où la mesure & et la chûte chute du vers sont également expressives. Je ne pense pas que dans vos vers latins la cadence soit plus analogue à l'objet, que dans ceux-ci du Lutrin.77 Chant 2.

Quatre bœufs attelés, d'un pas tranquille & et lent, Promenoient Promenaient dans Paris le monarque indolent.

La Fontaine n'est-il pas le rival de Virgile quand il peint la peine & et la difficulté dans la fable du coche & et de la mouche ?

Dans un chemin montant, sabloneux, mal-aisée malaisée , .............. [...] Six forts chevaux tiroient tiraient un coche.

Et plus bas,

L'attelage suoit suait , souffloit soufflait , étoit était rendu.

Enfin l'harmonie de ces vers tirés de la cantate de Circé, n'inspire-t-elle pas une espece espèce d'effroi ?

La terre tremblante Frémit de terreur ; L'onde turbulente Mugit de fureur ; La Lune sanglante Recule d'horreur.

Les hommes de génie ne se rebutent jamais à la vue des difficultés. Elles animent leur ardeur, parce qu'ils sçavent savent que la gloire est en proportion avec les obstacles.

Dans les armées, répliqua Timagène, vous eussiez, ce me semble, été un héros.

Je n'en sçais sais rien, répondit Euphorbe, car il y a encore bien loin de la spéculation à la pratique : mais je n'en suis pas moins convaincu que cette idée de la gloire est la véritable, & et non celle qu'on attache au luxe des équipages & et de la table, & et qui ne coûte coute que de l'argent.

A À propos de cela, interrompit Timagène, je crois qu'il est heure de nous rendre au château, où nous sommes invités à souper. Il ne seroit serait pas honnête d'arriver au moment de se mettre à table. Il faut céder aux bienséances : souvent elles deviennent des devoirs.

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"Neuvième entretien. Narration poétique" de Essai sur le récit, ou Entretiens sur la manière de raconter. Édition électronique. François-Joseph Bérardier de Bataut (1720-1794) Christof Schöch Version 0.7, 09/2014

Texte libre de droits. Édition électronique publiée en ligne à l'adresse http://tapas.neu.edu/berardier/essai/ sous licence Creative Commons Attribution 3.0 (CC-BY). Republication de l'édition électronique publiée en ligne à l'adresse http://berardier.org en 2010.

Bérardier de Bataut, François-Joseph (1720-1794) Essai sur le récit, ou entretiens sur la manière de raconter Paris Charles-Pierrre Berton 1776 Format in-12, X-725 pages.

Cette édition fournit une édition accessible en ligne et commentée de l'Essai sur le récit, ou Entretiens sur la manière de raconter, par François-Joseph Bérardier de Bataut.

L'édition réunit une transcription diplomatique (graphies d'époque, coquilles, abréviations) et une version de lecture (graphies modernisées, coquilles corrigées, abréviations explicitées).

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NEUVIÈME ENTRETIEN. Narration Poëtique poétique  ; ses ornemens ornements .

L'arrivée d'un seigneur nouveau ayant occasionné une fête dans le village, on l' avoit avait célébrée à l'ordinaire par des danses, des chansons & et d'autres pieces pièces de vers à la louange de celui qu'on vouloit voulait flatter. Cette solemnité champêtre avoit avait amusé pendant quelque temps la curiosité des deux amis. A À leur retour, Timagène en prit occasion de dire à Euphorbe, en plaisantant : la poésieLa graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte. s'appelle ordinairement le langage des Dieux ; mais ici je crois qu'à peine elle est le langage des hommes.

Cette poésie, telle qu'elle est, répartit Euphorbe, nous rappelle néanmoins sa premiere première origine. Elle ne fut d'abord que l'expression d'un cœur vivement affecté. Les premiers hommes, comme ceux-ci, n'eurent d'autres règlesLa graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte. que la nature, d'autre Apollon que leurs desirs désirs et leur reconnoissance reconnaissance . Les Hébreux sur-tout surtout , comblés des bienfaits de leur Dieu, se répandoient répandaient fréquemment en actions de grace grâce . On trouva bientôt que le langage ordinaire ne répondoit répondait pas assez à l'enthousiasme dont on étoit était animé. On eut recours à l'harmonie, et l'on introduisit dans le discours la cadence & et la mesure. Toutes ces idéesHist. Anc. l. 25, ch. 1., que j'emprunte de M. Rollin, sont appuyées sur les livres saints, c'est-à-dire, sur la vérité elle-même ; & et elles établissent que la poésie, dans ses premiers temps, n' étoit était qu'un récit vif & et orné, où l'on détailloit détaillait les prodiges opérés par la divinité, ou les exploits des grands hommes.

Elle a bien dégénéré de cette origine, reprit Timagène : car elle chante aujourd'hui des objets bien différens différents de ceux-là.

Il est vrai, poursuivit Euphorbe. Les rivières, en s'éloignant de leur source, n'en deviennent pas plus pures. Quoi qu'il en soit, laissons ses égaremens égarements : considérons- la sous ce premier rapport, & et voyons comment elle doit raconter.

Nous ne serons plus gênés ici, répliqua Timagène, par l' austere austère vérité. La carriere carrière immense de la fiction nous laissera une liberté entiere entière ; car le récit poëtique poétique n'est tenu à suivre d'autres loix lois que celles de cette vérité, que vous même vous-même avez nommé vérité de la nature, & et qui consiste, si je m'en souviens bien, à ne rien avancer qui soit contraire au cours ordinaire des choses, à moins qu'un Dieu ne s'en mêle ; rien qui choque les idées reçues, ou le caractere caractère connu des personnages. Nous allons être à notre aise.

Peut-être pas autant que vous vous imaginez, ajouta Euphorbe. Je conviens que la vraisemblance tient souvent la place de la vérité, dans les récits poëtiques poétiques : mais d'abord cette derniere dernière n'en est pas toujours exclue. Arrêtons-nous aux sujets grands & et nobles. Le poëte poète ne chante-t-il pas fréquemment des événemens événements qui se sont passés sous ses ieux yeux ? Les récits épiques & et ceux de la tragédie ne sont-ils pas pour la plupart empruntés de l'histoire ? Est-il rien de plus vrai que le sujet du Paradis perdu Paradis perdu de Milton, que celui de la Jérusalem délivrée Jérusalem délivrée du Tasse ? Le siége siège de Troye Troie est un fait reconnu par toutes les nations. L'arrivée d' Ænée Énée en Italie a été, ou a passé pour certaine, au point que le judicieux Tite-Live l'a insérée dans son ouvrage. Combien d'exemples pareils dans le genre tragique ?

J'avoue, reprit Timagene, que le fonds de l'action principale est vrai dans ces différens différents poëmes poèmes : mais l'accessoire l'emporte ici sur le fond, & et les fictions dont cette vérité est enveloppée la font presque disparoître disparaître . Je sais que Godefroi de Bouillon Godefroy de Bouillon Godefroy de Bouillon (~1058-1100) était un chevalier franc et le premier souverain chrétien de Jérusalem. a fait la conquête de Jérusalem, mais l'histoire de Clorinde, celle d'Armide & et de Renaud, les enchantemens enchantements d'Ismen, & et tant d'autres morceaux que je pourrois pourrais citer, sont tous sortis de l'imagination du poëte poète .

C'est une petite querelle que je me plaisois plaisais à vous faire, interrompit Euphorbe. Nous sommes du même avis ; & et je crois avec vous, que même dans les sujets empruntés de l'histoire, la fiction doit conserver ses droits, pourvu quelle se renferme dans les bornes de la vraisemblance, ou pour mieux dire, de la nature. C'est le précepte judicieux de l'évêque d'Albe. Hoc quoque non studiis nobis levioribus instat. Curandum, ut, quando non semper vera profamur. Fingentes, faltem sint illa simillima veris. Vida. Poët. lib. 2. Il s'agit de Jean de la Balue, 1421-1492. Toutes les fois, dit-il, que nous abandonnons la vérité, pour nous livrer à la fiction, ayons le plus grand soin de ne pas nous écarter de la vraisemblance : & et cette vraisemblance est si nécessaire dans les ouvrages dont nous parlons, qu'elle doit, pour ainsi dire, servir de passeport à la vérité même. Vous savez avec quelle hardiesse le médecin de Louis XI parloit parlait à son maître, & et avec quelle timidité & et quelle foiblesse faiblesse ce prince, jaloux d'ailleurs de son autorité, souffroit souffrait ses propos insolens insolents & et tâchoit tâchait de l'appaiser par des largesses. Ce fait tout incontestable qu'il est, auroit aurait mauvaise grace grâce dans un poëme poème , parce qu'il manque de vraisemblance. Qu'une imagination riche & et féconde embellisse donc sa matiere matière de tout ce que lui permettent les loix lois de la nature & et l'opinion des hommes sages, elle ne méritera que des applaudissemens applaudissements .

Fort bien, poursuivit Timagène. Mais je suis inquiet de savoir comment tout cela s'accordera avec le merveilleux, si familier sur-tout surtout à l'épopée.

Parfaitement, répondit Euphorbe. Il faut d'abord remarquer, Nam quæ multa canunt ficta & et non credita vates, Dulcia quò vacuas teneant mendacia mentes, Illis nulla fides, quam nec sibi denique aperti Exposcunt, mec dissimulant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Omnia quæ portâ veniunt insomnia eburnâ. Vida. lbid. avec le même poëte poète que je viens de citer, que par ces prodiges l' Auteur auteur veut seulement répandre de l'agrément dans son poëme poème . Il ne prétend point qu'on le croye croie ; il n'en fait point mistere mystère La graphie de l'original n'est pas attestée dans les dictionnaires de référence. ; il le déclare ouvertement : ce sont des songes sortis par la porte d'ivoire. Mais d'ailleurs, le merveilleux lui-même a sa vraisemblance, fondée en premier lieu sur le pouvoir de la divinité, mais plus encore sur le choix des occasions où on l' employe emploie .Hor. de Arte Poët. v. 191.Horace nous apprend en deux mots quelles sont ces conjonctures :

Nec Deus intersit nisi dignus vindice nodus ;

si l'objet est assez grand, ou l'intrigue assez nouée pour exiger le secours du ciel. La fureur & et l'acharnement des Grecs & et des Troyens Troiens les uns contre les autres dans l' Iliade Iliade , celui de ces mêmes Troyens Troiens & et des Italiens dans l' Ænéide Énéide , forment une querelle assez sérieuse, pour que les Dieux prennent parti en faveur de l'un ou de l'autre peuple ; assez difficile à vuider vider La graphie de l'original n'est pas attestée dans les dictionnaires de référence. Desit: sens? pour que Jupiter s'en mêle, & et assemble toutes les divinités à ce sujet. Achille & et Ænée Énée sont des héros d'un assez grand nom, pour que Vulcain leur fasse lui-même une armure.

Ainsi vous ne voudriez pas, répliqua Timagène, que ce Dieu alluma ses fourneaux pour en faire une à Dom Guichotte Don Quichotte . J' apperçois aperçois maintenant toute l'étendue de cette qualité dont nous parlons. Elle exige, non-seulement non seulement que chacun des faits en particulier ne sorte point des bornes prescrites par la raison & et le bon sens, mais encore que tous les événemens événements , sans en excepter les prodiges, naissent les uns des autres dans un ordre naturel & et qui n'ait rien de forcé. C'est-là C'est là en effet le vrai moyen d'imiter parfaitement la vérité, & et de ne point tomber dans le défaut de ces romans, où l'on entasse aventure sur aventure, incident sur incident ; où les intrigues sont si compliquées que l'esprit a peine à se retrouver dans ce labyrinthe. A À l'occasion de cette vraisemblance, qui n'est autre chose que l'ordre prescrit par la nature & et par les circonstances du lieu, du temps & et des personnes, je me rappelle qu'on fait une querelle au célèbre Racine, ce poëte poète de la nature, sur sa description de la mort d'Hyppolite. On l'accuse d'avoir répandu dans cet endroit une pompe & et une magnificence peu convenables à celui devant qui on fait ce récit, & et à celui qui le fait. Vous savez que c'est le gouverneur d'Hyppolite qui vient apprendre la mort de ce jeune prince à Thésée son pere père . On cite le fameux [grec] d' Homere Homère ;II. l. 18, v. 20, & et on oppose l'énergique briéveté brièveté de ce peu de mots à tous les détails brillans brillants de ces vers,Phèdre, acte 5, sc. 6.

Cependant sur le dos de la plaine liquide S'élève à gros bouillons une montagne humide ; L'onde approche, se brise, & et vomit à nos ieux yeux , Parmi des flots d'écume un monstre furieux. Son front large est armé de cornes menaçantes ; Tout son corps est couvert d'écaillés jaunissantes : Indomptable taureau, dragon impétueux, Sa croupe se recourbe en replis tortueux. Ses longs mugissemens font trembler le rivage ; Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage ; La terre s'en émeut ; l'air en est infecté ; Le flot qui l'apporta recule épouvanté.

Que pensez-vous, s'il vous plaît, de cette critique ?

Je sens, répondit Euphorbe, que vous ne pouvez sans quelque peine condamner tant de beautés. Il faut avouer cependant, qu'elles sont déplacées. Si vous rapportiez la mort cruelle d'un éleve élève qui vous fût cher, votre douleur vous permettroit permettrait -elle de faire ces riches descriptions ? Si vous étiez son pere père , les entendriez-vous de sang froid ? Le discours d'Antiloque dans Homere Homère , me semble bien plus conforme à la nature. Hélas,[Grec.] fils de Pelée, dit-il, je vous apporte une nouvelle bien triste & et que les Dieux auroient auraient bien dû vous épargner : Patrocle n'est plus. Au surplus, dans le morceau du poëte poète françois français , il n'y a guères guère que les vers que vous avez cités & et quelques autres qui puissent mériter ce reproche. Tout le reste de ce récit nous dédommage bien de cette légere légère intempérance poëtique poétique . Quoi de plus intéressant que ce qui suit ?

Tout fuit, & et sans s'armer d'un courage inutile, Dans le temple voisin chacun cherche un asile asyle . Hyppolite lui seul, digne fils d'un héros, Arrête ses coursiers, saisit ses javelots, Pousse au monstre, & et d'un dard lancé d'une main sure, Il lui fait dans le flanc une large blessure. De rage & et de douleur le monstre bondissant Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant, Se roule, & et leur présente une gueule enflammée , Qui les couvre de feu, de sang & et de fumée, La frayeur les emporte ; & et , sourds à cette fois, Ils ne connoissent connaissent plus ni le frein, ni la voix. En efforts impuissans impuissants leur maître se consume. Ils rougissent le mords d'une sanglante écume. On dit qu'on a vu même, en ce désordre affreux , Un Dieu, qui d'aiguillons pressoit pressait leurs flancs poudreux. A À travers les rochers la peur les précipite : L'essieu crie, & et se rompt. L'intrépide Hyppolite Voit voler en éclats tout son char fracassé : Dans les rênes lui-même il tombe embarrasse.

Mais c'est ici, sur-tout surtout , que je retrouve le naturel, l'affectueux Racine.

Excusez ma douleur : cette image cruelle. Sera pour moi de pleurs une source éternelle. J'ai vu, Seigneur, j'ai vu votre malheureux fils Traîné par les chevaux, que fa main a nourris.

Et plus bas.

Je cours, en soupirant, & et sa garde me suit : De son généreux sang la trace nous conduit. Les rochers en sont teints : les ronces dégoûtantes Portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes.

Si Homere Homère dans cet endroit a l'avantage du naturel & et de la vraisemblance, il en est bien d'autres chez lui, où il a mérité d'être relevé par Jérôme Vida, l'ami constant de Virgile.

Il est vrai, continua Timagène, que je trouve les régles règles de la convenance mieux observées dans les autres récits de notre poëte poète tragique : par exemple, dans celui ou Arbate confident de Mithridate, raconte les derniers exploits, & et la mort de ce héros,Mithr. acte 5, sc. 4.

D'abord il a tenté les atteintes mortelles Des poisons que lui-même a cru les plus fideles fidèles . Il les a trouvés tous sans force & et sans vertu. Vains secours, a-t-il dit, que j'ai trop combattu ! Contre tous les poisons soigneux de me défendre, J'ai perdu tout le fruit que j'en pouvois pouvais attendre, Essayons maintenant des secours plus certains, Et cherchons un trépas plus funeste aus Romains. Il dit, & et défiant leurs nombreuses cohortes, Du palais, à ces mots, il fait ouvrir les portes, A À l'aspect de ce front, dont la noble fureur . Tant de fois dans leurs rangs répandit la terreur, Vous les eussiez vu tous, retournant en arrière,La graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte, voir notamment la rime de la ligne suivante. Laisser entr'eux & et nous une large carriere carrière  ; Et déjà quelques-uns couroient couraient épouvantés Jusques Jusque dans les vaisseaux qui les ont apportés. Mais le dirai-je ? ô Ô ciel ! Rassurés par Pharnace, Et la honte en leurs cœurs réveillant leur audace, Ils reprennent courage, ils attaquent le Roi, Qu'un reste de soldats defendoit defendait avec moi. Qui pourroit pourrait exprimer par quels faits incroyables, Quels coups, accompagnés de regards effroyables, Son bras, se signalant pour la derniere dernière fois, A de ce grand héros terminé les exploits ? Enfin, las & et couvert de sang & et de poussiere poussière . Il s' étoit était faits de morts une noble barriere barrière . Un autre bataillon s'est avancé vers nous. Les Romains, pour le joindre, ont suspendu leurs coups, Ils vouloient voulaient tous ensemble accabler Mithridate : Mais lui, c'en est assez, m'a-t-il dit, cher Arbate. Le sang & et ma fureur m'emportent trop avant. Ne livrons pas sur-tout surtout Mithridate vivant. Aussi-tôt Aussitôt dans son sein il plonge son épée. Mais la mort fuit encor sa grande ame âme trompée. Ce héros dans mes bras est tombé tout sanglant , Foible Faible , & et qui s' irritoit irritait contre un trépas si lent ; Et se plaignant à moi de ce reste de vie, Il soulevoit soulevait encor sa main appesantie, Et marquant à mon bras la place de son cœur, Sembloit Semblait d'un coup plus sûr implorer la faveur.

On ne voit là que des beautés mâles & et sans affectation, que les couleurs de la nature même, sur-tout surtout dans ce beau tableau que renferment les trois derniers vers, & et que je regarde comme un chef-d'œuvre. Je me suis souvent demandé, pourquoi nos tragiques modernes pour la plupart, suppriment aujourd'hui ces sortes de récits. Je crois que la véritable raison est leur difficulté. En effet, pour éviter l'ennui dans le détail circonstancié d'un événement déjà connu par un grand nombre des spectateurs, & et qui doit avoir une certaine étendue, pour le rendre intéressant, il faut beaucoup d'habileté, il faut la main d'un grand maître. Il est plus court & et plus aisé de faire exécuter la chose même sous les ieux yeux du parterre. Ajoutons, qu'il est rare de trouver un acteur qui débite ces morceaux de maniere manière à mérirer des applaudissemens applaudissements .Sur ce qu'elle décrit comme « a shift from a predominantly verbal to a predominantly visual aesthetic » dans le théâtre français, voir Kate Tunstall, « Racine in 1769 and 1910, or Racine à l'usage de ceux qui voient », 2006 (voir bibliographie).

Les anciens, reprit Euphorbe, ne trouvoient trouvaient pas ces difficultés insurmontables : car ils les éprouvoient éprouvaient , sans doute, comme nous.

Croyez-vous donc, interrompit Timagène, qu'on ne doit jamais s'écarter de la route qu'ont suivie les anciens ? Voudriez-vous, par exemple, que Racine, en imitant Euripide, eût fait descendre sur la scène Diane qui enléve enlève Iphigénie, & et lui substitue une biche ?

Non assurément, répondit Euphorbe. Mais il faut mettre une grande différence entre ce qui s' appuye appuie sur la nature & et la raison, & et ce qui dépend des opinions, ou des usages particuliers. Ce merveilleux, ou comme l'appellent les gens de l'art, cette machine est de ce dernier genre. Chez les anciens, ces sortes de prodiges étoient étaient admis même dans les poëmes poèmes dramatiques ; & et ils pouvoient pouvaient l'être. Les divinités payennes étoient étaient complaisantes : on les trouvoit trouvait par-tout partout où le besoin l' exigeoit exigeait . Leur entremise étoit était si ordinaire, qu'elle sembloit semblait suivre l'ordre commun, du moins, dans les grands événemens événements . La religion des Grecs & et des Romains en cela étoit était fort commode : la nôtre, comme plus vraie, est aussi plus sévere sévère . Nous ne souffrons point que dans une action qui se passe sous nos ieux yeux , on mêle des prodiges, qui n'ont point de fondement. Nous renvoyons le merveilleux aux poëmes poèmes épiques ; c'est-à-dire, à ceux qui ne consistent que dans un récit : encore faut-il qu'il n'ait rien de contraire aux oracles de nos livres saints. C'est pour cela que nos opéra, qui ne seroient seraient qu'un amusement puérile & et insipide si on les dépouilloit dépouillait de la musique et du jeu des machines, empruntent communément leurs sujets de la théogonie payenne païenne .

Il faut bien, répliqua Timagène, que ce soit l'harmonie, l'enchantement de la décoration, enfin l'illusion théâtrale, qui fasse trouver du plaisir dans un spectacle où la vraisemblance est choquée à tout moment : où l'emportement, la douleur, la tristesse, le dernier soupir même s'exprime par les accens accents de la musique. Mais ce charme que nous trouvons dans le jeu des machines, ne prouve-t-il pas que l'homme a un goût naturel pour le merveilleux ?

Je n'en doute en aucune façon, répartit Euphorbe : c'est ce penchant secret que le joueur de gobelets saisit pour nous attacher ; et notre plaisir cesse, aussitôt que nous connaissons la maniere manière dont il s'y prend pour nous tromper. Aussi le merveilleux est-il l'âme de la poësie poésie grande et noble. Il prête aux êtres inanimés la vie et le sentiment. C'est ce que dit magnifiquement Boileau dans son art poëtique Art poétique . Art Poët. ch. 3 Art poétique, chant III . Boileau, Art poétique, chant III, v. 163-190 (voir bibliographie).

Là pour nous enchanter tout est mis en usage ; Tout prend un corps, une ame âme , un esprit, un visage, Chaque vertu devient une divinité : Minerve est la prudence, & et Vénus, la beauté. Ce n'est plus la vapeur qui produit le tonnerre , C'est Jupiter armé pour foudroyer la terre. Un orage terrible aux ieux yeux des matelots, C'est Neptune en courroux qui gourmande les flots, Echo n'est plus un son qui dans l'air retentisse, C'est une Nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse. .... [...] Qu'Enée & et ses vaisseaux, par le vent écartés, Soient aux bords Afriquains d'un orage emportés ; Ce n'est qu'une aventure ordinaire & et commune, Qu'un coup peu surprenant des traits de la fortune. Mais que Junon, constante en son aversion, Poursuive sur les flots les restes d'Ilion ; Qu' Eole Éole en sa faveur les chassent d'Italie, Ouvre aux vents mutinés les prisons d' Eolie Éolie , Que Neptune, en courroux s'élevant sur la mer, D'un mot calme les flots, mette la paix dans l'air Délivre les vaisseaux, des Syrtes les arrache ; C'est-là C'est là ce qui surprend, frappe, saisit, attache. Sans tous ces ornemens ornements le vers tombe en langueur ; La poësie poésie est morte, ou rampe sans vigueur.

En effet, reprit vivement Timagène, tout ce qui nous remet sous les ieux yeux le portrait de la divinité gravé dans notre ame âme , tout ce qui nous rappelle sa grandeur & et son pouvoir est sûr de nous enchanter. Mais, si j'ai bonne mémoire, je crois que M. RollinTr. des Etud. tom. 1. l. 1, art. 4. n'est pas ici d'accord avec notre poëte poète . Si l'on en croit le premier, il n'est pas permis à un Auteur auteur chrétien d'employer même les noms des divinités payennes. Cette décision me paroît paraît fort sévere sévère  ; & et dans les raisonnements qu'il fait pour l'appuyer, je crois qu'il prend le change. Il prétend que par ces noms on ne peut entendre que les Dieux du paganisme, où les attributs du vrai Dieu, où que l'on entend rien du tout ; mais il me semble à moi que par ces mots on entend une chose inanimée, à qui, comme le dit Despréaux, on prête une ame âme & et un esprit pour donner du feu & et de la grace grâce à la poësie poésie  ; & et M. Rollin lui-même accorde cette liberté aux poëtes poètes , dans le même endroit dont il est ici question, Je suis bien éloigné, dit-il, de condamner certaines figures, par lesquelles on attribue du sentiment, de la voix, de l'action même aux choses inanimées. Il sera toujours permis .... [...] de donner des ailes aux vents ... [...] de prêter une voix auDesit: Ici et ailleurs, vérifier accent sur tonnèrre. tonnerre tonnèrre ... [...] de personnifier les vertus & et les vices. Mais si l'on peut donner des ailes au vents, pourquoi ne pourroit pourrait -on pas leur donner un nom ? Si je peux personnifier la prudence, pourquoi m'empêche-t-on de l'appeller Minerve ? Est-il quelqu'un assez mal-adroit maladroit pour s'imaginer, que je veuille honorer sous ce nom une prétendue divinité ? Tout homme sensé ne voit dans la déesse qui accompagne Télémaque sous la figure de Mentor, qu'une allégorie ingénieuse, qui répand dans ce beau poëme poème un feu & et une action moins aisée à peindre, qu'à sentir. Tout y languiroit languirait si au lieu de cette fiction, l' Auteur auteur se fût contenté de supposer que dans toutes les démarches du jeune prince, la prudence lui montroit montrait le parti le plus sage, modéroit modérait ses passions & et corrigeoit corrigeait ses écarts ?

Sans doute, poursuivit Euphorbe, on ne peut interdire la fiction à la poësie poésie , & et sur-tout surtout à l'épopée, sans lui ravir tous ses agrémens agréments . Donnons-lui la liberté d'animer tout, jusqu'aux vices & et aux vertus. Mais avouons aussi qu'il faut donner des bornes à cette fiction. On ne peut excusér un poëte poète qui ose mêler le sacré avec le prophane, & et qui fait concourir les divinités du paganisme avec le Dieu de vérité. S'il est bien pénétré du sujet qu'il traite, il doit y trouver assez de grandeur & et de majesté pour qu'il puisse se passer de cette décoration indécente. Toutes ses richesses de la poësie poésie de Sannazar, tout le feu, toute l'imagination, toute la noblesse du génie le plus sublime & et le plus fécond ne peuvent nous dédommager de ce défaut. Au reste, ce merveilleux étant grand par lui-même, puisqu'il est l'effet d'un pouvoir divin, ne peut convenir qu'à la poësie poésie noble & et sérieuse. Les Grecs le souffroient souffraient sur la scene scène tragique : mais, comme je l'ai déjà remarqué, nous sommes plus difficiles sur cet article. Nous ne lui laissons de place que dans le poëme poème épique. Il lui est nécessaire, & et fait, pour ainsi dire, partie de son essence : en effet, on peut définir ce poëme poème , le récit d'une action grande & et merveilleuse, exécutée par un héros dans un certain espace de temps. Laissant à part cè qui regarde l'unité d'action, de héros & et de temps, & et les autres régles règles qu'il doit suivre, arrêtons-nous seulement à sa qualité de récit. C'est-là C'est là , sur tout surtout , ce qui le distingue du poëme poème tragique, dont la nature est d'être la représentation d'une action : & et c'est par cette raison qu'on en bannit ordinairement le merveilleux. Cette représentation néanmoins est entremêlée de récits ; & et dès-lors dès lors , elle fournira encore matiere matière à nos entretiens, par les autres qualités qui lui conviennent sous ce rapport, ainsi qu'au poëme poème épique.

Si le merveilleux figure mal dans une représentation, interrompit Timagène, d'où vient donc l'empressement du public pour l'opéra, qui n'est qu'un tissu de prodiges, souvent mal amenés & et toujours dépourvus de vraisemblance ?

Il vient, répondit Euphorbe, de ce qu'on n' y assiste que pour s'amuser. Nous l'avons remarqué tout-à-l'heure tout à l'heure . Les charmes de la musique soutenus par la variété des décorations, par la richesse des perspectives, produisent cet effet, sans avoir besoin de beaucoup d'illusion. Aussi le cœur n'est point du tout affecté par ce spectacle. La tragédie au contraire, veut ébranler l' ame âme par les ressorts de la terreur & et de la compassion. Il faut pour cela qu'elle suive pas à pas les routes ordinaires de la nature, dont le merveilleux s'écarte presque toujours.

Si je vous objecte, reprit Timagène, que cette même raison devroit devrait aussi bannir de l'épopée le merveilleux, je vois d'avance ce que vous m'allez répondre. Vous me direz que ce dernier poëme poème en général, se propose de nous instruire & et de nous plaire plutôt par le sentiment de l'admiration, qu'en nous arrachant des larmes : que le ressort du pathétique ne s'y emploie que dans certains endroits particuliers. Contentons-nous donc que par-tout partout il nous attache par la magnificence de ses ornemens ornements , & et sur-tout surtout par l'intérêt. C'est ici qu'il faut faire usage de ce que nous avons déjà ditEntret. deuxième. de l'intérêt général & et particulier. La révolution qui mit les Tartares sur le trône de la Chine, sera toujours pour moi un objet beaucoup plus indifférent, que l' avénement avènement de Charlemagne à l'empire d'occident : la Jérusalem délivrée Jérusalem délivrée a des charmes plus puissans puissants pour un chrétien, que pour un mahométan.

Entre les différens différents ornemens ornements qu'exige le récit poëtique poétique , repartit Euphorbe, il en est qui contribuent beaucoup plus que les autres, à cet intérêt dont vous parlez. Tels sont le sublime & et le pathétique. On s'affecte, on se passionne aisément pour un objet qu'on admire, & et plus encore pour celui qui sait nous attendrir. Etre Être maître du cœur c'est être maître de l'homme entier. Le sublime brille par-tout partout dans les poëmes poèmes d' Homere Homere . Pour s'en convaincre, il suffit d'ouvrir le traité de Longin. On y en trouvera une foule d'exemples mis en vers françois français , par Despréaux. Cette traduction m'en rappelle une autre d'une espece espèce un peu différente, mais qui a toujours rapport à l'objet dont nous parlons. Un poëte poète de nos jours a rendu tout le sublime que renferme le commencement de la Genèse, avec cette seule différence, qu'il a mis en action, ce qui n'est qu'en récit dans l' Auteur auteur sacré. Il fait parler ainsi le maître du tonnerre.

Les temps sont arrivés : cessez tristes chaos : Paroissez Paraissez élémens éléments  : Dieux allez leur prescrire Le mouvement & et le repos : Tenez-les renfermés chacun dans son empire. Coulez, ondes, coulez ; volez rapides feux ; Voile azuré des airs embrassez la nature ; Terre enfante des fruits, couvre-toi de verdure ; Naissez, mortels, pour obéir aux Dieux.

Je connois connais ce morceau, répliqua Timagène. Il m'a toujours fait beaucoup de plaisir, même à la simple lecture ; mérite bien rate dans une poësie poésie d'opéra. Rien n'est plus grand que ce spectacle superbe, d'un Dieu qui commande au néant d'enfanter la nature, & et dont l'ordre est exécuté sur le champ. Homere Homère est rempli de ces idées magnifiques, sur-tout surtout lorsqu'il parle de la divinité. Virgile en a imité plusieurs, lorsqu'il dit, par exemple, que Jupiter d'un mouvement de tête fait trembler l'Olympe entier, ou quand il nous peint ce maître des Dieux jettant jetant sur sa fille un de ces regards, qui portent le calme dans Ies cieux & et jusqu'au sein des tempêtes : mais il me semble qu'il en a peu tiré de son prorpre fond. Cependant je serois serais bien tenté de mettre dans ce même rang un endroit du sixieme sixième livre de l' Enéide Énéide . C'est celui où Ænée Énée rencontre Didon dans les enfers. Le prince Troyen veut excuser à ses ieux yeux son départ précipité, & et lui parle avec toute la tendresse & et le feu dont il est capable. Le poëte poète sans mettre un mot dans la bouche de la princesse,Illa solo fixos oculos averse tenebat .... Tandem proripuit sese, atque inimica refugit, In memus umbriserum. Æen. lib. 6. ajoute seulement, ses regards fixés à terre, son visage détourné, témoignent son dédain. .... [...] enfin elle se dérobe à sa vue, & et d'un air indigné s'enfonce dans l'épaisseur d'un bois. Je voudrois voudrais appeller ce silence, un silence sublime.

Si vous êtes tenté de le faire, repartit Euphorbe en riant, je vous déclare, moi, que depuis long-temps longtemps j'ai succombé à la tentation. Avant Virgile on trouvoit trouvait chez les Grecs des exemples de ce silence énergique, & et qu'on peut regarder comme le dernier effort de l'éloquence.Acte 4, scène 2. Dans les Trachinienes Trachiniennes de Sophocle, Hyllus, fils d'Hercule, fait à Déjanire un récit touchant de la mort de ce héros, dont elle étoit était la cause innocente par le don de la robe empoisonnée qu'elle lui avoit avait envoyée. La princesse alors reconnoît reconnaît sa funeste erreur. Sa douleur est si profonde, son désespoir si affreux, qu'elle se retire, sans répondre un mot aux invectives & et aux reproches dont son fils l'accable, & et laisse le chœur & et les spectateurs dans la plus cruelle inquiétude sur le parti qu'elle va prendre.Acte 5, sc. 2. Dans la tragédiè d' Antigone Antigone , Euridice, femme de Créon, après avoir entendu le détail de la mort du prince Hémon son fils, sort sans proférer une parole & et par-là par là donne à penser au chœur, qu'elle est résolue de s'arracher la vie. Il y a encore un exemple pareil dans l' Œdipe Œdipe du même Auteur auteur . Ne rien dire dans ces occasions, c'est assurément dire beaucoup.

Ce que vous observez ici dans Sophocle, poursuivit Timagène, s'accorde parfaitement bien avec l'idée que M. Rollin, après le P. Brumoi, nous donne de ce poëte poète . Le génie de ce tragique a bien du rapport avec celui de Corneille. Tous deux s'attachent plus à nous frapper par le grand & et le sublime, à nous intéresser par l'admiration, qu'à surprendre notre sensibilité, & et à nous arracher des larmes. Ce tribut du sentiment leur paroît paraît indigne des héros dont ils parlent ; leur esprit naturellement élevé se met, pour ainsi dire, de niveau avec les grands hommes, dont ils décrivent les exploits & et la mort. C'est-là C'est là du moins l'impression qu'a toujours fait sur moi le récit de celle de Pompée dans le Sophocle françois français . C'est un spectacle aussi beau que touchant, de voir ce Romain porter tout l'héroïsme d'une grande ame âme au milieu des assassins qui le poignardent, & et je ne sais si le sentiment qu'on éprouve alors, ne vaut pas bien celui que fait naître le sang d'Iphigénie qui coule sur l'autel.

Peut-être vaut-il mieux, reprit Euphorbe ; mais malheureusement il y a beaucoup plus de cœurs sensibles, que d'âmesLa graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte. grandes & et élevées. D'ailleurs il arrive assez souvent, qu'en voulant atteindre le sublime, on donne dans le gigantesque & et l' empoulé ampoulé La graphie de l'original n'est pas attestée dans les dictionnaires de référence.. Le Tasse en décrivant le dernier combat des Chrétiens contre les infidèlesLa graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte., dit avec plus d'emphase que de grandeur : Les nués disparurent, & et le ciel voulut voir à découvert ces grandes actions.

E senza velo Volse mirar l'opre grandi il cielo.

Il est donc plus sûr & et plus facile d'intéresser par le pathétique, que par le sublime. Il falloit fallait le génie de Corneille pour se soutenir dans une pareille élévation. Ses successeurs ont sagement fait de se rapprocher de nous ; & et ils ont réussi à nous charmer, sans nous étonner. Sophocle lui-même emploie souvent le pathétique, pour émouvoir les spectateurs, en y mêlant, il est vrai, presque toujours quelques-uns de ces traits forts & et vigoureux, qui forment son caractere caractère particulier. De ce genre, est la peinture que Hyllus fait à Déjanire d'Hercule mourant, dans l'endroit dont je vous parlois parlais tout-à-l'heure tout à l'heure ,Trachin. Acte 4, sc. 2. La voici dans la traduction de M. Dupuy. Paré de votre main, & et la joie de son cœur peinte sur le visage, il adresse ses prieres prières aux dieux : mais à peine le feu a-t-il embrâsé embrasé le bûcher chargé des victimes sanglantes, qu'on voit sortir de tout son corps une sueur abondante. La robe s'attache & et se colle fortement à tous ses membres : un poison dévorant, tel que le venin d'une vipere vipère , ronge, pénétre pénètre les chairs, s'insinue jusqu'à la moelle des os, & et produit d'affreuses convulsions. Il appelle Lichas, & et lui demande de quelle main perfide il tenoit tenait ce funeste présent. Lichas, l'infortuné Lichas, qui ignoroit ignorait votre artifice, & et n'y avoit avait aucune part, répond qu'il ne l'avait reçu que de vous, & et qu'il l' avoit avait apporté dans l'état qu'il lui avoit avait été confié. A À ces mots Hercule, dans un accès de douleur qui le pénétre pénètre jusqu'au fond des entrailles, prend Lichas par le pied, le jette & et l'écrase contre un rocher qui étoit était dans la mer. La tête brisée de ce malheureux n'offre plus qu'un mélange affreux de cervelle & et de sang. Tout le peuple à l'instant pousse à l'envi des gémissemens gémissements que lui arrachent & et la mort funeste de Lychas Lichas La graphie de l'original est ici différente de celle trouvée dans le reste du texte. & et l'état douloureux d'Alcide ; mais personne n'ose approcher. Tantôt il se roule par terre, tantôt il se releve relève & et pousse des cris effroyables, qui font retentir au loin les rivages de l'Eubée & et les montagnes de la Thessalie. Souvent épuisé par la violence de ses douleurs, il tomboit tombait à terre, & et sa fureur s' exhaloit exhalait en imprécations terribles contre l'hymen fatal qui l' avoit avait uni à la fille d'Œnée, & et qui faisoit faisait en ce jour son tourment & et sa perte. Enfin, dans la noire vapeur qui l' obséde obsède sans relâche, il jette de côté & et d'autre des regards égarés, & et m' appercevant apercevant dans la foule, où je fondois fondais en larmes, il m'appelle. Approchez, mon fils, dit-il ; n'abandonnez pas un pere père dans l'état déplorable où vous le voyez : approchez ; dussiez-vous terminer avec lui votre sort, & et s'il vous reste quelque sentiment de tendresse & et de pitié, enlevez-moi promptement de cette terre, afin que je n'y finisse pas mes tristes jours. Transportez-moi loin d'ici, & et dans un lieu où je puisse cacher à l'univers entier ma cruelle destinée. A À ces mots, nous le portons au vaisseau & et nous l'amenons sur cesDesit: ses? bords avec bien de la peine. Il a été sans cesse travaillé par la violence de ses maux ; & et vous le verrez bientôt expirant, si même il vit encore. Quel choix des circonstances les plus capables d'émouvoir & et d'attendrir sur le sort de ce heros ? C'est au moment où il se livroit livrait à la joie la plus pure, que d'horrible tourmens tourments vont lui ravir le jour. Mais vous remarquez, sans doute, comme moi, quelle vivacité & et quel intérêt ajoute ici la situation de Déjanire. On lui raconte la mort cruelle de son époux, & et c'est elle seule qui en est la cause innocente, pour avoir ajouté foi aux paroles de Nessus. Cette circonstance ne donne-t-elle pas une force singuliere singulière à ce que dit Hyllus, qu'Hercule exhaloit exhalait sa fureur en intprécations terribles contre l'hymen fatal qui l' avoit avait uni à la fille d'Œnée ?

Il me semble, ajouta Timagène, qu'il y a une situation à-peu-près à peu près semblable dans la Phèdre Phèdre de Racine. Théramene Théramène raconte à Thésée la mort d'Hyppolite son fils, dont cet infortuné pere père étoit était devenu l'auteur, en prêtant l'oreille aux accusations de sa femme contre ce prince innocent. J'y trouve même un trait, qui, comme le vôtre, emprunte une énergie toute particuliere particulière de cette situation : ce sont ces deux beaux vers, où Théramene Théramène peint le cadavre défiguré de ce prince malheureux :

Phed. Acte 5, sc. 6. Triste objet, où des Dieux éclate la colere colère , Et que m'éconnoîtroit méconnaîtrait l' œuil œil même de son pere père .

Quel coup doit porter au cœur de Thésée cette réflexion ?

Ce coup est si sensible, poursuivit Euphorbe, qu'il devroit devrait peut-être avoir des effets plus tristes, qu'il n'en a dans la piece pièce . Je ne puis m'empêcher d'accorder ici l'avantage au tragique Grec, sur le françois français . Outre le stile style de la description, plus naturel, & et dès-lors dès lors plus pathétique dans le premier que dans Ie second, quelle différence dans les suites qu'elle a chez l'un & et l'autre poëte poète  ? Déjanire écoute le récit d'Hyllus avec cette sombre & et morne attention qui décéle décèle l'excès de la douleur. Son désespoir est au comble : elle fort sans dire un mot ; & et c'est pour se donner la mort. Voilà la nature peinte en grand. Cette conduite est bien plus expressive, que les exclamations de Thésée. De tout cela, il est aisé de conclure, que le pathétique dépend entiérement entièrement du soin que le poëte poète a de rassembler les circonstances les plus naturelles en elles-mêmes, & et les plus capables de nous attendrir sur l'objet qui nous est présenté. Discitur hinc etenim sensus mentesque legentum Flectere, diversosque animis motus dare, ut illis Imperet atte potens (dictu mirabile) vates. Nam semper seu laeta canat, seu tristia moerens, Affectas implet racitâ dulcedine mentes. Vid. Poët. lib. 2. Voilà, dit le poëte poète de Crémone, quels ressorts doit faire jouer le favori des muses, pour conduire à son gré l'esprit & et le cœur de ses lecteurs, pour leur inspirer les mouvemens mouvements & et les passions qu'il lui plaît, & et par un une espece espèce de prodige, les soumettre à l'effort tout-puissant de son art. Soit qu'il nous porte à la joie, soit qu'il veuille nous arracher des pleurs, toujours il répand dans notre ame âme un sentiment plein de douceur & et de charmes. L' Auteur auteur ne se contente pas de le dire, il le prouve par des exemples tirés de Virgile, son poëte poète favori.Quem non Threicii quondam sors aperta vatis Molliat, amissam dum solo in littore secum, Eurydice, solans aegrum testudine amorem, Te veniente die, te decedente canebat ? [p. 499] Quid  Puer Euryalus cum pulchros volvitur artus, Ah dolor ! inque humeros lapsâ cervice recumbens, Languescit moriens, ceu flos succisus aratro  Ardet adire animus lectori, & et currere in ipsunt Volscentem, puerique manum supponere mento Labenti, ac largum frustra prohibere cruorem Purpureo niveum signantem flumine pectus. Ib. Qui seroit serait insensible, continue-t-il, au sort déplorable du chantre de la Thrace, lorsque seul sur un rivage désert, il pleure la perte de son épouse, & et tâche de charmer son amour désespéré, lorsque les lugubres accens accents de sa lyre chantent le nom d'Euridice au lever de l'aurore, & et le répétant encore au coucher du soleil ? Quel tableau plus touchant que celui d'Euryale, lorsque ce bel enfant tombe sous les coups de son ennemi ? Sa tête languissante demeure panchée penchée sur ses épaules ; la pâleur de la mort se répand sur ses lèvres ; c'est une fleur coupée par le tranchant de la charrue. A À cette peinture, le lecteur voudroit voudrait s'avancer lui-même, fondre sur Volscens, soutenir de la main cette tête mourante, & et faire des efforts, même inutiles, pour arrêter ces flots de sang qui coulent le long de sa poitrine.

Votre bon prélat, reprit Timagène, avoit avait du goût & et possédoit possédait bien son Virgile. Il pensoit pensait avec raison que les grands mots, les exclamations, les phrases coupées & et ponctuées sont moins propres au pathétique que les circonstances réunies avec habileté. C'est le grand art qu'emploie Racine pour émouvoir, & et dans lequel il réussit si bien ; témoin cette description touchante que fait Josabeth dans la tragédie d'Athalie, en parlant du jeune Joas.Athalie, Acte 1. sc. 2.

Hélas ! L'état horrible où le ciel me l'offrit, Revient à tout moment effrayer mon esprit ! De princes égorgés la chambre étoit était remplie. Un poignard à la main l'implacable Athalie Au carnage animoit animait ses barbares soldats, Se poursuivoit poursuivait le cours de ses assassinats. Joas laissé pour mort frappa soudain ma vue. Je me figure encor sa nourrice éperdue, Qui devant les bourreaux s' étoit était jetté jeté envain en vain , Et foible faible le tenoit tenait renversé sur son sein. Je le pris tout sanglant. En baignant son visage, Mes pleurs du sentiment lui rendirent l'usage ; Et, soit frayeur encore, ou pour me caresser, De ses bras innocens innocents je me sentis presser.

Il n'y a pas-là pas là un coup de pinceau qui ne porte avec lui un sentiment. Qui ne seroit serait ému à la vue de cette nourrice qui ose se jetter jeter au-devant des assassins, de cet enfant renversé tout sanglant surt son sein ? Mais sur-tout surtout quel trait admirable que le mouvement de ce même enfant, qui blessé, presque sans connoissance connaissance , presse entre ses bras la personne qui le tient ! Ce sont-là sont là de ces circonstances délicates, qui ne sont apperçues aperçues que par l' œuil œil d'un grand maître.

Ce concours adroit des circonstances, ajouta Euphorbe, est le ressort le plus puissant, non-seulement non seulement pour produire le pathétique, mais encore pour inspirer toutes les passions & et tous les mouvemens mouvements dont l' ame âme est susceptible. Voyons dans un autre endroit du même poëte poète , comment il contribue à faire naître l'éloignement & et l'horreur. Céphise, confidente d'Andromaque, veut persuader à cette princesse de donner la main à Pyrrhus, pour mettre à couvert les jours d'Astyanax son fils ; puisque c'est à ce prix que le prince Grec consent à lui conserver la vie. La veuve d'Hector indignée de ce conseil, s'attache à montrer combien Pyrrhus est un objet odieux pour elle, & et par ses propres exploits, & et par ceux d'Achille son pere père . Elle réprend répond donc ainsi,Androm, Act. 3. sc. 7.

Dois-je oublier Hector privé de funérailles, Et traîné, sans honneur, autour de nos murailles ? Dois-je oublier son pere père à mes pieds renversé, Ensanglantant l'autel qu'il tenoit tenait embrassé ? Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle, Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle. Figure-toi Pyrrhus, les ieux yeux étincelans étincelants , Entrant à la lueur de nos palais brûlans brûlants  ; Sur tous mes freres frères morts se faisant un passage, Et, de sang tout couvert, échauffant le carnage. Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des mourans mourants , Dans la flamme étouffés, sous le fer expirans expirants . Peins-toi dans ces horreurs Andromaque éperdue, Voilà comme Pyrrhus vint s'offrir à ma vue ; Voilà par quels exploits il sçut sut se couronner ; Enfin, voilà l'époux que tu me veux donner.

Je pense que ce morceau peut bien figurer auprès du vôtre, & et que les circonstances y sont assez bien rapprochées, pour nous donner l'idée la plus affreuse du fils d'Achillle.

Puisque vous parlez de descriptions effrayantes & et terribles, interrompit Timagène, j'en vois peu qui produisent mieux cet effet, que ce peu de vers traduits du poëte poète Eschile Éschyle , & et que l'on trouve dans le traité du sublime Traité du sublime de Longin.Ch. 13.

Sur un bouclier noir sept chefs impitoyables Epouvantent Épouvantent les Dieux de sermens serments effroyables. Près d'un taureau mourant qu'ils viennent d'égorger, Tous, la main dans le sang, jurent de se vanger venger  : Ils en jurent la peur, le dieu Mars & et Bellone.

Et cet autre morceau de je ne sçais sais quel poëte poète , qui fait ainsi le portrait du démon de la guerre.

Quelle divinité barbare S'offre à mes ieux yeux épouvantés ? Deux glaives forgés au Tartare Arment ses bras ensanglantés : Des serpens serpents forment sa couronne ; L'ombre de la mort l'environne ; Le tonnerre gronde à l'entour : Les inexorables furies, Les gorgones de sang nourries, Composent son horrible cour.

Quel assemblage d'objets tous plus épouvantables les uns que les autres !

Les exemples dans ce genre, repartit Euphorbe, se présentent en foule dans nos bons Auteurs auteurs . A À ceux que vous venez de citer, on pourroit pourrait joindre le récit qu'Athalie fait elle-même d'un songe affreux qui lui annonce ses malheurs, & et cet endroit si connu de la cantate de Circé, où le grand Rousseau décrit les effets d'un enchantement.

Sa voix redoutable Trouble les enfers ; Un bruit formidable Gronde dans les airs ; Un voile effroyable Couvre l'univers : La terre tremblante Frémit de terreur ; L'onde turbulente Mugit de fureur ; La lune sanglante Recule d'horreur.

Au reste, parmi tous ces traits propres à rendre un objet odieux, il faut se donner de garde d'en admettre aucun qui rende la peinture dégoûtante. L'imagination échauffée s'aveugle quelquefois & et donne dans cet écueuil écueil , sans s'en appercevoir apercevoir . Horace, cet oracle du goût, semble s'être oublié dans ces vers, où il peint Cerbère ; si cependant cette strophe n'a pas été ajoutée par quelque copiste ignorant,Lib. 3 Od. 11.

Quamvis furiale centum Muniant angues caput ejus, atque Spiritus teter saniesque manet Ore trilingui.

Cette haleine empestée, ce sang corrompu qui coule de la gueule du monstre infernal, est plus capable de soulever le cœur, que de porter l'effroi dans l'esprit.

Ce poëte poète , répliqua Timagène, a porté lui-même son arrêt, lorsqu'il nous a dit que tout ce qui sort des bornes précieuses de la nature, devient outré & et ne peut plaire. Je crois qu'il en est du récit comme du spectacle. Une scène tendue de noir, ornée de larmes funèbresLa graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte., parsemée d' ossemens ossements & et de têtes de morts, où I' œuil œil découvre des tombeaux ouverts & et des cadavres à demi-corrompus à demi corrompus  ;Roméo, Trag. telle enfin qu'on la l'a vue de nos jours, n'est plus qu'un triste convoi qui m'accable ou me révolte. Mais détournons un peu nos ieux yeux de ces objets lugubres, & et fixons-les sur des descriptions plus propres à nous égayer. L'empire qu'elles ont sur nos sentimens sentiments doit s'étendre, sans doute, sur celui-là, comme sur les autres.

Vous en rencontrerez de ce genre, reprit Euphorbe, dans tous les grands écrivains anciens & et modernes. Telle est la description des champs Elisées champs Élysées dans Virgile, celle du paradis terrestre dans Milton, celle du palais d'Armide & et de ses environs dans le Tasse. Voici de quelle maniere manière M. Mirabaud a traduit Ia derniere dernière .Jérus. dél. chant 15 & et 16. Après que les chevaliers furent parvenus au haut de la montagne, ils virent une agréable plaine, qui s' étendoit étendait sous un ciel pur & et serein. La terre y étoit était couverte d'un gazon toujours verd vert & et émaillé des plus riantes fleurs. Dans ce climat enchanté, jamais le rigoureux hyver hiver ne pénétre pénètre  ; les ardeurs brûlantes de l'été ne s'y font jamais sentir : on y respire en tout temps un air délicieux, que tempere tempère le doux Zéphire, & et que l'aimable Flore parfume. Au milieu de cette belle plaine & et sur le bord d'un lac, étoit était un magnifique palais d'où l'on découvroit découvrait la mer & et les isles îles voisines, sur lesquelles ce somptueux édifice sembloit semblait dominer .... . [...] Le superbe palais d'Armide étoit d'une forme ronde ..... . [...] La porte étoit était d'argent & et les gonds en étoient étaient d'or, mais l'ouvrage dont elle étoit était ornée, surpassoit surpassait infiniment la matiere matière . Les figures qu'on y avoit avait gravées étoient étaient si bien faites, & et on leur avoit avait donné tant d'expression, qu'elles paroissoient paraissaient animées .... . [...] Après que les chevaliers eurent légérement considéré ce bel ouvrage .... [...] Ils parvinrent à l'entrée du jardin. Alors s'offrit à leurs ieux yeux tout ce qu'on peut imaginer de plus agréable & et de plus charmant. Les parterres émaillés de fleurs, les bosquets toujours verds verts , les fontaines cristallines prodiguant leurs eaux sous mille formes différentes, les grotes grottes , les riants côteaux, les vallons frais & et sombres ornoient ornaient à l'envi ce délicieux séjour. Mais ce qui en faisoit faisait la plus grande beauté, c'est que l'art y étoit était tellement caché, que ce jardin sembloit semblait devoir à la nature seule tous ses ornemens ornements .Une nouvelle instance du principe 'ars est celare artem' formulé par Ovide dans son Ars Amatoria ; voir également page 71. L'air toujours également tempéré, y faisoit faisait produire aux arbres des fleurs & et des fruits en tout temps ; à côté d'une figue encore verte pendoit pendait à la même branche une figue d'une parfaite maturité, & et sur le même pied on voyoit voyait la vigne encore en fleur chargée de raisins murs & et d'un goût exquis. Au murmure des eaux, & et à celui des feuilles qu' agitoit agitait l'haleine des zéphyrs, une infinité de petits oiseaux accordoient accordaient leur ramage. Il est difficile assurément de voir une peinture plus gaie & et plus agréable.

Ce poëte poète Italien italien a une imagination très-riche très riche , ajouta Timagene ; mais je lui trouve un autre mérite qui lui est particulier. Son récit intéresse singuliérement singulièrement  ; & et je pense qu'on doit attribuer principalement cet effet aux situations délicates dans lesquelles il met souvent ses personnages, & et qui ménagent au lecteur une surprise délicieuse. C'est-là C'est là , s'il m'en souvient bien, ce que vous appelliez suspension.Les deux interlocuteurs en avaient déjà parlé plus tôt ; voir page 124. Telle est l'arrivée inattendue de Clorinde à Jérusalem, au moment ou Sophronie & et Olinde vont subir un supplice infâme & et cruel, auquel cette héroine héroïne s'empresse de les arracher : tel est le combat de cette même Clorinde contre Tancrède, qui ne reconnoît reconnaît son amante qu'après lui avoir donné le coup de la mort : telle est la rencontre d'Herminie à la suite d'Armide, au milieu de l'armée Egyptienne égyptienne , lorsqu'on la croit encore dans la retraite champêtre, où la frayeur l' avoit avait conduite.

Il est vrai, repartit Euphorbe, que ces situations sont assez fréquentes dans la Jérusalem délivrée la Jérusalem délivrée . Elles le sont peut-être au point de donner à ce poëme poème un petit air de roman, qui, joint à quelques pensées recherchées, à ces concetti familiers aux Italiens, forme sans doute ce clinquant, que Despréaux condamnoit condamnait dans ce bel ouvrage. Mais enfin, comme chaque poëte poète a ses défauts, chacun aussi a son mérite particulier. Homere Homère excelle par le génie, Virgile par le naturel, Milton par la force & et l'énergie, & et le Tasse par l'esprit & et le brillant. Pour la solidité de l'instruction & et les richesses de la poësie poésie , il en est peu qui le disputent à l'archevêque de Cambrai.

Soit dit sans vous offenser, répliqua Timagène ; vous me paroissez paraissez un peu hardi de vanter la poësie poésie d'un ouvrage, qu'on refuse de nommer un poëme poème , bien loin de le reconnoître reconnaître pour un poëme poème épique. Je veux bien y voir avec vous toute la conduite de l'épopée ; l'unité d'action, de héros & et de temps ; le merveilleux le plus frappant, l'intérêt le plus vif, l'imagination la plus brillante : mais il n'est point un poëme poème , dès qu'il n'est point écrit en vers.

Cet oracle, reprit Euphorbe, est-il aussi sûr que vous paroissez le croire ? Je vais tâcher de justifier ma hardiesse, & et d'assurer au Télémaque Télémaque le titre de poëme poème épique. On convient assez communément que l'épopée est le récit poëtique poétique d'une action grande, merveilleuse, intéressante, exécutée par un héros dans un certain espace de temps. De toutes les qualités renfermées dans cette définition, vous n'en contestez qu'une à l'ouvrage dont il s'agit : c'est déjà un grand avantage pour moi. Toute la difficulté roule donc sur ces mots, un récit poëtique poétique auxquels des gens de lettres ont substitué un récit en vers. Pour moi, je pense qu'il faut mettre une grande différence entre l'un & et l'autre. On lit tous les jours des vers sans poësie poésie  ; on peut lire aussi de la poësie poésie sans vers. Le nombre, la mesure des syllabes, la rime, sont une écorce extérieure qui n'exige point le secours des muses. La versification est à la poësie poésie , ce que la bordure est à un tableau. Le coloris, l'expression, l'ordonnance sont absolument indépendans indépendants de cette décoration. Rapportons-nous-en sur cette question à Horace : c'est un bon juge. Necque enim concludere versum Dixeris esse satis ; neque, si quis scribat, uti nos, Sermoni propiora, putes hunc esse poëtam. Ingenium cui fit, cui meas divinior, atque os Magna sonaturum, des nominis hujus honorem. Hor. Sat. lib. 1. Pour être poëte poète , dit-il, il ne suffit pas de renfermer un vers dans une certaine mesure, comme je le fais maintenant, sans dire rien qui s'élève au-dessus d'une conversation familiere familière . Réservez ce titre magnifique pour celui qui a reçu du ciel le génie, l'enthousiasme & et une expression digne des plus grands objets. Voilà donc l'essence de la poësie poésie  : le génie qui choisit habilement son sujet, qui le dispose avec art, qui puise dans la vérité & et la nature ses caracteres caractères , & et qui sçait sait franchir à propos les bornes trop étroites, que les régles règles lui prescrivent ; l'enthousiasme qui enfante le sublime, le pathétique, les idées nobles ou riantes, les belles descriptions, les pensées brillantes ; enfin les richesses de l'expression, qui ajoute une nouvelle énergie à la pensée, & et qui va quelquefois jusqu'à peindre, pour ainsi dire, à l'oreille l'émotion que l'esprit éprouve. Aucune de ces parties ne manque à l'immortel ouvrage de Fénélon Fénelon . On n'exige point ici la vérsification. Le favori de Mécêne Mécène l'exclut même formellement, si elle est seule, lorsqu'il met au rang de la prose la satyre satire qu'il écrivoit écrivait alors, & et qu'il écrivoit écrivait en vers. Si la mesure ou la rime étoient étaient absolument nécessaires à la poësie poésie , dans une traduction en prose, elle perdroit perdrait sa nature.Bérardier de Bataut ne sera apparemment plus de l'opinion d'Euphorbe en 1786, lorsqu'il choisit les vers pour sa traduction de L'Anti-Lucrèce de Melchior de Polignac. De bonne foi, est-ce de la prose que nous lisons dans la traduction du beau poëme poème de Milton ? Il a peut-être perdu quelques-unes de ses graces grâces  : mais quelque défiguré qu'on le suppose, on ne le prendra jamais pour une histoire ; pas même pour un roman. Ainsi je ne crains point de placer l' Auteur auteur du Télémaque Télémaque sur le Parnasse au-dessus de beaucoup de versificateurs, supposé même que ceux ci ceux-ci y soient admis.

Vous avez ici un beau champ, poursuivit Timagène : vous combattiez un ennemi qui ne demande que d'être vaincu : car je vous avoue qu'on a toujours eu bien de la peine à me faire voir de la simple prose, par exemple, dans la descriprion charmante que fait cet Auteur auteur de la grote grotte de Calypso. Cette grote grotte , dit-il, étoit était taillée dans le roc en voûtes pleines de rocailles & et de coquilles : elle étoit était tapissée d'une jeune vigne qui étendoit étendait également ses branches souples de tous côtés. Les doux Zéphyrs conservoient conservaient en ce lieu, malgré les ardeurs du soleil, une délicieuse fraîcheur. Des fontaines coulant avec un doux murmure sur des prés semés d'amaranthes & et de violettes, formoient formaient en divers lieux des bains aussi purs & et aussi clairs que le cristal. Mille fleurs naissantes émailloient émaillaient les tapis verds verts dont la grote grotte étoit était environnée. Là on trouvoit trouvait un bois de ces arbres touffus qui portent des pommes d'or, & et dont la fleur, qui se renouvelle dans toutes les saisons, répand le plus doux de tous les parfums. Ce bois sembloit semblait couronner ces belles prairies, & et formoit formait une nuit que les rayons du soleil ne pouvoient pouvaient percer. Là on n' entendoit entendait jamais que chant des oiseaux, ou le bruit d'un ruisseau qui se précipitant du haut d'un rocher, tomboit tombait à gros bouillons pleins d'écume, & et s' enfuyoit enfuyait au travers de la prairie. Quelle poësie poésie employa jamais des images plus riantes, & et prodigua avec plus d'abondance toutes les richesses & et tous les ornemens ornements du stile style  ?

C'est aussi dans la poësie poésie , poursuivit Euphorbe, que l'on peut & et que l'on doit les répandre avec une espece espèce de profusion. Comme elle se propose de gagner le cœur & et l'esprit par l'attrait du plaisir, pour les instruire plus sûrement, elle n'épargne rien de tout ce qui peut ravir & et enchanter. De làLa graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte. ces peintures fréquentes, où les traits de la nature sont si bien saisis, qu'on la confond presque avec son portrait ; delà de là ces pensées naturelles, délicates, & et toujours poëtiques poétiques  : delà de là cette harmonie, cette cadence si expressive, qu'elle fait presque concevoir l'objet qu'elle décrit, à ceux même pour qui la langue dans laquelle elle s'exprime, est étrangere étrangère .

Je ne puis entendre parler de peintures naturelles en poësie poésie , répliqua Timagène, sans me rappeller celle que fait Horace dans cette belle ode, où il raconte les projets chimériques d'un usurier, qui sembloit semblait résolu de quitter la ville & et son infâme trafic. Pour se confirmer dans cette belle résolution, il décrit ainsi la félicité d'un habitant de la campagne. Ergo aut adultâ vitium propagirie Altas maritat populos ; ............. [...] Aut in reductâ valle mugientum Prospectat errantes greges ; Aut pressa puris mella condit amphoris ; Aut tondet infirmas oves. Vel cum devorum mitibus pomis caput Autumnus arvis extulit, Ut gaudet infitiva decerpens pyra, Certantem & et uvam purpurae ! Liber jacere modo sub antiquâ ilice ; Modo in renaci gramine. Labuntur altis interim ripis aquae ; Queruntur in sylvis avec ; Fontesque lymphis obstrepunt manantibus, Somnos quod invitet leves. ................ [...] Has inter epulas, ut juvar pastas oves Videre properantes domum ! Videre fessos vomerem inversum boves Collo trahentes languido ; Positosque vernas, ditis examen domûs, Circum renidentes lares. Epod. 2. Là il marie aux peupliers les seps ceps de sa vigne déjà forts & et vigoureux ; ici il suit des ieux yeux ses troupeaux errans errants dans un vallon écarté, qu'ils font retentir de leurs mugissemens mugissements  : quelquefois il s'occupe à renfermer dans des vases purs le miel exprimé de ses rayons, ou à décharger ses moutons de leur toison. Lorsque Pomone montre à l'univers sa tête couronnée de fruits, quel charme pour lui de cueuillir cueillir une poire que les travaux ont fait naître, ou une grappe de raisin dont l'incarnat le dispute à la pourpre. Au gré de son caprice, tantôt il s'étend à l'ombre d'un vieux chêne, tantôt sur un gazon dont la fraîcheur a pour lui mille attraits. Cependant le murmure d'un fleuve profond, le ramage plaintif des oiseaux dans les bois, le gazouillement d'une onde fugitive répandent sur ses ieux yeux de légers pavots. Le poëte poète termine enfin ce charmant paysage par ces traits. Tandis qu'il prend un repas frugal, quel spectacle plus agréable à ses ieux yeux , que d' appercevoir apercevoir ses troupeaux revenir à pas précipités des pâturages à la bergerie, ses bœufs fatigués rentrer d'un air abbatu & et traîner après eux la charrue renversée ; de voir autour d'un foyer, où règne la douce gaieté, un essain essaim de domestiques qui font la richesse de la maison qui les a vu naître !

J'ai rencontré derniérement dernièrement , repartit Euphorbe, un de ces portraits dans un ouvrage qui n'a aucun rapport, il est vrai, à l'objet que nous traitons, mais qui revient si bien à celui que vous venez de citer, que je ne puis m'empêcher de le mettre sous vos ieux yeux . Ce sera une petite digression, que vous me pardonnerez. Je l'ai trouvé dans un discours prononcé en 1769, par un magistrat digne par ses talens talents & et ses vertus du ministere public, dont il a été chargé pendant quelque temps dans un parlement de province.Disc. sur les mœurs de M. Servan, anc. Av. Gén. du Parl. de Grenoble. L'appel à la note manque dans l'original. La place de la note est donc conjecturale. L'orateur suppose un bon citoyen, un patriote sans prétentions, qui s'entretient ainsi avec lui-même. Il est nuit, & et j'ai travaillé tout le jour pour ma patrie & et pour mes devoirs ; mais voici le moment où je vais être payé de tout. Je vais retrouver ma femme, mes enfans enfants , ma famille ..... [...] Tous m'aiment, tous m'attendent, & et je suis sûr que déjà vingt fois mes enfans enfants ont interrompu leurs jeux innocens innocents , pour demander à leur mere mère avec inquiétude, si leur pere père tarderoit tarderait encore long-temps longtemps . A À peine ils me verront, que je n'entendrai qu'un cri de joie : tous leurs regards, toutes leurs caresses seront pour moi, & et je leur prodiguerai toutes les miennes, & et je les serrerai dans mes bras tous ensemble, tous l'un après l'autre. Assis à la même table, sans doute, ils me demanderont compte de ma journée & et tout mon cœur leur sera ouvert : qu'ai-je à leur cacher ? Je leur dirai ma joie & et mes chagrins. Quel plaisir de les voir surpendre leur repas, les ieux yeux attachés sur les miens, m'écouter avidement, pâlir à ma moindre peine, & et s'entreregarder en souriant, à mes moindres plaisirs, quelquefois m'interrompre par tendresse, & et se retenir aussi-tôt aussitôt par respect ; m'écouter encore quand je me suis tu, attendant dans un long silence, si je n'ai plus rien à leur apprendre de moi ! Un de mes signes, un coup-d' œuil œil , un souris sera le signal de quelques jeux, où je serai pris pour témoin, pour conseil, pour arbitre, & et toujours pour leur pere père . Peut-on se refuser à l'émotion paisible & et délicieuse que produisent dans l'âmeLa graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte. de pareils objets ?

En lisant ces morceaux, interrompit Timagène, je crois voir un de ces agréables tableaux de Greuze, qui nous peint les occupations d'une famille villageoise, l'objet de nos mépris, & et qui devroit devrait l'être de notre envie. Elle ne connoît connaît point nos arts & et notre politique, mais elle ignore aussi nos vices. Rien n'égale, à mon avis, I'expression & et la vérité de ce coup de pinceau dans Horace, Quel spectacle plus intéressant, que de voir... ses bœufs fatigués rentrer d'un air abbatu, & et traîner après eux la charrue renversée ? Et de ceux-ci qui m'ont singuliérement singulièrement frappé dans le discours de votre magistrat. Quel plaisir de voir mes enfans enfants s'entre-regarder en souriant de mes moindres plaisirs ; .... m'écouter encore, quand je me suis tu, attendant dans un long silence, si je n'ai plus rien à leur apprendre de moi ! Voilà ce que j'appelle prendre la nature sur le fait, & et je pense que c'est-là un des plus beaux ornemens ornements du récit poétique.

Par-tout Partout où se montre la nature, poursuivit Euphorbe, elle est sûre d'enchaîner les cœurs, ne fût-ce que dans une simple pensée. On en rencontre souvent de cette espece espèce dans Virgile. Telle est celle-ci, qui termine le portrait de deux freres frères , que la nature avoit avait formés très-ressemblans très ressemblants . . . . . . [...] Simillima proles lndiscreta suis, gratusque parentibus error. Les ieux yeux des pere père & et mere mère avoient avaient peine à les distinguer, & et la ressemblance étoit était si parfaite, qu'elle leur occasionnoit occasionnait souvent des méprises agréables pour eux : & et cette autre qui sert de couronnement à la belle description de la démarche d'Apollon ;Latonae tacitum pertentant gaudia poetus. Latone éprouve, en le voyant, un plaisir secret, mais délicieux. Les guillemets finaux manquent, dans l'original.

Dans ces vers, reprit Timagène, je ne vois rien de saillant, rien qui puisse surprendre : je ne conçois pas pourquoi vous les qualifiez du titre de pensées.

Ce ne sont pas des pensées sublimes ou brillantes, repartit Euphorbe, mais des pensées naturelles ; & et celles-ci ne sont pas les moins précieuses. Il n'est peut-être pas si difficile qu'on le croiroit croirait , d'en produire de la premiere première espèce espece . On s'échauffe l'imagination, on se bat, pour ainsi dire, les flancs ; il est rare que de ce mouvement électrique, il ne sorte quelques étincelles. Il est vrai que ces feux dégénerent dégénèrent souvent en fumée. C'est ce qui est arrivé au Guarini dans cette pensée qu'il nous a donnée au sujet d'Encelade, l'un des Titans : La dove sotto à la gran mole Etnea Non so se fulminato, ô fulminante, Vibra il fiero gigante Contra l nemico ciel fiamme di sdegno. On ne sçait sait si ce fier géant, enfermé sous l' Ethna Étna , est foudroyé, ou foudroye. Il lance dans sa colere colère , des feux contre le ciel, & et lui fait la guerre. Je connois connais peu de pensées plus recherchées que celle-là. Elle n'est pas néanmoins aussi ridicule, que celle de l'Arioste, qui dit d'un de ses héros, Le pauvre homme ne s' étoit était pas apperçu aperçu qu'il étoit était mort, & et combattoit combattait encore. Il pover huomo, che non sen era accorto, Andava combattendo, & et era morto.

Je n'ai jamais été si surpris, interrompit Timagène, que de rencontrer derniérement dernièrement cette même pensée, non pas dans un poëte poète , mais dans un historien Espagnol espagnol . A À l'occasion de quelques guerriers coupés en deux par le canon, au siége siège de Maestricht Maastricht , voici comme il s'exprime Dimidiato corpore pugnabant, Sibi superstites, ac peremptae partis ultores. Strada de bel. Belg. dec. 2. l. 2. Dans l'appel à la note, la parenthèse fermante est très faiblement imprimée aussi bien dans l'exemplaire de l'édition l'originale qui sert de référence pour la présente édition électronique, que dans le facsimilé disponible sur Google Books produit à partir d'un exemplaire de la Taylor Institution, Oxford et provenant de la collection de Vivienne Mylne. C'est un indice parmi d'autres qu'il s'agit de la même et peut-être de l'unique impression de l'ouvrage. La moitié de leur corps survivoit survivait à l'autre, combattoit combattait encore, & et vangeoit vengeait celle qui n' étoit était plus. Les guillemets finaux manquent, dans l'original. Nous avons trouvé de l'affectation dans Florus, quand il dit, que la colere colère vivoit vivait / Sur le front d'un guerrier après sa mort : mais qu'est ce que cela, en comparaison de la moitié d'un corps qui venge l'autre ?De Art. Poët. v. 230.Je veux m'élever, dit Horace, je me perds dans les nues.

Ce malheur n'est que trop commun, poursuivit Euphorbe. Il n'est donné qu'aux hommes de goût & et de génie, de saisir ces traits où la nature & et le vrai semblent avoir imprimé leur sceau. Semblables à la violette, ces fleurs plaisent toujours, ne fatiguent point, & et ne portent jamais à la tête. Quel esprit assez bouché,Le texte lit bien bouché, et non pas borné, auquel on aurait pu s'attendre. quels organes assez grossiers, pour ne point sentir I'impression de ces deux mots d' Homere Homère δαxρυοεν γελατασα, qui nous peignent les ris & et pleurs confondus sur le visage d'Andromaque, dans un de ces momens moments délicats où le cœur obéit tout-à-Ia fois tout à Ia fois aux mouvemens mouvements de la joie & et de la tristesse ?

Ut pictura poesis, reprit Timagène. Cet admirable coup de pinceau du poëte poète Grec, se retrouve parfaitement, ce me semble, dans le tableau de la naissance de Louis XIII, fait par Rubens. On y distingue dans les ieux yeux & et dans tous les traits de Marie de Médicis le double sentiment de la douleur, appanage apanage de l'enfantement, & et du plaisir que lui cause la naissance d'un fils & et d'un héritier du trône. Au reste, je ne sçais sais auquel des deux, du naturel, ou de la délicatesse je donnerois donnerais la préférence dans la poësie poésie . Peut-on rien imaginer de plus adroit, par exemple, que la maniere manière dont Virgile fait sa cour à Auguste dans son Enéïde Énéide , en prêtant à son héros les qualités, les vertus & et même les foiblesses faiblesses du souverain de Rome. Les Dieux dans l' Elisée Élysée s'occupent de sa grandeur future : Vulcain grave ses exploits sur le bouclier de l' Auteur auteur de sa race. Quelle finesse dans cet éloge de Louis-le-GrandLutrin, ch. 2. que Despréaux met dans la bouche de la mollesse ? Par ce tour ingénieux, je porte ma pensée bien au-delà de ce que me dit le poëte poète  ; & et c'est-Ià c'est Ià , si je m'en souviens bien, ce qu'on nomme délicatesse. A À cette occasion, je me rappelle qu'un homme de goût m'apprit autrefois un moyen propre à découvrir l'ornement dont un poëte poète a revêtu sa matiere. C'est de l'en dépouiller pour un moment, & et de réduire la pensée à la proposition simple. Par exemple, dans l'endroit dont il s'agit, Boileau ne veut dire autre chose sinon, que l'ardeur du Roi pour la gloire n'est arrêtée ni par les plaisirs, ni par les saisons. Cette louange, qui n'a rien de surprenant par elle-même, devient bien plus flatteuse & et plus intéressante, lorsque la mollesse en personne se plaint de l'activité infatigable de ce prince.

Ce moyen en effet, ajouta Euphorbe, est infaillible pour apprécier le mérite d'une pensée ; & et suivant cette régle règle , vous ne ferez pas grand cas, sans doute, de celle du Tasse au sujet de Clorinde, lorsque cette guerriere guerrière rencontra dans un bois Tancrède, à qui ses charmes avoient avaient inspiré toutes les fureurs de l'amour. Le poëte poète dit à cette occasion,Jér. Déliv. Chant, premier. Clorinde alloit allait sans doute attaquer celui qu'elle avoit avait déjà vaincu. Si vous retranchez de cette pensée la petite antithese antithèse qu'elle renferme, vous appercevrez apercevrez que loin d'y perdre, elle en devient plus noble. Elle se réduit à celle-ci ; Clorinde alloit allait attaquer un ennemi plein d'amour pour elle. Cette derniere dernière idée me semble plus digne de l'épopée que la premiere première .

La premiere première , répliqua Timagène, est plutôt une pensée fine qu'une pensée délicate. Elle a trop d'apprêt, trop d'esprit. Tout cela montre assurémemt que les ornemens ornements , même dans la poësie poésie , ont des bornes.

Je n'en doute en aucune façon, reprit Euphorbe. Tout ce qui s'écarte de la belle nature, tout ce qui sent l'affectation est de mauvais alloi aloi . Hors de-là de là , tout est permis ; même de donner de l' ame âme & et du sentiment aux êtres les plus insensibles. C'est cette hardiesse ingénieuse qui rend une pensée vraiment poëtique poétique . Je me rappelle un endroit de Silius Italicus qui mérite bien ce titre.Tiberius Catius Asconius Silius Italicus (26-101 après J.-C.) fut un poète et homme politique romain. Il est notamment l'auteur de La Guerre punique, un poème épique en 12 000 vers. C'est au sujet d'Annibal qu'un jeune Capouan vouloit voulait poignarder dans un festin. On apostrophe ainsi l'assassin. Fallit te mensas inter quod credis inerinem, Tot bellis quæsita viro, tot cœdibus armat Majestas æterna ducem : si admoveris ora, Cannas & et Trebiam ante oculos, Thrasimenaque busta, Et Pauli stare ingentem miraberis umbram. Lib. 11. Tu te trompes, si tu le crois sans défense au milieu d'un repas : cet air majestueux & et fier qu'il doit à tant de guerres & et de batailles forme un rempart éternel autour de ce héros. Dès que tu paroîtras paraîtras en sa présence, tes ieux yeux verront avec étonnement à ses côtés les journées de Cannes & et de Trebie, les bûchers de Thrasimene Thrasimène , & et la grande ombre de Paul Emile Émile .

Permettez-moi, interrompit Timagène, de mettre ici en usage le moyen dont nous parlions tout-à-l'heure tout à l'heure , pour distinguer les ornemens ornements de cette pensée. Tout ce que dit ici le chantre d' Annibal Hannibal , se réduit à cette idée simple, que la seule présence du héros de Carthage, & et le souvenir de ses victoires arrêteront le bras de l'assassin. Quelle magnificence ajoute ici la poësie poésie  ! L'air noble devient un boulevard insurmontable : Cannes, Trebie Trebbia ne sont plus de simples batailles ; ce sont des personnages imposans imposants qui forment une cour au vainqueur de Rome. Ce privilége privilège d'animer même des êtres imaginaires est pourtant quelque chose de bien commode pour Messieurs les poëtes poètes .

Ils doivent exciter l'admiration, repartit Euphorbe, ravir, enchanter nos esprits. Comment y réussiront-ils, si on leur ôte cette liberté ? C'est pour atteindre ce but, qu'ils emploient les comparaisons les plus riches, l'énergie même d'une élocution pittoresque, pour former des tableaux frappans frappants & et capables de vaincre les dégoûts du lecteur le plus dédaigneux. Peut-on se refuser, par exemple, aux charmes de cette comparaison que l'Esprit Saint a dicté au législateur des Juifs, dans ce beau cantique, où il rappelle les bienfaits dont le Dieu d'Israël a comblé son peuple. On y met en parallèle ses soins & et ses attentions avec celles du Roi des oiseaux.Sicut aquila provocans ad volandum pullos suos, & et super eos volitans, expandit alas suas, & et assumpit eum, atque portavit in humeris suis. Cant. Moysi. Deut. 32. Telle, dit l' Auteur auteur sacré, une aigle instruit ses jeunes aiglons & et les anime par son exemple à prendre l'essor : elle vole au-dessus d'eux ; elle les prend, elle les porte sur ses aîles ailes déployées. Un poëte poète M. de Bologne. moderne a tâché de rendre ainsi ce riche portrait.

Telle une aigle active, intrépide, Pour instruire un aiglon timide, A À sa foiblesse faiblesse offre un appui ; Lui sert de guide & et de modèle ;La graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte. Tantôt le porte sur son aîle, Tantôt voltige autour de lui.

Rien n'est plus propre à charmer un lecteur que cette adresse à rapprocher deux objets qui réfléchissent l'un sur l'autre une lumiere lumière mutuelle. Nous en avons dans le Télémaque Télémaque des modèlesLa graphie de l'original est ici plus moderne que dans le reste du texte. parfaits. Le Tasse a répandu dans son poëme poème cette espece espèce de richesse avec une abondance qui approche un peu de la profusion. A À tout cela, ajoutons les descriptions, les épithétes épithètes & et la cadence, & et nous aurons à-peu-près à peu près tous les ornemens ornements qui enrichissent la poësie poésie .

J'imagine, répliqua Timagène, que cette élocution pittoresque dont vous venez de parler, n'est autre chose que la cadence du vers, lorsque les expressions sont disposées de façon , qu'elles expriment à l'oreille ce qu'elles signifient à l'esprit.Ici, la ponctuation a été modifiée dans le texte de lecture. Ainsi dans Homere Homère , le [grec] imite assez bien les ronflemens ronflements de toute une armée, & et le [grec] le bruit des vagues qui glissent les unes sur les autres. Il me semble que les Grecs & et les Latins ont un grand avantage sur nous dans cette partie, à cause de la différente quantité de leurs syllabes longues & et bréves brèves . Aussi Virgile nous fait-il ordinairement entendre par la cadence de ses vers tout ce qu'il veut nous dire. S'agit-il de peindre la tristesse ? La mesure en est lugubre & et traînante :Æn. 5. v. 614.

Cunctaeque profundum Pontum aspectabant flentes.

Des expressions faciles & et coulantes y sont les interprêtes interprètes de la douceur & et de l'aménité :Æn. 1. v. 693.

Ubi mollis amaracus illum Floribus & et dulci aspirans complectitur umbrâ.

La rencontre des consonnes & et sur-tout surtout de la lettre r, & et les élisions rendent admirablement tout ce qui est dur & et difficile.Geor. 3. v. 534.

Ergo aegre rastris terram rimantur. Æn. 8 v. 689. Totum spumare reductis Convulsunt remis rostrisque tridentibus aequor.

qu'elle Quelle oreille ne sent pas la légéreté légèreté de ces vers,Æn. 5. v. 139.

Inde ubi clara dédit sonitum tuba, finibus omnes, Haud mora, prosiluêre suis ?

& et la pesanteur de celui-ci,Geor. 4. v. 174.

Illi inter sese magna vi brachia tollunt ?

Il faut avouer que l'harmonie est bien puissante pour exprimer ce qui lui plaît. J'ai été une fois témoin de l'empire qu'elle a sur nos sens. Dans un concert bien composé, on exécutoit exécutait un morceau, où le musicien vouloit voulait rendre le bruit du tonnerre, lorsqu'il roule en grondant. Les accords d'un chœur nombreux furent combinés si adroitement, qu'une jeune personne de 14 à 15 ans, prit cette imitation pour l'effet naturel, & et en fut effrayée.

Nouvelle preuve, reprit Euphorbe, qu'on réussit toujours bien, quand on copie la nature. Au surplus, quoique nos Auteurs auteurs ne rencontrent pas autant de facilité dans cette espece espèce de méchanisme que les anciens, comme vous l'avez remarqué fort à propos, ils partagent néanmoins souvent avec eux ce mérite. Témoin ce bel hémistiche de la tragédie de Phèdre Phèdre .Act. 5. sc. 6.

L'essieu crie & et se rompt.

où la mesure & et la chûte chute du vers sont également expressives. Je ne pense pas que dans vos vers latins la cadence soit plus analogue à l'objet, que dans ceux-ci du Lutrin.Chant 2.

Quatre bœufs attelés, d'un pas tranquille & et lent, Promenoient Promenaient dans Paris le monarque indolent.

La Fontaine n'est-il pas le rival de Virgile quand il peint la peine & et la difficulté dans la fable du coche & et de la mouche ?

Dans un chemin montant, sabloneux, mal-aisée malaisée , .............. [...] Six forts chevaux tiroient tiraient un coche.

Et plus bas,

L'attelage suoit suait , souffloit soufflait , étoit était rendu.

Enfin l'harmonie de ces vers tirés de la cantate de Circé, n'inspire-t-elle pas une espece espèce d'effroi ?

La terre tremblante Frémit de terreur ; L'onde turbulente Mugit de fureur ; La Lune sanglante Recule d'horreur.

Les hommes de génie ne se rebutent jamais à la vue des difficultés. Elles animent leur ardeur, parce qu'ils sçavent savent que la gloire est en proportion avec les obstacles.

Dans les armées, répliqua Timagène, vous eussiez, ce me semble, été un héros.

Je n'en sçais sais rien, répondit Euphorbe, car il y a encore bien loin de la spéculation à la pratique : mais je n'en suis pas moins convaincu que cette idée de la gloire est la véritable, & et non celle qu'on attache au luxe des équipages & et de la table, & et qui ne coûte coute que de l'argent.

A À propos de cela, interrompit Timagène, je crois qu'il est heure de nous rendre au château, où nous sommes invités à souper. Il ne seroit serait pas honnête d'arriver au moment de se mettre à table. Il faut céder aux bienséances : souvent elles deviennent des devoirs.